Livv
Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 4 mai 2022, n° 21/04138

NÎMES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Strunk, Mme Ougier

Avocats :

Me Moulis, Me Licini, Me El Bouroumi

Juge de l'exécution Nîmes, du 22 oct. 20…

22 octobre 2021

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 18 novembre 2021 par Monsieur [D] [U] à l'encontre du jugement prononcé le 22 octobre 2021 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nîmes dans l'instance n° 21/01981 ;

Vu l'avis du 29 novembre 2021 de fixation de l'affaire à bref délai ;

Vu les dernières conclusions remises par voie électronique le 13 janvier 2022 par Madame [O] [K], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions remises par voie électronique le 1er mars 2022 par l'appelant, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu l'ordonnance du 29 novembre 2021 de clôture de la procédure à effet différé au 24 mars 2022.

* * *

Par jugement du 26 juillet 2011, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nîmes a prononcé le divorce de Monsieur [U] [D] (ci-après l'appelant) et Madame [K] [O] (ci-après l'intimée) et a mis à la charge de l'appelant une pension alimentaire de 750 euros par mois au titre de la contribution à l'entretien et l'éducation des 3 enfants communs.

Par arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 19 juin 2013, cette pension a été baissée à la somme mensuelle totale de 600 euros.

Par jugement du 17 octobre 2019, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nîmes a:

- supprimé la part contributive de l'appelant à l'entretien et à l'éducation de leur fils [B] à compter du 1er septembre 2018 ;

- supprimé la part contributive de l'appelant à l'entretien et à l'éducation de leur fils [A] entre septembre 2017 et juin 2019 ;

- fixé la part contributive de l'intimée à l'entretien et à l'éducation de leur fils [A] à 80 euros entre septembre 2017 et juin 2019 ;

- fixé la part contributive de l'appelant à l'entretien et à l'éducation de leur fils [A] à 400 euros par mois à compter du 1er juillet 2019 ;

-fixé la part contributive de l'appelant à l'entretien et à l'éducation de leur fils [C] à 400 euros par mois à compter du 1er septembre 2018.

En octobre 2020, l'intimée a fait engager à l'encontre de l'appelant une procédure de paiement direct aux fins de recouvrement des sommes restées indues selon les termes du jugement susmentionné.

Par exploit d'huissier de justice délivré le 12 mars 2021, l'appelant a fait assigner l'intimée à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nîmes, au visa de l'article R. 213-6 du code des procédures civiles d'exécution, aux fins de levée de la procédure de paiement direct et de restitution des sommes indûment perçues.

Par jugement du 22 octobre 2021, le juge de l'exécution a:

- débouté l'appelant de ses demandes ;

- condamné l'appelant à verser à l'intimée une somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné l'appelant aux dépens.

Le magistrat a considéré que la compensation de la dette évoquée par l'appelant ne peut se compenser avec une dette à caractère alimentaire, et que la compensation, même à supposer de même nature, n'est pas opérable sans titre exécutoire et faute d'accord exprès et non univoque de l'intimée.

Par déclaration au greffe du 18 novembre 2021, l'appelant a interjeté appel de cette décision.

* * *

L'appelant sollicite la mainlevée immédiate de la procédure de paiement direct au visa de l'article R. 213-6 du code des procédures civiles d'exécution, en soutenant tout d'abord que le principe de la compensation a été accepté par l'intimée dans un courrier manuscrit adressé en recommandé avec accusé de réception daté du 3 février 2020, puisqu'elle aurait dû lui rembourser un trop-perçu de contributions alimentaires très conséquent arrêté au 31 octobre 2019.

Il ajoute que le seul désaccord persistant entre les parties ne concerne que le quantum des sommes dues alors que l'intimée valide le décompte jusqu'en octobre 2020.

Il constate qu'au regard du décompte établi suivant les bulletins de salaires, l'intimée est débitrice à son égard d'une somme de 2 447,01 euros en principal au titre d'un trop-perçu de contributions alimentaires arrêté 28 février 2022 pour lequel, il sollicite le paiement sur le fondement de la répétition de l'indu conformément à l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.

En conséquence, l'appelant sollicite de la cour d'appel, au visa de l'article 905-2 du code de procédure civile, des articles L. 213-6 et R. 213-6 du code des procédures civiles d'exécution de:

- déclarer l'appel interjeté par l'appelant recevable et bien fondé,

- déclarer irrecevables les conclusions d'intimée,

Sur le fond,

- infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau,

- constatant qu'au 28 février 2022 l'intimée est débitrice à l'égard de l'appelant d'une somme de 2.447,01 € en principal au titre d'un trop-perçu de contributions alimentaires,

- ordonner la mainlevée de la procédure de paiement direct initiée par l'intimée,

- condamner l'intimée à porter à payer à l'appelant la somme de 2.447,01 € en principal, somme arrêtée au 28 février 2022, sauf à parfaire, au titre de la répétition de l'indu,

-dire que cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation introductive d'instance,

-condamner l'intimée à porter à payer à l'appelant la somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner l'intimée aux entiers dépens en ce compris les frais de mainlevée de la procédure de paiement direct.

* * *

L'intimée conclut, à titre principal, au rejet du principe de la compensation puisqu'en application des dispositions des articles 1347 , 1347 -1 et 1347 -2 du code civil et de l'article L. 112-2 du code des procédures civiles d'exécution, une créance à caractère alimentaire ne peut se compenser avec un indû qui a le caractère d'une créance ordinaire.

Elle ajoute d'ailleurs que l'appelant, même à supposer qu'il dispose d'une créance de même nature, ne dispose pas d'un titre exécutoire, sans lequel il est dans l'incapacité de l'opposer ou d'en demander compensation.

A titre subsidiaire, elle s'oppose au calcul établi par l'appelant et soutient donc que la procédure de paiement direct est encore fondée aujourd'hui puisque ce dernier est actuellement débiteur à son égard à hauteur de la somme de 1311,46 euros arrêtée au 31 mars 2021 au titre des contributions alimentaires dues.

En conséquence, l'intimée demande à la cour, au visa des articles 1347, 1347 -1, 1347 -2 du code civil, et des articles L. 112-2 et R. 213-6 du code des procédures civiles d'exécution, de :

- confirmer le jugement déféré,

- débouter l'appelant de ses demandes,

- condamner l'appelant à payer à l'intimée la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'appelant aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

- Sur la procédure de paiement direct:

Aux termes de l'article L. 213-1 du code des procédures civiles d'exécution, 'tout créancier d'une pension alimentaire peut se faire payer directement le montant de cette pension par les tiers débiteurs de sommes liquides et exigibles envers le débiteur de la pension. Il peut notamment exercer ce droit entre les mains de tout débiteur de sommes dues à titre de rémunération ainsi que de tout dépositaire de fonds. La demande de paiement direct est recevable dès qu'une échéance d'une pension alimentaire n'a pas été payée à son terme'.

Les parties s'opposent sur l'existence même d'une dette de nature alimentaire, chacune estimant être créancière de l'autre.

Il est constant que l'appelant n'a pas réglé la pension alimentaire du mois de novembre 2019 au mois de septembre 2020 inclus considérant qu'il bénéfice à l'égard de l'intimée d'un trop perçu dont il s'estime créancier et réclamant la compensation des sommes dues sur cette période.

- sur le principe de la compensation:

L'article 1347 -2 du code civil énonce que les créances insaisissables et les obligations de restitution d'un dépôt, d'un prêt à usage ou d'une chose dont le propriétaire a été injustement privé ne sont compensables que si le créancier y consent.

Au cas présent, l'intimée est créancière de pensions de nature alimentaire pour l'entretien de deux enfants encore à charge qui sont donc des créances insaisissables. Elle doit donc consentir de manière expresse à la compensation pour qu'il en soit fait application.

L'appelant, qui oppose un trop perçu de pension alimentaire pour légitimer l'absence de paiement, considère que l'intimée a donné son accord sur la compensation par courrier qu'elle a adressé à son conseil le 3 février 2020 aux termes duquel elle reconnaît devoir la somme de 5612,53 euros qu'elle rembourse par compensation avec la somme de 800 euros que devrait lui verser mensuellement l'appelant au titre de la pension alimentaire du mois d'octobre 2019 au mois de mars 2020. Elle note à cet égard un échéancier sur la lettre.

A la lecture de ce courrier, il est manifeste que l'intimée donne son accord de manière expresse et irrévocable pour opérer une compensation entre la somme dont elle est débitrice et les pensions alimentaires que doit lui verser l'appelant du mois d'octobre 2019 au mois de mars 2020 inclus indiquant que pour le mois d'avril l'appelant est débiteur d'une somme de 25,39 euros au titre de la pension alimentaire pour les deux enfants restant à charge. -pièce 8 appelant -

Il résulte de ce qui précède que la demande de compensation peut prospérer contrairement à ce qu'a indiqué le premier juge, l'accord express de l'intimée étant établi.

- sur la créance:

Si la compensation peut s'opérer, il convient de procéder à une vérification de créance afin de déterminer si l'appelant s'est libéré de l'arriéré de pension alimentaire en se référant aux décisions applicables déterminant les montants dus ainsi qu'aux versements justifiés.

S'agissant de l'obligation alimentaire due par l'appelant:

- pour l'enfant [A] : l'appelant est redevable d'une pension d'un montant de 400 euros du mois de juillet 2019 jusqu'au mois de décembre 2019, pour être réindexée à la somme de 399,99 euros à compter du mois de janvier 2020, puis de 410,24 euros à compter de janvier 2022;

- pour l'enfant [B]: l'appelant était redevable d'une pension d'un montant de 206,67 euros du mois de septembre 2017 au mois de septembre 2018, date à laquelle cette contribution a été supprimée;

- pour l'enfant [C] : l'appelant est redevable d'une pension d'un montant de 206,67 euros du mois de septembre 2017 au mois de septembre 2018, date à laquelle cette contribution a été portée à la somme de 400 euros jusqu'au mois de décembre 2019, pour être réindexée à la somme de 399,99 euros à compter du mois de janvier 2020, puis de 410,24 euros à compter de janvier 2022.

L'appelant justifie du versement de la somme mensuelle de 603,11 euros du mois de juillet 2017 au mois d'octobre 2019 soit une somme de 15.680,86 euros (relevés bancaires) alors que sur la même période seule était due la somme de 12.183,32 euros étant souligné que Madame n'a pas réglé les 80 euros par mois mis à sa charge pour l'entretien de l'enfant [A] soit un solde débiteur en sa faveur de - 5257,54 euros ce que ne conteste pas l'intimée dans ses écritures puisqu'elle fait partir son décompte à compter du mois de novembre 2019 sur la base d'un solde en sa défaveur de -5257,54 euros.

Par la suite, aucun paiement n'est justifié par l'appelant du mois de novembre 2019 au mois de septembre 2020 alors qu'il était redevable de la somme totale de 8.794,42 euros ce qui laisse apparaître un solde en sa défaveur, après compensation avec la somme de 5257,54 euros due par l'intimée, de -3.536,88 euros.

L'appelant justifie de la reprise des paiements en octobre 2020 par le versement en octobre d'une somme de 807 euros au moyen d'un chèque et de 1308,47 euros par prélèvement sur son salaire puis en novembre 2020 de la somme de 807 euros par chèque et de 809,48 euros par prélèvement sur son salaire. Ces règlements par chèques figurent tant sur les relevés bancaires produits par l'appelant que sur ceux établis par l'intimée.

A compter du mois de décembre 2020 jusqu'au mois d'octobre 2021, il est justifié d'une saisie sur salaire de 1148,88 euros. À compter du mois de novembre 2021, est prélevée sur son salaire la somme de 809,48 euros. Ces sommes se retrouvent sur les bulletins de paie communiqués par l'appelant sur l'ensemble de la période.

Ainsi, du mois d'octobre 2020 au mois de février 2022, l'appelant était redevable de la somme de 13.631,66 euros et justifie avoir versé une somme de 19.607,55 euros soit un solde en sa faveur de + 5.975,89 euros.

Après, déduction de la somme de -3.536,88 euros, il est démontré que l'appelant est créditeur d'une somme de 2.439,01 euros au mois de février 2022.

L'appelant ayant satisfait son obligation de paiement de la contribution mise à sa charge, et en l'absence de sommes liquides et exigibles, la procédure de paiement direct n'est plus justifiée.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et d'ordonner sa mainlevée.

-Sur la demande de répétition de l'indû:

En application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, 'le juge de l'exécution connaît des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire...'

Il n'appartient pas à ce magistrat de connaître sur ce fondement d'une demande en répétition de l'indû à charge pour l'appelant de faire reconnaître le bien-fondé de sa demande devant le juge compétent.

L'appelant sera débouté de cette demande.

- Sur les frais accessoires:

L'équité commande de ne pas faire droit aux demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que Madame [K] [O] ne justifie pas d'une créance liquide et exigible,

Ordonne en conséquence la mainlevée de la procédure de paiement direct qu'elle a initiée ,

Déboute Monsieur [U] [D] de la demande en répétition de l'indû,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame [K] [O] aux dépens de première instance et d'appel.