Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 25 juin 1998, n° 98/01945

PARIS

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Fermière du Casino Municipal de Cannes (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Conseillers :

Mme Pinot, Mme Beauquis

Avocats :

Me Delas, Me Brochier

CA Paris n° 98/01945

24 juin 1998

Le 28 janvier 1998, M. X, actionnaire de la société FERMIERE DU CASINO MUNICIPAL DE CANNES (la société FCMC), a formé un recours en annulation contre "une décision non publiée du Conseil des bourses de valeurs prise en mars 1991, ayant dispensé Mme Y du dépôt d'une offre publique de retrait sur les titres de la société FERMIERE DU CASINO MUNICIPAL DE CANNES".

Après avoir relevé que l'acte attaqué n'ayant pas été publié, le délai de recours n'a pas commencé à courir à son égard, M. X fait essentiellement valoir, aux termes de sa déclaration de recours et de son mémoire complémentaire déposé le 16 février 1998 :

- que Mme Y, actionnaire majoritaire de la société FCMC, a fait acquérir par cette société, en mars 1991, auprès de la société COMPAGNIE IMMOBILIERE PHENIX, les actions représentant le capital de la société HOTEL GRAY D'ALBION laquelle exploite un hôtel de 200 chambres à Cannes ;

- que sans que les actionnaires en aient été informés, Mme Y avait sollicité et obtenu du Conseil des bourses de valeurs la permission de ne pas avoir à procéder au dépôt d'une offre publique de retrait (OPR) ;

- que cette dispense a été accordée bien que les conditions de ce dépôt, prévues à l'article 7-2-5 du règlement général du Conseil des bourses de valeurs (le CBV), alors en vigueur, fûssent réunies ;

- qu'en effet l'acquisition de la société HOTEL GRAY D'ALBION, réalisée pour un montant de 570 millions de francs entièrement financé à crédit, a durablement bouleversé la situation de la société FCMC qui se voyait empêchée de reprendre le versement d'un dividende et qui a vu son activité réorientée, l'acquisition et le développement de nouveaux casinos étant sacrifiés au profit de l'hôtellerie.

- que le Conseil des bourses de valeurs, auquel l'opération dont s'agit a été présentée de manière fallacieuse, comme l'a ultérieurement mis en évidence un rapport d'expertise judiciaire, a commis une erreur de fait - ayant ignoré que la finalité réelle de l'opération n'était pas d'assurer la prospérité de la société FCMC mais de permettre à Mme Y de régler des droits de succession - une erreur de droit - en interprétant de façon erronée l'article 7-2-5 de son règlement général dès lors que les faits dont il avait connaissance imposaient le dépôt d'une OPR - et une erreur manifeste d'appréciation en ce que l'acquisition de la société HOTEL GRAY D'ALBION, au prix et selon les modalités indiquées ci-dessus était manifestement contraire à l'intérêt de la société FCMC et de ses actionnaires minoritaires.

Le Conseil des marchés financiers (le Conseil) a présenté des observations visant à l'irrecevabilité et, subsidiairement, au rejet du recours.

Il expose, sur la recevabilité :

- que la preuve est rapportée que M. X a connaissance depuis fort longtemps, et au plus tard depuis le 6 mars 1997, de la lettre du CBV en date du 13 mars 1991, visée par le recours, de sorte que celui-ci est tardif ;

- que la position exprimée par le CBV aux termes de ladite lettre n'est qu'un avis, qui ne fait pas grief, et non une décision susceptible de recours.

Sur le fond, le Conseil observe que le CBV, loin de commettre une erreur d'appréciation, a bien apprécié les conséquences de l'opération prévue au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital et des détenteurs de droits de vote de la société, conformément aux dispositions de son règlement général, et en a conclu que l'intérêt des actionnaires minoritaires lui apparaissait suffisamment préservé par les conditions de l'opération projetée, telle qu'elle lui avait été présentée.

La société FCMC développe, quant à la recevabilité du recours de M. X, une argumentation analogue à celle du Conseil des marchés financiers.

Elle fait valoir que plus de dix jours se sont écoulés depuis la connaissance acquise de façon certaine par le requérant de l'avis du CBV et que cet avis ne constitue pas une décision au sens de l'article 1er du décret du 3 octobre 1996, dès lors que, en l'absence d'habilitation législative sur ce point, la formulation de l'article 5-5-5 ne pouvait être impérative et organise une simple consultation du Conseil des marchés financiers.

Subsidiairement, la société FCMC souligne qu'aucune des conditions de fond prévues par l'article 5-5-5 n'était satisfaite en l'espèce où il s'agissait d'opérations de gestion, au demeurant non critiquables.

La société FCMC demande l'allocation de la somme de 50.000 francs sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Invité à présenter des observations en application de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, le président de la Commission des opération de bourse relève que l'avis délivré par le CBV en application de l'article 7-2-5, devenu 5-5-5, de son règlement général a pour seul objet d'éclairer la société qui le sollicite sur les conditions dans lesquelles elle peut procéder à une OPR, qu'il ne s'agit pas d'une décision consacrant un droit au profit de quelqu'un ou lui refusant l'exercice de ce droit et que M. X n'est donc pas fondé à se prévaloir d'un quelconque grief résultant de l'avis du 13 mars 1991.

Aux termes de son mémoire en réplique du 27 mars 1998, M. X, après avoir contesté la recevabilité des observations présentées par la société FCMC, au motif que cette dernière n'avait ni qualité ni intérêt à agir, soutient qu'il est, en ce qui le concerne, recevable à agir, le délai de recours n'ayant pas commencé à courir en l'absence de notification ou de publication de la décision déférée, laquelle lui fait grief puisqu'elle influe nécessairement sur les intérêts patrimoniaux des actionnaires minoritaires de la société FCMC.

Il ajoute que la mise en oeuvre d'une offre publique de retrait, lorsqu'elle est voulue par le Conseil, est obligatoire en fait, à supposer qu'elle ne le soit pas en droit.

Le Ministère public a conclu oralement à l'irrecevabilité du recours formé par M. X.

Le requérant a été invité, à l'audience, à s'expliquer sur la recevabilité des écritures qu'il a déposées postérieurement au 3 avril 1998, date limite imposée par le délégué du premier président de la cour pour le dépôt des mémoires en duplique.

CELA ETANT EXPOSE, LA COUR :

Sur la procédure :

Sur la recevabilité des observations présentées par la société FCMC :

Considérant que la déclaration de recours ayant été dénoncée à cette société conformément aux dispositions de l'article 6 du décret du 3 octobre 1996, les observations qu'elle a présentées dans le cadre de la présente instance sont recevables ;

Sur la recevabilité du mémoire déposé par M. X le 14 avril 1998 :

Considérant qu'aux termes de l'article 6 du décret précité, le premier président de la cour d'appel de Paris ou son délégué fixe les délais dans lesquels les parties à l'instance doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour ;

Considérant, en l'espèce, que selon l'ordonnance du délégué du premier président du 17 mars 1998, les mémoires en duplique devaient être déposés avant le 3 avril à 17 heures ;

Qu'il s'ensuit que le mémoire en duplique déposé par le requérant le 14 avril 1998 ainsi que les pièces numérotées de 1 à 8 jointes à ce mémoire doivent être d'office écartés des débats ;

Sur la recevabilité du recours :

Considérant que les procédures d'offres obligatoires visent à imposer aux personnes qui y sont tenues l'acquisition par achat ou échange d'une quantité déterminée d'actions d'une société à un prix et selon des modalités fixées sous le contrôle des autorités de marché ; que de telles obligations dérogatoires aux dispositions de l'article 1108 du Code civil ne peuvent résulter que de prescriptions légales expresses et impératives ;

Considérant qu'aux termes de l'article 7-2-5, devenu 5-5-5, du règlement général du Conseil des bourses de valeurs, applicable en la cause, "La ou les personnes qui contrôlent une société dont les titres sont inscrits à la cote officielle du second marché avertissent le Conseil et examinent avec lui la mise en oeuvre éventuelle d'une offre publique de retrait dans les cas suivants :

- lorsqu'elles se proposent de soumettre à l'approbation d'une assemblée générale extraordinaire une ou plusieurs modifications significatives des dispositions statutaires, notamment celles relatives à la forme de la société, aux conditions de la cession et de transmission des titres de capital ainsi qu'aux droits qui y sont attachés ;

- lorsqu'elles décident de la cession ou de l'apport à une autre société, de la totalité ou du principal des actifs, de la réorientation de l'activité sociale ou de la suppression, pendant plusieurs exercices, de toute rémunération des titres de capital.

Le Conseil apprécie les conséquences de l'opération prévue au regard des droits et des intérêts des détenteurs de titres de capital et des détenteurs de droits de vote de la société. Avec l'accord de la ou des personnes qui contrôlent la société, il arrête les conditions de mise en oeuvre d'une procédure d'offre publique de retrait et les fait connaître par un avis publié au bulletin officiel de la cote."

Considérant que ce texte ne fait pas naître, à la charge de l'actionnaire détenteur du contrôle de la société en cause, d'autre obligation que celle d'avertir le Conseil dans les cas qu'il prévoit ;

Qu'ainsi consulté, le Conseil émet un avis sur l'opportunité d'une procédure d'offre publique de retrait, après avoir apprécié, conformément à la directive formulée par le texte précité, les conséquences du projet affectant les statuts, le patrimoine, l'activité de la société ou la rémunération des titres de capital ; que dans le cas où le Conseil estime qu'une offre publique de retrait est justifiée, la mise en oeuvre d’une telle offre est subordonnée à l'accord de l'actionnaire de contrôle ;

Considérant que le Conseil n'étant pas investi, lorsqu'il intervient au titre de l'article 5-5-5 de son règlement général, du pouvoir d'imposer le dépôt d'un projet d'offre publique de retrait, l'expression, par cette autorité professionnelle, de l'opinion suivant laquelle l'opération envisagée, telle qu'elle lui a été présentée, n'apparaît pas de nature à légitimer une offre publique de retrait ne peut être regardée comme une dérogation à une obligation pesant sur l'actionnaire de contrôle ;

Qu'il s'ensuit que "l'acte" visé par le recours, c'est-à-dire - ainsi que le précise le requérant dans son mémoire du 27 mars 1998 - la lettre en date du 13 mars 1991 par laquelle le Conseil des bourses de valeurs a estimé que l'opération qui lui était soumise ne justifiait pas la mise en oeuvre d'une offre publique de retrait, simple avis dépourvu de force contraignante, ne fait pas grief au requérant et que, ne constituant pas une décision du Conseil des bourses de valeurs, cet avis n'est pas susceptible d'être déféré à la cour d'appel de Paris ;

Que le recours est, en conséquence, irrecevable ;

Considérant que ni l'équité ni la situation économique des parties justifient qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

Déclare recevables les observations déposées par la société FERMIERE DU CASINO MUNICIPAL DE CANNES ;

Ecarte des débats les écritures de M. X déposées au greffe de la cour le 14 avril 1998 et les pièces y annexées ;

Déclare irrecevable le recours formé par M. X contre l'avis formulé par le Conseil des bourses de valeurs par lettre du 13 mars 1991 ;

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.