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Décisions

Cass. crim., 11 mai 2000, n° 99-84.362

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme de la Lance

Avocat général :

Mme Fromont

Avocat :

SCP Tiffreau

Colmar, ch. corr., du 23 avr. 1999

23 avril 1999

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de la directive 93-22 CEE du 10 mai 1993, des articles 49, 57, 59 à 66, 73-B à 73-H du Traité de Rome de 1957 modifié, 8, 8-1, 10, 11, 16 de la loi du 28 mars 1885, 26 de la loi du 2 juillet 1996, 313-1, alinéa 2, 313-7, 313-8 du Code pénal, 6.3 a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 550 à 566, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la Cour d'appel a déclaré Horst Y... coupable de "démarchage illicite en vue d'opérations sur les instruments financiers à terme" et l'a condamné aux peines de 18 mois d'emprisonnement, dont 9 assortis du sursis visé aux articles 132-29 et suivants du Code pénal, et de 100 000 francs d'amende ;

" aux motifs propres que "il ressort du dossier et des débats qu'au cours des années 1995 et 1996 en tant que gérant ou directeur commercial de la Société BFK sise à Khel, Allemagne, Jean-Luc X... et Horst Y... ont effectué des opérations de démarchage en vue d'opérations sur les marchés à terme auprès de personnes physiques françaises sans y avoir été autorisés ; l'avocat de Jean-Luc X... a repris, dans son mémoire, les arguments tendant à la relaxe, présentés devant les premiers juges et auxquels ceux-ci ont donné des réponses pertinentes auxquelles la Cour se rallie ; enfin, Jean-Luc X... ne peut se retrancher derrière son contrat officiel de représentant de commerce pour éluder sa responsabilité, alors qu'il est détenteur de la moitié du capital social, à l'origine de la création en 1991, avec Horst Y..., de la Société CSB devenue BFK, et qu'il est étroitement associé à la direction de la société, comme en font preuve les auditions des démarcheurs de la société qui n'avaient de contacts qu'avec lui, Horst Y... ne parlant pas le français ; il y a lieu de noter que Horst Y..., bien qu'ayant interjeté appel et ayant été normalement cité, ne s'est pas présenté à l'audience (...) ;

" et aux motifs déclarés adoptés qu'il résulte des dispositions combinées des articles 10, 11 et 18 de la loi du 28 mars 1885 sur les marchés à terme, 3,25-2 g et 44 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières, 3 du décret n° 90-948 du 25 octobre 1990, portant application de l'article 18 de la loi du 28 mars 1885, que les prestataires de services d'investissement et les personnes morales autorisées à être membres d'un marché réglementé d'instruments financiers, ne peuvent recourir au démarchage du public en France pour des instruments financiers à terme sur un marché reconnu et dont le siège est fixé dans un Etat non membre de la Communauté économique européenne, que si, étant domiciliés ou ayant leur siège social hors du territoire de la République, ces prestataires et ces personnes morales ont été agréés par l'autorité de contrôle compétente dans leur pays d'origine, et après que les autorités compétentes françaises se sont assurées que les règles de compétence, d'honorabilité et de solvabilité auxquelles ils sont soumis sont équivalentes à celles qui sont applicables en France ; qu'il résulte de la procédure et des débats que la société de droit allemand CSB, Commodities Services Beratung, sise à Y..., en Allemagne, a été immatriculée le 4 février 1991 au registre du commerce de cette localité et a pris, à compter du 27 octobre 1992, le nom de BFK Beratung Für Kapital Anlag ; que cette société, dont le capital d'un montant de 50 000 DM est réparti à égalité entre Horst Y... et Jean-Luc X..., est dirigée par Horst Y..., et a une activité de prestations de services d'investissement, proposant au public français, et, très accessoirement, au public belge, des opérations sur les options négociées sur les marchés à terme nord-américains de New York, Chicago et Philadelphie ; que sur les fonds investis par chacun des clients démarchés, d'un minimum de 15 000 dollars, la Société BFK prélève une commission de 33 % avant de transmettre pour le compte de ces clients les ordres d'achat et de vente à un courtier anglais auquel elle a recours, d'abord la société Finserve Limited puis la société Mastmann-Wells à Londres, qui se charge de l'exécution de ces ordres ; en premier lieu, que même si les opérations susvisées sont réalisées sur des marchés étrangers reconnus, la société BFK, qui a son siège social à Y..., ne peut se prévaloir, pour démarcher le public en France, de l'agrément d'une autorité de tutelle compétente en Allemagne, au demeurant inexistante à ce jour, de telles opérations n'étant pas soumises à cet agrément dans cet Etat ; que, pas plus, les prévenus ne peuvent soutenir, se référant à l'article 30, paragraphe 1, de la directive 93-22-CEE du 10 mai 1993, que la société BFK est "réputée agréée" pour effectuer les opérations litigieuses du fait, notamment, d'une autorisation dont elle bénéficierait déjà en Allemagne depuis le début de son activité, alors précisément qu'aucune autorisation n'est nécessaire dans cet Etat pour fournir des services d'investissements ainsi que l'a confirmé un responsable du BAW (Bundesaufsichtamt für den Wertpapierhandel) ;

qu'enfin, les dispositions de la loi du 2 juillet 1996, qui a transposé dans le droit français la directive européenne susmentionnée sur les services d'investissement et qui sont relatives au libre établissement et à la libre prestation de services sur le territoire des Etats membres de la Communauté économique européenne, ne peuvent bénéficier, selon l'article 26 de ladite loi, aux prestataires de services d'investissement dont l'unique activité est de fournir les services d'investissement visés à l'article 4-a de la même loi, soit la réception et la transmission d'ordres pour le compte de tiers ; que, dès lors, la société BFK ne peut être considérée comme habilitée à démarcher le public en France ; qu'en second lieu, il est établi et non contesté par les prévenus que la société BFK s'est livrée, en 1995 et 1996, au démarchage du public en France, la clientèle française représentant environ 90 % de son activité ; que les clients résidant en France ont été sollicités téléphoniquement après avoir été sélectionnés dans les pages jaunes de l'annuaire par une demi-douzaine de démarcheurs domiciliés dans le Bas-Rhin et inscrits comme agents commerciaux à la mairie de Y..., après avoir été embauchés par la société BFK ; que ce démarchage par communications téléphoniques aux domiciles ou lieux de travail des clients a été généralement suivi de l'envoi d'une documentation qui leur était proposée, celle-ci comprenant un formulaire de confirmation de commande qui constituait l'ordre d'achat d'option du client ; que si les prévenus et les cinq démarcheurs entendus par les enquêteurs se sont refusés à préciser le nombre et l'identité des personnes démarchées au cours de la période visée par la prévention, arguant d'un secret professionnel, le caractère habituel de l'activité de démarchage de la société BFK ne fait l'objet d'aucune contestation et peut être mesurée au nombre important des démarcheurs auxquels elle a eu recours et aux informations fournies par Horst Y... au cours d'une enquête de la Commission des opérations de bourse menée en 1992 et 1993, faisant état, à cette époque, de 500 clients ; qu'en sa qualité de dirigeant de droit et de fait de la société BFK, ainsi que d'employeur des démarcheurs sollicitant le public en France, Horst Y... est responsable de cette activité de démarchage (...) qu'il résulte de tout ce qui précède que Horst Y... et Jean-Luc X... se sont livrés en 1995 et 1996, comme auteurs principaux, au démarchage illicite du public en France pour proposer des opérations sur des options négociées sur des marchés à terme nord-américains ; que, dès lors, ils doivent être déclarés coupables du délit qui leur est reproché, prévu par la loi du 28 mars 1885 dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières et après les modifications introduites par la même loi (...) ;

" 1o alors que, tout prévenu a le droit à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; que tel n'a pas été le cas en l'espèce, dès lors que, tant en première instance qu'en appel, les actes portant citation à l'audience des débats étaient rédigés en langue française, de sorte que le prévenu, dont l'arrêt attaqué constate qu'il ne parle pas cette langue, n'a pas été mis en mesure de se défendre utilement devant le juge pénal ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés dont, notamment, l'article 6.3 a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

" 2o alors que, au surplus, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le prévenu, de nationalité allemande et domicilié en Allemagne, a agi au nom d'une société commerciale ayant son siège dans cet Etat membre et pour objet social l'exécution de prestations de services d'investissement, au sens de la directive communautaire sur les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières (DSI) n° 93-22-CEE du 10 mai 1993, ayant pour objet d'instituer, au profit des entreprises prestataires régulièrement autorisées dans leur Etat d'origine, sur délivrance ou non d'un agrément préalable, un titre à agir librement sur le territoire d'un autre Etat membre, lequel est donc sans droit à édicter une réglementation subordonnant à son agrément l'exercice de leur activité sur son territoire ; que le principe de primauté du droit communautaire sur le droit national imposait à la cour d'appel de tenir pour inapplicables aux poursuites pénales les dispositions nationales susceptibles d'être regardées comme contraires à celles de cette directive ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, lors des faits reprochés, aucune autorisation n'était nécessaire en Allemagne pour la fourniture des prestations de services d'investissement ; que, dès lors, en retenant la culpabilité du prévenu, la Cour d'appel a violé les textes susvisés dont, notamment, la directive communautaire susvisée ;

" 3o alors que, en outre, à supposer que certains des faits poursuivis ne relèvent pas de la directive communautaire sur les prestations de services d'investissement, en retenant la culpabilité du prévenu, agissant sur le territoire français au nom et pour le compte d'une société commerciale relevant d'un autre Etat membre, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées de droit commun, directement applicables, du traité de Rome modifié ayant institué la liberté de prestations de services ;

" 4o alors que, en toute hypothèse, l'article 64 de la loi allemande Gesetz liber das Kreditwesen KWG du 10 juillet 1961, modifiée le 22 janvier 1996, ne subordonne la délivrance nouvelle d'une autorisation qu'à la seule notification de poursuite d'activité de prestations de services d'investissement, faite à la Deutsche Bundesbank ou au Bundesaufsichtamt ; que, dès lors, en déclarant la culpabilité du prévenu, au motif qu'il ne pouvait être soutenu, en "se référant à l'article 30, paragraphe 1, de la directive 93-22-CEE du 10 mai 1993, que la Société BFK est "réputée agréée" pour effectuer les opérations litigieuses du fait, notamment, d'une autorisation dont elle bénéficierait déjà en Allemagne depuis le début de son activité, alors précisément qu'aucune autorisation n'est nécessaire dans cet Etat pour fournir des services d'investissements " (motifs adoptés du jugement entrepris, p. 5, al. 2), la Cour d'appel a méconnu le texte susvisé " ;

Sur la première branche du moyen ;

Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le prévenu, appelant, non comparant et non représenté à l'audience de la cour d'appel du 29 janvier 1999, a été cité à Parquet général le 24 septembre 1998 et par voie diplomatique à son domicile, en Allemagne, dans sa propre langue, le 31 octobre 1998, et qu'un interprète en langue allemande a été convoqué pour l'assister à l'audience ; que la même procédure de convocation avait été suivie devant le tribunal correctionnel ;

Que, dès lors, le moyen, en sa première branche, manque en fait ;

Sur les deuxième et quatrième branches du moyen :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société de droit allemand BFK, dirigée par Horst Y... et ayant son siège social en Allemagne, a une activité de prestation de services d'investissement, proposant au public français des opérations sur les options négociées sur les marchés à terme nord-américains et que cette société prélève sur les fonds investis par les clients démarchés une commission de 33 %, avant de transmettre les ordres d'achat et de vente à un courtier anglais auquel elle a recours ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de démarchage illicite en vue d'opérations sur les instruments financiers à terme, les juges énoncent que, selon les dispositions combinées des lois du 28 mars 1885, portant sur les marchés à terme, et du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières, et du décret du 25 octobre 1990, une personne morale, ayant son siège social hors du territoire national, ne peut exercer ce démarchage que si elle a été agréée par l'autorité de contrôle compétente de son pays d'origine et après que les autorités compétentes françaises se soient assurées que les règles auxquelles elle est soumise sont équivalentes à celles qui sont applicables en France ;

Qu'ils retiennent que la société BFK ne peut bénéficier des dispositions du titre IV de la loi du 2 juillet 1996, transposant dans le droit français la directive 93-22-CEE du 10 mai 1993 sur les services d'investissement relative au libre établissement et à la libre prestation de services, son unique activité étant la réception et la transmission d'ordres pour le compte de tiers, activité exclue du bénéfice de ces dispositions par l'article 26 de la loi précitée, renvoyant à son article 4.a ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'exception ainsi prévue à l'article 26 de la loi du 2 juillet 1996 entre dans les prévisions de l'article 2, paragraphe 2 g) de la directive précitée, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Sur la troisième branche du moyen :

Attendu que le moyen, en sa troisième branche, qui invoque pour la première fois devant la Cour de Cassation l'application du régime de la libre prestation de services institué par le Traité de Rome modifié, est nouveau, mélangé de fait, et comme tel irrecevable ;

D'où il suit que le moyen doit être rejeté en chacune de ses branches ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.