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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 4 décembre 2019, n° 17/10673

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GIUSEPPE Z. FRANCE (SARL)

Défendeur :

SAINT HONORE 233 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme THAUNAT, Mme PRIGENT

Conseiller :

Mme GIL

Paris, du 9 mai 2017

9 mai 2017

Par acte sous seing privé du 1er octobre 2004 Mme L. et M. et Mme M., aux droits desquels se trouve aujourd'hui la société civile SAINT HONORE 233, ont donné à bail à la société VICINI FRANCE, divers locaux commerciaux situés à [...], pour une durée de trois, six ou neuf années, à compter du 1er octobre 2004 pour finir le 30 septembre 2013. Le loyer a été fixé lors de la dernière révision intervenue le 1er octobre 2013 à la somme de 86 067,84 €.

Par jugement du 14 octobre 2014 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, le juge des loyers commerciaux, avant de fixer le prix du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2014, pour les locaux situés [...], a désigné M. C. en qualité d'expert ; le loyer provisionnel a été fixé au montant du loyer contractuel en cours.

L'expert a déposé son rapport le 16 juin 2015 et a estimé la valeur locative annuelle en principal des locaux à 252.224 euros au 1er juillet 2014 et a arrêté le loyer plafonné à 87 427,05 euros.

Par jugement du 9 mai 2017, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de PARIS a :

Vu le rapport d'expertise de M. Michel C.

- Fixé à 243 767,48 euros par an et en principal à compter du 1er juillet 2014 le montant du loyer du bail renouvelé entre la SARL VICINI FRANCE et la SCI SAINT-HONORE 233 et les époux M. pour les locaux situés [...] toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

- Condamné la SARL VICINI FRANCE à payer à la SCI SAINT-HONORE et aux époux M. les intérêts au taux légal sur les arriérés de loyer à compter du 21 mai 2014, date de l'assignation pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après la date de l'assignation,

- Dit que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière produiront des intérêts, en application de l'ancien l'article 1154 du code civil,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

- Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la SCI SAINT HONORE sur l'application des articles L 111-2, L 111-3, L 111-6 du code des procédures civiles d'exécution.

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- Partagé les dépens par moitié entre les parties, qui incluront le coût de l'expertise judiciaire.

Par déclaration du 29 mai 2017, la SARL VICINI FRANCE, a interjeté appel de cette décision.

M. Patrick M., l'un des copropriétaires indivis, est décédé le 19 novembre 2017 laissant pour lui succéder sa veuve, Mme Evelyne L. et ses quatre enfants, Mme Sophie M., épouse V. DE G., Mme Anne-Laure M., épouse F., M. Pierre-Henry M. et M. François-Xavier M..

Par conclusions en date du 5 mars 2018, les quatre enfants de M. M. sont

intervenus volontairement à l'instance.

Dans ses dernières conclusions signifiées par le RPVA le 15 mai 2019, la société GIUSEPPE Z. FRANCE, venant aux droits de VICINI FRANCE demande à la cour de:

Vu l'article L145-34 du Code de commerce,

Vu l'article R. l45-8 du Code de commerce

- Infirmer la décision de première instance et statuant à nouveau :

A titre principal

- Constater1'absence de modification notable des facteurs de commercialité ayant eu une incidence favorable sur le commerce considéré ;

- Fixer en conséquence le loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2014 à la somme annuelle de 86 067,84€ hors taxe et hors charges ;

A titre subsidiaire

- Fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2014 à la somme annuelle de 90.000 euros hors taxe et hors charges ;

- Dire et juger que la valeur locative doit subir les ajustements suivants en fonction des restrictions de jouissance et obligations résultant de conditions exorbitantes de droit commun à la charge du preneur :

' une minoration de 5% compte tenu du droit de préemption du bailleur en cas de cession

' une minoration de 5% compte tenu de la refacturation de la taxe foncière au preneur

' une minoration de 10% compte tenu de la clause d'accession en faveur du bailleur au fur et à mesure des aménagements et en fin de bail

' une minoration de 7% compte tenu des charges refacturées au preneur au titre des travaux notamment ceux de réglementaires et mise en conformité.

A défaut

- Ordonner une expertise judiciaire afin de déterminer la valeur locative des locaux, objets du litige, suite a la survenance des attentats depuis 2015 ;

- Dire et juger que le loyer du bail renouvelé ne pourra être augmenté que dans la limite de 10% par an, conformément aux dispositions de la loi n°2014-626 du 18 juin 2014 ;

- Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de la SCI SAINT HONORE 233 et de M. Patrick M. et Mme Evelyne L. ;

- Condamner la SCI SA]NT HONORE 233, M. Patrick M. et Mme Evelyne L. aux entiers dépens et honoraires d'expertise dont distraction, pour ceux la

concernant, au profit de Maître Patricia H. ' SELARL 2H AVOCATS et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

- Condamner la SCI SAINT HONORE 233, M. Patrick M. et Mme Evelyne L. au paiement de 6.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 25 avril 2019, la société civile SAINT HONORE 233, Mme Evelyne L. veuve M., Mme Sophie M., épouse V. DE G., Mme Anne-Laure M. épouse F., M. Pierre-Henry M. et M. François-Xavier M. demandent à la cour de :

Vu le rapport de M. Michel C.,

Vu les articles L. 145-33, L. 145-34 et R. 145-6 du code de commerce,

Vu la jurisprudence,

- Débouter la société GIUSEPPE Z. FRANCE de son appel et de l'ensemble de ses demandes,

- Dire que le loyer du bail renouvelé au er juillet 2014 doit être fixé à la valeur locative en raison des motifs de déplafonnement,

- Déclarer les appelants bien fondés en leur appel incident,

Y faisant droit,

- Infirmer le jugement du 9 mai 2017 rendu par le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris quant au calcul du loyer,

Et statuant à nouveau :

- Fixer le prix du bail renouvelé au 1er juillet 2014 à la somme annuelle de 250 750 euros, hors taxes et hors charges toutes les autres clauses, charges et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

- Dire que les intérêts au taux légal sur les loyers arriérés courront à compter de chaque date d'exigibilité depuis le 1er juillet 2014 conformément aux dispositions de l'article 1155 du code civil et leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du même code dans sa version applicable à la cause, pour ceux correspondant à des intérêts dus depuis plus d'un an,

- Dire que les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce ne sont pas applicables à un bail dont le renouvellement s'opère au 1er juillet 2014,

- Dire qu'à défaut d'exercice par les parties de leur droit d'option prévu par l'article L. 145-57 du code de commerce la décision à intervenir constituera un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L. 111-2, L. 111-3 et L. 111-6 du code des procédures civiles d'exécution,

- Dire que les dépens de première instance comprenant les frais d'expertise, seront supportés par moitié par chacune des parties.

- Condamner la société GIUSEPPE Z. FRANCE à payer à société SAINT HONORE 233 et à l'intégralité des consorts M. les dépens d'appel et autoriser maître Frédérique E. à procéder à leur recouvrement en ce qui la concerne dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du même code.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de déplafonnement du loyer

La société GIUSEPPE Z. FRANCE fait valoir qu'il n'est aucunement établi l'apparition d'un flux complémentaire de chalands suffisant, quantitativement et qualitativement par rapport au commerce exercé, pour conférer un caractère notable à l'évolution des facteurs locaux de commercialité, que les constructions immobilières invoquées constituent pour l'essentiel des transformations de surfaces existantes, qui apportaient déjà lors de la conclusion du bail un nombre de chalands importants, que les neuf nouvelles enseignes ont été implantées pour l'essentiel en remplacement d'enseignes existantes, ce qui ne peut être représentatif d'une augmentation potentielle du nombre de chalands, que si des enseignes remplacent d'anciennes enseignes de même notoriété et d'activités similaires, il ne s'agit que d'une rotation classique sans incidence notable, que l'implantation des enseignes était donc déjà massive avant la signature du bail par la société GIUSEPPE Z. FRANCE, que la simple rénovation d'hôtels n'affecte pas notablement les facteurs locaux de commercialité, que ce moyen est inopérant car ces hôtels étaient déjà présents à l'époque de la conclusion du bail et des hôtels de grand prestige accueillaient déjà une clientèle aisée, qu' il n'a pas été démontré l'incidence favorable de cette prétendue modification notable des facteurs locaux de commercialité sur l'activité de la société GIUSEPPE Z. FRANCE, qu'est occulté l'élément négatif constitué par l'impact du chantier de restructuration et la fermeture de boutiques plus particulièrement sur la période concernée par l'expertise judiciaire, que la survenance de dramatiques attentats en 2015 et 2016 en France et plus particulièrement à Paris, ainsi que les risques d'attentats, ont des conséquences considérables et désastreuses sur le tissu économique de la société ce qui a entraîné une diminution importante de la fréquentation des hôtels, que les manifestations des "gilets jaunes" ont impacté directement la [...] avec les restrictions de circulation et d'accès désormais habituelles tous les samedis.

La SCI SAINT HONORE 233 répond que l'expert judiciaire a relevé une augmentation, entre 2004 et 2013 de 40 % de la fréquentation de la station de métro « Pyramides » et de 25 % de la fréquentation de la station de métro « Tuileries », ce qui a entraîné l'irrigation dans le quartier de plus de 3 238 750 personnes supplémentaires par an, que cette augmentation génère un flux de chalands supplémentaires au cours de la période considérée qui n'est pas négligeable et supérieure à la moyenne du réseau parisien, que le quartier a bénéficié d'un lourd programme de réhabilitation de plusieurs ensembles immobiliers, que la commercialité de la [...], dans la section comprise entre la [...] et la [...], a connu un renouvellement certain de ses commerces qui a eu pour conséquence principale de renforcer la présence des enseignes nationales et internationales, que ce renouvellement s'est accompagné d'une montée en gamme des enseignes qui concernent dans leur grande majorité l'équipement de la personne avec une très forte orientation et représentation des enseignes «haut de gamme » et des enseignes de «luxe», laquelle est conjuguée au développement de la fréquentation d'une clientèle touristique à très fort pouvoir d'achat ce qui est également accompagné d'une augmentation de l'offre hôtelière de luxe, que la modification notable des facteurs locaux de commercialité est absolument caractérisée et qu'elle est surtout de nature à avoir une influence favorable sur le commerce de chaussures de luxe exploité par la société locataire, que les événements évoqués par la preneuse sont postérieurs à la date de renouvellement du bail et ne peuvent être pris en compte.

La cour rappelle que selon l'article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. Cependant, l'article L145-34 dudit code instaure un plafonnement du montant du loyer du bail renouvelé qui ne peut excéder les variations de l'indice prévu à cet article, sauf les cas dérogatoires qu'il précise, relatifs notamment à la modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L145-33 permettant de déterminer la valeur locative.

L'expert judiciaire a décrit les locaux ainsi :

- Au rez-de-chaussée : boutique située à gauche de l'entrée de l'immeuble en surélévation d'une marche accessible par une porte vitrée à simple vantail qui constitue une aire de vente de configuration relativement rationnelle, murs et faux plafond peints avec éclairage encastré, départ d'escaliers vers l'entresol et le sous-sol, sol carrelé.

- En entresol : accessible depuis l'aire de vente du rez-de-chaussée par un escalier

d'une largeur de 0,90 mètre environ comprenant une aire de vente éclairée par une fenêtre sur la [...], par une fenêtre sur la cour et d'une hauteur sous plafond de 2,33 mètres.

- Au sous-sol : accessible depuis le rez-de-chaussée par un escalier d'une largeur de 0,90 mètre environ comprenant réserves et sanitaires.

Les locaux dont s'agit sont situés [...].

L'expert indique que la [...] peut se scinder en trois tronçons :

-"un premier tronçon de la [...] à la [...], de très bonne commercialité exclusivement orienté vers les activités haut de gamme et de luxe que sont le prêt à porter, la joaillerie, la cosmétique avec soixante douze commerces dont quarante trois enseignes nationales ou internationales,

- un deuxième tronçon compris entre la [...] et la [...] comprenant cent vingt six commerces dont quarante six enseignes nationales ou internationales avec une prédominance pour les activités "branchées" d'équipement de la personne et les cafés-hôtels-restaurants,

- un troisième tronçon de la [...] à la rue des halles sur lequel la commercialité est principalement orientée sur les activités hôtelières et la restauration (113 boutiques dont13 enseignes nationales ou internationales).

L'expert précise que les locaux occupés par la société GIUSEPPE Z. FRANCE, sont implantés en limite des premier et deuxième tronçons de la [...], à proximité immédiate du carrefour que forme cette voie avec la [...] ([...]), dans un secteur prestigieux et touristique au coeur d'une des artères les plus réputées de la capitale.

Le quartier est desservi par les stations de métro « Pyramides" (à environ 600 m du local) et "Tuileries" (à environ 300 m). M.C., expert judiciaire, a relevé une augmentation, entre 2004 et 2013 de 40 % de la fréquentation de la station de métro « Pyramides » et de 25 % de la fréquentation de la station de métro « Tuileries ». La fréquentation de la station de métro « Concorde » a augmenté de 20,56 % entre 2004 et 201 ce qui signifie une augmentation notable de la fréquentations des stations de métro à proximité du quartier où sont situés les locaux. La progression de la fréquentation de ces stations desservant ce tronçon de la [...] excède la moyenne relevée dans la capitale, laquelle est d'environ 20%.

Sur la réhabilitation du quartier, l'expert a constaté, chiffres à l'appui, que l'augmentation de la population avait été insignifiante durant la période du bail écoulé, et que compte tenu de l'ancienneté de l'urbanisme environnant, il n'avait pas été édifié de nouvelles constructions mais des surfaces existantes à usage d'habitation avaient été aménagées en bureaux ou établissements hôteliers.

L'expert judiciaire a recensé toutes les nouvelles enseignes qui se sont installées dans le quartier de la [...] au cours du bail expiré:

Secteur [...]/[...]

au n° 223 : P. KA Prêt à porter en 2007

au n° 231 : J. P. H. Chocolatier

au n° 233 : MALLES B.

au n° 217/219 : M.-M. Prêt à porter en 2013

KIEHL'S Cosmétique

au n° 215 : BA&SH Prêt à porter en 2007

au n° 229 : CHURCH'S Chausseur

au n° 235 : P. M. Chocolatier en 2013

au n° 237 : F. R. Chausseur en 2010

au n° 350 : DODO (POMELLATO) Bijoux

B. Chausseur

au n° 352 : K. T. Thé en 2013

au n° 342 : B. Prêt à porter en 2013

GUCCI Prêt à porter

au n° 352 : M. M. Malletier en décembre 2011

au n° 243/245 W. Chausseur en 2013

au n° 239/241

dans I'ensemble immobilier réalisé parle Groupe HAMMERSON face à I'hôtel ' COSTES' :

25.000 m² de bureaux,

5.000 m² de commerces

150 emplacements de parking.

TOMMY HILFINGER sur 746 m²

ANNE FONTAINE sur 694 m²

CACHAREL sur 421 m²

BROOK BROTHERS sur 800 m²

NORIEM sur 700 m²

HUGO BOSS sur 880

L'expert a fait observer que les enseignes CACHAREL, ANNE FONTAINE et TOMMY

HILFINGER ont été remplacées en cours de bail par les enseignes CHRISTIAN DIOR (Parfums) VICTOR AND ROLF » (Prêt à porter), GIORGO ARMANI (Prêt à porter), C. (joaillerie).

Au 380 ([...]) s'est installée l'enseigne AUDEMARS PIGNET (Montres) et C. Couture et en face sur plusieurs niveau ROBERTO CAVALLI (Prêt à porter) aux lieux et place de LAURA A. (Mode et décoration).

Au [...] a été inauguré en juin 2011 un établissement hôtelier, classé en catégorie 5* le MANDARIN ORIENTAL aménagé aux lieu et place d'un immeuble désaffecté ayant abrité d'anciens bureaux de l'administration publique.

Cet hôtel comprend :

- 138 chambres et suites,

- un spa de : 900 m2

- deux restaurants dont un restaurant gastronomique dirigé par le chef Thierry M..

La hausse de fréquentation du métro desservant les lieux loués est notable dans la mesure où elle est bien supérieure à celle observée de l'ensemble du réseau. Elle traduit le fort pouvoir d'attraction de ce quartier fréquenté par de nombreux touristes, compte tenu de sa proximité avec le musée du Louvre, du jardin des Tuilerie et de la place Vendôme. L'existence de ce flux de chalands supplémentaires, ne peut être négligée, mais s'agissant d'un commerce de luxe, la preuve n'est pas rapportée que cette augmentation aurait à elle seule un effet favorable sur le commerce considéré.

Si les 25.000 m² de bureaux réalisés par le groupe HAMMERSON dans l'ensemble immobilier face à 1'hôtel COSTE ne constituent pas un apport de clientèle, les 5.000 m² de commerces ont permis comme l'a souligné l'expert, l'ouverture de nouvelles boutiques de luxe sans que soient évoquées au cours de l'expertise et en tout état de cause pas démontrées par la preneuse l'existence de nuisances résultant des travaux réalisés et la fermeture de boutiques avec un impact sur le commerce exploité par la preneuse.

Cette nouvelle offre commerciale et hôtelière ne peut être considérée sans incidence aux motifs qu'elle ne ferait que remplacer des enseignes existantes ; la cour observe que les boutiques qui ont remplacé celles existantes ont une activité davantage orientée vers le haut de gamme et qu'il y a lieu de constater l'ouverture de nombreuses nouvelles enseignes de luxe. Il ne s'agit donc pas d'une simple rotation d'enseignes, mais bien d'une montée en gamme desdites enseignes. Par ailleurs, l'ouverture de l'hôtel 5 étoiles MANDARIN ORIENTAL a contraint les autres hôtels à se rénover pour offrir un niveau de réception équivalent.

La bailleresse verse au débats un article de journal du 25/11/ 2015 démontrant que le secteur du tourisme a subi une baisse de fréquentation liée aux attentats et des articles de journaux sur les actions "des gilets jaunes" établissant que la [...] a été atteinte directement par des blocages incessants de la circulation pour des raisons de sécurité.

Si ces éléments sont établis, ils ne se sont pas produits pendant la période considérée puisque le prix du bail doit être fixée au 1er juillet 2014 et les événements cités ont eu lieu en 2015-2016 et à compter de novembre 2018 pour les derniers soit à une date postérieure. Ils ne peuvent donc être pris en compte pour la fixation du présent loyer.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité caractérisé par la conjonction de l'ouverture de nombreuses nouvelles boutiques dont l'activité est orientée vers le luxe et de l'offre hôtelière que ce soit en rénovation afin d'offrir des prestations attendues d'une clientèle au fort pouvoir d'achat ou la création d'un hôtel de grand luxe constitue un environnement favorable à l'activité de chausseur de luxe exercée par la preneuse ce qui justifie le déplafonnement du loyer. L'augmentation de la fréquentation des stations de métro desservant les lieux sera également retenue dans la mesure où elle a contribué, par un flux de chalands supplémentaires, pouvant pour certains être intéressés par ce commerce, à la modification des facteurs locaux de commercialité. Cette disposition sera mentionnée au dispositif de l'arrêt.

Sur la fixation du loyer

La société GIUSEPPE Z. FRANCE demande de retenir un prix unitaire de 1598,57 € et soutient qu'il est manifeste que le prix unitaire relevé au mètre carré retenu par l'expert judiciaire apparaît particulièrement surévalué, que celui-ci ne se fonde que sur des références relatives uniquement à des procédures d'éviction, que la libre cession du bail doit être soumise à l'accord du bailleur ce qui présente pour lui un avantage justifiant un abattement et non une majoration telle que retenue à hauteur de 10%, que le droit de sous-location consenti à une filiale du groupe ne présente pas d'intérêt pour la preneuse dont le groupe ne possède qu'une seule activité et que la clause écarte tout droit au renouvellement direct du sous-locataire vis à vis du bailleur, que compte tenu des modalités d'accession en faveur du bailleur avec des modalités contradictoires (i) au fur et à mesure de la réalisation des aménagements puis (ii) des modalités d'accession "en fin de bail puis de tous renouvellements successifs" combinées à une option en faveur du bailleur de pouvoir demander quoiqu'il en soit la remise en état des locaux, il est justifié d'appliquer un coefficient de minoration du loyer non inférieur à 10% de la valeur locative, que la prise en charge par le preneur de tous les travaux même ceux relevant du bailleur implique un abattement qui ne saurait être inférieur à 7%, qu'elle doit bénéficier des dispositions de la loi du 18 juin 2014 prévoyant qu'en cas de loyer déplafonné, les augmentations ne s'appliquent que par paliers de 10%.

La bailleresse demande que soit retenue l'évaluation proposée par l'expert quant au calcul de la surface pondérée et du prix au m², qu'il y aura lieu de déduire le montant de la taxe foncière, que le preneur est autorisé à céder librement son droit au bail, mais seulement en totalité, à toute personne physique ou morale, dont la solvabilité aura auparavant été reconnue par les bailleurs, que cette clause permet au locataire de céder son droit au bail indépendamment de son fonds de commerce et justifie une majoration comme la faculté de sous-louer à un membre du groupe, qu'enfin, la société G. Z. considère que la clause d'accession en fin de bail justifierait une minoration de 10 % de la valeur locative alors que c'est habituellement, dans la situation inverse, lorsqu'il existe une clause d'accession en fin de jouissance que la jurisprudence applique une minoration de la valeur locative, que la clause relative aux charges est habituelle et ne justifie aucun abattement, que l'article 21 de la loi du 18 juin 2014 a énoncé que ces dispositions étaient applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, que le bail en cause est renouvelé au 1er juillet 2014 et que les dispositions du dernier alinéa de l'article L.145-34 du code de commerce ne sont donc pas applicables.

L'expert judiciaire a proposé de retenir une surface pondérée de 56,32 m² arrondi à 56,30 m².

Les parties ne discutant ni les surfaces ni la pondération proposées par l'expert et entérinées par le juge des loyers commerciaux, le jugement sera confirmé de ce chef.

Pour proposer une valeur locative de 4000 € au 1er juillet 2014, date du renouvellement, M.C., expert judiciaire a donné une référence judiciaire, une référence dans le cadre d'une procédure d'éviction, des références obtenues pour des renouvellements amiables et pour des locations nouvelles dont certaines avec versement d'un pas de porte ; ces locaux commerciaux sont tous situés dans la [...] avec une activité similaire à celle exercée par la preneuse ou de prêt à porter.

Pour la référence judiciaire, il résulte du jugement déféré que par décision du 24 mars 2016, il a été retenu pour un renouvellement au 1er février 2013 un prix au m² de 4200 € pour ce local commercial d'une surface de 72 m²P exploité par la société W. dont l'activité est orientée vers la vente de chaussures de luxe et qui est situé au [...]

Pour la référence résultant d'une procédure d'éviction, pour une surface pondérée de 38 m², située [...], avec un renouvellement au 1er juillet 2010, pour un magasin de prêt à porter, la valeur locative de renouvellement est de 4000 € le m² et la valeur de marché de 8500€ le m².

Pour les renouvellements amiables, pour des surfaces supérieures à 100 m², le prix au m² s'élève à 1845 euros pour un renouvellement en janvier 2011, 2207 € pour un renouvellement en janvier 2010, 4140 € et 6005 euros pour des renouvellements au 1er avril 2013.

Pour les locations nouvelles, le prix au m² s'élève à 6126 euros pour un local de 71 m² pour la seule référence fournie concernant un bail conclu au 15 juillet 2009.

Pour les loyers décapitalisés, en prenant en compte le seul loyer facial, les prix s'étendent de 2775 € le m² à 4675 € le m² pour des surfaces supérieures à 200m² et dans le cadre de cession, les prix vont de 4125 € à 9390 €.

La société G. Z. verse aux débats un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 23 mars 2015 pour un salon de coiffure situé [...] ; le prix au m² a été fixé à 2000 € pour une surface de 91 m² boutique au 1er janvier 2009. Cette fixation est antérieure de 5 ans à la présente fixation. L'expert auquel cette référence a été soumise a précisé que ce local était situé non à proximité immédiate de celui occupé par la preneuse mais entre la [...] et la [...], dans un tronçon où les prix sont moins élevés.

Contrairement à ce qu'allègue la preneuse, l'expert judiciaire n'a pas proposé que des évaluations réalisées dans le cadre d'indemnités d'éviction Il a choisi des références diversifiées permettant de constater que sur la période considérée, les prix vont de 1845€ à 9390€ euros pour des surfaces équivalentes ou plus importantes.

La cour fait observer que trois loyers, dans le cadre de renouvellements amiables ont été fixés l'un à 1845€ le m² au 1er janvier 2011 pour une surface de 168 m², un second a été fixé à 2207 € au 1er janvier 2010 pour une surface de 227 m², un troisième à 2775 € le m² pour une surface de 209 m². Toutes les autres références proposées soit la majorité vont de 3990€ le m² à 6140€, l'une atteignant même 9390€ le m² pour une surface de 213m² dans le cadre d'une cession.

Il sera rappelé que comme pour la modification des facteurs locaux de commercialité, les facteurs exogènes tels que les attentats intervenus en 2015 et ultérieurement en ce qu'ils ne concernent pas la période considérée ne peuvent être pris en compte.

Au vu de la situation très favorable du local commercial, de son parfait état, et des prix relevés dans la [...], pour des commerces à l'activité similaire ou proche, l'évaluation de 4000 euros le m², proposée par l'expert sera entérinée sans que les éléments versés aux débats justifient que soit ordonnée une nouvelle expertise.

Sur les correctifs à appliquer

L'expert a proposé une majoration de 10 % pour le droit de cession libre du bail ce que conteste la société G. Z. qui allègue le fait que cette cession ne peut intervenir que si celle-ci porte sur la totalité du bail et que si le bailleur estime que le repreneur présente une solvabilité suffisante. Elle fait également valoir que le bailleur bénéficie d'un avantage en ce qu'il peut exercer un droit de préemption.

Comme le souligne la bailleresse, le bail est indivisible. Le droit de préemption du bailleur doit être considéré comme une clause habituelle qui n'apporte pas de restriction de jouissance à la preneuse. Il est également de l'intérêt de la preneuse de s'assurer des garanties de solvabilité du cessionnaire dans le cadre d'une cession.

En conséquence, il sera appliqué une majoration de 5 % et non de 10 % pour cet avantage qui permet à la locataire de céder librement son droit au bail, dans des conditions encadrées.

Il a été proposé une majoration de 2 % pour la possibilité pour la société G. Z. de sous-louer les locaux à une société du même groupe ce qui constitue un avantage pour la preneuse, et doit en conséquence être retenue.

La clause d'accession en fin de bail en faveur du bailleur qui est une clause habituelle ne donne pas lieu ordinairement à abattement. Contrairement à ce que soutient le preneur, les clauses relatives aux travaux ne présentent pas de caractère exorbitant du droit commun.

En revanche, la prise en charge par la preneuse du coût de la taxe foncière donne lieu à déduction du montant de celle-ci du loyer fixé. Les taxes liées à l'occupation de l'immeuble sont à la charge de la locataire et ne donnent pas lieu à minoration du loyer.

Il est proposé par la bailleresse le calcul suivant de la part de la taxe foncière à charge de la preneuse dont le montant total s'élève à 6 968 euros.

Pour l'année 2014, au vu de l'avis d'imposition produit aux débats, la quote-part de taxe foncière prise en charge par la preneuse s'est élevée à 1 456,52 euros aux termes du mode de calcul suivant non contesté :

33 070 € (revenu cadastral de l'immeuble) / 9 802 € (revenu cadastral du lot occupé par le preneur) = rapport de 3,37

6 968 € (taxe foncière de l'immeuble) - 2 054 € (taxe des ordures ménagères de l'immeuble) = 4 914 €

4 914 € / 3,37 = 1 458,16 € arrondi à 1458€

Sur l'application de la loi du 18 juin 2014 sur le bail en cours

L'article 21 de la loi du 18 juin 2014 a expressément énoncé que les dispositions prévus aux articles 3, 9 et 11 de la loi étaient applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de ladite loi soit le du 1er septembre 2014.

Le bail, objet du présent litige ayant été renouvelé à la date du 1er juillet 2014, les dispositions du dernier alinéa de l'article L.145-34 du code de commerce prévoyant qu'en cas de déplafonnement du loyer, la variation de loyer en découlant ne peut excéder 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente ne sont donc pas applicables en l'espèce.

L'absence d'accord sur le prix du loyer ne fait pas obstacle à ce que la date de renouvellement du bail soit fixé au 1er juillet 2014, et l'augmentation du loyer et l'entrée en vigueur de la loi quelques mois plus tard ne caractérisent pas un motif impérieux tiré de l'intérêt général justifiant l'application des nouvelles dispositions au bail litigieux.

La société G. Z. sera donc déboutée de sa demande de ce chef.

En conséquence le loyer s'élève à la somme suivante :

56,30 m² x 4000 euros = 225 200 euros

- droit libre de cession du bail : + 5 % : 11260 €

- sous-location possible à une société de son groupe : + 2% : 4504 €

montant du loyer : 240 964 €

- taxe foncière : 1458 euros

montant annuel du loyer au 1er juillet 2014 : 239 506 euros

Les intérêts sur les loyers arriérés ne courent qu'à compter de la date de la demande et cette date dépend de celui qui est demandeur à la procédure. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qui concerne les intérêts.

Dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision définitive qui fixe le montant du loyer du bail renouvelé, le bailleur ou le preneur peuvent opter pour le non-renouvellement du bail, ce délai ne fait pas obstacle à l'exécution de la décision définitive fixant le montant du loyer, qui peut être poursuivie tant que le droit d'option n'est pas exercé.

A défaut d'exercice par les parties de leur droit d'option prévu par l'article L. 145-57 du code de commerce, la présente décision devenue définitive constituera un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L. 111-2, L. 111-3 et L. 111-6 du code des procédures civiles d'exécution.

Sur les demandes accessoires

Compte tenu de la nature du litige, le jugement sera confirmé en ce qu'il a partagé entre les parties le coût de l'expertise et les dépens.

Pour la procédure d'appel, il n'est pas inéquitable de laisser aux partie la charge de leurs frais irrépétibles et les dépens seront partagés par moitié.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne le quantum du montant du loyer du bail renouvelé et le débouté relatif au rappel de l'exécution de la décision définitive fixant le montant du loyer du bail renouvelé à défaut d'exercice du droit d'option ;

l'infirme sur ces points,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Dit qu'il existe une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence sur l'activité exploitée, justifiant que le loyer soit fixé à la valeur locative,

Fixe à 239 506 euros par an et en principal à compter du 1er juillet 2014 le montant du loyer du bail renouvelé pour les locaux situés [...] toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

Dit qu'à défaut d'exercice par les parties de leur droit d'option prévu par l'article L.145-57 du code de commerce la présente décision devenue définitive constituera un titre exécutoire conforme aux dispositions des articles L. 111-2, L. 111-3 et L. 111-6 du code des procédures civiles d'exécution,

Déboute les parties de leur demande au titre des frais irrépétibles,

Condamne chaque partie à payer la moitié des dépens de la procédure d'appel avec distraction au bénéfice des avocats postulants qui en ont fait la demande conformément à l'article 699 du code de procédure civile.