CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 22 avril 2021, n° 20/03915
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Président de l'Autorité des Marchés Financiers
Défendeur :
Le Quotidien de Paris Éditions (SA), Prologue (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maitrepierre
Conseillers :
Mme Brun-Lallemand, Mme Tréard
Avocats :
Me Goldnadel, Me Journé, Me Martin Laprade, Me Telmat
Vu la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers no 20 du 31 décembre 2019 ;
Vu la déclaration de recours principal contre cette décision enregistrée sous le numéro RG 20/03915 et l'exposé des moyens, déposés au greffe de la Cour les 03 et 16 mars 2020 par le président de l'AMF ;
Vu la déclaration de recours principal contre cette décision enregistrée sous le numéro RG 20/04177 déposée au greffe de la Cour le 06 mars 2020 et le mémoire développant ses moyens, signifié le 20 mars 2020 dans le contexte d'état d'urgence sanitaire, puis déposé au greffe de la Cour le 2 juillet 2020 par la société Le quotidien de Paris éditions ;
Vu la déclaration de recours incident enregistrée dans la procédure numéro RG 20/03915 déposée au greffe de la Cour le 13 mars 2020 et l'exposé des moyens, transmis le 30 mars 2020 par voie numérique dans le contexte d'état d'urgence sanitaire, puis déposé au greffe le 1er juillet 2020 par la société Prologue ;
Vu la jonction de ces recours sous le numéro RG 20/03915, intervenue à l'audience ;
Vu les observations sur ces recours déposées au greffe le 22 octobre 2020 par l'Autorité des marchés financiers ;
Vu les conclusions récapitulatives déposées au greffe le 30 novembre 2020 par la société Prologue ;
Vu le mémoire no2 déposé au greffe le 8 décembre 2020 par la société Le quotidien de Paris éditions ;
Vu les conclusions déposées au greffe le 10 décembre 2020 par M. [Y] ;
Le ministère public ayant reçu toutes les pièces de la procédure ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 14 janvier 2021, en leurs observations orales, les conseils de la société Prologue, de la société Le quotidien de Paris éditions et de M. [Y], puis le président de l'AMF, les parties ayant été mises en mesure de répliquer.
FAITS ET PROCÉDURE
Le contexte de l'offre publique d'échange Prologue/O2i
1.La société Prologue est à la tête d'un groupe, spécialisé dans les services informatiques. Ses titres étaient, en 2014, admis aux négociations sur le marché réglementé Euronext Paris.
2.Par un communiqué du 2 octobre 2014, la société Prologue a annoncé qu'elle étudiait un rapprochement de son groupe avec celui de la société O2i. Ce projet devait consister en une offre publique d'échange (ci-après « OPE »), sur la base d'une parité de 3 actions Prologue pour 2 actions O2i.
3.Les 9 et 10 octobre 2014, sur la base de cette parité d'échange, des engagements d'apports en nature ont été conclus entre des actionnaires des sociétés O2i et la société Prologue, puis le 8 décembre 2014 des traités d'apports ont été signés avec deux de ces actionnaires. Ces traités prévoyaient certaines conditions suspensives — dont l'absence de dépôt d'un projet d'offre publique concurrente — et devaient entrer en vigueur indépendamment de la question de savoir si le seuil de caducité prévu à l'article 231-9, I. du règlement général de l'AMF (ci-après le « RGAMF »), à savoir 50 % du capital ou des droits de vote d'O2i, serait ou non atteint.
4.Le 9 décembre 2014, la société Prologue a déposé à l'AMF un projet d'OPE visant les actions, les obligations convertibles en actions (ci-après, les « OCA ») et les bons de souscription et/ou d'acquisition d'actions remboursables (ci-après, les « BSAAR ») de la société O2i. Le même jour, elle a diffusé par voie de communiqué de presse un projet de note d'information relatif à ce projet d'OPE.
5.Le 2 avril 2015, l'AMF a publié une décision de non-conformité du projet d'OPE initié par la société Prologue, fondée notamment sur le fait que l'expert indépendant désigné avait conclu que les conditions financières de ce projet, en particulier la parité d'échange proposée, n'étaient pas équitables pour les porteurs de titres O2i.
6.Le même jour, la société Prologue a publié un communiqué de presse intitulé « Accélération du rapprochement avec O2i /Acquisition de 9,6 % du capital » dans lequel elle annonçait avoir pris connaissance de la décision de non-conformité rendue par l'AMF et avoir décidé de former un recours contre cette décision. Elle ajoutait que, dans la mesure où la condition suspensive liée au calendrier de l'OPE était devenue caduque du fait de cette décision, son conseil d'administration avait constaté, le 2 avril 2015, la réalisation immédiate des apports en nature ayant fait l'objet des traités d'apports précités du 8 décembre 2014. Enfin, elle rappelait dans ce communiqué « à tous les autres actionnaires et porteurs d'obligations convertibles en actions O2i qu'ils ont la possibilité de signer avec elle des traités individuels d'apport en nature, et ce conformément aux intentions affichées depuis le mois de novembre 2014 » (annexe 3-12 au rapport d'enquête).
7.Le 10 avril 2015, la société Prologue a publié sur son site internet un encart rappelant la possibilité pour les actionnaires d'O2i « d'apporter leurs titres O2i à Prologue et de se voir attribuer des actions Prologue nouvelles à raison de 3 actions Prologue pour 2 titres O2i » et précisant « à toutes fins utiles que Prologue se réserve la faculté, le cas échéant, de ne pas donner suite à ces sollicitations, notamment si les participations dont l'apport lui est proposé sont de petite taille ».
8.Entre le 8 avril et le 25 septembre 2015, la société Prologue a signé dix-huit traités d'apport correspondant au total à environ 3,5 millions de titres O2i.
9.Le rapport d'enquête indique qu'au 25 septembre 2015 la société Prologue a déclaré à la société O2i détenir 45,95 % du capital social de cette dernière (cote R002).
Les recommandations d'investissement publiées au cours de la période 2014-2015
10.La société Le Quotidien de Paris Editions (ci-après, la « société QPE ») est une société anonyme spécialisée dans l'édition de périodiques économiques et la diffusion de conseils en bourse sous forme d'enregistrements audio, appelés également « audiotels ».
11.Dans les mentions légales de ses sites internet « bourse.fr » et « quotidiendeparis.fr » figurait, entre 2014 et 2015, un avertissement relatif à ses liens capitalistiques avec la société Prologue.
12.Au cours de ces mêmes années, la société QPE a entretenu avec la société Prologue des liens commerciaux, lui facturant, entre février 2014 et octobre 2015, la somme de 1 080 204 euros pour des abonnements au périodique « La lettre La Bourse » à destination des employés et prospects de la société Prologue, ainsi que pour l'impression et la diffusion de « lettres aux actionnaires » élaborées par la société Prologue (encartage dans l'« Hebdo Bourse Plus » et « La lettre La Bourse » et expédition au fichier d'actionnaires et détenteurs de BSAAR).
13.Sur la même période, dans deux audiotels et quatre articles de ses périodiques «La lettre La Bourse » et l'« Hebdo Bourse Plus » diffusés ou publiés entre septembre 2014 et juillet 2015, la société QPE a conseillé l'acquisition de titres Prologue ou l'exercice de BSAAR Prologue.
14.À l'époque des faits, M. [Y] exerçait les fonctions de président du conseil d'administration de la société QPE et de directeur de la publication. Il était également président de l'Association pour la représentation des actionnaires révoltés (ci-après l'« ARARE »), association ayant pour mission de défendre les intérêts de ses adhérents et de les représenter, notamment lors des assemblées générales des sociétés cotées dont ils sont actionnaires.
Les conditions dans lesquelles s'est déroulée l'assemblée générale des actionnaires de la société Prologue du 20 juin 2015
15.Lors de l'assemblée générale des actionnaires de la société Prologue du 20 juin 2015 et en vertu de procurations établies sur la base d'un modèle préalablement diffusé par l'ARARE, M. [Y] a représenté 456 actionnaires de la société Prologue détenant un total de 4 282 807 droits de vote, soit environ 15,29 % du total des droits de vote.
16.M. [Y] a également figuré, en son nom propre, sur les feuilles de présence de cette assemblée générale pour 7 500 droits de vote de la société Prologue.
La procédure en cause
17.Le secrétaire général de l'AMF a, le 19 novembre 2015, décidé l'ouverture d'une enquête portant sur l'information financière et le marché des titres Prologue et O2i à compter du 1er janvier 2015. Celle-ci a été étendue, le 21 janvier 2016, à l'information financière et au marché des titres Prologue et O2i, ainsi qu'à tout instrument financier qui leur serait lié, à compter du 30 juin 2014.
18.Le 13 décembre 2017, la direction des enquêtes et des contrôles de l'AMF a adressé aux sociétés Prologue et QPE, ainsi qu'à M. [Y], des lettres les informant de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés.
19.L'enquête a donné lieu à un rapport daté du 13 septembre 2018.
20.Le collège de l'AMF, réuni en formation plénière, a décidé, le 18 septembre 2018, de notifier des griefs aux sociétés Prologue et QPE, ainsi qu'à M. [Y].
21.Il a été reproché :
– à la société Prologue :
• d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L.433-1 du code monétaire et financier et 231-13, 231-21, 231-23 et 231-32 du RGAMF, porté atteinte aux règles de fonctionnement des offres publiques en mettant en œuvre une offre publique dans des conditions de transaction identiques à celles contenues dans le projet d'offre soumis au visa de l'AMF, alors que l'offre ne pouvait être ouverte à défaut d'avoir obtenu une déclaration de conformité ;
• d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L.433-1 du code monétaire et financier et 231-3 du RGAMF, porté atteinte aux principes généraux des offres publiques d'acquisition en sollicitant publiquement, à compter du 2 avril 2015, les actionnaires d'O2i afin de réaliser une offre dans des conditions de transaction pour lesquelles l'AMF avait, le même jour, rendu une décision de non-conformité et en ne prévoyant pas de limite de temps à cette offre qui a proposé au public un prix fixe liant les cours de Prologue et d'O2i sur une période d'environ six mois, s'étant ainsi sciemment affranchie du cadre réglementaire destiné à garantir les principes d'intégrité du marché et de loyauté des transactions, ainsi qu'en proposant publiquement, à compter du 10 avril 2015, des conditions d'offre permettant de faire une discrimination entre les actionnaires d'O2i, portant ainsi atteinte au principe d'égalité de traitement entre ces actionnaires ;
• d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L.412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du RGAMF, procédé à l'admission sur Euronext de ses titres, sans avoir préalablement établi un projet de prospectus et l'avoir soumis au visa de l'AMF au plus tard le 25 septembre 2015 ;
– à la société QPE :
• d'avoir, en méconnaissance des dispositions de l'article 329-5 du RGAMF, émis entre septembre 2014 et juillet 2015 des recommandations d'investissement portant sur l'acquisition d'actions Prologue ou l'exercice de BSAAR Prologue, sans stipuler l'existence des liens commerciaux qu'elle entretenait alors avec cette société, alors même que ceux-ci pouvaient constituer des conflits d'intérêts significatifs ;
– à M. [Y] :
• d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L.233-7 et L.233-9 du code de commerce et 233-11 du règlement général de l'AMF, manqué à son obligation de déclaration de franchissement à la hausse des seuils de participation correspondant à 5 %, 10 % et 15 % du total des droits de vote Prologue, à l'occasion de l'assemblée générale des actionnaires de Prologue du 20 juin 2015.
22.Le rapporteur a déposé son rapport le 24 octobre 2019.
23.Par décision no 20 du 31 décembre 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission des sanctions a :
– mis M. [Y] hors de cause ;
– prononcé une sanction pécuniaire de :
• 150 000 euros à l'encontre de la société Prologue ;
• 100 000 euros à l'encontre de la société QPE ;
– ordonné la publication de la présente décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers et fixé à cinq ans à compter de la date de la présente décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.
24.La Commission des sanctions a considéré que les deux premiers griefs notifiés à la société Prologue (tirés de l'atteinte aux règles de fonctionnement des offres publiques par la violation des dispositions des articles L.433-1 du code monétaire et financier et 231-32 du RGAMF et de l'atteinte aux principes généraux des offres publiques d'acquisition par la violation des dispositions des articles L.433-1 du code monétaire et financier et 231-3 du RGAMF) n'étaient pas établis et ne l'a ainsi sanctionnée qu'au titre du troisième grief précité.
25.Cette décision a fait l'objet de trois recours, qui ont été joints par la Cour.
26.Par son recours principal, le président de l'AMF demande à la Cour de :
– réformer la décision attaquée, en ce qu'elle a considéré non caractérisés les deux premiers griefs notifiés à la société Prologue ;
– juger que la société Prologue a méconnu les dispositions des articles L.433-1 du code monétaire et financier et 231-3, 231-13, 231-21, 231-23 et 231-32 du RGAMF et porté atteinte aux règles et principes précités ;
– en conséquence, porter le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société Prologue à 750 000 euros ;
– réformer la décision attaquée, en ce qu'elle a considéré non caractérisé le grief notifié à M. [Y] de non déclaration de franchissement de seuils prévu aux articles L.233-7 et L.233-9 8o du code de commerce ;
– juger que M. [Y] a méconnu ces dispositions ;
– en conséquence, prononcer, à l'encontre de M. [Y], une sanction d'un montant de 30 000 euros ;
– réformer la décision attaquée, en portant le montant de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société QPE à 700 000 euros ;
27.M. [Y] demande à la Cour de confirmer la décision attaquée et de condamner le président de l'AMF à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
28.Par son recours incident et aux termes de ses écritures récapitulatives, la société Prologue demande à la Cour de :
– déclarer recevable son recours incident contre la décision attaquée ;
– confirmer que le seuil de 10 % visé par l'article 12 de l'instruction d'application de l'article 212-5 du RGAMF ne se calcule pas sur une période de 12 mois, mais à chaque fois qu'intervient une émission/admission de titres rémunérant un apport d'actifs ;
– constater l'absence de base légale de la décision attaquée, en ce qu'elle a déclaré irrecevable sa demande relative au remboursement de ses frais de défense par l'AMF ;
– annuler la décision attaquée en ce qu'elle a décidé que le grief tiré de la violation des dispositions des articles L.412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du RGAMF était établi et prononcé à ce titre, à son encontre, une sanction pécuniaire de 150 000 euros ;
– confirmer la décision attaquée en ce qu'elle l'a mise hors de cause à raison des griefs tirés de la violation des règles de fonctionnement et des grands principes applicables aux offres publiques d'acquisition ;
– juger que l'équité commande de condamner l'AMF à lui rembourser l'intégralité des frais de défense engagés devant la Commission des sanctions, soit 36 000 euros ;
– condamner l'AMF à verser à la société Prologue, à titre de dommages-intérêts, la somme de 750 000 euros en réparation du préjudice moral et d'image qu'elle a subi du fait de certains actes préparatoires de la décision attaquée ;
En toutes hypothèses,
– condamner le président de l'AMF à lui verser la somme de 15 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
29.La société Prologue déplore, dans les développements de ses conclusions, l'absence d'observations écrites de l'AMF venant au soutien de la décision attaquée, constatant qu'elle aurait pu bénéficier ainsi « pour la défense de ses intérêts du principe de l'égalité des armes », et considère « qu'il est dommage que cette possibilité n'ait pas été mise en œuvre, car de telles observations écrites auraient été les bienvenues pour expliquer (...) les raisons pour lesquelles l'organe de jugement de l'AMF a décidé de mettre hors de cause la société Prologue ».Toutefois, elle n'en tire aucune conséquence juridique, de sorte que la Cour n'est saisie d'aucune prétention à cet égard.
30.Par son recours principal la société QPE demande à la Cour :
– in limine litis,
•annuler la décision attaquée en ce qu'elle lui a imputé un manquement fondé sur la violation des dispositions de l'article 329-5 du RGAMF, qui sont illégales, et lui a infligé une sanction pécuniaire et en conséquence, la mettre hors de cause ;
– au fond,
•annuler la décision attaquée en ce qu'elle lui a imputé la violation des dispositions de l'article 329-5 du RGAMF et lui a infligé une sanction pécuniaire, et par voie de conséquence la mettre hors de cause, en invoquant d'autres moyens ;
•à titre infiniment subsidiaire, réformer la décision attaquée en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 100 000 euros manifestement disproportionnée ;
•prononcer à son encontre une sanction pécuniaire symbolique ;
– En tout état de cause :
• condamner l'AMF à lui payer la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
31.L'AMF invite la Cour à rejeter les recours entrepris par la société Prologue et par la société QPE, le premier lui apparaissant irrecevable, le second mal fondé.
32.À l'audience, la Cour a interrogé les parties sur la distinction éventuelle à faire entre, d'une part, la recevabilité de la déclaration de recours incident de la société Prologue et, d'autre part, la recevabilité de certaines demandes présentées par cette dernière dans ses conclusions récapitulatives, lorsque celles-ci sont présentées à titre reconventionnel, en défense au recours principal, et peuvent se rattacher par un lien suffisant à l'objet de ce dernier. Les parties ont indiqué leur position oralement à l'audience, retranscrite dans les développements qui suivent.
MOTIVATION
I. SUR LA RECEVABILITÉ DU RECOURS INCIDENT DE LA SOCIÉTÉ PROLOGUE ET DES DEMANDES FIGURANT DANS SES CONCLUSIONS RÉCAPITULATIVES, CONTESTÉE PAR L'AMF
33.L'AMF fait valoir que seul son président dispose de la faculté de former un recours incident, conformément aux articles R.621-46 et R.621-45 du code monétaire et financier, dans le délai prévu à l'article R.621-46 du même code.
34.Elle considère que si le IV de l'article R.621-46 précité fait référence aux « auteurs d'un recours incident », cette formulation désigne les personnes qui n'ont pas été sanctionnées )personnes mises hors de cause( et auxquelles l'article R.621-44 du même code ne s'applique pas, et n'ouvre pas la faculté aux personnes mises en cause d'exercer un recours au-delà du délai de deux mois qui leur est ouvert, en réaction au recours principal du président de l'AMF.
35.En réponse à l'interrogation de la Cour, le président de l'AMF exclut toute possibilité de demande reconventionnelle à l'occasion des recours formés contre les décisions de la Commission des sanctions, rappelant qu'en application de l'article R.621-45 du code monétaire et financier ils sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de l'article R.621-46 de ce code et qu'il n'est pas fait application des dispositions du code de procédure civile.
36.La société Prologue estime qu'ayant pris connaissance le 9 mars 2020 du recours principal formé par le président de l'AMF, son recours incident est recevable. Elle relève que la Cour a déjà accepté de recevoir de tels recours ) CA Paris, Pôle 5 – chambre 7, 29 juin 2017, no17/02898(.
37.Elle ajoute que la jurisprudence judiciaire qui a estimé que « la cour d'appel doit statuer non seulement à l'égard des griefs qui lui sont soumis par le recours principal mais aussi à l'égard de ceux qui lui sont soumis par le Président de l'AMF dans le cadre de l'appel incident, peu important qu'il s'agisse de griefs sanctionnés ou non en première instance » )CA Paris, 12 mai 2016, RG no 2014/26120( doit être transposée dans l'hypothèse inverse sauf à consacrer un défaut de symétrie entre les parties qui serait immanquablement sanctionné par la Cour européenne des droits de l'Homme )CEDH, 29 novembre 2005, req.63879/00 [S] c. France(. Elle se prévaut également d'une décision du Conseil d'État )CE 17 février 2014, no 369198( qui a reconnu à la personne sanctionnée la possibilité de présenter des conclusions reconventionnelles tendant à l'annulation ou à la réformation de la sanction prononcée et considère que le Conseil d'État a ainsi déjà tranché la question en débat.
38.Elle en déduit que la fin de non-recevoir qui lui est opposée doit être rejetée.
Sur ce, la Cour,
39.À titre liminaire, il convient de rappeler, comme l'énonce avec constance la Cour européenne des droits de l'Homme, que le droit d'accès au juge, qui découle de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales )ci-après la « CSDH »), « n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'État » (arrêt du 26 juillet 2007, [J] c. France, req. no 35787/03, arrêt du 15 février 2000, [O] [C] c. Espagne, req. no 38695/97, § 36 et [H] et arrêt du 12 novembre 2002 [H] c. République tchèque, req. no 46129/99, § 47).
40.Il est tout aussi constant que les exigences d'un procès équitable induisent une « égalité des armes, laquelle implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (arrêts des 18 mars 1997, no 22209/93, [V] c. France, § 34, 2 mai 2005, no 46221/99, [O] c. Turquie, § 140 ; 26 janvier 2017, no 60802/09, [T] c. Azerbaïdjan, § 19).
41.Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour européenne que le respect du principe de l'égalité des armes s'apprécie en tenant compte de la nature de l'action engagée et de la situation d'ensemble des parties, selon une approche in concreto (en ce sens notamment l'arrêt [S] c/ France invoqué par la société Prologue), méthodologie qui sera suivie par la Cour.
42.S'agissant du cadre général, il convient de rappeler qu'aux termes de l'article L.621-30 du code monétaire et financier « [l]es décisions prononcées par la Commission des sanctions peuvent faire l'objet d'un recours par les personnes sanctionnées et par le président de l'Autorité des marchés financiers, après accord du collège. En cas de recours d'une personne sanctionnée, le président de l'autorité peut, dans les mêmes conditions, former un recours ».
43.En application de l'article R.621-44 de ce code, qui régit la procédure en cause, « [l]e délai de recours contre les décisions individuelles prises par l'Autorité des marchés financiers est de dix jours, sauf en matière de sanctions, où il est de deux mois. Le délai court, pour les personnes qui font l'objet de la décision, à compter de sa notification et, pour les autres personnes intéressées, à compter de sa publication ».
44.Il se déduit de ces textes que les « personnes sanctionnées » disposent d'une voie de recours, principale, dont l'exercice est strictement encadré par l'article R.621-44 du code monétaire et financier, qui n'est pas en lui-même contraire aux exigences de la CSDH.
45.En l'espèce, il n'est pas contesté que la décision attaquée a été publiée le 6 janvier 2020 sur le site internet de l'AMF et notifiée aux parties et au président de l'AMF le 7 janvier 2020. La société Prologue, qui a été sanctionnée par cette décision, disposait, comme le président de l'AMF — qui a formé son recours le 3 mars 2020 — d'un délai de deux mois pour exercer le recours ouvert par l'article R.621-44 précité, lequel expirait le lundi 9 mars 2020.
46.Les conditions dans lesquelles la société Prologue et le président de l'AMF ont été mis en mesure d'exercer un recours principal contre la décision de la Commission des sanctions sont ainsi strictement identiques et ne révèlent aucune asymétrie. Le recours de la société Prologue, formé le 13 mars 2020, est donc tardif sur le fondement du texte précité.
47.S'agissant de l'exercice d'un recours « incident », et dans le cadre de l'analyse in abstracto invoquée par la société Prologue — cette faculté n'ayant pas été exercée en l'espèce par le président de l'AMF — il est constant que le législateur a ouvert au président de l'AMF, à l'article L.620-30 du code monétaire et financier, la faculté d'exercer un recours incident sur le recours principal d'une personne sanctionnée, selon les modalités prévues aux articles R.621-45 et suivants du même code, sans envisager de réciprocité au bénéfice de la personne sanctionnée lorsque le président de l'AMF a exercé un recours principal.
48.Ce constat n'est pas remis en cause par les dispositions de nature réglementaire de l'article R.621-46 V du code précité, aux termes duquel « [l]e premier président de la cour d'appel ou son délégué fixe les délais dans lesquels les auteurs du recours principal, le cas échéant les auteurs d'un recours incident, puis l'Autorité des marchés financiers et les autres personnes à qui les recours ont été notifiés doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour d'appel, ainsi que la date des débats » (soulignement ajouté par la Cour). En effet, ce texte régit la procédure applicable aux recours formés contre toutes les décisions individuelles de l'AMF et non uniquement contre les décisions de sanction. Il n'a ni pour objet, ni pour effet, de consacrer l'existence d'un recours incident au bénéfice de la personne sanctionnée contre les décisions de la Commission des sanctions.
49.Par ailleurs, contrairement à ce qu'indique la société Prologue, par son arrêt du 29 juin 2017 (CA Paris, RG no 17/02898) la Cour n'a pas admis l'existence d'une telle voie de recours, cette question n'ayant pas été discutée devant elle dans l'affaire en cause et l'arrêt s'étant borné à ordonner un sursis à statuer.
50.En l'espèce, l'irrecevabilité du « recours incident » de la société Prologue déposé le 13 mars 2020 qui induit l'irrecevabilité des demandes d'annulation de la décision attaquée qu'il soutient et qui excèdent l'objet du recours principal de l'AMF — concernant le grief fondé sur les articles L.412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du RGAMF sanctionné à hauteur de 150 000 euros — ne saurait caractériser une rupture d'égalité des armes, au seul motif que, sur un plan théorique, lorsque le président de l'AMF exerce un recours incident, celui-ci peut porter sur l'entière décision, sans être limité aux chefs de dispositifs attaqués par un recours principal. Comme il a été rappelé en propos liminaires, l'atteinte au principe d'égalité des armes doit en effet s'apprécier in concreto.
51.Or, il doit être observé que les pièces du dossier établissent que la société Prologue a accusé réception de la notification du recours du président de l'AMF le jeudi 5 mars 2020, alors que son propre délai expirait le lundi 9 mars 2020. Le recours principal exercé par le président de l'AMF le 3 mars 2020 — portant sur les seules dispositions relatives aux griefs non retenus par la Commission des sanctions et leur sanction — ne faisait donc pas, concrètement, obstacle au dépôt d'une déclaration de recours de la société Prologue dans les délais qui lui étaient impartis pour contester le bien fondé des griefs retenus contre elle par la Commission des sanctions. Le fait qu'elle n'ait pris « connaissance » du recours que le lundi 9 mars 2020, qui lui est imputable, est à cet égard indifférent.
52.Pour l'ensemble de ces motifs, le recours incident formé par la société Prologue aux fins d'annulation partielle de la décision du 31 décembre 2019 doit être déclaré irrecevable, aucune rupture d'égalité des armes n'étant caractérisée en l'espèce.
53.S'agissant des autres demandes de la société Prologue, reprises dans ses conclusions récapitulatives, la Cour relève que si aucune disposition n'ouvre de recours incident au bénéfice d'une personne sanctionnée, l'article L.621-30 du code monétaire et financier n'a ni pour objet ni pour effet de la priver, en cas de recours du président de l'AMF, de la possibilité de présenter, à titre reconventionnel, des moyens tendant à l'annulation ou à la réformation de la décision l'ayant sanctionnée, dans la limite de l'objet du recours exercé ou s'y rattachant par un lien suffisant.
54.Conformément à l'article 70 du code de procédure civile, dont l'application n'est pas écartée par l'article R.621-45 II du code monétaire et financier, et dans la limite de ce qui ne se révèle pas contraire aux dispositions particulières régissant les délais applicables à la procédure en cause, les demandes reconventionnelles sont recevables dès lors qu'elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
55.Il doit être relevé, en l'espèce, que la demande indemnitaire de la société Prologue est fondée sur le caractère prétendument fautif de la proposition de sanction présentée par le représentant du collège de l'AMF lors de la séance tenue devant la Commission des sanctions. Or, cette prérogative, organisée par l'article R.621-40 II du code monétaire et financier et qui s'exerce à l'occasion de séances publiques prévues par l'article L.621-15 V bis du même code, n'est pas un « acte préparatoire » à la décision de la Commission des sanctions et a fortiori aux dispositions attaquées par le président de l'AMF. En effet, à la différence de la notification de griefs notamment, elle ne sert pas de cadre à la Commission des sanctions qui prend sa décision en demeurant totalement libre de s'écarter de la proposition du représentant du collège concernant le montant de la sanction qu'il préconise. C'est d'ailleurs la situation de l'espèce.
56.En outre et surtout, le préjudice moral et d'image invoqué par la société Prologue et l'impact sur le cours de son titre ne sont pas davantage une conséquence dommageable de la décision attaquée par le président de l'AMF, mais résultent de la circonstance que la presse spécialisée, présente dans le cadre d'une séance qui est publique par application de l'article L.621-15 V bis du code monétaire et financier, a informé ses lecteurs du déroulement de la procédure en cours.
57.Par suite, une telle demande n'est pas recevable dans le cadre du présent recours, faute de se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.
II. SUR LE RECOURS DE LA SOCIÉTÉ QPE
58.La Commission des sanctions a retenu, dans la décision attaquée, qu'en s'abstenant de mentionner l'existence des liens commerciaux qui l'unissaient à la société Prologue à l'époque des diffusions sur ses sites Internet ou dans ses périodiques, entre septembre 2014 et juillet 2015, de recommandations d'investissement relatives à l'exercice des BSAAR émis par la société Prologue et à l'acquisition d'actions Prologue, alors que ces relations étaient susceptibles de constituer un conflit d'intérêts significatif, la société QPE avait manqué aux dispositions de l'article 329-5 du RGAMF.
59.Dans sa version en vigueur du 31 décembre 2007 au 17 décembre 2016, l'article 329-5 du RGAMF prévoyait que :
« Les journalistes et l'éditeur de publications de presse, l'éditeur de services de radio ou de télévision, l'éditeur de services de communication au public en ligne ou l'agence de presse, mentionnés à l'article 329-1, portent à la connaissance des lecteurs, des auditeurs ou des téléspectateurs dans les conditions définies par le directeur de la publication ou, à défaut, le représentant légal de l'entreprise et dans un délai compatible avec le rythme rédactionnel, leurs intérêts significatifs dans un ou plusieurs instruments financiers faisant l'objet de la recommandation d'investissement ou les conflits d'intérêts significatifs avec un émetteur auquel se rapporte cette recommandation, qui sont accessibles ou peuvent être raisonnablement considérés comme accessibles aux personnes participant à son élaboration.
Doit notamment être porté à la connaissance du public le fait pour l'éditeur de publications de presse, l'éditeur de services de radio ou de télévision, l'éditeur de services de communication au public en ligne ou l'agence de presse :
1° De détenir des intérêts financiers significatifs dans les instruments financiers faisant l'objet d'une recommandation d'investissement ou les instruments financiers qui leur sont liés ;
2° D'appartenir au même périmètre de consolidation, au sens de la septième directive du Conseil 83/349/CEE du 13 juin 1983 ou de normes comptables internationalement reconnues, qu'un émetteur dont les instruments financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé ;
3° D'être contrôlé directement ou indirectement, au sens de l'article L.233-3 du code de commerce, par une personne physique qui contrôle directement ou indirectement ledit émetteur.
Toutefois, sont exclus de ces obligations de publication les pactes d'actionnaires qu'une disposition législative ou réglementaire n'imposerait pas de rendre publics.
La recommandation d'investissement elle-même doit comporter les mentions prévues au présent article. Toutefois, lorsque ces exigences sont disproportionnées par rapport à la longueur de la recommandation d'investissement diffusée, il convient de mentionner les informations requises directement dans le corps même de la publication (l'article, l'encadré comportant les mentions légales ou un encadré spécifique) ou de fournir à la même place l'adresse d'un site internet approprié.
Pour les recommandations d'investissement non écrites, les obligations prévues au présent article peuvent être remplies par une référence aux modalités d'accès direct à ces informations sur un support de diffusion publique aisément consultable, en particulier un site internet. ».
60.Pour caractériser ce manquement, la Commission des sanctions a retenu que l'objectif d'information transparente et loyale des investisseurs, poursuivi par ces dispositions, nécessite que cette information soit complète et exhaustive, de sorte que la conjonction « ou » employée dans ces dispositions a un sens inclusif (§109 de la décision attaquée). Elle en a déduit que le dispositif implique que soient portés à leur connaissance cumulativement les intérêts significatifs que l'auteur d'une recommandation d'investissement aurait dans un ou plusieurs instruments financiers faisant l'objet de cette recommandation et les conflits d'intérêts significatifs avec un émetteur auquel se rapporte cette recommandation.
A. Sur l'exception « d'illégalité »
61.La société QPE, qui indique avoir mentionné dans un audiotel du 30 septembre 2014, ainsi que dans les mentions légales des sites internet « bourse.fr » et « quotidiendeparis.fr » sur lesquels elle diffusait ses recommandations à l'époque des faits, un avertissement relatif à ses liens capitalistiques avec la société Prologue, soulève l'illégalité des dispositions de l'article 329-5 du RGAMF, au motif qu'elles méconnaissent les exigences de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité des textes normatifs, reconnues par le Conseil constitutionnel et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme au visa de l'article 7 de la CSDH.
62.Elle soutient en premier lieu que :
– soit le sens de la conjonction « ou » dans le passage litigieux de l'article 329-5 du RGAMF est clair, et il est alors nécessairement alternatif, de sorte qu'elle n'a commis aucun manquement ;
– soit le sens de cette conjonction peut être interprété comme un « et », de sorte que dans un tel cas la lettre de ce texte ne respecte pas les principes susvisés.
63.Elle ajoute que le dictionnaire [F] n'indique pas que la conjonction « ou » pourrait avoir un sens cumulatif et considère que retenir un sens inclusif conduirait également à admettre que pour se conformer aux dispositions de cet article, elle pouvait signaler ses intérêts significatifs ou signaler ses liens commerciaux. Elle estime que l'interprétation de la Commission des sanctions étend en tout état de cause les obligations qui découlent du texte.
64.Elle signale enfin qu'en prévoyant désormais que « Les personnes qui produisent des recommandations mentionnent dans leurs recommandations toutes les relations et circonstances dont on peut raisonnablement penser qu'elles sont de nature à porter atteinte à l'objectivité de la recommandation, y compris les intérêts ou les conflits d'intérêts », l'article 5 du règlement 2016/958 du 17 juin 2016 est parfaitement clair — il s'agit de signaler toutes les relations et circonstances et pas seulement l'une ou l'autre — et manifeste la prise de conscience des lacunes préexistantes.
65.Elle estime, en deuxième lieu, que l'adjectif « significatif » dans l'emploi des expressions « intérêts significatifs » et « conflits d'intérêts significatifs » est trop ambigu et imprécis pour être créateur d'obligations juridiques. Elle observe également que ce terme n'est plus utilisé par le règlement précité qui l'a remplacé par la formule « dont on peut raisonnablement penser qu'elles sont de nature à porter atteinte à l'objectivité de la recommandation ».
66.Elle ajoute que la notion de conflit d'intérêts recouvre en elle-même la notion d'intérêts significatifs et considère, en outre, que l'article 329-5 du RGAMF ne précisait pas que le journaliste ou l'éditeur doit déclarer tous les conflits d'intérêts. Elle estime qu'en déclarant des intérêts significatifs dans la société Prologue, la société QPE a, en réalité, déclaré le conflit d'intérêts le plus significatif qui soit.
67.Elle en déduit que la Cour constatera l'illégalité des dispositions de l'article 329-5 du RGAMF dans sa version applicable aux faits reprochés et la mettra nécessairement hors de cause.
68.L'AMF fait tout d'abord valoir en réponse que le sens inclusif de la conjonction « ou » est habituel tant dans les textes européens que français. Elle rappelle à cet égard le paragraphe 5 de l'article 6 de la directive MAD, l'article 20 du règlement MAR et le règlement délégué MAR 2016/958 sur les recommandations d'investissement qui utilisent des « ou » inclusifs. Elle estime qu'en tout état de cause l'interprétation à donner au texte doit être celle qui lui permet d'avoir un sens logique, conforme au but et à la finalité de la réglementation. Elle observe que l'article 5 de la directive 2003/125 est intitulé « norme générale concernant la mention des intérêts et des conflits d'intérêts », énonçant clairement la finalité de l'article et l'idée que la conjonction utilisée est une disjonction inclusive et non pas exclusive.
69.Elle estime ensuite que les assertions relatives à l'adjectif « significatif » ne démontrent pas en quoi la réglementation serait imprécise, ambigue ou trompeuse. Elle en déduit que le moyen ne peut être que rejeté.
Sur ce, la Cour,
70.L'article 329-5 du RGAMF, dont les termes sont reproduits au paragraphe 59 du présent arrêt, emploie la conjonction « ou » qui traduit, dans son contexte, l'idée d'une équivalence :
– tant dans la désignation des débiteurs de l'obligation de déclaration : « Les journalistes et l'éditeur de publications de presse, l'éditeur de services de radio ou de télévision, l'éditeur de services de communication au public en ligne ou l'agence de presse (...) » ;
– que dans son objet « […] portent à la connaissance [du public] leurs intérêts significatifs dans un ou plusieurs instruments financiers faisant l'objet de la recommandation d'investissement ou les conflits d'intérêts significatifs avec un émetteur auquel se rapporte cette recommandation ».
71.Le texte ayant vocation à assurer la protection des investisseurs au moyen d'une information transparente et loyale, laquelle repose nécessairement sur une information complète, l'obligation de déclaration de l'article 329-5 précité ne peut être parcellaire. C'est donc à tort que la société QPE soutient que l'obligation serait satisfaite dès lors que l'une au moins des situations envisagées a été portée à la connaissance du public. En effet, le texte ne prévoit pas la possibilité pour le débiteur de l'obligation de sélectionner, parmi les intérêts significatifs qu'il détient dans un instrument financier faisant l'objet de recommandations d'investissement et les conflits d'intérêts significatifs avec l'émetteur auquel ses recommandations se rapportent, ceux qu'il portera à la connaissance du public. À cet égard, il importe peu que le texte n'indique pas explicitement que le débiteur de l'obligation doit déclarer « tous » les intérêts ou conflits d'intérêts significatifs, dès lors qu'il ne prévoit pas que celui-ci porte à la connaissance du public « certains » intérêts ou conflits d'intérêts significatifs selon son libre choix, mais met à sa charge une obligation de portée générale.
72.La Cour ajoute que le simple fait que la société QPE propose d'interpréter les dispositions de l'article 329-5 du RGAMF de manière différente n'est pas, en lui-même, de nature à établir que cet article ne remplit pas les exigences de clarté, de précision et d'intelligibilité invoquées. La société QPE a d'ailleurs parfaitement compris l'objectif du texte, en indiquant dans ses écritures que « [c]ette disposition visait à réglementer la diffusion de recommandations d'investissement pour assurer la protection des investisseurs en les mettant en mesure de connaître d'éventuels liens existant entre celui qui émet la recommandation et l'émetteur auquel elle se rapporte et en leur garantissant ainsi une information transparente et loyale pour prendre une décision d'investissement éclairée ». Elle ne peut davantage ignorer, compte tenu de cet objectif et des définitions usuelles du dictionnaire, que la conjonction « ou » remplit ici sa fonction en marquant une « équivalence », chacune des hypothèses étant concernée par l'obligation de déclaration pour une information totalement transparente et loyale.
73.Il convient également de relever que l'article 329-5 du RGAMF a été modifié à la suite de la directive MAD et de la directive no 2003/125/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d'application de celle-ci en ce qui concerne la présentation équitable des recommandations d'investissement et la mention des conflits d'intérêts, laquelle prévoit en son article 5, intitulé « Norme générale concernant la mention des intérêts et des conflits d'intérêts » :
« 1. Les États membres s'assurent qu'il existe une réglementation appropriée pour garantir que les personnes concernées mentionnent toutes les relations et circonstances dont on peut raisonnablement penser qu'elles sont de nature à porter atteinte à l'objectivité de la recommandation, en particulier lorsque les personnes concernées ont un intérêt financier significatif dans un ou plusieurs des instruments financiers faisant l'objet de la recommandation ou un conflit d'intérêts significatif avec un émetteur auquel se rapporte la recommandation » (soulignement ajouté par la Cour).
74.Ces dispositions confirment l'analyse qui précède selon laquelle l'objectif de protection des investisseurs nécessite une information complète.
75.Il s'ensuit qu'en application des dispositions claires et précises de l'article 329-5 du RGAMF, il incombe à toutes les personnes désignées de déclarer, en l'absence de limitation de la portée de cette obligation, les « intérêts significatifs dans un ou plusieurs instruments financiers faisant l'objet de la recommandation d'investissement » aussi bien que les « conflits d'intérêts significatifs avec un émetteur auquel se rapporte cette recommandation », sans en omettre.
76.Le terme significatif, qui s'oppose usuellement à ce qui est négligeable et désigne ce qui est « lourd de sens et révélateur » (extrait du dictionnaire [F]), renvoie ainsi à une notion dépourvue d'ambiguïté. Il s'ensuit que le risque d'arbitraire allégué ne peut être utilement invoqué.
77.Enfin, la circonstance que la détention d'intérêts significatifs puisse également caractériser une ou plusieurs situations de conflit d'intérêts ne confère pas à ces dispositions un caractère trompeur, dès lors le texte en cause qui met, sans ambiguïté, à la charge de celui qui procède aux recommandations l'obligation de porter à la connaissance du public les faits qui peuvent être à l'origine de telles situations, afin de garantir une information transparente et loyale pour prendre une décision d'investissement éclairée.
78.Le moyen est en conséquence rejeté.
B. Sur la caractérisation du manquement
79.La société QPE soutient, en premier lieu, qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article 329-5 du RGAMF. Elle observe ainsi que sur la période concernée :
– elle ne détenait (directement et par l'intermédiaire de son actionnaire quasi-unique la société NMA) que 7 000 actions Prologue soit environ 0,2 % de son capital qui était composé de près de 30 millions d'actions, titres insusceptibles d'être qualifiés d'« intérêts significatifs » ;
– les liens commerciaux qui l'unissaient à la société Prologue n'étaient pas susceptibles de constituer un « conflit d'intérêts significatif » dès lors qu'entre le 14 février 2014 et le 30 octobre 2015, elle a adressé huit factures à la société Prologue, d'un montant total d'environ un million d'euros (sept relatives à des prestations d'impression, la huitième d'un montant de 760 000 euros correspondant à des abonnements pour 3 ans qui ne pouvait être intégralement rattachée à l'exercice 2014) mais que le chiffre d'affaires réalisé au titre des prestations facturées correspond en réalité à 6 % de son chiffre d'affaires total pour 2014 et 11 % de son chiffre d'affaires total pour 2015.
80.À titre subsidiaire, elle fait valoir qu'elle a respecté les obligations posées par l'article 329-5 du RGAMF en déclarant à son public « des intérêts significatifs » dans la société Prologue et qu'en raisonnant comme elle l'a fait, la Commission des sanctions a violé le principe d'interprétation strict des textes répressifs.
81.Elle ajoute que par attestations versées aux débats (pièce no 11) de nombreux lecteurs et auditeurs de la société QPE expliquent avoir été parfaitement informés des liens qui l'unissaient à la société Prologue et avoir investi en sachant qu'elle avait un intérêt à présenter la société Prologue en des termes positifs. Elle considère que la transparence sur ses liens avec la société Prologue ressort également de la diffusion des lettres aux actionnaires par voie d'encartage dans l'Hebdo Bourse Plus et la lettre La Bourse (Pièces no 6 à no 10) qui démontrent qu'il n'y avait aucune intention de dissimulation.
82.Elle conclut à sa mise hors de cause.
83.L'AMF rappelle que la société QPE a entretenu des relations commerciales avec la société Prologue, générant entre février 2014 et octobre 2015 plus d'1 million d'euros de facturation, représentant 41 % de son chiffre d'affaires sur cet exercice. À cet égard, elle relève que la facture du 11 novembre 2014 de 760 000 euros a été réglée par chèque en une seule fois et qu'il importe peu qu'elle ait, au plan comptable, enregistré cette somme en chiffre d'affaires sur 3 ans, cette facture émise en novembre 2014 reflétant bien une relation commerciale significative avec l'émetteur.
84.Elle relève que si les mentions figurant sur le site « bourse.fr » et « quotidiendeparis.fr » indiquaient le fait que l'associé majoritaire de la société QPE est actionnaire de la société Prologue, elles ne faisaient pas état des liens commerciaux importants noués entre elles, alors même qu'ils pouvaient constituer des conflits d'intérêts significatifs. Elle en déduit, compte tenu du sens inclusif de la conjonction « ou », déjà évoqué, que la société QPE n'est pas fondée à soutenir qu'ayant porté à la connaissance de ses clients ses liens capitalistiques avec la société Prologue elle n'était pas tenue de mentionner ses intérêts significatifs commerciaux. Elle en déduit que le manquement est caractérisé.
Sur ce, la Cour,
85.Comme il a été dit au paragraphe 75 du présent arrêt, en l'absence de limitation de la portée de l'obligation prévue à l'article 329-5 précité, le débiteur de l'obligation doit déclarer les « intérêts significatifs dans un ou plusieurs instruments financiers faisant l'objet de la recommandation d'investissement » aussi bien que les « conflits d'intérêts significatifs avec un émetteur auquel se rapporte cette recommandation », dès lors qu'ils relèvent de situations distinctes.
86.En l'espèce, il n'est pas contesté qu'entre septembre 2014 et juillet 2015 la société QPE a diffusé dans ses audiotels et publications des recommandations concernant l'exercice des BSAAR émis par la société Prologue et l'acquisition d'actions de cette société.
87.La matérialité de ces recommandations, qui n'est pas contestée devant la Cour, a été rappelée aux paragraphes 104 et suivants de la décision attaquée auquel la Cour renvoie.
88.Il est tout aussi constant que la société QPE a inséré, dans les mentions légales des sites internet « bourse.fr » et « quotidiendeparis.fr » sur lesquels elle diffusait ses recommandations à l'époque des faits, la mention suivante : « Par l'intermédiaire de son associée majoritaire, la société [Personne physico-morale 1], qui est actionnaire de la société PROLOGUE, la société LE QUOTIDIEN DE PARIS ÉDITIONS peut être considérée comme détenant indirectement des "intérêts significatifs" au sens de l'article 329-5 du Règlement général de l'AMF ».
89.En déclarant des intérêts qu'elle a considérés comme significatifs dans la société Prologue, la société QPE a porté à la connaissance du public une situation qu'elle a analysée comme relevant du champ de l'article 329-5 du RGAMF. Il est toutefois établi que la société QPE entretenait également, en 2014/2015, des liens commerciaux avec cette société, tenant à la souscription d'abonnements à la « Lettre La Bourse » ainsi qu'à la diffusion de « lettres aux actionnaires de Prologue » par voie d'encartage dans les publications de la société QPE.
90.L'information transmise au public relative aux liens capitalistiques précités ne dispensant pas la société QPE d'indiquer tout conflit d'intérêts significatif distinct, résultant notamment des relations commerciales entretenues avec la société Prologue, c'est à juste titre que la Commission des sanctions a recherché si les liens commerciaux en cause entraient dans le champ de l'article 329-5 du RGAMF.
91.Il est constant que huit factures ont été émises entre le 14 février 2014 et le 30 octobre 2015, pour un montant de 1 080 203,60 euros. Il résulte des éléments de la procédure que ce chiffre équivaut à 41 % du chiffre d'affaires atteint par la société QPE au cours de l'exercice 2014 (annexe 7-18 du rapport d'enquête).
92.Il importe peu, pour apprécier le caractère significatif de ces liens commerciaux, que la huitième facture de 760 320 euros, intégralement réglée le 7 novembre 2014, porte sur un contrat à exécution successive (prestations prévues pour une durée de 3 ans portant sur des abonnements). En effet, par ce contrat de vente, ajouté aux autres prestations facturées la même année, la société QPE a bien perçu de la société Prologue, sur la période des recommandations, une somme importante — au regard du pourcentage du chiffre d'affaires 2014 auquel elle correspond — qui traduit des intérêts commerciaux significatifs à la date des recommandations. C'est donc à tort que la société QPE considère que ses liens commerciaux avec la société Prolocole n'entraient pas dans le champ d'application de l'article 329-5 du RGAMF.
93.La Cour ajoute, à titre surabondant, que, même ramené à 6 % de son chiffre d'affaires total pour 2014 et 11 % de son chiffre d'affaires total pour 2015, sur la base de l'échelonnement comptable des prestations concernées, ce courant d'affaires, en raison de sa constance, reste non négligeable et présente ainsi un caractère significatif, au sens du texte précité. Il devait donc être porté à la connaissance du public étant susceptible d'influer sur l'objectivité de la recommandation et l'existence possible d'un conflit d'intérêts significatif, au sens du texte précité.
94.Il convient de rappeler enfin, qu'aux termes de l'article 329-5 du RGAMF « [l]a recommandation d'investissement elle-même doit comporter les mentions prévues au présent article. Toutefois, lorsque ces exigences sont disproportionnées par rapport à la longueur de la recommandation d'investissement diffusée, il convient de mentionner les informations requises directement dans le corps même de la publication (l'article, l'encadré comportant les mentions légales ou un encadré spécifique) ou de fournir à la même place l'adresse d'un site internet approprié. Pour les recommandations d'investissement non écrites, les obligations prévues au présent article peuvent être remplies par une référence aux modalités d'accès direct à ces informations sur un support de diffusion publique aisément consultable, en particulier un site internet. ».
95.Il est établi en l'espèce par les éléments de la procédure que la société QPE n'a pas porté à la connaissance du public cette situation spécifique constitutive d'un conflit d'intérêts significatif — distinct de celui susceptible de résulter de ses liens capitalistiques — dans les recommandations écrites qu'elle a publiées, en particulier dans les numéros de la lettre La Bourse du 9 avril 2015 et du 2 juillet 2015 (annexe 7-15 du rapport d'enquête, dont des extraits sont repris dans le rapport du rapporteur en cote D1474)), et n'a pas davantage renvoyé, pour les recommandations non écrites, à un support de diffusion publique aisément consultable faisant état de ses liens commerciaux avec la société Prologue.
96.Il est donc vain d'invoquer les attestations recueillies auprès des abonnés de la société QPE (pièce no 11 de la société QPE), témoignant de ce qu'ils connaissaient de facto les liens unissant les sociétés QPE et Prologue, ainsi que le fait que les liens commerciaux étaient apparents et résultaient de la diffusion des « lettres aux actionnaires » par voie d'encartage dans l'Hebdo Bourse Plus et de La lettre La Bourse, dès lors que le texte précité impose un formalisme spécifique qui n'a pas été respecté.
97.Il est tout aussi inutile de se prévaloir du fait que la société QPE n'avait aucune intention de dissimulation, compte tenu du caractère objectif du manquement et du fait qu'elle n'a pas satisfait au formalisme précité.
98.C'est en conséquence à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que la société QPE avait manqué aux dispositions de l'article 329-5 du RGAMF.
99.Les moyens présentés aux fins d'annulation sont rejetés.
100.La sanction infligée au titre de ce manquement faisant l'objet d'un double recours, l'un en vue de sa réduction à la demande de la société QPE, l'autre en vue de son augmentation à la demande du président de l'AMF, l'appréciation de son montant sera examinée dans le cadre des développements qui suivent.
III. SUR LE RECOURS DU PRÉSIDENT DE L'AMF
A. Sur la sanction infligée à la société QPE
101.La Commission des sanctions, après avoir pris en compte la durée significative du manquement, son caractère répété, l'atteinte qu'il porte au principe essentiel de loyauté de l'information financière et les chiffres d'affaires de la société QPE réalisés en 2017 et 2018, a prononcé une sanction de 100 000 euros à son encontre.
102.La société QPE demande, à titre infiniment subsidiaire, de ramener la sanction prononcée à son encontre à un montant symbolique ou du moins plus raisonnable, compte tenu de ce que la Commission des sanctions a passé sous silence tous les éléments à décharge, et notamment :
– les éléments démontrant qu'elle a entendu donner une information loyale à son public pour se conformer aux dispositions de l'article 329-5 du RGAMF (par mention verbale aux auditeurs et mentions légales sur ses sites internet) ;
– l'absence de préjudice effectif subi par le marché, comme l'établissent les attestations fournies par les abonnés de la société QPE ;
– l'absence d'enrichissement de la société QPE au détriment du marché ;
– l'absence de sanction de l'AMF à son encontre en 25 ans d'existence.
103.Elle déplore également le traitement inique dont elle a fait l'objet (comptes bancaires placés sous séquestre en mars 2019) alors même qu'elle n'avait pas le moindre désir de dissimulation.
104.Le président de l'AMF, par son recours, demande à la Cour de porter le montant de cette sanction à 700 000 euros.
105.Il rappelle qu'il est reproché à la société QPE, société sous le contrôle de M. [Y], d'avoir émis à six reprises, entre septembre 2014 et juillet 2015, des recommandations d'investissement sans mentionner l'existence des liens commerciaux qu'elle entretenait avec la société Prologue. Il rappelle qu'elle a perçu à ce titre une somme de 1 080 203 euros représentant près de la moitié de son chiffre d'affaires annuel (41%). Il invoque en conséquence la gravité du manquement en cause et considère qu'elle justifie d'élever la sanction à 700 000 euros.
106.Il ajoute que la sanction de 100 000 euros prononcée est en tout état de cause particulièrement faible « au regard de précédentes sanctions prononcées par la commission sur le même sujet. ». Il invoque ainsi un dossier examiné en 2014, faisant suite à une enquête concernant la société Belvédère, dans lequel M. [Y] a été sanctionné à hauteur de 600 000 euros pour défaut d'information du public sur l'existence d'éventuels conflits d'intérêts. Il souligne que, comme en l'espèce, il n'avait réalisé aucun profit consécutif à la diffusion de ses recommandations litigieuses et que les faits à l'origine du manquement ont été commis par M. [Y], « à la fois Président Directeur général, principal journaliste et directeur de la publication de la société QPE, qui a déjà fait l'objet de deux sanctions de l'AMF pour des faits similaires et que le Trésor public n'a pas pu recouvrer ».
Sur ce, la Cour,
107.Aux termes de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date des manquements :
« II.- La Commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : […]
c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou s'est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L.621-14, dès lors que ces actes concernent :
- un instrument financier […] admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations
[…]
III.- Les sanctions applicables sont : […]
c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L.621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à g du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public.
Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements ».
108.Le I. de l'article L.621-14 du même code, dans la version en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée dans un sens moins sévère depuis, se réfère pour sa part à « tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché ».
109.Il n'est pas contesté que le non-respect de l'obligation d'informer le public sur l'existence d'éventuels conflits d'intérêts tenant aux liens commerciaux précités, qui viole le principe de transparence, constitue un manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché au sens de l'article L.621-14 du code monétaire et financier.
110.Il est en conséquence susceptible de donner lieu au prononcé d'une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés, sur le fondement des articles L.621-14 et L.621-15 du code précité.
111.Aux termes du III ter de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016 :
« Dans la mise en œuvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment :
– de la gravité et de la durée du manquement ;
– de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ;
– de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ;
– de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
– des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
– du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ;
– des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
– de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement ».
112.Le manquement retenu à l'encontre de la société QPE, qui relève d'une violation objective de la réglementation, rendant indifférentes les circonstances tenant à l'absence d'intention de dissimulation et au caractère non occulte des liens commerciaux en cause, revêt une gravité certaine dès lors qu'il porte, en son principe, atteinte à la bonne information des investisseurs.
113.Il doit toutefois être tenu compte, pour apprécier in concreto l'ampleur de l'atteinte portée à la bonne information des investisseurs et la gravité du manquement, des circonstances, non contestées, suivantes :
– dans un audiotel du 30 septembre 2014, la société QPE a indiqué par la voix de son journaliste et Président : « À titre de transparence et au titre de l'AMF, je me permets de vous le signaler, l'ARARE est actionnaire pour représenter, je dirais actionnaire symbolique pour représenter les actionnaires en assemblée, je l'ai déjà dit je ne suis pas personnellement actionnaire de la société Prologue ni directement ni indirectement, je me permets de vous le signaler en revanche je vous l'annonce il est assez vraisemblable que ce titre va être mis dans le portefeuille dans les semaines à venir sur la société Quotidien de Paris Editions ou [J] [Y] Associés dont voilà vous êtes prévenus à titre de totale transparence » (rapport d'enquête page 20, annexe 7-1 au rapport d'enquête) ;
– sur les sites internet « bourse.fr » et « quotidiendeparis.fr » la société QPE a inséré, dans les mentions légales, l'avertissement suivant : « Par l'intermédiaire de son associée majoritaire, la société [Personne physico-morale 1], qui est actionnaire de la société PROLOGUE, la société LE QUOTIDIEN DE PARIS EDITIONS peut être considérée comme détenant indirectement des "intérêts significatifs" au sens de l'article 329-5 du Règlement général de l'AMF » ;
– dans le même temps, la société QPE a émis à six reprises, entre septembre 2014 et juillet 2015, des recommandations d'investissement sans faire état des liens commerciaux précédemment évoqués, qui ne sont pas mentionnés dans les recommandations écrites diffusées par la société QPE et auxquels il n'est pas fait référence dans les conditions prévues à l'article 329-5 du RGAMF concernant les recommandations verbales.
114.Contrairement à ce qu'invoque la société QPE, les avertissements relatifs aux liens capitalistiques existant entre les sociétés Prologue et QPE n'ont pas permis d'assurer une transparence complète à l'égard des investisseurs dès lors qu'ils ne concernaient pas les liens commerciaux précités et qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une information satisfaisant aux exigences prévues à l'article 329-5 précité. C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a retenu l'atteinte portée au principe de loyauté de l'information financière délivrée.
115.La société QPE indique par ailleurs que l'avertissement inséré dans les mentions légales de son site « s'explique par le fait que le Président de QPE et journaliste, Monsieur [J] [Y], avait été lui-même sanctionné par l'AMF dans le passé au visa de l'article 329-5 du RGAMF. C'est pourquoi il avait veillé à ce que l'information réalisée par QPE ne se contente pas de mentionner un intérêt significatif dans Prologue (alors même que QPE n'avait en réalité qu'une participation ultra minoritaire) mais fasse une référence explicite à l'article 329-5 du RGAMF de manière à exclure toute ambiguïté (...) ». Il s'ensuit que la société QPE, sensibilisée sur le sujet, n'a pas pour autant veillé à donner une information totalement transparente au public.
116.Il se déduit de l'ensemble de ces circonstances que le manquement, répété à six reprises, présente une gravité certaine, nonobstant la diffusion de certains éléments intervenue au visa explicite de l'article 329-5 du RGAMF.
117.Concernant la situation et la capacité financières de la société QPE, il n'est pas contesté, ainsi que l'a relevé la Commission des sanctions, que la société QPE a réalisé en 2017 un chiffre d'affaires d'environ 2,5 millions d'euros pour un résultat net de 937 057 euros, puis en 2018 un chiffre d'affaires net d'environ 3,46 millions d'euros pour un résultat net proche de l'équilibre. La société QPE n'a fourni à la Cour aucun élément sur sa situation actuelle établissant que la sanction de 100 000 euros infligée par la Commission des sanctions excéderait ses capacités contributives actuelles.
118.Parmi les autres critères d'individualisation de la sanction, il est tenu compte, le cas échéant, « des manquements commis précédemment par la personne en cause ».
119.En l'espèce, les deux parties se réfèrent, sans l'identifier avec précision et pour en tirer des arguments différents, à la décision SAN-2014-04 du 30 avril 2014 par laquelle la commission des sanctions de l'AMF a prononcé une sanction pécuniaire à l'égard de M.[Y], pour avoir violé l'article 329-5 du RGAMF, en émettant plusieurs recommandations d'investissement sur la valeur Belvédère dans des publications éditées par la société QPE sans porter à la connaissance des lecteurs les intérêts que M. [Y] avait avec la société Belvédère en raison de l'existence de liens capitalistiques.
120.Il ressort toutefois de cette décision que le manquement a été imputé à M. [Y] « en sa qualité de directeur de la publication des périodiques "La Bourse" et d'éditeur de publication de "l'Hebdo Bourse Plus" ». La sanction n'ayant pas été prononcée à son encontre en sa qualité de président de la société QPE, laquelle n'a de surcroit pas été poursuivie dans le cadre de cette procédure, il n'est justifié d'aucune décision ayant sanctionné la société QPE au titre de précédents manquements. Aucune aggravation de la sanction ne saurait donc intervenir en considération « de précédents manquements », comme le soutient à tort le président de l'AMF.
121.De la même manière, il ne peut être procédé par voie de comparaison entre les sanctions prononcées dans le cadre de procédures distinctes, comme le fait celui-ci, pour justifier le relèvement du montant de la sanction à infliger à la société QPE. Chaque sanction doit en effet être déterminée au regard des éléments propres à chaque affaire.
122.Aucun des moyens et arguments présentés par la société QPE et le président de l'AMF ne justifiant de réformer le montant de la sanction prononcée (à la baisse comme à la hausse), laquelle est proportionnée au regard de l'ensemble des éléments précités, les recours sont rejetés.
B. Sur le grief notifié à M. [Y], non retenu par la Commission des sanctions, et sa sanction
123.La notification de griefs a reproché à M. [Y] d'avoir, en méconnaissance des dispositions des articles L.233-7 et L.233-9 du code de commerce et 233-11 du RGAMF, manqué à son obligation de déclaration de franchissement à la hausse des seuils de participation correspondant à 5 %, 10 % et 15 % du total des droits de vote Prologue, à l'occasion de l'assemblée générale des actionnaires de la société Prologue du 20 juin 2015.
124.Les faits reprochés s'étant déroulés le 20 juin 2015, la Commission des sanctions les a examinés à la lumière des textes suivants, dans leur rédaction alors applicable :
– l'article L.233-7 du code de commerce, dans sa version en vigueur du 1er octobre 2012 au 5 décembre 2015 :
« I.- Lorsque les actions d'une société ayant son siège sur le territoire de la République sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou sur un marché d'instruments financiers admettant aux négociations des actions pouvant être inscrites en compte chez un intermédiaire mentionné à l'article L.211-3 du code monétaire et financier, toute personne physique ou morale agissant seule ou de concert qui vient à posséder un nombre d'actions représentant plus du vingtième, du dixième, des trois vingtièmes, du cinquième, du quart, des trois dixièmes, du tiers, de la moitié, des deux tiers, des dix-huit vingtièmes ou des dix-neuf vingtièmes du capital ou des droits de vote informe la société dans un délai fixé par décret en Conseil d'État, à compter du franchissement du seuil de participation, du nombre total d'actions ou de droits de vote qu'elle possède. […] / II.- La personne tenue à l'information mentionnée au I informe également l'Autorité des marchés financiers, dans un délai et selon des modalités fixées par son règlement général, à compter du franchissement du seuil de participation, lorsque les actions de la société sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un marché d'instruments financiers autre qu'un marché réglementé, à la demande de la personne qui gère ce marché d'instruments financiers […] ».
– l'article 223-11 du RGAMF, dans sa version en vigueur au 1er août 2009, non modifié sur ce point depuis :
« I. - Pour le calcul des seuils de participation mentionnés à l'article L.233-7 du code de commerce, sont pris en compte les actions et les droits de vote détenus ainsi que, même si la personne concernée ne détient pas elle-même des actions ou des droits de vote par ailleurs, les actions et les droits de vote qui y sont assimilés en application de l'article L.233-9 du code de commerce, lesquels sont rapportés au nombre total d'actions composant le capital de la société et au nombre total de droits de vote attachés à ces actions […] ».
– l'article L.233-9 du code de commerce, dans sa version en vigueur du 28 juillet 2013 au 5 décembre 2015 :
« I. - Sont assimilés aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'information prévue au I de l'article L.233-7 :
(...) 8o Les droits de vote que cette personne peut exercer librement en vertu d'une procuration en l'absence d'instructions spécifiques des actionnaires concernés ».
125.Ayant relevé que l'ordonnance no 2015-1576 du 3 décembre 2015, entrée en vigueur le 5 décembre 2015, avait modifié le I de l'article L.233-7 ainsi que les dispositions de l'article L.233-9, précités, sans conférer aux nouvelles dispositions une portée moins sévère que celles applicables à l'époque des faits, la Commission des sanctions a retenu qu'elles n'étaient pas susceptibles de recevoir une application rétroactive.
126.Elle a par ailleurs fait application de l'article L. 225-106-2 du code de commerce, aux termes duquel :
« Toute personne qui procède à une sollicitation active de mandats, en proposant directement ou indirectement à un ou plusieurs actionnaires, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, de recevoir procuration pour les représenter à l'assemblée d'une société mentionnée aux troisième et quatrième alinéas de l'article L.225-106, rend publique sa politique de vote. / Elle peut également rendre publiques ses intentions de vote sur les projets de résolution présentés à l'assemblée. Elle exerce alors, pour toute procuration reçue sans instructions de vote, un vote conforme aux intentions de vote ainsi rendues publiques. ».
127.Par la décision attaquée, la Commission des sanctions a dit le grief non établi. Elle a retenu que M. [Y] était dispensé de l'obligation de déclaration de l'article L.233-7 du code de commerce, dans la mesure où, ayant publié sur son site internet le 20 mai 2015 ses intentions de vote (en faveur de l'ensemble des résolutions 1 à 8) lors de l'assemblée du 20 juin 2015, il était tenu, après les avoir rendues publiques, d'exercer un vote conforme à ces intentions. Elle a relevé à cet égard que la formule contenue dans les déclarations préremplies par l'ARARE — faisant mention du pouvoir donné à M. [Y] (Président de l'ARARE) en « connaissance de la politique de vote » — devait être qualifiée d'« instruction spécifique » de vote au sens de l'article L.233-9, I, 8o du code de commerce, de sorte qu'elle a estimé que les votes attachés aux procurations ne pouvaient être assimilés aux droits détenus pour effectuer le calcul des franchissement de seuils.
128.Le président de l'AMF fait valoir que le critère à prendre en considération pour déterminer si un mandataire est tenu à déclaration est celui de son influence réelle dans la gestion de la société. Il estime en effet que lorsqu'un groupe d'intérêt commun disposant d'une influence significative est constitué, il doit pouvoir être identifié par les autres actionnaires et le marché. Il renvoie à cet égard à l'avis de l'Association nationale des sociétés anonymes (l'« ANSA ») de 2011 et au rapport d'information du Sénat dans le cadre des travaux préparatoires à la loi du 26 juillet 2005 qui a créé la disposition de l'article L.233-9, I, 8o du code de commerce.
129.Il estime que les modalités de publicité obligatoires des « solliciteurs » actifs de mandats et l'obligation qui leur est faite de respecter le sens du vote annoncé (au sens du 2ème alinéa de l'article L.225-106-2 du code de commerce) ne modifient pas la nature même de la procuration de vote « sans instruction » et partant, la liberté dans laquelle se trouve le mandataire au sens de l'article L.233-9, I, 8o du code de commerce.
130.Il soutient également que l'application des articles L.225-106 et suivants ne remet pas en cause l'application des assimilations prévues en matière de franchissement de seuils, qui a pour objet d'informer le marché et les actionnaires sur le poids réel de la participation d'un actionnaire.
131.Il relève que la seule liberté perdue par M. [Y] le jour de l'assemblée générale est celle de changer d'avis par rapport à ses propres intentions de vote préalablement publiées. Il déduit de l'ensemble de ces éléments que c'est à tort que la Commission des sanctions a retenu que M. [Y] n'exerçait pas librement les droits de vote.
132.M. [Y] se prévaut des dispositions des articles L.225-106-2 et R.225-82-3 du code de commerce et en déduit qu'en donnant mandat dans ce cadre, le mandant-actionnaire demande à son mandataire de voter dans un sens précis, ce qui constitue une instruction, même tacite.
133.Il fait valoir que les deux conditions cumulatives permettant l'assimilation prévue par l'article L.233-9, I, 8o du même code ne sont pas réunies, faute pour le mandataire de pouvoir exercer librement les droits de vote du mandant. Il soutient en effet qu'en présence d'une sollicitation active de mandat, le fait que la loi exige dans ce cas que le mandataire exerce « un vote conforme aux intentions de vote ainsi rendues publiques » (article L.225-106-2 du code de commerce), l'empêche de facto d'exercer librement les droits de vote attachés à la procuration, même dénuée d'instructions.
134.Il en déduit que tel était le cas de l'ARARE qui se trouvait dans l'obligation de voter conformément aux intentions de vote qu'elle avait publiées et pour lesquelles les procurations lui avaient été adressées.
135.Il fait valoir que si le rapport d'information du sénateur [A] considère que le seul critère à prendre en considération dans le cadre du 8o de l'article L.233-9, I, est celui de l'influence réelle d'un seul actionnaire (le mandataire) dans la gestion de la société, cette hypothèse ne concerne pas la situation particulière des procurations données dans le cadre de la sollicitation de mandats avec publication d'intentions de vote, dans laquelle les actionnaires ont consulté, approuvé les intentions de vote et donné mandat en ce sens, valant instruction tacite de les exécuter.
136.Il invoque également, par analogie, la situation des pouvoirs en blanc reçus par le président de l'assemblée générale de la société qui, en pratique, ne donnent jamais lieu à déclaration.
137.Il demande à la Cour de confirmer sa mise hors de cause.
Sur ce, la Cour,
138.Il résulte de l'article L.233-7 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la date des faits, une obligation d'information à la charge de toute personne qui franchit le seuil de participation du nombre total d'actions ou de droits de vote qu'elle possède.
139.L'article L.233-9, I, 8° du même code assimile aux actions ou aux droits de vote possédés par la personne tenue à l'obligation d'information précitée, les droits de vote « que cette personne peut exercer librement en vertu d'une procuration en l'absence d'instructions spécifiques des actionnaires concernés ».
140.Ainsi qu'il ressort du rapport n° 2342 déposé le 25 mai 2005 au nom de la commission des finances sur le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie adoptée le 26 juillet 2005 (pièce du président de l'AMF n° 7) qui a introduit ce nouveau cas d'assimilation, la procédure de franchissement de seuils a pour objet d'informer les autres actionnaires et le marché sur l'influence réelle dont dispose l'actionnaire dans la gestion de la société, en tenant compte des procurations qui ne sont assorties d'aucune instruction spécifique et qui peuvent conduire à conférer à l'actionnaire qui bénéficie de nombreuses procurations l'exercice d'une influence sans commune mesure avec les actions qu'il détient directement.
141.La liberté d'exercice des droits de vote qui commande l'assimilation prévue à l'article L.233-9, I, 8odu code de commerce implique, en premier lieu, que le mandataire ne soit pas contraint sur le sens du vote à exercer. Or, l'article L.225-106-2 du code de commerce, qui impose à toute personne qui procède à une sollicitation active de mandats de « rend[re] publique sa politique de vote », prévoit qu'elle « peut également rendre publiques ses intentions de vote sur les projets de résolution présentés à l'assemblée » et qu'elle « exerce alors, pour toute procuration reçue sans instructions de vote, un vote conforme aux intentions de vote ainsi rendues publiques ».
142.Il s'ensuit que par application de cette règle, les intentions de vote, publiées dans les conditions prévues par ce texte, lient le mandataire, lequel ne peut plus, en conséquence, exercer librement les droits de vote qui lui ont été conférés par procuration, lors de l'assemblée concernée.
143.Contrairement à ce que soutient le président de l'AMF, il importe peu, dans ce cadre, que le mandant n'ait pas limité la liberté de vote de son mandataire par une instruction spécifique expresse, dès lors que cette limitation procède de la loi elle-même en présence d'intentions de vote publiées.
144.En l'espèce, il n'est pas contesté que l'ARARE, dont M. [Y] est le président, a publié sur son site internet, le 20 mai 2015, ses intentions de vote en faveur de l'ensemble des résolutions « 1 à 8 » devant être examinées lors de l'assemblée générale de la société Prologue le 20 juin 2015.
145.Il est également constant que chaque procuration ayant donné pouvoir à M. [Y], préremplie par l'ARARE et retournée signée par le membre actionnaire, fait référence à la politique de vote arrêtée, dont le signataire « reconnaît avoir pris connaissance ».
146.Il est par ailleurs produit 42 attestations d'actionnaires ayant donné pouvoir à M. [Y] en vue de l'assemblée générale du 20 juin 2015, par lesquelles ces derniers confirment avoir eu connaissance de la politique de vote publiée sur le site internet de l'ARARE et avoir adressé leur procuration afin qu'elle vote conformément aux intentions de vote publiées.
147.De telles procurations étant, par l'effet de la loi, réputées données en vue d'être exercées conformément à des intentions de vote spécifiques (en l'occurrence en faveur des résolutions 1 à 8), le mandataire ne pouvait exercer librement les droits de vote concernés et notamment s'en affranchir comme bon lui semblerait. C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a considéré que les droits de vote détenus par M. [Y] en vertu de telles procurations n'entraient pas dans le calcul prévu par l'article L.233-11 du code de commerce, de sorte que M. [Y] était dispensé de l'obligation de déclaration prévue par l'article L.233-7 du code de commerce et devait être mis hors de cause.
148.Le recours exercé par le président de l'AMF est rejeté sur ce point.
C. Sur les griefs notifiés à la société Prologue, non retenus par la Commission des sanctions, et la sanction qui lui a été infligée
1. Sur la qualification juridique applicable aux faits litigieux
149.Il importe de rappeler que la notification de griefs a reproché à la société Prologue :
– d'avoir porté atteinte aux règles de fonctionnement des offres publiques, en mettant en œuvre une offre publique dans des conditions de transaction identiques à celles contenues dans le projet d'offre soumis au visa de l'AMF, alors que l'offre ne pouvait être ouverte à défaut d'avoir obtenu une déclaration de conformité ;
– d'avoir porté atteinte aux principes généraux des offres publiques d'acquisition en sollicitant publiquement, à compter du 2 avril 2015, les actionnaires d'O2i afin de réaliser une offre dans des conditions de transaction pour lesquelles l'AMF avait, le même jour, rendu une décision de non-conformité et en ne prévoyant pas de limite de temps à cette offre qui a proposé au public un prix fixe liant les cours de Prologue et d'O2i sur une période d'environ six mois, s'étant ainsi sciemment affranchie du cadre réglementaire destiné à garantir les principes d'intégrité du marché et de loyauté des transactions, ainsi qu'en proposant publiquement, à compter du 10 avril 2015, des conditions d'offre permettant de faire une discrimination entre les actionnaires d'O2i, portant ainsi atteinte au principe d'égalité de traitement entre ces actionnaires.
150.Après avoir relevé que les faits reprochés s'étaient déroulés entre le 2 avril 2015 et le 25 septembre 2015, la Commission des sanctions, dans la décision attaquée, a fait application de :
– l'article L.433-1 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur à compter du 22 février 2014, non modifiée depuis, qui prévoit :
« I. – Afin d'assurer l'égalité des actionnaires et la transparence des marchés, le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les règles relatives aux offres publiques portant sur des instruments financiers émis par une société dont le siège social est établi en France et qui sont admis aux négociations sur un marché réglementé français. […] / IV. – Le règlement général de l'Autorité des marchés financiers peut également fixer les conditions dans lesquelles les règles prévues au I s'appliquent aux offres publiques visant des instruments financiers qui sont admis aux négociations sur un marché d'instruments financiers autre qu'un marché réglementé, à la demande de la personne qui le gère. […] ».
– l'article 231-13 du RGAMF, dans sa version en vigueur à compter du 30 juin 2014, non modifiée sur ce point depuis, qui dispose que :
« I. - Le projet d'offre est déposé par un ou plusieurs prestataires de services d'investissement, agréés pour exercer l'activité de prise ferme, agissant pour le compte du ou des initiateurs. / Le dépôt est effectué par lettre adressée à l'AMF garantissant, sous la signature d'au moins un des établissements présentateurs, la teneur et le caractère irrévocable des engagements pris par l'initiateur. […] / III. - La lettre est accompagnée : / 1o Du projet de note d'information établi par l'initiateur, seul ou conjointement avec la société visée. Dans les cas prévus à l'article 261-1, le projet de note d'information de l'initiateur ne peut être établi conjointement avec la société visée sauf en cas de retrait obligatoire ; […] ».
– l'article 231-21 du RGAMF, dans sa version en vigueur à compter du 30 juin 2014, non modifiée depuis, qui énonce que :
« Pour apprécier la conformité du projet d'offre aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables, l'AMF examine :
1° Les objectifs et intentions de l'initiateur ;
2° Le cas échéant, la nature, les caractéristiques, les cotations, ou le marché des titres proposés en échange ;
3° Les conditions éventuelles de l'offre en application des articles 231-9 et 231-10 ;
3° bis Si le seuil de caducité prévu au 1o de l'article 231-9 I est applicable à l'offre, le nombre d'actions et de droits de vote que ce seuil représente à la date de dépôt de l'offre et éventuellement les raisons pour lesquelles l'initiateur demande à l'AMF qu'il soit fait application du 2o de l'article 231-9 I.
4° L'information figurant dans le projet de note d'information ;
5° Dans les cas prévus à l'article 261-1, les conditions financières de l'offre, au regard notamment du rapport de l'expert indépendant et de l'avis motivé du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou, dans le cas d'une société étrangère, de l'organe compétent. / L'AMF peut demander à l'initiateur de modifier son projet d'offre si elle considère qu'il peut porter atteinte aux dispositions mentionnées au premier alinéa, notamment aux principes définis par l'article 231-3 ».
– l'article 231-23 du RGAMF, qui précise dans sa version en vigueur à compter du 30 décembre 2009, non modifiée depuis, que :
« Lorsque le projet d'offre satisfait aux exigences des articles 231-21 et 231-22, l'AMF publie sur son site une déclaration de conformité motivée qui emporte visa de la note d'information. / Dans le cas contraire, l'AMF, par décision motivée, refuse de déclarer le projet d'offre conforme et publie sa décision sur son site. […] ».
– l'article 231-32 du RGAMF, dans sa version en vigueur à compter du 12 juillet 2012, non modifiée depuis, qui indique que :
« L'offre est ouverte le jour de bourse suivant le plus tardif des événements suivants :
1° La diffusion de la note d'information visée établie par l'initiateur (le cas échéant conjointement avec la société visée) ou, dans les cas prévus à l'article 261-1, de la note en réponse de la société visée ;
2° La diffusion des informations mentionnées à l'article 231-28 ;
3° Le cas échéant, la réception par l'AMF des autorisations préalables requises par la législation en vigueur. / Les dates d'ouverture, de clôture et de publication des résultats de l'offre sont publiées par l'AMF ».
151.Ayant constaté que la notification de griefs ne s'est pas appuyée explicitement sur la directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 pour fonder les griefs, et que la composante de la définition d'offre publique d'acquisition à laquelle se réfère cette directive n'a pas été reprise en droit français, la Commission des sanctions a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'examiner cette directive.
152.La Commission des sanctions a retenu que le communiqué publié par la société Prologue le 2 avril 2015 ne pouvait s'analyser comme étant la mise en œuvre du projet d'offre publique déposé le 9 décembre 2014 au regard des différences dans leurs modalités techniques. Elle en a déduit que la société Prologue n'avait pas violé les dispositions des articles L.433-1 du code monétaire et financier et 231-32 du RGAMF et que le premier grief notifié n'était pas caractérisé. La Commission des sanctions ayant considéré que le communiqué du 2 avril 2015 ne constituait ni la poursuite de l'OPE déclarée non conforme par l'AMF, ni une nouvelle OPE, elle en a déduit qu'il ne pouvait être fait grief à la société Prologue de ne pas avoir respecté les principes généraux des offres publiques. Elle a ainsi écarté le deuxième grief.
153.Le président de l'AMF rappelle tout d'abord que la société Prologue n'avait pas d'obligation de déposer une offre, n'ayant pas franchi le seuil de 50 % de détention du capital d'O2i (seuil applicable sur Alternext devenu Euronext Growth, système multilatéral de négociation sur lequel est coté O2i) mais qu'elle a opté pour la procédure d'offre volontaire lorsqu'elle a déposé son projet d'OPE auprès de l'AMF.
154.Il estime ensuite que c'est à tort que la Commission des sanctions a considéré que le fait de solliciter publiquement les actionnaires d'une société cible pour conclure des traités d'apports de gré-à-gré, en dépit d'une décision de non-conformité sur une OPE, ne relevait pas de la réglementation des offres publiques.
155.Il considère qu'elle ne pouvait se fonder sur les différences de modalités techniques précitées pour rejeter l'application du droit des offres publiques, alors qu'elle avait constaté que l'offre d'échange présentée dans le communiqué du 2 avril 2015 et l'OPE avaient le même objectif et qu'un tel comportement constituait un contournement manifeste de la réglementation.
156.Il rappelle que deux périodes sont à prendre en considération après la décision de non conformité de l'offre rendue par l'AMF le 2 avril 2015.
157.La première se déroule entre le 2 avril 2015, date du communiqué litigieux, et le 10 avril 2015, au cours de laquelle la société Prologue a déclaré poursuivre à l'identique l'offre préalablement annoncée via des traités d'apports. Il fait valoir que ce comportement matérialise un contournement de la procédure d'OPE, en poursuivant le même objectif et en portant sur un échange de titres identique à celui proposé dans le projet d'OPE avec les mêmes parités d'échange.
158.Il ajoute qu'il ne suffit pas d'établir, comme le fait la décision attaquée, l'existence de deux résolutions séparées votées en assemblée générale pour en tirer l'argument qu'en cas d'éventuel refus de l'AMF sur l'OPE (objet de la première résolution), la prétendue modalité « alternative » à l'OPE de l'échange de titres peut se faire valablement — au mépris de la décision de non-conformité de l'AMF — par traités d'apport (objet de la 2ème résolution), d'autant qu'elles étaient en l'espèce très liées, la résolution concernant les traités d'apport faisant plusieurs fois référence au projet d'OPE. Il considère également que les traités d'apport n'ont jamais constitué une modalité alternative à la procédure d'OPE.
159.La seconde période est postérieure au 10 avril 2015, date à laquelle la société Prologue a annoncé qu'elle se réservait la possibilité de choisir parmi les actionnaires prêts à signer des traités d'apports. Le président de l'AMF considère qu'une telle annonce constitue un deuxième contournement du droit des OPA, dès lors qu'il s'agit :
– d'une offre non autorisée par une décision de conformité ;
– qui présente des caractéristiques contraires au droit des offres, étant contraire au principe d'égalité de traitement prévu la réglementation, la société Prologue se réservant la possibilité de discriminer certains actionnaires et de ne choisir que les actionnaires pouvant apporter un nombre de titres minimum (au détriment des petits actionnaires ne détenant que quelques titres), d'une part, et à l'impératif de prévisibilité requis par les marchés en ne précisant aucune durée pour cette offre, d'autre part.
160.Il en déduit que la position de la Commission des sanctions est sur ce point encore paradoxale dès lors que c'est précisément pour empêcher les discriminations entre actionnaires que la réglementation des offres publiques impose que celles-ci soient formulées de manière irrévocable, de sorte qu'il ne peut être retenu que le fait que l'offre faite publiquement aux actionnaires d'O2i n'ait pas été formulée de manière « irrévocable », constitue un élément supplémentaire empêchant d'analyser cette opération comme une OPE.
161.Il fait valoir que cette situation, qui caractérise une violation inédite remettant en cause la portée et le respect d'une décision de non-conformité de l'AMF, présente un enjeu important en termes de réglementation dès lors que la décision attaquée pourrait être lue par la « Place de Paris » comme une faculté laissée à l'initiateur d'une OPA ou d'une OPE de maintenir un projet de prise de contrôle déclaré non conforme en s'affranchissant totalement du respect de toutes les obligations réglementaires encadrant les OPA ou les OPE, par la simple mise en place de traités d'apport individuels. Il fait observer que cela permettrait, sur Euronext Growth, à un actionnaire de prendre hors marché le contrôle de 49,99 % du capital — 30 % sur le marché réglementé — d'une société sans se soumettre aux règles relatives aux OPA/OPE qui visent à assurer l'égalité de traitement des actionnaires de la cible, ce qui serait contraire à l'intention du législateur.
162.Il ajoute encore que la circonstance que les actionnaires de la cible, qui ont apporté leurs titres de gré-à-gré à la société Prologue, aient été informés de la décision de non-conformité rendue par l'AMF et l'aient fait, en toute connaissance des conditions de transactions jugées inéquitables, est indifférente.
163.Il en déduit qu'en mettant en œuvre en pratique, par ses déclarations et le but recherché, une offre publique dans des conditions de parité identiques à celles contenues dans le projet d'offre soumis au visa de l'AMF, la société Prologue était soumise aux principes et aux règles du droit des offres publiques requérant une décision de conformité. À défaut d'avoir déposé un nouveau projet d'offre publique qui devait être déclaré conforme, la société Prologue a manqué aux dispositions des articles légaux et réglementaires régissant les principes et procédures des offres publiques.
164.La société Prologue estime tout d'abord que la qualification d'OPA ne s'applique pas à n'importe quelle « offre faite publiquement aux actionnaires » et notamment pas chaque fois qu'il est émis un ordre d'achat sur le marché ou qu'est signalé aux actionnaires d'une société qu'un investisseur est disposé à acquérir (hors marché) leurs blocs de titres au même prix que celui qu'il vient de payer à l'un d'entre eux. Elle relève que c'est très exactement les moyens qu'elle a mis en œuvre pour réussir à prendre le contrôle de la société O2i en juin/juillet 2015, malgré l'échec de son projet d'OPE à la suite du refus de l'AMF de le déclarer conforme.
165.Elle soutient ensuite que la conclusion de traités individuels d'apports avait été imaginée dès le départ (décembre 2014) comme une « alternative » à l'OPE, notamment en cas d'échec de celle-ci. Elle rappelle qu'elle avait précisé qu'il existait bien deux modalités distinctes pour réaliser l'échange des titres O2i contre des actions Prologue, comme cela ressort de l'ordre du jour de son assemblée générale extraordinaire (AGE) dont l'avis de réunion a été publié au Bulletin des annonces légales obligatoires du 12 décembre 2014. Elle ajoute que l'AGE ayant été repoussée pour défaut de quorum sur première convocation, la société Prologue a publié un communiqué de presse en date du 30 mars 2015, soit la veille de la réunion du collège de l'AMF statuant sur la conformité de l'OPE, pour annoncer l'« Approbation du projet de rapprochement avec O2i par les actionnaires de Prologue », lequel pouvait être réalisé selon l'une ou l'autre des deux modalités alternatives qui étaient précisément rappelées.
166.Elle demande par conséquent à la Cour de confirmer sa mise hors de cause et de rejeter le recours principal du président de l'AMF.
Sur ce, la Cour,
167.À titre liminaire, il convient, en premier lieu, de rappeler le champ d'application de la réglementation boursière en matière d'offre publique.
168.Il est usuellement admis, sans que la société Prologue ne contredise utilement cette définition, qu'une offre publique d'échange correspond à l'opération par laquelle une personne, morale ou physique, propose publiquement aux actionnaires d'une société cotée d'acquérir leurs titres moyennant d'autres titres émis ou à émettre.
169.Le code monétaire et financier et le RGAMF fixent les règles relatives aux offres publiques portant sur des instruments financiers émis par une société dont le siège social est établi en France et qui sont admis aux négociations sur un marché réglementé français, ainsi que celles visant des instruments financiers qui sont admis aux négociations sur un marché d'instruments financiers autre qu'un marché réglementé, à la demande de la personne qui le gère, les règles pertinentes ayant été rappelées au paragraphe 150 du présent arrêt.
170.La réglementation boursière trouve ainsi application lorsqu'une offre publique d'échange a pour objet les titres d'une société cotée, pouvant donner accès au capital ou aux droits de vote.
171.En l'espèce, il est constant que les actions de la société O2i étaient admises aux négociations sur Alternext Paris, devenu Euronext Growth.
172.Il n'est pas non plus contesté que l'opération de rapprochement projetée par la société Prologue à la fin de l'année 2014 ne relevait pas du champ de l'offre publique obligatoire (OPO), dès lors que cette société n'avait pas franchi le seuil de 50 % de détention du capital d'O2i applicable sur le système multilatéral de négociation précité, mais qu'elle a opté à cette date pour la procédure d'offre volontaire, selon la procédure normale, prévue aux articles 232-1 et suivants du RGAMF.
173.Pour déterminer si la société Prologue peut se voir reprocher la méconnaissance de ces règles, il convient de rappeler en quoi consistait le projet d'offre publique déposé le 9 décembre 2014 et de rechercher si le communiqué qu'elle a publié le 2 avril 2015 et les actes subséquents ne doivent pas s'analyser comme en étant une mise en œuvre, relevant par conséquent des règles précitées.
174.Le projet d'OPE déposé le 9 décembre 2014 visait les actions, obligations convertibles et bons de souscription et/ou d'acquisition d'actions remboursables de la société O2i, déposé par la société lnvest Securities, agissant pour le compte de la société Prologue (désignée comme l'« initiateur »).
175.Il prévoyait que cette dernière s'engageait :
« (...) irrévocablement à acquérir :
– la totalité des actions O2i existantes, soit à la connaissance de l'initiateur à ce jour, un maximum de 6 888 756 actions, par remise de 3 actions Prologue contre 2 actions O2i ;
– la totalité des OC O2i existantes, soit à la connaissance de l'initiateur à ce jour, un maximum de 272 727 OC, par (i) remise de 3 actions Prologue contre 2 OC O2i et (ii) le versement d'une soulte correspondant au coupon couru ;
– la totalité des BSAARs O2i existants, soit à la connaissance de l'initiateur à ce jour, un maximum de 4 307 952 BSAARs, au prix de 0,05 € par BSAAR ;
– la totalité des actions O2i pouvant être émises avant la clôture de l'offre, et éventuellement de sa réouverture, soit à la connaissance de l'initiateur, un maximum de 1 435 984 actions nouvelles issues de l'exercice des BSAARs et de 272 727 actions nouvelles issues de la conversion des OC, par remise de 3 actions Prologue contre 2 actions O2i » (soulignement ajouté par la Cour).
176.Par sa décision du 2 avril 2015 l'AMF a déclaré ce projet non conforme, en raison, notamment, de conditions financières et de parité considérées comme non équitables par l'expert indépendant et le commissaire aux apports (pièce du président de l'AMF no 2).
177.Cette décision indique également que :
– ce projet mentionnait que deux actionnaires de la société O2i, nommément désignés « se sont engagés, en application de traités d'apports conclus le 8 décembre 2014 et confirmés par des avenants le 8 janvier 2015, à apporter à l'initiateur en nature, sur la base de la parité de l'offre, 660 000 actions O2i, représentant 9,58 % du capital de la société, sous réserve notamment d'absence d'offre concurrente ou de surenchère », précisant en note de bas de page no3 que « ces traités d'apport ne sont pas soumis à une condition de réussite de l'offre » (soulignement ajouté par la Cour) ;
– d'autres actionnaires ont également conclu des engagements d'apport à l'offre, le 15 octobre 2014, renouvelés pour partie le 25 février 2015, portant sur 360 000 actions O2i, représentant autant de droits de vote soit 5,37 % du capital et des droits de vote de la société, sous réserve d'absence d'offre concurrente ou de surenchère, la note de bas de page no4 précisant que « [c]es engagements ont été pris par un intermédiaire agissant au nom et pour le compte d'une cinquantaine de clients qui lui ont donné pouvoir pour effectuer toute opération de transfert. ».
178.À la date du dépôt de ce projet, l'initiateur de l'OPE avait également indiqué ne détenir aucun titre O2i.
179.Par son communiqué du 2 avril 2015, intitulé « accélération du rapprochement avec O2i - acquisition de 9,6 % du capital », la société Prologue, après avoir annoncé qu'elle formait un recours contre la décision de non-conformité rendue par l'AMF concernant son projet d'OPE, a indiqué que son conseil d'administration avait constaté ce jour là, la réalisation immédiate des apports en nature ayant fait l'objet de traités individuels de la part d'actionnaires d'O2i portant sur environ 9,6 % du capital de cette société et invitait également tous les autres actionnaires et porteurs d'obligations convertibles de la société O2i à signer des traités individuels d'apport en nature et ce, aux termes même du communiqué, « conformément aux intentions affichées depuis le mois de novembre 2014 ».
180.Publié sur le site internet de la société Prologue, ce communiqué s'est adressé à tous les actionnaires et porteurs d'obligations convertibles de la société O2i et cette proposition a revêtu un caractère public.
181.Par ailleurs, comme l'a justement relevé la Commission des sanctions :
– les « intentions affichées depuis le mois de novembre 2014 » sont, compte tenu du contexte et de la chronologie précitée, une référence à la parité d'échange de l'OPE prévue dans le communiqué du 27 novembre 2014 puis la note d'information du 9 décembre 2014 ;
– l'objectif poursuivi par la société Prologue le 2 avril 2015 est le même que celui visé par le projet d'OPE déposé le 9 décembre 2014, à savoir offrir aux porteurs de titres d'O2i des actions Prologue à raison de 3 actions Prologue pour 2 actions O2i (ou 3 actions Prologue à émettre complétées d'une soulte contre 2 OCA O2i).
182.Cette analyse est confirmée par la publication d'un encart réalisée le 10 avril 2015 par la société Prologue, sur son site internet, rappelant la possibilité pour les actionnaires d'O2i « d'apporter leurs titres O2i à Prologue et de se voir attribuer des actions Prologue nouvelles à raison de 3 actions Prologue pour 2 titres O2i » (soulignement ajouté par la Cour).
183.Il résulte de ces éléments que la société Prologue a ainsi proposé publiquement aux actionnaires de la société O2i d'acquérir leurs titres en leur indiquant la parité d'échange sur la base de laquelle elle souhaitait poursuivre sa stratégie de rapprochement.
184.Il ressort par ailleurs du rapport d'enquête (pièce du président de l'AMF no 8), que la société Prologue a conclu dix-huit traités d'apport à la suite du communiqué litigieux et qu'elle a déclaré détenir 3 165 404 actions et droits de vote représentant 45,95 % du capital social de la société O2i le 25 septembre 2015.
185.Contrairement à ce que retient la décision attaquée, la circonstance que certaines modalités de mise en œuvre de l'échange de titres litigieux ne respectent pas les contraintes auxquelles était soumis le projet de note d'information relatif au projet d'OPE soumis à l'AMF ne peut suffire à le faire échapper à une réglementation relevant d'un ordre public économique de direction. Les motifs du paragraphe 42 de la décision attaquée sont ainsi inopérants et doivent être invalidés.
186.Il ne saurait en conséquence être admis qu'à la suite de la décision de non-conformité, devenue définitive, portant sur le projet d'OPE relatif aux titres O2i, la société Prologue ait pu poursuivre, sous couvert d'une qualification de « traités d'apport », qualifiés de « modalité alternative », un échange de titres qui répond à la même finalité et s'appuie sur la même parité d'échange, en s'affranchissant des règles auxquelles l'OPE mise en œuvre était soumise.
187.La Cour relève, au surplus, que le projet d'OPE soumis à l'examen de l'AMF se bornait à mentionner l'existence d'engagements pris dans le cadre de traités d'apports portant sur un pourcentage limité du capital de la société cible, mais n'avait nullement envisagé la possibilité de généraliser l'acquisition des autres titres O2i, indépendamment du projet d'OPE ou des engagements d'ores et déjà conclus, par le biais d'autres traités d'apport de gré-à-gré en vue de détenir un nombre d'actions et de droits de vote représentant plus de 45 % du capital. Le rapport du rapporteur mentionne d'ailleurs, en page 15, que le projet de note d'information initial indiquait que « Prologue envisage de proposer la réalisation de tels apports en nature à l'ensemble des actionnaires d'O2i ayant conclu des traités d'apports et qui souhaiteraient lui transférer la propriété de leurs actions O2i, indépendamment de la question de savoir si le seuil de caducité visé à l'article 231-9 I du [RGAMF] serait atteint ou pas ». Les traités d'apport du 8 décembre 2014, qui n'avaient pas fait l'objet d'une publicité préalable en vue de leur conclusion, sont donc de nature différente de ceux qui ont fait suite au communiqué du 2 avril 2015. Par suite c'est à tort que la Commission des sanctions a énoncé, de manière générale, que le communiqué précité « manifestait la poursuite de la possibilité de conclure des traités d'apport de gré-à-gré, possibilité annoncée publiquement dès l'origine et qu'il n'était prévu de suspendre que pendant la période d'offre publique d'échange. ».
188.Les termes du projet de note d'information initial et du communiqué litigieux démontrent ainsi que ce communiqué ne constituait pas un rappel de modalités alternatives préexistantes, mais bel et bien une proposition publique adressée indifféremment à l'ensemble des actionnaires de la société O2i en vue d'échanger des titres O2i contre des titres Prologue, dans le prolongement du projet d'OPE initial.
189.La décision attaquée doit, en conséquence, être réformée sur ce point.
190.S'agissant, en second lieu, de la caractérisation des deux griefs notifiés en discussion, il est constant, concernant le premier grief relatif à l'atteinte aux règles de fonctionnement des offres publiques, que l'échange des titres de la société O2i a été annoncé le jour même du communiqué portant sur la décision de non-conformité du projet d'OPE, sans avoir suivi la procédure prévue aux articles 231-13, 231-21, 231-23 et 231-32 du RGAMF, et notamment sans avoir été autorisé par une décision de conformité. Par le biais du communiqué litigieux et a fortiori lors de la conclusion des traités d'apport qui l'ont suivi, la société Prologue a ainsi mis en œuvre un projet d'offre qui n'avait pas obtenu le visa prévu par l'article 231-32 du RGAMF, de sorte que ce premier grief est caractérisé.
191.Concernant le second grief relatif à l'atteinte porté aux principes généraux applicables à de telles offres, il convient de l'examiner au regard des articles L.433-1 du code monétaire et financier — déjà énoncé au paragraphe 150 du présent arrêt — et 231-3 du RGAMF, selon lequel « [e]n vue d'un déroulement ordonné des opérations au mieux des intérêts des investisseurs et du marché, toutes les personnes concernées par une offre doivent respecter le libre jeu des offres et de leurs surenchères, d'égalité de traitement et d'information des détenteurs des titres des personnes concernées par l'offre, de transparence et d'intégrité du marché et de loyauté dans les transactions et la compétition ».
192.Tout d'abord, il n'est pas contesté que le 10 avril 2015, la société Prologue a publié sur son site internet un encart précisant « à toutes fins utiles que Prologue se réserve la faculté, le cas échéant, de ne pas donner suite à ces sollicitations, notamment si les participations dont l'apport lui est proposé sont de petite taille ».
193.En se réservant ainsi la possibilité de ne choisir que les actionnaires pouvant apporter un nombre de titres minimum, au préjudice des petits porteurs, la société Prologue a méconnu le principe d'égalité de traitement prévu par la réglementation boursière.
194.Ensuite, il est également établi que la société Prologue a sollicité les actionnaires de la société O2i, sans préciser aucune durée pour son offre publique, alors même qu'un délai de 25 jours de négociation doit être respecté en matière d'offre volontaire. En liant les cours de ces deux sociétés sur une période d'environ six mois, sans offrir aux actionnaires aucune transparence ni prévisibilité et en méconnaissance des principes d'intégrité du marché et de loyauté dans les transactions, la société Prologue a méconnu les principes énoncés aux articles L.433-1 et 231-3 précités. Le second grief est caractérisé.
195.La décision attaquée est en conséquence également réformée sur ce point.
2. Sur la sanction
196.Le président de l'AMF fait valoir que le manquement de non-respect des principes et des règles sur les offres publiques est par nature d'une extrême gravité et s'ajoute à celui, retenu par la Commission des sanctions, de non-respect des règles encadrant l'admission de titres aux négociations sur un marché réglementé (établissement d'un projet de prospectus et obtention du visa de l'AMF sur ce prospectus).
197.Il souligne que ces manquements ont duré près de six mois, la société Prologue ayant sur cette période conclu 18 traités d'apport et procédé à 5 augmentations de capital pour rémunérer ces apports. Il constate qu'au total, ce sont 6 246 643 nouveaux titres Prologue qui ont été émis en rémunération des apports des titres O2i. Tenant compte du fait que la valeur des titres Prologue a été sur cette période de 1,80 euro en moyenne, il évalue le montant de l'opération réalisée en violation de la réglementation à environ 11,2 millions (6 246 643 x 1,8). Eu égard au résultat net limité de la société Prologue (1,6 million en 2018) il demande à la Cour de fixer la sanction à 750 000 euros.
198.Ayant conclu au rejet du recours entrepris par le président, la société Prologue n'a formulé aucune observation sur cette demande.
Sur ce, la Cour,
199.Aux termes de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée sur ces points dans un sens moins sévère depuis, dispose que :
« II.- La Commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : […]
c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d'une fausse information ou s'est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l'article L.621-14, dès lors que ces actes concernent :
- un instrument financier […] admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations
[…]
III.- Les sanctions applicables sont :
[…]
c) Pour les personnes autres que l'une des personnes mentionnées au II de l'article L.621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à g du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés; les sommes sont versées au Trésor public.
Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements ».
200.Le I. de l'article L.621-14 du même code, dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée dans un sens moins sévère depuis, se réfère pour sa part à « tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché ».
201.Par des dispositions qui ne sont pas utilement critiquées en raison de l'irrecevabilité du recours incident de la société Prologue, la Commission des sanctions a considéré que le non-respect de l'obligation d'établir un projet de prospectus et de soumettre ce projet au visa de l'AMF préalablement à toute admission de titres financiers aux négociations sur un marché réglementé, retenu à l'encontre de la société Prologue, est contraire au principe de transparence et porte atteinte tant à la protection des investisseurs qu'au bon fonctionnement du marché.
202.La Cour relève qu'il en va de même des deux autres griefs qui viennent d'être caractérisés, de sorte que la société Prologue encourt au titre de ces trois griefs une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés par le mis en cause concerné.
203.La décision attaquée ayant infligé une sanction de 150 000 euros au titre d'un seul manquement, il convient de réformer la décision attaquée et de sanctionner les trois griefs retenus.
204.Dans la mise en œuvre des sanctions, il peut être tenu compte des éléments énumérés III ter de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, déjà mentionnés au paragraphe 111 du présent arrêt.
205.La Commission des sanctions, par des dispositions qui ne sont pas soumises au contrôle de la Cour par suite de l'irrecevabilité du recours incident, a retenu qu'en portant atteinte aux règles encadrant l'admission de titres financiers aux négociations sur un marché réglementé, destinées à assurer la bonne information du public, la protection des investisseurs et le bon fonctionnement du marché, la société Prologue avait commis un manquement d'une gravité certaine.
206.La Cour relève qu'il en va de même des deux griefs supplémentaires qui viennent d'être caractérisés, qui portent atteinte à des règles relevant d'un ordre public de direction, qui sont destinées à renforcer la transparence, l'intégrité du marché et la loyauté dans les transactions, outre l'égalité de traitement des actionnaires. Les circonstances dans lesquelles ces deux manquements ont été commis renforcent également leur gravité, ces derniers étant intervenus le jour même de la décision de non-conformité du projet d'OPE rendue par l'AMF, sans attendre l'issue du recours engagé contre cette décision qui était notamment motivée par le caractère non-équitable de la parité proposée. Il a été clairement passé outre cette décision en ouvrant, dans les conditions déjà examinées, pendant près de six mois et sans autorisation préalable, des négociations portant sur l'échange des titres de la société cotée qui en était la cible. Un tel comportement, qui traduit un contournement manifeste de la réglementation sur les offres publiques et tend, sciemment, à mettre en échec le contrôle opéré par cette autorité, est d'une gravité certaine.
207.Ainsi que l'a relevé le président de l'AMF, sans être contredit par la société Prologue, les manquements ont duré près de six mois et ont conduit, sur cette période, à la conclusion de 18 traités d'apport et 5 augmentations de capital pour rémunérer ces apports. Le montant de l'opération réalisée en violation de la réglementation, a été évalué par le président de l'AMF à environ 11,2 millions d'euros, compte tenu des 6 246 643 nouveaux titres Prologue émis en rémunération des apports des titres O2i d'une valeur nominale de 1,80 euro en moyenne. Cette estimation, qui n'est pas contestée par la société Prologue, doit également être prise en compte pour déterminer le montant de la sanction à infliger dans le respect des principes de proportionnalité et d'individualisation.
208.Compte tenu de la situation financière de la société Prologue, qui est à la tête d'un groupe ayant réalisé en 2018, selon les données retenues par la Commission des sanctions et qui ne sont pas discutées, un chiffre d'affaires consolidé d'environ 86 millions d'euros pour un résultat net consolidé de 1,57 million d'euros, une sanction de 750 000 euros est justifiée. La décision attaquée est réformée en ce sens.
IV. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS
209.La société QPE demande à la Cour de condamner « l'AMF » à lui payer la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
210.La société Prologue, qui demande à la Cour de juger que l'équité commande de lui rembourser les frais de défense engagés devant la Commission des sanctions à hauteur de 36 000 euros, lui demande également de condamner le président de l'AMF à lui verser la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 précité.
211.M. [Y] demande à la Cour de condamner le président de l'AMF à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
212.Le président de l'AMF invite la Cour à rejeter ces demandes, estimant que l'AMF ne saurait être condamnée ni aux dépens ni aux frais prévus par l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce, la Cour,
213.Sur la demande de remboursement présentée par la société Prologue, il convient de rappeler qu'à la différence des juridictions de l'ordre judiciaire, devant lesquelles se plaide l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'article R.621-40 VI du code monétaire et financier envisage uniquement, devant la Commission des sanctions, que « [l]a décision de sanction mentionne, le cas échéant, ceux des frais de procédure qui sont à la charge de la personne à l'encontre de laquelle une sanction a été prononcée ».
214.En l'absence de texte prévoyant que la personne sanctionnée puisse obtenir le remboursement de tout ou partie des frais de défense exposés devant la Commission des sanctions, cette demande ne peut être accueillie.
215.Les sociétés Prologue et QPE succombant en leur recours et prétentions, il y a lieu de rejeter leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens.
216.Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] l'intégralité des frais qu'il a été contraint d'exposer pour préserver ses droits. En conséquence, le président de l'AMF, qui succombe dans le recours formé contre les dispositions ayant mis M. [Y] hors de cause, sera condamné à lui verser la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE irrecevable le recours incident formé par la société Prologue contre la décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers no 20 du 31 décembre 2019, ayant pour objet son annulation concernant le grief tiré de la violation des dispositions des articles L.412-1 du code monétaire et financier et 212-1 et 212-2 du règlement général de l'AMF et la sanction de150 000 euros qui lui a été infligée ;
DÉCLARE irrecevable la demande de la société Prologue de condamnation de l'AMF en paiement de la somme de 750 000 euros à titre de dommages et intérêts figurant dans ses conclusions en défense récapitulatives ;
REJETTE le recours de la société Le quotidien de Paris éditions formé contre la même décision ;
Et statuant sur le recours du président de l'AMF,
RÉFORME cette décision, mais seulement en ce qu'elle a dit que les griefs formulés à l'encontre de la société Prologue relatifs à l'atteinte portée aux règles de fonctionnement des offres publiques et aux principes généraux des offres publiques d'acquisition n'étaient pas caractérisés et lui a infligé une sanction de 150 000 euros ;
Statuant à nouveau sur ces points,
DIT établis ces deux griefs à l'encontre de la société Prologue ;
PRONONCE une sanction pécuniaire de 750 000 euros à l'encontre de la société Prologue ;
REJETTE les autres demandes de réformation de la décision précitée, relatives à la sanction prononcée à l'encontre de la société QPE et à la mise hors de cause de M. [Y] ;
REJETTE la demande de la société Prologue en remboursement des frais de défense exposés devant la Commission des sanctions ;
CONDAMNE le président de l'AMF à verser à M. [Y] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens.