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Décisions

Cass. com., 16 février 2022, n° 20-16.869

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Avocat :

SCP Richard

Cass. com. n° 20-16.869

15 février 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 19 février 2020), Mme [U] a, par acte du 5 juin 2007, conclu avec la société Distribution Casino France (la société Casino) un contrat d'approvisionnement, pour l'exploitation d'un fonds de commerce d'alimentation avec mise à disposition d'une enseigne, d'une durée de sept ans renouvelable par tacite reconduction et comportant un pacte de préférence. Par lettre du 28 février 2017, Mme [U] a notifié sa décision de ne pas renouveler le contrat à son échéance du 4 juin 2017. Le 7 juin suivant, elle a cédé le fonds de commerce.

2. Se prévalant du non-respect du pacte de préférence, ainsi que d'une clause de non-concurrence et d'une clause d'exclusivité d'approvisionnement figurant au contrat, la société Casino a, le 29 mars 2017, assigné Mme [U] en résiliation judiciaire de ce contrat aux torts exclusifs de cette dernière et en réparation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014,alinéa 2 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société Casino fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat d'approvisionnement aux torts exclusifs de Mme [U], ainsi qu'à voir condamner celle-ci à lui payer les sommes de 18 503 euros au titre de la rupture anticipée du contrat et 20 000 euros au titre du préjudice subi du fait de la violation par Mme [U] de son droit de préemption, alors « que le promettant à un pacte de préférence a l'obligation, lorsqu'il décide de vendre le bien, de notifier au bénéficiaire les conditions essentielles de la vente projetée ; que l'exécution, par le promettant, de son obligation de notification s'apprécie au jour où il décide de vendre et non au jour de la vente du bien ; qu'en énonçant cependant, pour décider que Mme [U] n'avait pas violé le droit de préférence de la société Casino, qu'aucune cession du fonds de commerce objet de la clause n'était intervenue pendant l'exécution du contrat d'approvisionnement, la cour d'appel, qui a apprécié l'existence d'un manquement de Mme [U] à son obligation de notification au jour de la vente du fonds de commerce et non au jour où elle avait décidé de le vendre, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

5. Le pacte de préférence implique l'obligation, pour le promettant, de donner préférence au bénéficiaire lorsqu'il décide de vendre le bien et de lui faire connaître les conditions particulières de la vente avant la réalisation de celle-ci.

6. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société Casino en réparation de la violation du pacte de préférence, l'arrêt, après avoir rappelé la clause du contrat conférant ce droit à la société Casino et lui reconnaissant un délai de trois mois à compter de la réception du projet de cession pour faire connaître au détaillant sa décision de se porter acquéreur aux conditions de la vente envisagée, retient que le contrat d'approvisionnement est arrivé à son terme le 4 juin 2017 et que la cession du fonds a été réalisée le 7 juin 2017, postérieurement à la fin de ce contrat, de sorte qu'aucune violation du droit de préférence n'est caractérisée.

7. En statuant ainsi, alors que la date de la cession était incompatible avec l'exercice effectif de l'information due à la société Casino sur le projet de vente en vue de l'exercice éventuel de son droit de préférence, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. La société Casino fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat d'approvisionnement aux torts exclusifs de Mme [U], ainsi qu'à voir condamner celle-ci à lui payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 18 503 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture anticipée du contrat et 20 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la violation, par Mme [U], de la clause d'approvisionnement minimum, alors « que la résiliation judiciaire du contrat peut être prononcée aux torts de celui des cocontractants qui a gravement manqué à ses obligations ; que dans le cadre de cette action, le créancier de l'obligation inexécutée n'est pas tenu de justifier qu'il a satisfait aux conditions de mise en oeuvre de la clause résolutoire stipulée par le contrat ; que l'acte introductif d'instance suffit à mettre en demeure la partie qui n'a pas exécuté son engagement, sans qu'il soit nécessaire de faire précéder cet acte d'une sommation ou d'un commandement ; qu'en décidant néanmoins, pour débouter la société Casino de sa demande de résolution judiciaire du contrat d'approvisionnement du 5 juin 2007, qu'en l'absence de mise en demeure prévue par le contrat, la société Casino ne pouvait se prévaloir de la violation par Mme [U] de son obligation d'approvisionnement minimum, afin de voir prononcer la résiliation de la convention, bien que la résiliation judiciaire du contrat n'ait pas été subordonnée à une mise en demeure préalable demeurée sans effet, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

9. Pour l'exercice de l'action en résolution autorisée par l'article 1184 du code civil, l'acte introductif d'instance suffit à mettre en demeure la partie qui n'a pas exécuté son engagement, sans qu'il soit nécessaire de faire précéder cet acte d'une sommation ou d'un commandement.

10. Pour rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat d'approvisionnement aux torts de Mme [U], l'arrêt, après avoir rappelé les termes de la clause insérée au contrat prévoyant qu'en cas de défaillance du détaillant dans l'exécution de ses obligations, le fournisseur est en droit, après mise en demeure infructueuse pendant huit jours, de mettre fin au contrat, de plein droit et sans formalité judiciaire, retient que Mme [U] n'a pas été mise en demeure de reprendre les approvisionnements auprès de la société Casino et qu'en l'absence d'une telle mise en demeure prévue par le contrat, celle-ci ne peut se prévaloir d'un tel manquement contractuel pour que soit prononcée la résiliation de la convention.

11. En statuant ainsi, alors que la demande tendait non à la mise en oeuvre d'une clause résolutoire de plein droit, mais au prononcé de la résolution, de sorte qu'une mise en demeure préalable à l'assignation n'était pas nécessaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

12. Les cassations prononcées sur les premier et troisième moyens ne remettent pas en cause le rejet de la demande en paiement de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts en tant qu'elle concernait, pour partie, la réparation du préjudice causé par le non-respect de la clause de non-concurrence, devenue irrévocable par le rejet du deuxième moyen.

13. Par ailleurs, il ressort de ses écritures d'appel que la société Casino a rattaché la rupture anticipée du contrat, non pas aux violations des clauses litigieuses, mais à la date d'effet, le 7 mars 2016, de la lettre recommandée avec avis de réception du 5 mars précédent par laquelle Mme [U] lui avait notifié la résiliation anticipée du contrat les liant. Dans la mesure où il est acquis aux débats que la société Casino avait refusé cette résiliation et que, conformément à sa volonté, le contrat s'est poursuivi jusqu'à son terme, le 4 juin 2017, les cassations prononcées sur les premier et troisième moyens ne sont pas de nature à remettre en cause le rejet de la demande en paiement de la somme de 18 503 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du 7 mars 2016.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande en paiement de la somme de 18 503 euros au titre du préjudice subi du fait de la rupture anticipée du 7 mars 2016 et la demande de dommages-intérêts pour non-respect de la clause de non-concurrence, l'arrêt rendu le 19 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet, en conséquence, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;

Condamne Mme [U] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Distribution Casino France ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.