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Décisions

CA Rouen, ch. de la proximite, 24 septembre 2020, n° 19/04917

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Hervé Humidité (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lepeltier-Durel

Conseillers :

Mme Labaye, M. Mellet

Juge de l'exécution de Rouen du 11 déc. …

11 décembre 2019

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par arrêt du 15 mai 2019, la 1ère chambre civile de cette cour a notamment condamné la SARL Hervé Humidité à payer à M. Alain L. et Mme Claire P. épouse L. la somme de 65 210,31 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 février 2015 ainsi que celle de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. et Mme L. à payer à la SARL Hervé Humidité la somme de 6 786,60 euros au titre du solde restant dû sur le montant des travaux convenus par devis acceptés.

Par acte du 27 juin 2019, la SARL Hervé Humidité a fait pratiquer une saisie attribution sur le compte de M. et Mme L., ouvert à la BRED-Banque Populaire, dénoncée par acte du 3 juillet

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Par acte du 16 juillet 2019, M. et Mme L. ont fait citer la société Hervé Humidité, Me Béatrice P., mandataire judiciaire du redressement judiciaire de la société, et la SELARL Actarec devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Rouen pour faire constater la compensation intervenue entre leur créance et celle de la société Hervé Humidité, dont le solde positif est en leur faveur, obtenir la mainlevée de la saisie-attribution et la condamnation de la SARL Hervé Humidité aux frais de la saisie-attribution, à leur payer les sommes de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 11 décembre 2019, le juge de l'exécution a :

- débouté M. et Mme L. de leurs demandes de compensation et de mainlevée de la saisie-attribution,

- débouté la société Hervé Humidité et Me P. es qualités de leurs demandes de dommages et intérêts et d'indemnité procédurale,

- condamné M. et Mme L. aux dépens.

M. et Mme L. ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 décembre 2019.

Parallèlement, suivant ordonnance de référé rendue sur leur demande le 12 février 2020, le Premier Président de cette cour a ordonné le sursis à exécution du jugement rendu par le juge de l'exécution et condamné la société Hervé Humidité aux dépens de la procédure de référé.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 23 avril 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, M. et Mme L., au visa de l'article 1347 du code civil , demandent à la cour de :

- dire que la compensation entre les créances respectives des parties s'est opérée le jour même de l'arrêt du 15 mai 2019,

- mettre à néant le jugement entrepris,

- ordonner la mainlevée de la saisie attribution,

- condamner la SARL Hervé Humidité et Me P. es qualités à leur rembourser la commission de saisie attribution prélevée par leur banque de 69,30 euros,

- les condamner à leur payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- dire que les frais de la saisie attribution seront laissés à la charge de la SARL Hervé Humidité et Me P. es qualités,

- les condamner à leur payer la somme de 2 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens avec droit de recouvrement direct par le Cabinet P.- de la B. et associés,

- dire que les condamnations aux dépens seront payées en frais de justice et que la condamnation prononcée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile oblige Me P. personnellement.

M. et Mme L. reprochent au juge de l'exécution d'avoir soulevé d'office le moyen tiré de l'effet attributif immédiat dans le patrimoine du saisissant de la somme saisie sans l'avoir soumis au contradictoire.

Au fond, ils font valoir que :

- l'effet attributif immédiat de la saisie attribution n'empêche pas la vérification du caractère exécutoire du titre sur lequel elle se fonde, faute de quoi toute contestation de saisie attribution serait sans objet,

- le juge de l'exécution a commis une erreur sur la date à laquelle la compensation s'est opérée, celle-ci étant intervenue à la date où ses conditions ont été réunies, soit à celle de l'arrêt rendu le 15 mai 2019 et non à la date où elle a été invoquée,

- cette compensation est antérieure à l'ouverture de la procédure collective et pouvait être invoquée jusqu'à l'expiration du délai pour déclarer leur créance,

- la compensation diminue d'autant les dettes de la société en redressement.

Par leurs dernières écritures notifiées le 4 février 2020, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la société Hervé Humidité et Me P. es qualités demandent à la cour de :

- dire mal fondé l'appel des époux L.,

- les débouter de leurs demandes,

- les condamner au paiement des sommes de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour frais irrépétibles exposés en première instance et de 1 500 euros pour frais irrépétibles exposés en appel,

- les condamner aux dépens.

Elles répondent que la cour d'appel n'a pas ordonné la compensation, que le juge de l'exécution ne peut modifier les obligations de chacun, qu'en application de l'article 1347 du code civil , les époux L. auraient dû invoquer la compensation au moment où les conditions étaient réunies, soit dans le cadre de la procédure d'appel, ce qu'ils n'ont pas fait, et qu'en matière de procédure collective, le paiement par compensation doit être examiné à la lumière de l'interdiction de principe du paiement des dettes antérieures. Elles ajoutent qu'en admettant, comme l'a fait le juge de l'exécution, qu'ils pouvaient l'invoquer même après l'ouverture de la procédure collective, la compensation lors de leur déclaration de créance du 12 juillet 2019 est tardive car entre-temps la saisie attribution du 27 juin 2019 avait emporté attribution immédiate des sommes saisies à la SARL Hervé Humidité, et entraîné en conséquence l'extinction de leur dette. Enfin, elles soutiennent que, les sommes réclamées par le mandataire étant le gage de l'ensemble des créanciers, la compensation aboutirait à offrir à M. et Mme L. un paiement qui déroge à la règle de l'égalité des créanciers et que la cour d'appel n'a pas totalement tranché le litige, qu'elle a sursis à statuer sur les demandes des époux L. à l'égard de la société Alpha Insurance, assureur de la société Hervé Humidité.

La SARL ACTAREC Thierry L. et Associés n'a pas constitué avocat. La déclaration d'appel et les conclusions des appelants lui ont été signifiées par acte du 17 janvier 2020 remis à personne habilitée.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 mai 2020.

L'audience du 14 mai 2020, à laquelle l'affaire a été fixée, a été supprimée du fait de la mise en oeuvre du plan de reprise d'activité dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid 19. Conformément à ce plan et à l'ordonnances n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, vu le dépôt des dossiers des parties, et vu leur accord qui permettent de retenir l'affaire sans audience, il sera statué sur la présente affaire.

MOTIFS de la DECISION

A titre liminaire, il convient d'observer que, bien qu'ils reprochent au juge de l'exécution un manquement au respect du principe du contradictoire posé par l'article 16 du code de procédure civile, M. et Mme L. n'en tirent pas de conséquences sur la procédure et ne forment aucune demande de nullité du jugement. La cour n'est donc pas saisie d'une demande et pas tenue d'examiner le moyen.

L'article 1347 du code civil dispose que la compensation 's'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions sont réunies'.

Il est constant qu'en l'espèce, la compensation n'a pas été demandée à la 1ère chambre civile de cette cour et n'a pas été ordonnée par son arrêt du 15 mai 2019 mais a été invoquée par M. et Mme L., pour la première fois, lors de leur déclaration de créance du 12 juillet 2019, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la SARL Hervé Humidité ouverte par jugement du 18 juin 2019.

Si, conformément à l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, en application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, il 'connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire'.

Aussi, le juge de l'exécution doit vérifier l'existence et le montant de la créance dont le recouvrement forcé est poursuivi et, s'agissant plus précisément de l'exception de compensation, en l'absence de décision ayant déjà statué sur la compensation judiciaire, il est compétent pour se prononcer sur cette exception présentée à l'appui d'une demande de mainlevée de saisie.

Lorsqu'une saisie attribution fait l'objet d'une contestation, elle n'a pas produit son plein effet et reste susceptible de faire l'objet d'une mainlevée, de sorte qu'aucune extinction de la dette n'intervient au moment où elle est pratiquée, tant qu'il n'a pas été statué définitivement sur la contestation. L'effet attributif de la saisie attribution, prévu par l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution, ne vaut en effet pas paiement.

Par conséquent, lorsque M. et Mme L. ont déclaré leur créance le 12 juillet 2019 en invoquant la compensation des créances réciproques telles que fixées par la 1ère chambre civile de cette cour dans son arrêt du 15 mai 2019, ces deux créances avaient conservé depuis lors leur caractère certain, liquide et exigible. Aucune extinction de la dette des époux L. ne peut être relevée à la date où la saisie attribution a été pratiquée, soit au 27 juin 2019.

L'article 1347 du code civil fixant à la date où ses conditions se trouvaient réunies le moment où la compensation s'opère, dès lors que celle-ci est invoquée, peu important le moment où elle est invoquée s'il se situe avant extinction des dettes réciproques, la compensation entre les créances du présent litige s'est opérée le 15 mai 2019.

Son invocation postérieure à l'ouverture de la procédure collective de la SARL Hervé Humidité ne porte pas atteinte aux règles de cette procédure. L'article L. 622-7 du code de commerce dispose en effet que le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.

En l'espèce, les créances concernées par le litige ont bien entre elles un lien de connexité, la créance des époux L. ayant pour objet la reprise des désordres causés par les travaux d'étanchéité réalisés par le SARL Hervé Humidité et celle de cette société le paiement du solde restant dû sur les montants des devis acceptés, la motivation retenue étant la suivante : 'S'agissant des comptes entre les parties et dès lors qu'une indemnisation totale des préjudices est allouée avec reprise totale des travaux, il convient de condamner les époux L. à payer le solde restant dû à la société Hervé Humidité sur les montants des devis acceptés.'

Enfin, contrairement à ce que soutient la SARL Hervé Humidité, le sursis à statuer partiel ordonné par la 1ère chambre civile de cette cour ne porte pas du tout sur les demandes les opposant aux époux L. mais sur la garantie de la société d'assurance danoise de cette société dont il n'était pas établi qu'elle ait été régulièrement attraite devant la cour.

M. et Mme L. peuvent donc à bon droit opposer l'exception de la compensation pour contester la saisie attribution pratiquée. Dans la mesure où leur créance est très supérieure à leur dette à l'égard de la SARL Hervé Humidité, il y a lieu d'ordonner la mainlevée de la saisie attribution.

Le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.

Les frais de cette mesure d'exécution seront laissés à la charge de la SARL Hervé Humidité et de Me P., es qualités.

M. et Mme L. sollicitent le remboursement de la somme de 69,30 euros au titre de frais bancaires de commission de saisie attribution et produisent une pièce n° 10 sur ce point. Cependant, cette pièce, un relevé des écritures de leur compte à la BRED Banque Populaire, ne fait pas état desdits frais de commission dont ils ne justifient donc pas. Ils seront déboutés de cette demande.

Il ne peut être considéré qu'il y a eu résistance abusive des intimées concernées par le litige dès lors que celui-ci a reçu une solution en leur faveur en première instance. M. et Mme L. seront également déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

La SARL Hervé Humidité et Me P. succombent en appel. Ils seront donc déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée et auront la charge des dépens de première instance et d'appel. Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge des époux L. les frais irrépétibles qu'ils ont exposés dans la procédure et pour lesquels la SARL Hervé Humidité et Me P., es qualités, devront leur payer une indemnité de 1 500 euros. Il n'y a pas lieu de condamner Me P. personnellement à payer cette indemnité, celle-ci n'ayant pas été attraite sur la procédure en personne mais seulement es qualités.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

Infirme le jugement rendu le 11 décembre 2019 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Rouen,

Statuant à nouveau,

Constate la compensation opérée le 15 mai 2019 entre les créances réciproques de M. Alain L. et Mme Claire P. épouse L., d'une part, et de la SARL Hervé Humidité, d'autre part, telles que fixées par arrêt de la 1ère chambre civile de la cour d'appel de Rouen par arrêt du 15 mai 2019,

Ordonne, en conséquence, la mainlevée de la saisie attribution pratiquée le 27 juin 2019 par la SARL Hervé Humidité sur le compte de M. et Mme L., ouvert à la BRED-Banque Populaire, dénoncée par acte du 3 juillet 2019, portant sur la somme de 7 551,31 euros,

Dit que les frais de saisie-attribution sont laissés à la charge de la SARL Hervé Humidité et de Me Béatrice P., en sa qualité de mandataire judiciaire du redressement judiciaire de cette société,

Déboute M. Alain L. et Mme Claire P. épouse L. de leur demande de remboursement de la somme de 69,30 euros au titre des frais de commission de saisie-attribution et de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

Déboute la SARL Hervé Humidité et de Me Béatrice P., en sa qualité de mandataire judiciaire du redressement judiciaire de cette société de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,

Condamne in solidum la SARL Hervé Humidité et Me Béatrice P., en sa qualité de mandataire judiciaire du redressement judiciaire de cette société, aux dépens de première instance et d'appel, et accorde droit de recouvrement direct au Cabinet P. de la B. et associés,

Les condamne in solidum à payer à M. Alain L. et Mme Claire P. épouse L. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.