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Décisions

CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 5 avril 2023, n° 22/00812

BESANÇON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Caisse de Crédit Mutuel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wachter

Conseillers :

M. Leveque, M. Saunier

Avocats :

Me Leroux, Me Ben Daoud

Juge de l'exécution Belfort, du 6 mai 20…

6 mai 2022

Par acte authentique du 9 mai 2008, la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] (CCM) a consenti à M. [Z] [T] et son épouse, née [X] [H], un prêt de 279 343 euros destiné à financer l'acquisition d'un bien immobilier à [Localité 6] (77), laquelle s'est faite par l'entremise de la société Apollonia.

Par assignation du 4 juin 2009, reprochant à la CCM [Localité 10] [Localité 4] de n'avoir pas surveillé son mandataire Apollonia, les époux [T] ont fait assigner cette banque, parmi d'autres, devant le tribunal de grande instance de Marseille en responsabilité et paiement de dommages et intérêts.

Parallèlement, la CCM [Localité 10] [Localité 4] a fait assigner les époux [T] devant le tribunal de grande instance d'Auch en remboursement du prêt. La juridiction saisie a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Marseille, où les procédures ont été jointes.

Par ordonnance d'incident du 18 février 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Marseille a sursis à statuer sur la demande en paiement de la banque jusqu'à ce qu'une juridiction pénale se soit prononcée définitivement dans le cadre des plaintes déposées contre la société Apollonia, et a condamné la CCM [Localité 10] [Localité 4] à payer aux époux [T] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 17 mars 2021, les époux [T] ont fait signifier à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] un commandement aux fins de saisie-vente en vue du recouvrement de la somme de 1 000 euros allouée par cette ordonnance.

Le 8 juin 2021, les époux [T], agissant sur le même fondement, ont fait procéder, entre les mains de 'CAISSE FEDER CIT MUT CENTRE EST EUROPE AG THANN domicilié(e) à [Localité 3]', à la saisie -attribution des sommes détenues pour le compte de la CCM [Localité 10] [Localité 4].

Cette mesure d'exécution a été dénoncée à la CCM [Localité 10] [Localité 4] le 15 juin 2021.

Par exploit du 13 juillet 2021, la CCM [Localité 10] [Localité 4] a fait assigner les époux [T] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Belfort en mainlevée du commandement aux fins de saisie-vente et de la saisie-attribution, ainsi qu'en paiement de la somme de 8 000 euros de dommages et intérêts pour saisie abusive. La demanderesse a exposé que la saisie-attribution était nulle pour avoir été effectuée entre les mains d'un tiers-saisi inexistant, et qu'en tout état de cause les mesures d'exécution devaient être levées dès lors que la créance des époux [T] se compensait avec sa propre créance de remboursement du prêt.

Les époux [T] se sont opposés à ces demandes, en faisant valoir que la saisie-attribution était parfaitement régulière, et que la somme obtenue aux termes de l'ordonnance définitive du juge de la mise en état ne pouvait être compensée par la créance de remboursement du prêt, laquelle n'était pas certaine au regard des demandes dont ils avaient saisi le tribunal judiciaire de Marseille, à savoir l'annulation du prêt et l'allocation de dommages et intérêts.

Par jugement du 6 mai 2022, le juge de l'exécution a :

- débouté la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] de sa demande de mainlevée du commandement de payer aux fins de saisie vente du 17 mars 2021 et du procès-verbal de saisie-attribution du 15 juin 2021, à la demande de M. [Z] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] ;

- débouté la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] de sa demande de dommages intérêts ;

- condamné la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] à payer à M. [Z] [T] et Mme [X] [H] épouse [T] la somme de 1 200 euros au titre de leurs frais irrépétibles ;

- condamné la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] aux dépens de l'instance.

Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a retenu :

- que, contrairement aux dires des consorts [T], l'adresse du tiers-saisi ne correspondait à aucune entité connue du Crédit Mutuel ; que, cependant, la demanderesse ne démontrait pas que le vice affectant le procès-verbal de saisie-attribution lui ait en soi causé un grief ;

- que la compensation des dettes réciproques s'opérait de plein droit par la seule force de la loi et sans égard à la nature des dettes compensées dès lors que celles-ci étaient liquides, exigibles et certaines ;

- qu'il ressortait de l'instance civile pendante devant le tribunal de Marseille que les consorts [T] sollicitaient au titre de la responsabilité contractuelle de la banque la condamnation de la CCM à leur payer des dommages et intérêts en raison de la nullité du prêt pour dol ; que l'issue de cette procédure pouvait avoir une incidence certaine sur le montant de la dette des consorts [T] si la responsabilité de la banque était retenue, de sorte que, par compensation, les dommages et intérêts qui pouvaient leur être alloués viendraient se déduire de la créance de la banque ; qu'il n'y avait donc pas lieu de considérer que cette dernière était liquide et exigible ;

- qu'au vu de l'issue du litige, la CCM devait être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

La CCM [Localité 10] [Localité 4] a relevé appel de cette décision le 19 mai 2022.

Par conclusions notifiées le 21 juin 2022, l'appelante demande à la cour :

Vu l'article L. 213-6 du code de I 'organisation judiciaire,

Vu les articles L. 111-2 et suivants et L. 221-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

Vu les articles L. 211-4 et L. 211-5, R. 211-3, R. 211-10 à R. 211-13 du code des procédures civiles d'exécution,

Vu les articles 1347 et 1347 -1 du code civil,

Vu l 'article 700 du code de procédure civile,

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il déboute la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] de sa demande de mainlevée du commandement de payer aux fins de saisie vente pratiquée le 17 mars 2021 et du procès-verbal de saisie-attribution pratiquée du 15 juin 2021 à la demande de M. [Z] [T] et Mme [X] [H], épouse [T], déboute la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] de sa demande de dommages intérêts, condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] à payer à [Z] [T] et Madame [X] [H], épouse [T] la somme de 1 200 euros au titre de leurs frais irrépétibles, et condamne la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] aux dépens de l'instance ;

Statuant à nouveau,

- de juger que la créance de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] à l'encontre des époux [T] est certaine, liquide et exigible ;

- de juger que les créances réciproques de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] et des époux [T] sont fongibles ;

- de juger que la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] s'est valablement prévalue de la compensation de la créance des époux [T] avec sa propre créance dans la limite la somme due par la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] aux époux [T] ;

- de juger que la compensation a produit ses effets de manière rétroactive au 18 février 2021 ;

- de juger que les époux [T] ne sont plus créanciers de la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] depuis le 18 février 2021 s'agissant de la somme de 1 000 euros visée dans l'ordonnance du juge de la mise en état du TJ de [Localité 7] en date du 18 février 2021 ;

- de juger abusive la saisie-attribution pratiqué le 7 juin 2021 par les époux [T] entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel ;

Par conséquent,

- d'annuler le commandement de payer aux fins de saisie-vente signifié à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] le 17 mars 2021 ;

- d'annuler la saisie-attribution pratiquée le 8 juin 2021 et dénoncée le 15 juin 2021 à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] ;

- de condamner les époux [T] à payer la somme de 8 000 euros à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] en réparation du préjudice subi suite à la saisie-attribution abusive ;

- de condamner les époux [T] à verser la somme de 2 500 euros à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance ;

- de condamner les époux [T] à verser la somme de 3 000 euros à la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d'appel ;

- de condamner les époux [T] aux entiers frais et dépens de l'instance.

Par conclusions transmises le 8 juillet 2022, les époux [T] demandent à la cour :

Vu les dispositions des articles (sic) 648 du code de procédure civile,

Vu les dispositions des articles 1347 et suivants du code civil,

Vu les dispositions des articles L. 111-2 et L. 221-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Y ajoutant,

- condamner la CCM [Localité 10] [Localité 4] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL HBB Avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2022.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

Sur la nullité

La décision entreprise sera approuvée en ce qu'elle a écarté le moyen de nullité tiré du défaut d'identification correcte du tiers-saisi sur l'acte de saisie-attribution, dès lors que l'appelante échoue toujours à caractériser le grief que lui aurait causé cette carence, alors qu'elle convient elle-même qu'elle a dûment identifié le tiers-saisi comme étant la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel, entre les mains de laquelle la saisie a été effectivement pratiquée.

Sur la mainlevée

L'article 1347 du code civil dispose que la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.

L'article 1347 -1 ajoute que la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.

La créance résultant pour les époux [T] de l'ordonnance du juge de la mise en état du 18 février 2021 est incontestablement certaine, liquide et exigible.

La CCM [Localité 10] [Localité 4] invoque la compensation de ce montant avec sa propre créance de remboursement du prêt consenti aux époux [T].

La fongibilité des obligations invoquées de part et d'autre ne fait pas débat, s'agissant de créances de sommes d'argent.

La circonstance que le prêt litigieux fasse l'objet d'une demande d'annulation pour dol n'est pas de nature à priver la créance en résultant de son caractère certain. En effet, même dans l'hypothèse où il serait fait droit à cette prétention par le juge qui en est saisi, les époux [T], certes libérés de toute dette au titre des intérêts, resteront néanmoins tenus à la restitution du capital, dont il n'est pas contesté qu'il a été mis à leur disposition par la banque.

La certitude de la créance de restitution n'est pas plus remise en cause par la demande de dommages et intérêts dont les époux [T] ont saisi le juge du fond, dès lors que l'engagement de la responsabilité de la banque n'a ni pour objet, ni pour effet de faire disparaître la créance de remboursement de la somme mise à disposition, mais d'indemniser le préjudice subi par les emprunteurs, au moyen de l'allocation de dommages et intérêts compensatoires, qui constituent une créance distincte.

La créance de la banque est liquide, dès lors qu'elle correspond à minima au montant du capital prêté, sous déduction des échéances éventuellement réglées par les époux [T], soit un montant en tout état de cause considérablement supérieur à celui dû à ces derniers par la banque en exécution de l'ordonnance de mise en état du 18 février 2021.

Cette créance est également exigible, dès lors qu'à supposer que le contrat de prêt soit reconnu valablement formé, il a en tout état de cause pris fin par la déchéance du terme prononcée par la banque en suite du défaut de remboursement des échéances, prélude à l'assignation des époux [T] en paiement.

Enfin, le premier juge ne pouvait remettre en cause le caractère liquide et exigible de la créance invoquée par la CCM sur la seule considération d'une compensation éventuelle avec des dommages et intérêts dont l'allocation aux époux [T] n'est à ce jour pas encore intervenue, de sorte qu'elle ne constitue qu'une créance future et hypothétique, qui, en tant que telle, ne peut être opposée pour réclamer compensation.

Force est ainsi de constater qu'à la date à laquelle ont été diligentées les procédures d'exécution litigieuses, les parties disposaient toutes deux de créances fongibles, certaines, liquides et exigibles.

Dès lors qu'elle a été expressément demandée par la banque, la compensation entre ces créances a joué à concurrence de la plus faible d'entre elle, qui est celle détenue par les époux [T] en vertu de l'ordonnance d'incident du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Marseille.

Cette créance étant éteinte, il devra être donné mainlevée des mesures d'exécution formées sur son fondement.

Le jugement déféré sera infirmé en ce sens.

Sur les dommages et intérêts

La CCM ne démontre pas l'abus commis par les époux [T] dans la mise en oeuvre des mesures d'exécution litigieuses, lequel ne saurait se déduire du seul fait qu'il en ait été donné mainlevée.

Au demeurant, l'appelante n'établit pas plus le préjudice qu'elle indique avoir subi du fait de ces mesures.

La confirmation s'impose donc en ce que le premier juge a écarté la demande indemnitaire de la CCM.

Sur les autres dispositions

La décision entreprise sera infirmée s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.

Les époux [T] seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais irrépétibles qu'elles ont engagés pour défendre, tant en première instance qu'en appel.

Par ces motifs

Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,

Confirme le jugement rendu le 6 mai 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Belfort en ce qu'il a débouté la Caisse de Crédit Mutuel [Localité 10] [Localité 4] de sa demande de dommages et intérêts ;

Infirme le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau, et ajoutant :

Ordonne la mainlevée du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 17 mars 2021 et de la saisie-attribution pratiquée le 8 juin 2021 à la demande de M. [Z] [T] et de son épouse, née [X] [H], entre les mains de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel ;

Condamne M. [Z] [T] et son épouse, née [X] [H], aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.