CA Paris, 1re ch. H, 16 septembre 2003, n° 2003/6260
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires, Tocqueville Finance (SA)
Défendeur :
Legrand (SA), Fimaf (SAS), Commission des Opérations de Bourse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Delmas-Goyon
Avoué :
SCP Fisselier Chiloux Boulay
Avocats :
Me Géniteau, Me Martin
Après avoir à l’audience publique du 24 juin 2003, entendu les conseils des parties, les observations du représentant de la Commission des opérations de bourse, celles du Ministère Public, les parties ayant eu la parole en dernier ;
La Cour est saisie du recours en annulation déposé le 7 avril 2003 par 1’Association pour la Defense des Actionnaires Minoritaires (ADAM), ainsi que par la société Tocqueville Finance, Jean-Philippe Richemond, Olivier Richemond et Christophe Richemond, contre la décision du 27 mars 2003 de la Commission des opérations de bourse (COB) apposant son visa n° 3-196 sur la note d’information préparée conjointement par les sociétés Fimaf et Legrand, concernant le projet d’offre publique de retrait suivie d’un retrait obligatoire présenté par les sociétés Crédit Suisse First Boston et Lehman Brothers, agissant pour le compte de la société Fimaf SAS (société Fimaf), visant les actions de la société Legrand inscrite sur le premier marché de la Bourse de Paris, et proposant un prix respectivement de 136,73 euros par action ordinaire et de 114,13 euros par action dividende prioritaire (ADP).
Les requérants ont également formé le 7 avril 2003 un recours en annulation enregistré au greffe de la Cour sous le n° 2003/06255N, contre
- la décision n° 203C0442 du Conseil des marchés financiers (le CMF ou le Conseil) en date du 26 mars 2003, publiée le 28 mars 2003, qui, par application des articles 5-7-1 et 5-1-9 de son règlement général, a déclaré ce projet d’offre recevable,
- la décision n° 203C0467 du 31 mars 2003 du Conseil, prononçant l’ouverture de l’offre et fixant le calendrier de la procédure.
Ce projet d’offre faisait suite
- à l’interdiction opposée par la Commission européenne au rapprochement des sociétés Schneider et Legrand effectue par une OPE réalisée en juin 2001, les décisions de la Commission des 10 octobre 2001 et 30 janvier 2002 ayant été cependant annulées par le TPICE le 22 octobre 2002,
- à la cession par la société Schneider Electric le 10 décembre 2002, en dépit de cette annulation, de sa participation dans le capital de la société Legrand soil 21.060.724 actions ordinaires et 6.548.139 ADP représentant 98,1 % du capital et 98,7 % des droits de vote, a la société Fimaf,
- et à la procédure de garantie de cours initiée par cette dernière le 11 décembre 2002 au prix respectivement de 136,73 euros par action ordinaire et de 114,13 euros par action a dividende prioritaire (ADP), au terme de laquelle la société Fimaf détenait 21.264.953 actions ordinaires et 6.616.714 ADP Legrand, sort 99,01 % du capital et 99,13 % des droits de vote de la société Legrand.
Au soutien de leur demande d’annulation de la décision de la Commission, les requérants exposent que l’annulation des décisions du CMF demandée par ailleurs a titre principal, ne peut qu’entrainer par voie de conséquence, l’annulation de la décision de la Commission, et développent a titre subsidiaire divers moyens d’annulation de la décision de la Commission, faisant valoir
- en la forme, que la décision de la Commission, anonyme et non motivés, a été prise par un agent incompétent en violation des dispositions de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 sur les relations des citoyens avec l’administration, ainsi qu’en violation de celles de la loi 79-587 du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs, non contradictoirement et sans qu’il sort justifié des éléments sur lesquels s’est fondée cette autorité pour statuer, la Cour étant dans l’impossibilité d’exercer son contrôle sur la régularité du visa accordé au regard des règles de fonctionnement de la Commission des opérations de bourse, étant en outre observé que la Commission avait le devoir de s’opposer à l’agrément donné a l’expert indépendant choisi par l’initiateur, sa décision d’apposer son visa ne pouvant qu’être annulée,
- au fond, que la note d’information visée par la Commission, pléthorique et indigeste, ne peut constituer l’information cohérente et pertinente attendue par l’investisseur sur l’opération en cause qui concerne une offre publique de retrait suivie d’un retrait obligatoire, les données réellement pertinentes ne pouvant être discernées par le lecteur, les requérants critiquant spécialement le caractère incomplet et l’absence d’analyse concernant l’information donnée sur le financement de l’offre ainsi que les lacunes affectant la présentation de la société Legrand.
Ils prient la Cour d’annuler la décision de la Commission.
La société Fimaf et la société Legrand concluent au mal fondé du recours formé contre la décision de la Commission octroyant son visa a la note d’information, et demandent la condamnation solidaire des requérants à leur payer 15.000 euros à chacune en application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Au soutien de sa décision, la Commission des opérations de bourse déclare que
- la régularité formelle de sa décision qui respecte les exigences tant de la loi du 12 avril 2000 que celles de la loi du 11 juillet 1979 relative a la motivation des actes administratifs. et a été prise contradictoirement, ne peut être mise en cause.
- la légalité de la procédure de retrait obligatoire ne peut être contestée, pas plus que l’approche retenue en l’espèce pour l’évaluation des titres de la société Legrand la valorisation des fonds propres de la société et la détermination ultérieure de la valeur respective des AO et des ADP ayant été effectuées au terme d’une analyse multicritères conformément aux exigences de la règlementation, les caractéristiques spécifiques des ADP ayant été contrairement aux allégations des requérants, dûment prises en compte.
Elle demande a la Cour de déclarer en conséquence les requérants irrecevables et mal fondés en leur recours, de le rejeter et de condamner les requérants aux dépens.
Le Ministère Public a conclu oralement au rejet du recours.
SUR CE, LA COUR
Sur la régularité de forme du visa apposé par la Commission sur la note d'information
Considérant que les requérants font valoir que la décision de la Commission, irrégulière en la forme, ne permet pas a la Cour d’exercer le contrôle de légalité externe qui lui incombe ; qu’ils ajoutent que la procédure suivie devant la Commission n’a pas respecté le principe du contradictoire, tous les actionnaires concernés par une opération financière devant avoir accès a tous les éléments soumis a la Commission et sur lesquels elle statue, et que la décision attaquée est encore viciée du fait de la non opposition de la Commission a l’agrément donné par le Conseil des marchés financiers a la personne choisie comme expert indépendant, qui ne présentait pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises puisqu’il avait déjà émis une opinion sur les titres Legrand lors de l’opération de garantie de cours organisée fin 2002 ;
Mais considérant que le visa de la Commission figurant sur la note d’information destinée au public, conformément aux dispositions des articles L. 621-8 et L. 412-1 du Code monétaire et financier, comporte l’identification de son auteur, la Commission des opérations de bourse, le texte de la décision délivrant ce visa portant la signature du président de la Commission, délégataire à compter du 16 octobre 2002 pour signer les décisions à caractère individuel relevant de la compétence de la Commission; que la décision attaquée est dès lors conforme aux exigences de transparence administrative prévues par l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 ; que cette décision, qui octroyait le visa sollicité, n’avait pas à être motivée, conformément aux dispositions des articles 1 et 2 de la loi du 11 juillet 1979 ainsi qu’a celles de l’article 10 du règlement 2002-04 de la Commission ;
Que le principe du contradictoire n’est pas applicable lorsque la Commission des opérations de bourse, autorité administrative indépendante, agit comme en l’espèce non pas en tant que juridiction mais comme autorité habilitée à prendre des décisions administratives individuelles ayant la nature d’actes administratifs ; qu’elle n’est pas tenue, dans l’exercice de ces prérogatives, d’entendre tous les actionnaires minoritaires qui en feraient la demande ou de répondre a leurs observations éventuelles, ni de leur communiquer le document d’information qui lui est soumis, le respect des droits des actionnaires minoritaires étant garanti par l’ensemble des règles légales et réglementaires visant a assurer l’égalité des actionnaires et la transparence du marché, notamment la publication de la note d’information visée par la Commission, et par le recours ouvert devant la Cour d’appel de Paris qui est un recours de pleine juridiction exercé toutefois dans la limite des compétences et des pouvoirs confiés a l’autorité contrôlée par le juge; Qu’il n’est justifié d’aucune atteinte au principe du contradictoire s’agissant de la procédure suivie devant la Cour, tous les documents destinés au public concernant l’opération en cause, soit la note d’information visée le 27 mars 2003 et les documents qu’elle intègre par référence, comprenant la note d’information conjointe aux sociétés Fimaf et Legrand relative a la garantie de cours réalisée le 11 décembre 2002, ainsi que le document de référence D. 02-1328 de la société Legrand en date du 28 juin 2002 et son complément d’information en date du 27 janvier 2003, ayant été déposés au greffe de la Cour et regulièrement communiqués aux parties ;
Que la nomination de Bruno Husson, expert chargé d’apprécier l’évaluation des titres de la société visée, a été régulièrement agréée par le CMF le 22 janvier 2003, conformément aux dispositions de l’article 5-7-1 du règlement général; qu’il n’est justifié par les requérants d’aucun élément permettant de mettre en doute son indépendance ou son impartialité, le fait que cet expert se soit auparavant prononcé dans le cadre de la procédure de garantie de cours ne pouvant en soi conduire à le suspecter, l’absence d’opposition de la Commission a la décision d’agrément prise par le CMF n’étant pas critiquable ;
Qu’il y a lieu des lors de rejeter dans leur intégralité les moyens développés au soutien du recours, fondés sur une irrégularité formelle de la décision de visa de la Commission des opérations de bourse ;
Sur le fond
Considérant que les requérants font grief a la Commission, sans plus de précision, d’avoir approuvé une note d’information “ pléthorique et des lors incohérente et non-pertinente ”, et incriminent spécialement l’insuffisance des éléments concernant le financement de 1’ofire ;
Mais considérant que ces griefs ne sont pas justifiés, la cohérence et la pertinence de l’information diffusée sur cette opération financière ne pouvant être mises en cause ;
Qu’il y a lieu de rappeler que l’incorporation, permise par l’instruction de mai 2002 de la Commission prise pour l’application de son règlement 2002-04, de documents d’information par référence dans les notes d’information relatives aux opérations financières, concerne des documents de moins d’un an soumis au contrôle de la Commission et mis a jour comme en l’espèce par un complément d’information contemporain de l’opération ; que ces dispositions, qui permettent d’accélérer le déroulement des procédures boursières, ne sont pas en soi critiquables, aucun grief précis n’étant formulé a cet égard par les requérants ; qu’il apparait au contraire que les actionnaires de la société Legrand ont disposé au travers de ces documents, d’une information complète sur l’initiateur de l’offre la société Fimaf, sur la société visée et sur la teneur de l’offre, ainsi que le prévoit l’article 8 du règlement 2002-04 de la Commission ;
Considérant que les requérants mettent également en cause l’insuffisance de l’information concernant le financement de l’offre, dénoncent le caractère illégal des garanties accordées par la société Legrand et ses filiales à la société Fimaf pour les crédits consentis à cette dernière, et font valoir que la Commission aurait du refuser son visa à une note d’information relative a un retrait obligatoire financé grâce au concours, sous forme de garantie, de la société cible et de ses filiales;
Mais considérant que l’information concernant les modalités de financement de l’offre a été fournie, la note d’information précisant à cet égard dans son article 2.4 intitulé “ cout de l'offre et mode de financement que “ le financement de l'opération et des frais afférents est effectuée sur la trésorerie disponible de Fimaf mise en place conformément aux modalités de financement de l’acquisition des titres de Legrand telles que décrites dans la note d'information relative à la garantie de cours (visa COB n ° 02-169 du 26 décembre 2002 - paragraphe 1.4.4.)", le détail de ces modalités étant effectivement décrit dans l’article 1.4.4. de la note d’information relative à la garantie de cours ;
Que la rubrique 21 intitulée “ Engagements ” de l’article 4 de la note d’information de l’offre de retrait, consacrée a la présentation de la société Legrand et de ses comptes consolidés pour l’exercice 2002, donne le détail des garanties consenties dans le cadre de l’acquisition de la société Legrand par la société Fimaf, et fait clairement apparaitre que ce financement porte, d’une part, sur l’acquisition des actions Legrand et, d’autre part, sur le refinancement mis à disposition de la société Legrand pour ses propres dettes, les défenderesses observant sans être contredites que seuls les crédit consentis à la société Legrand ont fait l’objet de suretés sur ses actifs et de garanties accordées par ses filiales françaises, seules certaines filiales étrangères ayant accordé des garanties au refinancement des crédits souscrits pour la prise de contrôle de la société Legrand avec la précision dans la note d’information que ces garanties ont été fournies “ lorsque la législation en vigueur l’autorise ” et “ en accord avec les lots de chaque pays concerné ”, la liste de ces états étant également fournie ; que le grief tenant a l’insuffisance de l’information donnée sur le financement de l’opération n’est pas établi ;
Considérant par ailleurs, qu’il n’appartient ni a la Commission lorsqu’elle contrôle comme en l’espèce la cohérence et la pertinence de l’information diffusée sur une opération financière, ni à la Cour statuant sur les recours formés contre ses décisions, de se prononcer sur les conditions dans lesquelles ont été octroyées les garanties critiquées, dans des conditions régies par le droit des sociétés ; que le grief tenant à l’irrégularité alléguée de l’octroi de ces garanties est inopérant ;
Considérant enfin que les requérants sont mal fondés à mettre en cause l’absence des comptes sociaux de la société Legrand dans les documents joints à la note d’information alors que l’instruction de mai 2002 requiert seulement la communication de comptes sociaux et/ou consolidés concernant un exercice clos depuis moins de dix huit mois, que l’information sur les comptes sociaux de l’exercice clos le 31 décembre 2002 n’était pas exigible au 27 mars 2003 date d’apposition du visa et que les comptes consolidés de la société visée, portés à la connaissance du public par voie de communiqué le 17 février 2003, y figuraient ; que l’information concernant le projet d’affectation du résultat de la société Legrand n’était pas davantage exigible au 27 mars 2003, le délai de quatre mois prévu par l’article 295 du décret du 23 mars 1967 n’étant pas expire ;
Considérant qu’il convient de rejeter le recours ;
Considérant que ni l’équité, ni les circonstances de l’espèce ne justifient le prononcé d’une condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Déclare recevable le recours,
Le déclare mal fondé,
Rejette le recours,
Déboute l’Association pour la Défense des Actionnaires Minoritaires (ADAM), ainsi que par la société Tocqueville Finance, Jean-Philippe Richemond, Olivier Richemond et Christophe Richemond de toutes leurs demandes,
Les condamne aux dépens.