CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 27 octobre 2022, n° 22/07140
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pruvost
Conseillers :
Mme Lefort, M. Trarieux
Avocats :
Me Goldenstein, Me Ingold, Me Boursican
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ordonnance de non-conciliation du 21 novembre 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris a notamment :
fixé à la somme mensuelle de 15.000 euros le montant de la pension alimentaire que M. [M] [Z] devra payer à Mme [O] [R] épouse [Z] pour elle-même, à compter du prononcé de l'ordonnance et jusqu'au 31 mai 2019, et au besoin l'y a condamné,
fixé à la somme mensuelle de 10.000 euros le montant de la pension alimentaire que M. [Z] devra payer à Mme [R] pour elle-même, à compter du 1er juin 2019, et au besoin l'y a condamné.
Par jugement du même jour, le juge aux affaires familiales a fixé la contribution aux charges du mariage due par M. [Z] à la somme mensuelle de 15.000 euros à compter du 1er mai 2018 et jusqu'au prononcé de l'ordonnance de non-conciliation du 21 novembre 2018 et l'a condamné en tant que de besoin au paiement de cette somme à Mme [R].
Par arrêt en date du 17 décembre 2020, la cour d'appel de Paris a infirmé partiellement ce jugement et a fixé à 3.000 euros par mois la contribution aux charges du mariage due par M. [Z] à compter du 1er mai 2018 et jusqu'au prononcé de l'ordonnance de non-conciliation du 21 novembre 2018.
Par arrêt du même jour, la cour d'appel de Paris a infirmé partiellement l'ordonnance de non-conciliation et a notamment fixé à 9.000 euros par mois la pension alimentaire due par le mari à son épouse en exécution du devoir de secours à compter du 21 novembre 2018.
En exécution de ces décisions, Mme [R] épouse [Z] a fait diligenter le 8 décembre 2021 une procédure de paiement direct entre les mains de la SAS Ikat, employeur de M. [Z], notifiée à ce dernier par lettre recommandée avec avis de réception datée du même jour, pour avoir paiement de la somme de 13.500 euros par mois pendant douze mois, soit 9.000 euros au titre de la pension alimentaire et 4.500 euros au titre du douzième de l'arriéré, puis à compter du 13e mois, la somme de 9.000 euros au titre de la pension alimentaire.
Par acte d'huissier en date du 29 décembre 2021, M. [M] [Z] a fait assigner Mme [O] [R] épouse [Z] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'annulation de la procédure de paiement direct.
Par jugement du 15 mars 2022, le juge de l'exécution a :
- déclaré irrecevables les demandes de Mme [R] formées à l'encontre de la société Ikat,
- débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes,
- rejeté la demande de Mme [R] formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [Z] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le juge a retenu que Mme [R] reconnaissait être redevable d'un trop perçu résultant de l'infirmation des décisions du 21 novembre 2018 ; que les arrêts du 17 décembre 2020 constituaient le titre exécutoire permettant à M. [Z] d'obtenir la restitution du trop versé à Mme [R] ; que l'un des arrêts statuant à nouveau sur le montant de la pension alimentaire due à Mme [R] constituait le titre exécutoire sur lequel la procédure de paiement direct était fondée ; que les parties étaient donc respectivement créancières l'une de l'autre en vertu de titres exécutoires ; que l'article 1347 -2 du code civil interdit, sauf si le créancier y consent, la compensation avec les créances insaisissables, notamment les pensions à caractère alimentaire ; que Mme [R] était créancière d'aliments à l'égard de M. [Z] ; qu'en revanche M. [Z] n'est pas créancier d'aliments, la créance de trop versé n'empruntant pas le caractère alimentaire de la créance d'origine ; qu'il ne peut pas non plus se prévaloir de l'exception prévue par l'article L. 112-2, 3° du code des procédures civiles d'exécution qui vise une situation dans laquelle un tiers a suppléé la carence du débiteur d'aliments, M. [Z] n'étant pas tiers mais débiteur d'aliments ; que la créance d'aliments de Mme [R] était donc insaisissable par M. [Z] pour obtenir la restitution du trop versé, de sorte qu'il convenait de rejeter la demande de compensation au vu du refus de Mme [R] et, partant, de nullité de la procédure de paiement direct.
Par déclaration du 6 avril 2022, M. [Z] a fait appel partiel de ce jugement.
Par conclusions en date du 28 juillet 2022, M. [M] [Z] demande à la cour d'appel de :
infirmer le jugement entrepris,
juger que ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution de sorte qu'il est bien fondé à procéder à une compensation sans l'accord de sa débitrice pour recouvrer le trop versé,
constater qu'il pouvait compenser sa créance d'aliments trop versée avec sa dette d'aliments et ce jusqu'à extinction de sa créance en application de l'article L. 112-2, 3° du code des procédures civiles d'exécution,
juger que peuvent être compensées les pensions alimentaires pour le paiement des aliments déjà fournis par le saisissant à la partie saisie,
juger que cette compensation n'est pas réservée exclusivement au tiers ou au créancier bénévole,
juger que l'insaisissabilité des pensions à caractère alimentaire prévue par l'article L. 112-2, 3° du code des procédures civiles d'exécution lui est inopposable en ce qu'il poursuit le recouvrement forcé du montant des pensions alimentaires qu'il a trop versées à son épouse,
En conséquence,
annuler la demande de paiement direct du 8 décembre 2021,
condamner Mme [Z] à lui rembourser les sommes perçues au besoin en quittance par compensation avec sa créance alimentaire,
condamner Mme [Z] à compenser les sommes trop perçues avec les pensions alimentaires qu'il lui doit dans la limite de 113.309,78 euros, montant non contesté lors des saisies-attributions des 5 et 7 mai 2021 et l'autoriser à procéder à ladite compensation dans la même limite jusqu'à extinction de sa créance,
faire ce que de droit par application de l'article R.213-8 du code des procédures civiles d'exécution, puisque Mme [Z], de parfaite mauvaise foi, savait pertinemment qu'elle était débitrice d'une somme bien supérieure à ce qu'elle a sollicité dans le cadre de la procédure de paiement direct, en la condamnant à l'amende civile maximale prévue par le texte d'un montant de 10.000 euros,
condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Il considère que la compensation légale de créance et dette de même nature fait obstacle à la procédure de paiement direct. Il explique qu'il est créancier en vertu de l'action de in rem verso à l'égard de son épouse devenue sa débitrice à hauteur d'une somme de 113.127,83 euros trop versée au titre de la contribution aux charges du mariage et qu'en même temps il doit des aliments à son épouse au titre du devoir de secours ; que la contribution aux charges du mariage et la pension alimentaire au titre du devoir de secours ont toutes les deux un caractère alimentaire, de sorte qu'elles peuvent se compenser entre elles en application de l'article 1347 du code civil ; que la créance de Mme [Z] a perdu son caractère insaisissable puisque les aliments déjà versés doivent lui être remboursés ; que selon la Cour de cassation, la compensation est toujours possible si la créance invoquée contre le créancier d'aliments a pour cause les aliments eux-mêmes ; qu'en effet, l'article L. 112-2, 3° du code des procédures civiles d'exécution exclut l'insaisissabilité pour le paiement des aliments déjà fournis ; qu'ainsi, si les aliments ne sont pas déclarés insaisissables, la compensation légale doit jouer ; que le premier juge a ajouté une condition à la loi en jugeant que seul un tiers serait fondé à procéder à la saisie pour des aliments déjà fournis. Il conteste l'interprétation faite par le juge de l'exécution de l'article L. 112-2, 3° et soutient que l'arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation du 4 juillet 1983, invoqué par Mme [Z], qui ne se fondait pas sur le texte précité qui n'existait pas à l'époque, n'est pas applicable en l'espèce. Il s'appuie quant à lui sur un arrêt de la cour d'appel de Douai du 3 mars 2011 et un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 20 décembre 2018. Il conclut qu'il est bien fondé à solliciter la répétition d'un trop versé de pensions alimentaires et qu'il dispose en tout état de cause d'une créance lui permettant la compensation des dettes et créances d'aliments de l'un à l'égard de l'autre, de sorte qu'il est bien fondé à solliciter l'annulation de la procédure de paiement direct.
Par conclusions n°2 du 5 septembre 2022, Mme [O] [R] épouse [Z] demande à la cour de :
déclarer la demande de M. [Z] de la voir condamner au remboursement des sommes perçues par la société Ikat irrecevable,
débouter M. [Z] de son appel,
A titre principal,
confirmer le jugement du 15 mars 2022 en toutes ses dispositions,
en conséquence, valider la procédure de paiement direct,
A titre subsidiaire,
rejeter la demande de condamnation à la somme de 10.000 euros au titre de l'amende civile,
En tout état de cause,
débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, y compris au versement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [Z] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Sur le rejet de la demande d'annulation de la procédure de paiement direct, elle estime que la compensation entre des créances de nature différente n'est pas possible, que les créances insaisissables ne sont compensables que si le créancier y consent en application de l'article 1347 -2 du code civil , que les créances alimentaires sont insaisissables, qu'elle est créancière alimentaire tandis que M. [Z] a une créance de trop versé, qu'elle refuse toute compensation. Elle soutient en outre que l'exception invoquée par M. [Z], relative au paiement des aliments déjà fournis par le saisissant à la partie saisie, ne s'applique pas puisqu'elle vise l'hypothèse où une personne a bénévolement secouru un créancier d'aliments pour suppléer la carence du débiteur d'aliments, et elle approuve la motivation du jugement sur ce point, qu'elle estime conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle s'oppose enfin au prononcé d'une amende civile en ce qu'elle n'est pas de mauvaise foi.
Sur la validité de la procédure de paiement direct
L'article L. 213-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose :
'Tout créancier d'une pension alimentaire peut se faire payer directement le montant de cette pension par les tiers débiteurs de sommes liquides et exigibles envers le débiteur de la pension. Il peut notamment exercer ce droit entre les mains de tout débiteur de sommes dues à titre de rémunération, ainsi que de tout dépositaire de fonds.
La demande en paiement direct est recevable dès qu'une échéance d'une pension alimentaire n'a pas été payée à son terme et qu'elle a été fixée par :
1° Une décision judiciaire devenue exécutoire ;
2° Une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d'un acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire ;
3° Un acte reçu en la forme authentique par un notaire.
Cette procédure est applicable au recouvrement de la contribution aux charges du mariage prévues par l'article 214 du code civil . Elle l'est aussi au recouvrement de la rente prévue par l'article 276 et des subsides prévus par l'article 342 du même code .'
Aux termes de l'article 1347 -2 du code civil , « les créances insaisissables et les obligations de restitution d'un dépôt, d'un prêt à usage ou d'une chose dont le propriétaire a été injustement privé ne sont compensables que si le créancier y consent ».
Il existe en réalité deux exceptions à la non-compensation des créances insaisissables :
- lorsque c'est le titulaire de la créance insaisissable qui invoque la compensation ou s'il y consent,
- lorsque les deux créances réciproques ont toutes les deux un caractère insaisissable.
Par ailleurs, aux termes de l'article L. 112-2, 3° du code des procédures civiles d'exécution, ne peuvent être saisis « les provisions, sommes et pensions à caractère alimentaire, sauf pour le paiement des aliments déjà fournis par le saisissant à la partie saisie ».
En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [Z] a arrêté de payer la pension alimentaire due au titre du devoir de secours à Mme [Z], se prévalant d'une compensation avec sa créance au titre d'un trop versé de contribution aux charges du mariage résultant de l'arrêt infirmatif de la cour d'appel de Paris du 17 décembre 2020.
C'est à bon droit, par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge a retenu que les parties étaient respectivement créancières l'une de l'autre en vertu de titres exécutoires, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.
C'est en vain que M. [Z] soutient que sa créance de trop versé a un caractère alimentaire en ce que la contribution aux charges du mariage présente un tel caractère. Le caractère alimentaire d'une créance s'apprécie au regard de la personne et des besoins du créancier. Or si la contribution aux charges du mariage avait un caractère alimentaire pour Mme [Z], qui n'avait aucun autre revenu, la répétition de l'indu relative à cette contribution n'a pas un caractère alimentaire pour M. [Z] en ce qu'elle ne vise pas à satisfaire ses besoins vitaux. La cour approuve le premier juge d'avoir retenu que la créance au titre du trop versé n'empruntait pas le caractère alimentaire de la créance se trouvant à son origine.
En outre, contrairement à ce que soutient M. [Z], l'exception au caractère insaisissable des sommes à caractère alimentaire prévue par l'article L. 112-2, 3° du code des procédures civiles d'exécution pour les aliments déjà fournis par le saisissant, qui comme toute exception doit être interprétée strictement, ne vise pas l'hypothèse de la restitution de contributions alimentaires trop versées par le débiteur d'aliments, mais celle du paiement au tiers qui a fourni des aliments au créancier d'aliments à la place du débiteur d'aliments, comme l'a à bon droit retenu le premier juge. Ce peut être le recouvrement de dettes alimentaires, telles que des frais de cantine ou des frais d'hospitalisation d'un enfant auprès des parents, qui sont les véritables débiteurs d'aliments, ou le remboursement d'aliments fournis par un tiers bénévole qui a secouru le créancier d'aliments en raison du défaut de paiement de la pension alimentaire par le véritable débiteur. Ces tiers bénéficient alors d'une sorte de privilège en étant autorisés exceptionnellement à saisir des pensions alimentaires ou autres sommes à caractère alimentaire par principe insaisissables. M. [Z] ne peut prétendre être dans une situation comparable, puisqu'il a payé les pensions alimentaires et la contribution aux charges du mariage qu'il devait à son épouse en exécution des décisions du juge aux affaires familiales et se retrouve, à la suite des arrêts infirmatifs, créancier ordinaire d'un trop versé.
Il en résulte que la créance alimentaire de Mme [Z] (au titre du devoir de secours) n'a pas perdu son caractère insaisissable, contrairement à ce que soutient M. [Z].
Ainsi, la pension alimentaire, objet de la procédure de paiement direct, due à Mme [Z] est bien insaisissable, tandis que la créance de restitution d'indu de M. [Z], qui n'a pas de caractère alimentaire, n'est pas insaisissable.
En outre, il est constant que Mme [Z] n'a pas consenti à la compensation entre ces deux créances. Dès lors, elles ne sont pas compensables entre elles.
C'est donc à bon droit que le juge de l'exécution a débouté M. [Z] de toutes ses demandes, la procédure de paiement direct étant parfaitement justifiée. Le jugement sera en conséquence confirmé.
Sur les demandes accessoires
L'issue du litige justifie de confirmer la condamnation de M. [Z] aux dépens. Succombant en son appel, il sera condamné également aux dépens d'appel.
Mme [Z] restant débitrice des contributions et pensions trop versées, c'est à juste titre, en considération de l'équité, que le premier juge a rejeté sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Les mêmes considérations d'équité justifient de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles d'appel et de rejeter en conséquence la demande de Mme [Z] fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
La Cour,
CONFIRME le jugement rendu le 15 mars 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris, dans les limites de la saisine de la cour,
Y ajoutant,
DÉBOUTE Mme [O] [R] épouse [Z] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [M] [Z] aux entiers dépens d'appel.