Cass. com., 19 décembre 1995, n° 92-19.525
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Tricot
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
Me Bouthors, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin
Attendu, selon l'arrêt déféré (Nîmes, 30 juin 1992), que, le 4 février 1987, la Société de développement régional du Languedoc-Roussillon (la Sodler) a consenti à la société Digiplan un prêt de 600 000 francs destiné, à hauteur de 320 000 francs, à l'acquisition d'un ensemble immobilier ; que le prêt a été garanti par la subrogation de la Sodler dans le privilège du vendeur avec réserve à son profit de l'action résolutoire et par le privilège du prêteur de deniers, à hauteur de la somme de 320 000 francs ; que, le même jour, le Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (le CEPME) a consenti à la même société, pour le même objet, un prêt de 550 000 francs destiné, à hauteur de 320 000 francs, à l'acquisition du même ensemble immobilier, sous les mêmes garanties ; que la société Digiplan, qui a acquis l'ensemble immobilier le jour même de ces prêts, a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires le 11 décembre 1987 ; que le liquidateur a obtenu, le 13 avril 1988, l'autorisation du juge-commissaire de vendre l'ensemble immobilier de gré à gré ; que, par assignation du 16 décembre 1988, la Sodler et le CEPME ont demandé la résolution de la vente ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que la Sodler et le CEPME reprochent à l'arrêt d'avoir déclaré leur demande irrecevable, alors, selon le pourvoi, que suivant les articles 47 et 161 de la loi du 25 janvier 1985, les poursuites individuelles arrêtées à partir du jugement d'ouverture reprennent, en cas de liquidation, au profit notamment des créanciers titulaires d'un privilège spécial ; qu'en étendant dès lors à la liquidation elle-même la prohibition temporaire prévue par l'article 47 pour les besoins du redressement la cour d'appel a violé les textes précités ;
Mais attendu que la suspension ou l'interdiction des actions en justice visées à l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985, qui prend effet dès le jugement d'ouverture, est maintenue durant toute la durée de la procédure collective ; qu'en conséquence la cour d'appel a exactement énoncé que l'exercice individuel des actions énumérées par ce texte demeure impossible durant la liquidation judiciaire du débiteur ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Attendu que la Sodler et le CEPME reprochent encore à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, suivant la combinaison des articles 1654, 2103, 2108 du Code civil et de l'article 161 de la loi du 25 janvier 1985, le créancier titulaire d'un privilège spécial, qui a régulièrement déclaré sa créance, peut, en cas de liquidation judiciaire, poursuivre toutes les actions attachées à son privilège ; qu'il en va ainsi pour les créanciers titulaires d'un privilège spécial sur immeuble qu'aucune disposition législative n'a entendu expressément dépouiller de leurs droits ; que, en déclarant cependant irrecevable l'action résolutoire engagée par la Sodler et le CEPME, la cour d'appel a violé les textes précités ; et alors, d'autre part, que l'obligation faite par l'article 161 de la loi du 25 janvier 1985 au liquidateur d'entreprendre, dans le délai de 3 mois à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, la liquidation des biens grevés d'un privilège spécial, d'un nantissement ou d'une hypothèque, comporte l'accomplissement d'actes constituant un véritable commencement d'exécution ; que, en l'état de l'ordonnance d'autorisation de vendre sollicitée plus de 3 mois après le prononcé de la liquidation, nul obstacle ne pouvait entraver le droit de poursuite individuelle de la Sodler et du CEPME ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans examen des conséquences attachées à l'écoulement du délai précité de 3 mois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 161 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu que le droit de poursuite individuelle des créanciers, qui ne peut avoir pour effet de modifier l'ordre des paiements, autorise seulement la poursuite ou l'engagement des voies d'exécution ; que la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 161 de la loi du 25 janvier 1985 en déduisant que la Sodler et le CEPME, qui étaient subrogés dans les droits du vendeur, étaient irrecevables à exercer l'action résolutoire du contrat de vente, bien que le liquidateur judiciaire n'ait pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de 3 mois à compter du jugement de liquidation judiciaire ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.