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Décisions

CA Saint-Denis de la Réunion, ch. civ., 28 avril 2023, n° 21/02038

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Nel Import Export (SARL)

Défendeur :

Total Energies Mayotte (SAS), Station Kaweni (SCI), Société de Distribution Franco Mahoraise (SODIFRAM)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chevrier

Conseillers :

Mme Piedagnel, Mme Flauss

Avocats :

Me Souhaïli, Me Sevin, Me Saïd Ibrahim

Saint Denis, du 4 février 2020

4 février 2020

Exposé du litige

LA COUR

Le 29 mars 2010 la société Total Mayotte a donné en échange à la société Nel une parcelle de terrain sur laquelle elle avait exploité une station-service de distribution de carburants de 2004 à 2010. La société Nel a cédé en échange la parcelle le 31 mai 2010 à la SCI Station Kaweni qui l'a donnée à bail à la société Sodifram pour y édifier des parkings, commerces et bureaux.

A l'occasion de travaux d'aménagement et de terrassement, une pollution aux hydrocarbures a été découverte en 2013 sur ce terrain.

La SCI Station Kaweni et sa locataire Sodifram ont assigné Total Mayotte en indemnisation de leur préjudice, sur le fondement des articles 1382, 1383, 1604 et 1645 du code civil, L. 110-1, L. 511-1, L. 512-17, R. 512-66-1 du code de l'environnement.

Total Mayotte a appelé en garantie la société Nel, contre laquelle les sociétés Station Kaweni et Sodifram ont également dirigé leurs demandes.

Par jugement contradictoire du 7 mai 2018, le tribunal a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en non-conformité,

- déclaré la SCI Station Kaweni irrecevable en son action en manquement à l'obligation de délivrance et défaut de conformité exercée à l'encontre de la SAS Total Mayotte,

- déclaré la SAS Sodifram irrecevable en son action tendant au remboursement de l'indemnité d'immobilisation, des frais d'étude et des frais de remise en état,

- condamné in solidum la SAS Total Mayotte et la SARL Nel à payer à la SCI Station Kaweni les sommes de 8.570,00 € au titre de l'indemnisation des conséquences du vice caché,

- condamné in Solidum la SAS Total Mayotte et la SARL Nel à payer à la SCI Station Kaweni la somme de 566.114,50 € au titre de l'indemnité d'immobilisation, des frais d'étude de sol et des frais de remise en état,

- condamné in Solidum la SAS Total Mayotte et la SARL Nel à payer à la SAS Sodifram la somme de 15.960,00 € au titre des frais d'assistance technique et juridique,

- dit que la SARL Nel supportera la contribution définitive de la dette et doit relever la SAS Total Mayotte des condamnations prononcées ci-dessus et en conséquence condamné la SARL Nel à rembourser la SAS Total Mayotte, à première demande et sur simple justificatif de leur règlement, les sommes que celle-ci aura payées en exécution des condamnations ci-dessus,

- condamné in solidum la SAS Total Mayotte et la SARL Nel à payer à la SCI Station Kaweni la somme de 2.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solídum la SAS Total Mayotte et la SARL Nel à payer à la SAS Sodifram la somme de 2.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la SARL Nel aux entiers dépens, en ce compris les frais du procès-verbal de constat d'huissier du 29 octobre 2013 (409,45 €), dont distraction au profit de Maître Sylvie SEVIN pour ceux dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par déclaration parvenue au Greffe de la Chambre d'appel de MAMOUDZOU le 25 juin 2018, la SAS Total Mayotte a interjeté appel de cette décision (18/78).

La SARL Nel a également interjeté appel le 20 juillet 2018 (18/96).

Par arrêt mis à disposition le 4 février 2020, la Chambre d'appel de MAMOUDZOU a statué en ces termes :

Écarte des débats les écritures déposées le 3 décembre 2019 par la SAS Total Mayotte,

Y substituant d'autres motifs,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :

- déclaré la SCI Station Kaweni irrecevable en son action en manquement à l'obligation de délivrance et défaut de conformité exercée à l'encontre de la SAS Total Mayotte,

- dit que la SARL Nel supportera la contribution définitive de la dette et doit relever la SAS Total Mayotte des condamnations prononcées ci-dessus et en conséquence condamné la SARL Nel à rembourser la SAS Total Mayotte, à première demande et sur simple justificatif de leur règlement, les sommes que celle-ci aura payées en exécution des condamnations ci-dessus,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déclare la SCI Station Kaweni recevable en son action en manquement à l'obligation de délivrance et défaut de conformité exercée à l'encontre de la SAS Total Mayotte,

Déboute la SAS Total Mayotte de son action récursoire à l'encontre de la SARL Nel,

Y ajoutant,

Condamne la SAS Total Mayotte à payer à la SCI Station Kaweni et la SAS Sodifram ensemble la somme de 5.000,00 € (cinq mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Total Mayotte à payer à la SARL Nel la somme de 5.000,00 € (cinq mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Total Mayotte aux dépens d'appel.

* * *

Moyens,

Saisie sur pourvois de la société Total Mayotte en date du 24 avril 2020, et de la société Nel en date du 3 juin 2020, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a statué, notamment, en ces termes par arrêt du 30 septembre 2021 :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Nel à payer à la société civile immobilière Station Kaweni les sommes de 8 570 euros et 566 114, 50 euros et à la société Sodifram la somme de 15 960 euros, l'arrêt rendu le 4 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis, chambre d'appel de Mamoudzou ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée ;

La Cour a motivé sa décision comme suit sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi de la société Nel :

Vu les articles 1603, 1604 et 1641 du code civil :

« 15. Il résulte des deux premiers de ces textes que le vendeur a l'obligation de délivrer une chose conforme à celle promise.

16. Selon le troisième, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en n'aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

17. Pour juger que la société Nel n'avait pas satisfait à son obligation de délivrance conforme, l'arrêt retient que la parcelle que la société Station Kaweni destinait à la construction de parkings, commerces et bureaux s'est trouvée inconstructible pendant six mois en raison de la présence d'hydrocarbures imputable au manquement de la société Total Mayotte à son obligation de délivrance, à la société Nel, d'un terrain dépollué.

18. En statuant ainsi, alors que la clause de pollution n'avait pas été reprise dans l'acte de la vente conclue entre les sociétés Nel et Station Kaweni et que l'inconstructibilité du terrain constituait non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »

* * *

La SARL NEL IMPORT EXPORT a déposé une déclaration de saisine de la cour d'appel par déclaration RPVA remise au greffe le 26 novembre 2021.

Elle a remis ses premières conclusions d'appel par RPVA le 22 janvier 2022.

Les sociétés KAWENI et SODIFRAM ont remis leurs premières conclusions d'intimées par RPVA le 24 février 2022.

La clôture est intervenue le 15 novembre 2022.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives N° 2, déposées par RPVA le 18 juin 2022, la SARL NEL IMPORT EXPORT demande à la cour de :

INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il condamne la société NEL in solidum avec la société TOTAL MAYOTTE à devoir les sommes de:

- 8.570 € et 566.114,50 € à la société SCI STATION KAWENI,

- 15.960 € à la société SODIFRAM,

Et, statuant à nouveau sur ce point,

Juger que le bien vendu par la société NEL IMPORT EXPORT à la SCI STATION KAWENI est conforme aux stipulations conventionnelles,

En conséquence, juger que la société NEL IMPORT EXPORT n'a pas manqué à son obligation de délivrance conforme à l'égard de la société SCI STATION KAWENI,

Juger qu'il existe une clause d'exclusion de garantie des vices cachés dans l'acte de vente du 31 mai 2010,

En conséquence, juger irrecevable l'action en garantie des vices cachés de la société SCI STATION KAWENI à l'endroit de la société NEL IMPORT EXPORT,

Subsidiairement, juger que les conditions de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies,

En conséquence, Débouter la société SCI STATION KAWENI de sa demande à l'endroit de la société NEL IMPORT EXPORT au titre d'un prétendu vice caché,

Juger dans ces conditions que la société NEL IMPORT EXPORT ne peut engager sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société SODIFRAM, en l'absence de manquement contractuel à l'égard de la société SCI STATION KAWENI,

En tout état de cause, Juger que la clause de pollution présente aux termes de la promesse de vente conclue le 12 juin 2006 entre la société NEL IMPORT EXPORT et la société SCI STATION KAWENI est opposable à cette dernière,

Débouter en conséquence en tant que de besoin les sociétés SCI STATION KAWENI, SODIFRAM et TOTAL MAYOTTE de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à l'endroit de la société NEL IMPORT EXPORT,

Condamner in solidum les sociétés TOTAL MAYOTTE, KAWENI STATION et SODIFRAM à verser à la société NEL IMPORT EXPORT la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.

* * *

Par conclusions d'intimées déposées par RPVA le 24 février 2021, la SCI KAWENI STATION et la SAS SODIFRAM demandent à la cour de :

Dire que la SARL SOCIETE NEL IMPORT EXPORT a engagé sa responsabilité à l'égard de la SCI STATION KAWENI au titre de la garantie des vices cachés et, en conséquence, confirmer la condamnation in solidum avec la SAS TOTAL MAYOTTE prononcée à son encontre par le jugement du 7 mai 2018 du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou ;

Dire que la SARL SOCIETE NEL IMPORT EXPORT a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la SAS SODIFRAM sur le fondement de l'article 1240 du code civil et, en conséquence, confirmer la condamnation in solidum prononcée à son encontre par le jugement du 7 mai 2018 du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou ;

Débouter la SARL SOCIETE NEL IMPORT EXPORT de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire, si le jugement du 7 mai 2018 du tribunal de grande instance de Mamoudzou devait être infirmé en ce qu'il a prononcé la condamnation in solidum de la SARL NEL IMPORT EXPORT avec la SAS TOTAL MAYOTTE ;

Condamner la SAS TOTAL MAYOTTE à relever et à garantir la SCI STATION KAWENI et la SAS SODIFRAM contre toute condamnation qui serait prononcée à leur encontre au bénéfice de la SARL SOCIETE NEL IMPORT EXPORT ;

En tout état de cause,

Condamner tout succombant à payer à chacune des intimées la somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles, en application l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

* * *

Aux termes de ses uniques conclusions d'intimée, déposées le 7 mars 2022, la société TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE, demande à la cour de :

Dire et juger que la SARL NEL s'est indiscutablement engagée à vendre à la Société STATION KAWENI un terrain présentant les mêmes caractéristiques que celui qu'elle avait reçu de la Société TOTAL MAYOTTE, c'est-à-dire présenté comme dépollué,

Dire et juger que la SARL NEL a failli à son obligation de délivrance conforme,

Confirmer par conséquent le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL NEL in solidum avec TOTAL MAYOTTE à payer à payer à la SCI STATION KAWENI les sommes de 8 570 € et 556.114,50 € à la Société SODIFRAM la somme de 15 960 €,

Subsidiairement, dire et juger que la Société NEL a engagé sa responsabilité à l'égard de la SCI STATION KAWENI et de la Société SODIFRAM sur le fondement des vices cachés,

En conséquence, confirmer par conséquent le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL NEL in solidum avec TOTAL MAYOTTE à payer à payer à la SCI STATION KAWENI les sommes de 8 570 € et 556.114,50 € à la Société SODIFRAM la somme de 15 960 €,

Débouter les Sociétés STATION KAWENI et SODIFRAM de leur demande tendant à être relevées et garanties par la Société TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE de toutes condamnations pouvant être prononcées à leur encontre au profit de la SARL NEL,

Débouter la Société NEL de toutes ses demandes, fins et prétentions.

Condamner la Société NEL à payer à la Société TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE la somme de 6 000,00 € par application des dispositions de l'article 700 du CPC.

La condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL YSyS AVOCATS, Avocat aux offres de droit, qui pourra les recouvrer dans les conditions de l'article 699 du CPC.

* * *

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées, figurant au dossier de la procédure, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation,

MOTIFS,

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'examine que les moyens développés dans la partie discussion des conclusions présentés au soutien de ces prétentions.

Elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.

Sur la délivrance conforme du bien vendu par la société NEL à la société STATION KAWENI :

Le jugement dont appel, en date du 7 mai 2018, a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en non-conformité et déclaré la S.C.I. Station KAWENI irrecevable en son action en manquement ã l'obligation de délivrance et défaut de conformité exercée à l'encontre de la S.A.S. Total Mayotte.

Le premier juge a ensuite considéré que la responsabilité de la société NEL était engagée sur le même fondement.

La société NEL IMPORT EXPORT demande à la cour de juger que le bien vendu par elle à la SCI STATION KAWENI est conforme aux stipulations conventionnelles et qu'elle n'a donc pas manqué à son obligation de délivrance conforme à l'égard de l'acquéreur.

La SCI STATION KAWENI et la SAS SODIFRAM soutiennent que la SARL SOCIETE NEL IMPORT EXPORT a engagé sa responsabilité à l'égard de la SCI STATION KAWENI au titre de la garantie des vices cachés et sa responsabilité délictuelle à l'égard de la SAS SODIFRAM.

Ces deux intimées ne font pas grief à l'appelante d'un manquement à l'obligation de délivrance conforme.

La société TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE (TOTAL) affirme qu'il est patent que le bien vendu par la Société NEL à la Société SODIFRAM comportait strictement les mêmes caractéristiques que le bien cédé par voie d'échange par la société TOTAL MAYOTTE à la Société NEL. Nonobstant l'absence de reproduction de clause de pollution dans l'acte de vente, par suite d'une omission matérielle à l'initiative du notaire rédacteur de l'acte, de la cause de pollution relatant les diligences mises en œuvre par la Société TOTAL MAYOTTE pour procéder à la dépollution du terrain et visant les documents en attestant, il ne peut qu'être considéré que la Société NEL s'est elle aussi engagée à livrer un terrain ayant fait l'objet d'une dépollution complète. La responsabilité de la Société NEL peut dès lors être recherchée sur le fondement d'un manquement à son obligation de délivrance conforme.

Selon l'intimée, même si la clause de pollution n'a pas été reproduite dans l'acte de vente du 29 mars 2010, la Société SODIFRAM aux droits de laquelle est ensuite venue la SCI STATION KAWENI a toujours été parfaitement informée de la situation environnementale du terrain qu'elle se proposait d'acquérir. Elle a également eu connaissance du rapport technique de la DRIRE accréditant l'idée d'une dépollution complète du site, ce que la Société NEL confirmait d'ailleurs expressément dans ses écritures notifiées devant le Tribunal le 12 juin 2017.

Ceci étant exposé,

Vu les articles 1603 et 1604 du code civil ;

L'obligation de délivrance s'entend non seulement de la prise de possession du bien vendu par l'acquéreur, mais également de la délivrance d'une chose conforme aux prévisions contractuelles.

La société TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE est désormais la seule partie à invoquer un manquement de la société NEL à l'obligation de délivrance conforme du bien immobilier cédé à la SCI STATION KIWANI.

En l'espèce, l'acte de vente dressé le 31 mai 2010 entre la SARL NEL et la SCI STATION KAWENI, contient notamment la désignation de l'immeuble non bâti cédé, sa destination déclarée par l'acquéreur (construction de parkings, commerces et bureaux), son prix.

L'acte stipule que l'acquéreur prend le bien dans son état au jour de l'entrée en jouissance, tel qu'il l'a vu et visité, sans recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit et notamment pour mauvais état du sol ou du sous-sol, vices même cachés, erreur dans la désignation, le cadastre ou la contenance (')

L'origine de propriété de la parcelle vendue est relatée dans l'acte. Il s'avère que la SARL NEL a acquis ce bien suivant acte dressé par le même notaire le 29 mars 2010 auprès de la société TOTAL MAYOTTE. A la date de l'acte, la précédente cession n'était pas encore publiée selon les termes de la clause.

Il est aussi stipulé que le terrain appartenait au domaine privé de la Collectivité départementale de Mayotte sur lequel avaient été édifiées par le service des hydrocarbures de Mayotte, des installations à usage de station-service.

Aucune annexe ne fait référence à la situation environnementale du terrain ni au rapport technique de la DRIRE allégués par la société TOTAL dans ses écritures.

D'ailleurs, la société TOTAL ne produit que trois pièces à l'appui de ses conclusions :

1) Les conclusions notifiées par la Société NEL le 12 juin 2017 devant le tribunal de grande instance ;

2) Le Bordereau des pièces produites par la société NEL devant le même tribunal ;

3) Le courrier de l'Office Notarial MAREL POPINEAU et associés du 24 mai 2016.

Cette dernière pièce est constituée par un courrier de l'Office notarial adressé à Madame NEL de la société NEL, précisant que la clause de l'acte de vente TOTAL / NEL du 29 mars 2010, évoquant la situation du sous-sol bien au regard des conséquences environnementales liées à l'activité de station-service, a été omise dans l'acte dressé pour la vente entre la société NEL et la SCI STATION KAWENI « par erreur matérielle ».

Néanmoins, cette pièce est insuffisante à démontrer, d'une part, que la société STATION KAWENI était parfaitement informée de l'état du sous-sol de la parcelle ainsi acquise et, d'autre part, qu'elle renonçait aussi à se prévaloir des garanties dues par la venderesse en vertu de cette clause « de pollution ».

Ainsi, la société TOTAL n'établit pas que « la clause de pollution » faisait partie des prévisions contractuelles acceptées par la SCI STATION KAWENI et la SARL NEL.

L'arrêt de la Cour de cassation a rappelé qu'à défaut de clause relative à l'absence de pollution dans l'acte de vente, l'inconstructibilité d'un terrain en raison de la présence d'hydrocarbures constitue non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a jugé que la société NEL avait manqué à son obligation de délivrance conforme à l'égard de la S.C.I. Station KAWENI.

Sur la demande subsidiaire de la société TOTAL :

La société TOTAL demande subsidiairement de retenir la responsabilité de la société NEL à l'égard de la SCI STATION KAWENI et de la Société SODIFRAM sur le fondement des vices cachés.

La SCI STATION KAWANI et la société SODIFRAM soutiennent que la SARL SOCIETE NEL IMPORT EXPORT a engagé sa responsabilité à l'égard de la SCI STATION KAWENI au titre de la garantie des vices cachés et, sa responsabilité délictuelle à l'égard de la SAS SODIFRAM. Les intimées plaident que le défaut de la chose est établi, sa gravité est caractérisée. Il était manifestement occulte et antérieur à la vente.

La société NEL plaide qu'il existe une clause d'exclusion de garantie des vices cachés dans l'acte de vente du 31 mai 2010 et, en conséquence, de juger irrecevable l'action en garantie des vices cachés de la société SCI STATION KAWENI à son encontre.

Subsidiairement, elle soutient que les conditions de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies car :

1/ L'acquéreur avait parfaitement connaissance de l'existence de la pollution antérieure de la parcelle et donc de l'existence d'un risque résiduel de pollution ;

2 / Ce défaut n'a pas rendu le bien impropre à l'usage attendu ;

3/ La société NEL n'est pas de mauvaise foi.

L'appelante plaide en outre qu'il existait une clause de pollution opposable à la SCI STATION KAWENI en vertu d'une promesse de vente conclue entre les parties le 12 juin 2006.

Ceci étant exposé,

Aux termes de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

L'article 1642 du même code prévoit que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.

Selon l'article 1643 du même code, il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

En l'espèce, il est acquis que le rapport technique dont se prévaut la société TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE accréditait faussement l'idée d'une dépollution complète du site.

La comparaison de la promesse synallagmatique de vente conclue entre la société SNIE, sigle de la société NEL, et la société SODIFRAM, dont l'intégralité n'est pas produite (la pièce N° 2 de l'appelante contenant seulement 5 pages), établit que cette promesse n'a pas été conclue avec la société STATION KAWENI. Cet acte lui est dès lors étranger et inopposable.

Mais l'acte de vente litigieux contient bien une clause d'exclusion de garantie des vices cachés au profit du vendeur « pour quelque cause que ce soit et notamment pour mauvais état du sol et du sous-sol, etc.. »

Pourtant, l'acte de cession à la société NEL IMPORT EXPORT par la société TOTAL le 29 mars 2010 (Pièce N° 2 de la société STATION KAWENI), contenait bien « la clause de pollution » en page 6.

Il est donc certain que la société NEL IMPORT EXPORT avait connaissance du vice affectant le sol et le sous-sol de la parcelle qu'elle a revendue deux mois plus tard à la SCI STATION KAWENI.

Mais, la société TOTAL est désormais définitivement condamnée pour défaut de délivrance conforme à la société NEL en raison de l'importance de la pollution résiduelle mise en évidence par l'entreprise GINGER CEBTP, missionnée par la SCI STATION KAWENI (concentration d'hydrocarbures supérieure aux normes admises y compris dans les eaux souterraines, subsistance de métaux lourds) après la vente par la SARL NEL. En effet, la Cour de cassation a jugé que « n'ayant pas constaté l'acceptation, par l'acquéreur, d'un risque connu de pollution résiduelle, mais retenu que le rapport technique joint à l'acte d'échange accréditait l'idée d'une dépollution complète du site, ce qui était loin d'être le cas, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs, dès lors que le bien n'était pas conforme à cette caractéristique, que la société Total Mayotte avait manqué à son obligation de délivrance et qu'il y avait lieu de retenir sa responsabilité contractuelle envers la société Station Kaweni, sous-acquéreur, et délictuelle envers la société Sodifram. »

Il en résulte que, la société TOTAL n'a pas livré à son cessionnaire un terrain exploitable, conforme à sa destination, notamment sa constructibilité, mais encore que le rapport technique joint à l'acte, et invoqué par la même société, accréditait faussement l'idée d'une dépollution complète du site.

En cédant la parcelle litigieuse deux mois après l'échange réalisé avec la société TOTAL, la société NEL ne pouvait pas être consciente de l'absence de dépollution efficace de la parcelle cédée à la SCI STATION KAWENI.

Ainsi, il n'est nullement démontré que la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés au profit de la société NEL IMPORT EXPORT ait été proposée par la venderesse de mauvaise foi à la SCI STATION KAWENI.

Sur la responsabilité quasi délictuelle de la SARL NEL IMPORT EXPORT à l'égard de la SAS SODIFRAM :

En l'absence de faute de la SARL NEL IMPORT EXPORT dans la formation et l'exécution du contrat de vente de la parcelle litigieuse à la SCI STATION KAWENI, la société SODIFRAM est mal fondée à invoquer la responsabilité délictuelle de l'appelante à son égard.

Sur le recours de la société TOTAL à l'encontre de la société NEL IMPORT EXPORT :

La société TOTAL est mal fondée à demander la condamnation de la SARL NEL IMPORT EXPORT in solidum avec elle pour les sommes dues à la SCI STATION KAWENI et à la SAS SODIFRAM.

En conséquence, en l'absence d'obligation de garantie des vices cachés par l'appelante à l'égard de la société STATION KAWENI, de faute prouvée au préjudice de la SAS SODIFRAM, il convient de d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a condamné solidairement la SARL NEL EXPORT avec la SAS TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE à payer à la SCI STATION KAWENI les sommes de 8 570 € et 556.114,50 € et à la Société SODIFRAM la somme de 15 960 €.

Sur la demande subsidiaire de la SCI STATION KAWENI et de la SAS SODIFRAM :

Les intimées demandent dans le dispositif de leurs conclusions, à titre subsidiaire, « si le jugement du 7 mai 2018 du Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou devait être infirmé en ce qu'il a prononcé la condamnation in solidum de la SARL NEL IMPORT EXPORT avec la SAS TOTAL MAYOTTE, de condamner la SAS TOTAL MAYOTTE à relever et à garantir la SCI STATION KAWENI et la SAS SODIFRAM contre toute condamnation qui serait prononcée à leur encontre au bénéfice de la SARL SOCIETE NEL IMPORT EXPORT. »

Cependant, cette demande subsidiaire ne faisant pas l'objet de discussion dans les motifs des conclusions, il n'y a pas lieu d'y répondre en application de l'article 954 du code de procédure civile, d'autant qu'aucune demande de ce type n'est formulée par la société TOTAL ou la société NEL à leur encontre.

Sur les autres demandes :

Le premier juge avait condamné la SARL NEL, seule, aux dépens et, in solidum avec la société TOTAL, aux frais irrépétibles de la société STATION KAWENI et de la SAS SODIFRAM.

Il convient d'infirmer le jugement entrepris de ces chefs en excluant la société NEL des condamnations prononcées solidairement avec la société TOTAL et en condamnant cette dernière aux dépens de première instance et d'appel.

La nature du litige et les relations étroites entretenues par les parties depuis plusieurs années, résultant notamment de la promesse de vente de la parcelle litigieuse à la société SODIFRAM en 2006, justifient que les parties supportent leurs propres frais irrépétibles de l'appel.

Dispositif,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Vu l'arrêt de la cour d'appel en date du 4 février 2020 et l'arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 30 septembre 2021 ;

INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société NEL IMPORT EXPORT avait manqué à son obligation de délivrance conforme à l'égard de la S.C.I. Station KAWENI et condamné celle-ci à payer in solidum avec la SAS TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE, à la SCI STATION KAWENI les sommes de 8.570 euros et 556.114,50 euros et à la société SODIFRAM la somme de 15.960 euros et a condamné la SARL NEL, in solidum avec la société TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE, aux frais irrépétibles de la SCI STATION KAWENI et de la SAS SODIFRAM ainsi qu'aux dépens de la première instance ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

DIT que la SARL NEL IMPORT EXPORT n'a pas manqué à son obligation de délivrance ;

DIT que la SARL NEL IMPORT EXPORT n'est pas tenue de la garantie des vices cachés résultant de l'état du sol et du sous-sol de la parcelle envers la SCI STATION KAWENI ;

DIT que la SARL NEL IMPORT EXPORT n'a commis aucune faute au préjudice de la SAS SODIFRAM ;

DEBOUTE les parties de toutes leurs demandes dirigées contre la SARL NEL IMPORT EXPORT ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile au titre du présent appel ;

CONDAMNE la SAS TOTAL ENERGIES MARKETING MAYOTTE aux dépens de première instance et de l'appel.