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Décisions

Cass. crim., 11 octobre 2022, n° 22-81.244

COUR DE CASSATION

Arrêt

Autre

Aix-En-Provence, du 10 fév. 2022

10 février 2022

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 7 avril 2020, le responsable de la maison d'arrêt de [Localité 1] a informé le procureur de la République que deux détenus, dont M. [R] [F], condamné du chef de proxénétisme, se livreraient à un trafic de stupéfiants, au sein de cet établissement, avec la complicité de deux surveillants corrompus.

3. Le procureur de la République a ordonné une enquête préliminaire sur ces faits au cours de laquelle, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, des lignes téléphoniques attribuées à M. [F] ont été interceptées. Parallèlement, les enquêteurs ont requis les données de connexion de l'une de ces lignes ainsi que de celle attribuée à Mme [I] [T], sa compagne.

4. Le 22 juin 2020, les enquêteurs ont dressé un procès-verbal de « synthèse des interceptions » dont il résultait qu'aucune conversation n'avait mis en évidence des faits de corruption ou de trafic de stupéfiants. En revanche, l'interception des lignes précitées révélait que M. [F] poursuivrait l'organisation de la prostitution de jeunes femmes depuis sa cellule.

5. Le 25 juin 2020, le procureur de la République a ordonné la transcription des conversations relatives aux faits de proxénétisme ainsi que la transmission de la procédure.

6. Après enquête préliminaire, le procureur de la République a ouvert le 4 février 2021 une information judiciaire des chefs de proxénétisme aggravé en bande organisée, association de malfaiteurs et blanchiment.

7. Mis en examen, le 23 avril 2021, des chefs de proxénétisme aggravé et blanchiment, en récidive, M. [F] a saisi, le 23 août suivant, la chambre de l'instruction d'une requête en nullité.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par Mme [F]

8. Mme [F], n'ayant déposé ni requête ni mémoire devant la chambre de l'instruction, n'a pas été partie à la procédure devant cette juridiction.

9. Il s'ensuit que son pourvoi est irrecevable.



Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité des opérations d'interception téléphonique, alors :

« 1°/ que la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant la mise en place d'une interception téléphonique au cours de l'enquête doit être motivée par référence aux éléments de fait et droit justifiant de la nécessité de l'opération ; qu'en refusant d'annuler les interceptions téléphoniques effectuées sur les lignes attribuées au mis en examen, lorsqu'une motivation identique à l'ensemble des ordonnances prescrivant la mise en oeuvre des interceptions téléphoniques et qui ne fait état d'aucun élément de fait issu de l'enquête ne satisfait pas aux exigences précitées, la chambre de l'instruction a violé les articles 100, 100-1, 706-95 et 591 du code de procédure pénale, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que, le procureur de la République est tenu d'informer sans délai le juge des libertés et de la détention ayant autorisé une interception téléphonique au cours de l'enquête des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation ; qu'en rejetant la requête en annulation présentée par le mis en examen sans examiner, comme cela lui était demandé, le moyen pris de la nullité des interceptions téléphoniques à défaut pour celles-ci d'avoir été réalisées sous le contrôle du juge des libertés et de la détention ayant ordonné leur mise en oeuvre, en raison de l'absence de toute information lui ayant été communiquée par le procureur de la République, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles préliminaire, 100-4, 100-5, 706-95 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en outre, lorsqu'une opération d'interception téléphonique est mise en oeuvre au cours de l'enquête, il appartient au juge des libertés et de la détention ayant autorisé la mesure ou à l'officier de police commis par lui de retranscrire la seule correspondance utile à la manifestation de la vérité ; qu'en rejetant la requête en annulation présentée par le mis en examen sans répondre au moyen pris de la nullité de la retranscription des conversations dépourvues de tout lien avec l'enquête en cours, faute pour les officiers de police judiciaire d'y avoir été autorisés par le juge des libertés et de la détention, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 100-4, 100-5, 706-95 et 593 du code de procédure pénale ;


4°/ qu'enfin et en tout état de cause, seules les correspondances utiles à la manifestation de la vérité peuvent faire l'objet d'une retranscription ; qu'en rejetant la requête en annulation présentée par le mis en examen sans répondre au moyen pris de la nullité de la retranscription des conversations dépourvues de tout lien avec l'enquête en cours, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 100-4, 100-5, 706-95 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

11. Pour écarter le moyen de nullité proposé par M. [F], pris de ce que les autorisations d'interception, d'enregistrement et de transcription des correspondances émises à partir des quatre lignes qui lui ont été attribuées successivement n'étaient pas motivées en fait, l'arrêt, après avoir énoncé les termes de chacune, retient, que pour chaque ordonnance critiquée, le juge des libertés et de la détention a motivé sa décision en visant la suspicion d'un trafic de stupéfiants au sein de la maison d'arrêt de [Localité 1], l'éventuelle implication dans celui-ci de deux surveillants et du détenu M. [F] et la finalité de ces interceptions, à savoir la vérification de l'existence de liens entre les intéressés.

12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a constaté, à juste titre, que le juge des libertés et de la détention avait motivé la nécessité de ces opérations au regard des éléments de l'espèce, a justifié sa décision.

13. En effet, le demandeur ne saurait arguer de la similitude de la motivation des quatre ordonnances critiquées pour en déduire qu'elles sont nulles dès lors qu'elles se sont succédé dans un bref délai, entre le 28 mai 2020 et le 18 juin suivant, afin de prendre en compte les changements successifs de la ligne attribuée à M. [F], de sorte que les éléments de fait commandant les premières investigations étaient de nature à justifier aussi la dernière interception téléphonique.

14. Le grief ne peut dès lors être accueilli.

Sur le premier moyen, pris en ses autres branches

15. C'est à tort que, pour refuser d'annuler les interceptions téléphoniques autorisées par le juge des libertés et de la détention au motif qu'elles n'auraient pas été réalisées sous son contrôle et qu'aucune information ne lui aurait été transmise par le procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce que ce dernier n'est tenu d'informer le juge des libertés et de la détention que sur les diligences effectuées et non sur leur contenu.

16. En effet, l'alinéa 4 de l'article 706-95 du code de procédure pénale exige que le juge des libertés et de la détention soit informé notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation, par application de l'article 100-5 du code de procédure pénale.

17. Or, il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que le juge des libertés et de la détention n'a été destinataire ni du procès-verbal des enquêteurs informant le procureur de la République de l'existence d'interceptions révélant que M. [F] paraissait se livrer à des activités de proxénétisme depuis son lieu de détention ni des procès-verbaux de transcription de ces interceptions.

18. Il s'ensuit que la formalité substantielle d'information du juge des libertés et de la détention prévue à l'article précédent a été méconnue.

19. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure pour les motifs qui suivent.

20. La Cour de cassation juge que la nullité n'est encourue, en application des articles 173 et 802 du code de procédure pénale, que si le demandeur établit que l'inobservation de la formalité précitée a eu pour effet de porter atteinte à ses intérêts (Crim., 26 juin 2007, pourvoi n° 07-82.041, Bull. crim. 2007, n° 172).

21. Tel n'est pas le cas en l'espèce dès lors que, contrairement à ce que soutient le requérant, ni l'article 100-5 du code de procédure pénale ni aucune autre disposition dudit code ne font obligation aux officiers de police judiciaire de recueillir l'autorisation du juge des libertés et de la détention préalablement à la transcription d'interceptions révélant des faits étrangers à leur enquête susceptibles d'être qualifiés pénalement.

22. Les griefs ne peuvent dès lors être accueillis.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

23. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tirés de la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation, et de l'accès à ces données, alors :

« 1°/ que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52, paragraphe 1, de la Charte, et du principe d'effectivité, s'oppose à une réglementation nationale permettant à titre préventif la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation, de sorte que le juge pénal est tenu d'écarter les informations et les éléments de preuve qui ont été obtenus au moyen d'une telle conservation (CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net) ; que, dès lors, en refusant d'annuler l'exploitation des factures détaillées des lignes attribuées au mis en examen et à Mme [T], lesquelles contenaient des données relatives au trafic et des données de localisation conservées de manière généralisée et indifférenciée en application des articles L. 34-1 et R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

2°/ que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte, s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale (CJUE, 2 mars 2021, H.K/Prokuratuur, Aff. C-746/18) ; qu'en refusant d'annuler les réquisitions adressées par les enquêteurs aux opérateurs de téléphonie aux fins de communication des factures détaillées des lignes téléphoniques du mis en examen et de Mme [T] en vertu de l'autorisation donnée par le seul procureur de la République, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

3°/ qu'enfin, l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte impose que l'accès aux données relatives au trafic et aux données de localisation fasse l'objet d'une autorisation préalable d'une autorité indépendante (CJUE, 2 mars 2021, H.K/Prokuratuur, Aff. C-746/18) ; qu'en refusant d'annuler les réquisitions adressées par les enquêteurs aux opérateurs de téléphonie aux fins de communication des factures détaillées des lignes téléphoniques du mis en examen et de Mme [T] aux motifs que « le recours à des injonctions à des fournisseurs de services de télécommunications électroniques (?) est soumis à un contrôle juridictionnel d'une juridiction d'instruction ou de jugement » (arrêt p. 9, § 3), lorsque le contrôle effectué par les juridictions d'instruction et de jugement est nécessairement postérieur à l'accès aux données de connexion, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne. »



Réponse de la Cour

24. La Cour de cassation a, par arrêt en date du 12 juillet 2022, rendu au visa de l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, énoncé les principes suivants (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).

25. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, tel qu'il résultait du décret n° 2012-436 du 30 mars 2012, est contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l'exception des données relatives à l'identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu'en matière de criminalité grave, de celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d'une connexion.

26. En revanche, la France se trouvant exposée, depuis décembre 1994, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale, les textes précités de droit interne étaient conformes au droit de l'Union en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal.

27. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, lus en combinaison avec le sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, permettaient aux autorités compétentes, de façon conforme au droit de l'Union, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, d'ordonner la conservation rapide, au sens de l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, des données de connexion, même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.

28. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'un moyen en ce sens, de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.

29. S'agissant de la gravité des faits, il appartient au juge de motiver sa décision au regard de la nature des agissements de la personne poursuivie, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.

30. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l'Union uniquement en ce qu'ils ne prévoient pas préalablement à l'accès aux données un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante.

31. L'existence d'un grief pris de l'absence d'un tel contrôle est établie si l'accès aux données de trafic et de localisation a méconnu les conditions matérielles posées par le droit de l'Union. Tel est le cas si l'accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, s'il a eu lieu, hors hypothèse de la conservation rapide, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation, n'a pas été circonscrit à une procédure visant à lutter contre la criminalité grave et a excédé les limites du strict nécessaire.

32. En l'espèce, c'est à tort, pour les raisons exposées au paragraphe 25, que, pour écarter la nullité des réquisitions litigieuses, prise de la non-conformité du droit français aux exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de trafic et de localisation, l'arrêt attaqué énonce, en substance, que la Cour de justice de l'Union européenne a admis qu'une législation nationale permette, en l'encadrant, une ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel sous réserve de proportionnalité au regard de l'objectif poursuivi, les injonctions de conservation étant par ailleurs soumises à un contrôle juridictionnel d'une juridiction d'instruction ou de jugement.

33. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure pour les motifs qui suivent.

34. D'une part, la chambre de l'instruction a, à juste titre, énoncé que les faits de trafic de stupéfiants au sein d'une maison d'arrêt et de corruption de fonctionnaires entrent dans le champ de la criminalité grave.

35. D'autre part, elle a également relevé qu'en l'espèce l'ingérence dans les droits fondamentaux des personnes concernées n'était pas disproportionnée.

36. Il s'ensuit que les données étaient licitement conservées.

37. Enfin, si conformément au droit de l'Union, le procureur de la République ne pouvait accéder à ces données, il n'en est pas résulté de grief pour la personne mise en examen dès lors qu'il résulte de la motivation de la chambre de l'instruction que l'accès a porté sur des données licitement conservées, pour une durée limitée à ce qui était strictement nécessaire.

38. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

39. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par Mme [F] :

Le déclare IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé par M. [F] :

Le REJETTE.