CA Paris, 1re ch. C, 7 juillet 1995, n° 95/10564
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
M. Noël, Total (Sté)
Défendeur :
Crédit Lyonnais, Abacus Finance (Sté), Banque Colbert, Conseil des Bourses de Valeurs, le Président de la Commission des Opérations de Bourse
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Ezratty
Conseillers :
M. Feuillard, M. Bargue, Mme Beauquis, M. Cailliau
Avoués :
SCP d'auriac-Guizard, SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Valdelievre & Garnier, SCP Teytaud
Avocats :
Me Danet, Me Delattre, Me Martin, Me Amiel Morabia, Me Djehane, SCP Rambaud-Martel
Statuant en application de la loi nº 88-70 du 22 janvier 1988 sur les Bourses de valeurs et du décret nº 88-603 du 7 mai 1988 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de PARIS contre les décisions du Conseil des marchés à terme et du Conseil des bourses de valeurs ;
Après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des bourses de valeurs, le représentant du Président de la Commission des opérations de bourse et le ministère public en leurs observations ;
Par décision nº 95-1102 du 24 avril 1995 publiée le 26 avril 1995, le Conseil des Bourses de Valeurs (le Conseil) a déclaré recevable l'offre publique d'achat simplifiée présentée par le CREDIT LYONNAIS agissant pour le compte de la société ABACUS FINANCE (ABACUS) selon laquelle l'initiateur propose d'acquérir la totalité des actions et des obligations convertibles en actions 4,10 % 1993 BANQUE COLBERT non détenues par le groupe CREDIT LYONNAIS, au prix de 77 F. par action et de 175 F. par obligation convertible.
Les 4 et 5 mai suivants, M. Franck NOEL et la société TOTAL, actionnaires de la BANQUE COLBERT ont, chacun, formé un recours en annulation contre cette décision et subsidiairement en réformation.
Par application des dispositions de l'article 5 du décret du 7 mai 1988, ces recours ont été dénoncés à la BANQUE COLBERT visée par l'offre, à la société ABACUS, initiatrice, et au CREDIT LYONNAIS, établissement présentateur.
Conformément aux dispositions de l'article 12-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967, le président de la Commission des Opérations de Bourse (la Commission) a été appelé à déposer des conclusions.
Selon les éléments soumis à l'appréciation de la Cour, les faits nécessaires à la solution du litige peuvent être énoncés comme suit :
Dans le cadre de l'offre publique d'achat simplifiée proposée par la société ABACUS FINANCE aux actionnaires de la BANQUE COLBERT, qui s'inscrit dans le plan de sauvetage mis en oeuvre par le CREDIT LYONNAIS en concertation avec son actionnaire principal, l'Etat français, pour réduire l'importance des risques attachés à certains de ses actifs ou à certaines de ses filiales, le CREDIT LYONNAIS propose, au nom de la société ABACUS FINANCE dont il détient 99,99 % du capital social, une possibilité de sortie aux actionnaires minoritaires et aux propriétaires d'obligations convertibles qui ne souhaiteraient pas devenir de simples créanciers de la société visée.
A l'expiration de cette offre publique dont il n'est pas prévu qu'elle doive être suivie d'une offre de retrait et d'un retrait obligatoire, la société ABACUS FINANCE est destinée à être cédée, dans le cadre d'une opération de "défaisance" à une société anonyme détenue à 100 % par le CREDIT LYONNAIS, dénommée CONSORTIUM DE REALISATION (CDR), à des conditions financières non encore définitivement arrêtées et selon des modalités de financement assurées par la SPBI, société en nom collectif contrôlée par l'Etat, elle-même refinancée par le CREDIT LYONNAIS.
L'offre publique d'achat a fait l'objet d'un avis d'ouverture le 11 mai 1995, après que la Commission des Opérations de Bourse ait, à la même date, apposé son visa sur la note d'information. La délivrance de ce visa fait l'objet d'un recours distinct devant la Cour.
M. NOEL et la société TOTAL demandent à la Cour de prononcer l'annulation de la décision attaquée et, subsidiairement pour ce qui concerne M. NOEL, sa réformation tendant à ce qu'il soit sursis à statuer sur la recevabilité de l'offre.
La société TOTAL, pour sa part, demande en outre à la Cour de dire que le groupe CREDIT LYONNAIS ou le CDR seront tenus de réaliser une opération de marché sur la BANQUE COLBERT à des conditions assurant le respect de l'égalité entre actionnaires.
Les requérants sollicitent enfin, chacun pour ce qui le concerne, le bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ils font individuellement valoir à l'appui de ces demandes les moyens suivants :
M. NOEL et la société TOTAL sollicitent d'abord, dans un moyen qui leur est commun, l'annulation de la décision attaquée en invoquant la violation du principe d'égalité entre les actionnaires résultant selon eux de la différence entre la valorisation de la BANQUE COLBERT retenue par ABACUS FINANCE dans le cadre de l'offre publique d'achat et celle retenue par le CREDIT LYONNAIS pour la cession d'ABACUS FINANCE au CDR dans le cadre de son plan de restructuration.
Ils font observer à cet égard que le prix unitaire de l'action proposé à l'offre est de 77 F. sur la base des comptes au 31 décembre 1994 alors que celui ressortant de la valeur comptable de la participation d'ABACUS dans la BANQUE COLBERT est de 175 F. à la date de référence du 31 décembre 1993. Ils soulignent l'importante distorsion d'appréciation créée en outre par le choix de ces deux dates de références espacées d'une année civile au cours de laquelle l'exercice comptable a enregistré des pertes de l'ordre d'un milliard de francs.
Contestant que l'opération constitue une cession intragroupe dans la mesure où selon eux le CDR non consolidé par le CREDIT LYONNAIS ne peut être considéré comme faisant partie du Groupe de celui-ci, les requérants soutiennent que le motif de dérogation prévu par l'article 5-4-6 du règlement général du Conseil des Bourses de Valeurs en cas de reclassement au sein d'un groupe est de ce fait inapplicable.
M. NOEL, tirant, seul, de l'existence d'une procédure pénale en cours, dont l'objet est directement lié à la valeur de la BANQUE COLBERT, la conséquence que la valeur de l'actif net se trouve indéterminable tant que les investigations en cours n'auront pas permis de chiffrer le montant de la majoration d'un apport, conclut que le Conseil aurait dû soit déclarer l'offre irrecevable, soit surseoir à statuer sur la recevabilité comme le lui imposait l'article 4 du Code de procédure pénale et demande en conséquence à la Cour, soit d'annuler la décision, soit, la réformant, de prononcer le sursis à statuer aux lieu et place du Conseil.
La société TOTAL, pour sa part, expose que le groupe CREDIT LYONNAIS ou le CDR est tenu d'initier une opération de marché visant la BANQUE COLBERT et prenant la forme d'une OPA simplifiée ou d'une offre publique de retrait à un prix fondé soit sur une analyse "multicritère" soit sur le prix "de transparence" correspondant à la valorisation de la BANQUE COLBERT retenue dans le cadre de la cession d'ABACUS au CDR ; dans un mémoire en réplique où elle développe son argumentation, elle soulève en outre le défaut de motivation de la décision du Conseil des Bourses de Valeurs.
Le CREDIT LYONNAIS qui soulève l'irrecevabilité de ce moyen comme tardif et la Société TOTAL ont déposé une note en délibéré pour présenter leurs observations sur ce point, conformément à l'invitation qui leur en a été faite à l'audience par le Président en application des dispositions des articles 442 et 444 du nouveau Code de procédure civile.
La société ABACUS FINANCE, initiatrice de l'offre publique, le CREDIT LYONNAIS, établissement présentateur, et la BANQUE COLBERT, société cible, contestent, aux termes d'un mémoire commun, d'une part que le Conseil, qui ne peut déclarer une offre publique que recevable ou irrecevable, puisse surseoir à statuer et, d'autre part, que le principe "le criminel tient le civil en l'état" ne peut trouver application en droit boursier. Elles font observer que, de plus, M. NOEL ne caractérise nullement en l'espèce la manière dont la décision du juge répressif pourrait influencer ou contredire la décision que la Cour est appelée à rendre sur la recevabilité du projet d'offre publique d'achat.
Répondant au moyen tiré par les requérants de la rupture de l'égalité des actionnaires, ces sociétés soulignent qu'égalité de traitement ne signifie pas nécessairement égalité de prix, que le montage financier et comptable qui permet au CREDIT LYONNAIS de disposer de temps pour autofinancer les pertes passées le place dans une situation différente de celle des actionnaires minoritaires et que la comparaison de l'offre publique avec une évaluation comptable n'est pas pertinente, s'agissant d'un reclassement au sein d'un même groupe.
Elles font encore observer que le recours dont est saisie la Cour est formé contre une décision de recevabilité de l'offre publique initiée par ABACUS FINANCE et que la demande tendant à faire dire qu'une offre publique doit être initiée par le CDR est étrangère à ce recours.
Aux termes de leurs mémoires, le Conseil des Bourses de Valeurs et le Président de la Commission des Opérations de Bourse réfutent les moyens proposés par les requérants par des moyens comparables à ceux développés par le CREDIT LYONNAIS, ABACUS FINANCE et la BANQUE COLBERT et pouvant se résumer comme suit :
- l'existence d'une procédure pénale ne fait pas partie des éléments d'appréciation du prix ou de la parité offerts qui permettraient au Conseil de demander un réexamen du projet d'offre publique, que la Cour qui ne peut se substituer au Conseil ne peut examiner des questions extérieures à l'offre et qu'en toute hypothèse les conditions de l'article 4 du Code de procédure pénale, à le supposer applicable, ne sont pas remplies ;
- les différences entre les actionnaires minoritaires de la BANQUE COLBERT et le CREDIT LYONNAIS sont telles en l'espèce qu'ils ne peuvent être tenus pour identiques pour apprécier le respect du principe d'égalité entre eux ;
- la cession d'ABACUS au CDR est une cession intragroupe à laquelle doivent s'appliquer les règles boursières propres au reclassement intragroupe ;
- la demande des requérants tendant à ce que le CDR et/ou le CREDIT LYONNAIS soient tenus de réaliser une opération de marché sur la BANQUE COLBERT est irrecevable car étrangère aux recours dont est saisie la Cour.
A l'audience, le ministère public a oralement conclu au rejet des recours.
SUR QUOI, LA COUR,
Sur le moyen tiré de l'existence d'une instance pénale en cours :
Considérant que M. NOEL, se fondant sur l'existence d'une information pénale relative à l'évaluation frauduleuse d'apports en nature et la présentation de faux bilans, en tire la conséquence que la valeur de l'actif de la BANQUE COLBERT se trouve indéterminable en l'état et que le Conseil des Bourses de Valeurs devait en conséquence soit surseoir à statuer sur la recevabilité de l'offre, soit la déclarer d'emblée irrecevable ;
Mais considérant, d'une part, que le principe selon lequel "le civil tient le criminel en l'état", tel qu'il résulte de l'article 4 du Code de procédure pénale concernant "l'action exercée devant la juridiction civile", n'est pas applicable devant le Conseil des Bourses de Valeurs habilité à prendre des décisions constituant des actes administratifs, ni devant la Cour d'appel de Paris statuant sur les recours formés contre lesdites décisions ;
Considérant, d'autre part, que le Conseil des Bourses de Valeurs, à qui il incombe de s'assurer du caractère non lésionnaire de l'offre à l'égard des actionnaires minoritaires, ne peut que refuser le projet en l'état ou demander à l'initiateur de réexaminer son projet sans pouvoir surseoir à statuer sur sa propre décision ;
Que la Cour exerce sa juridiction dans la limite des compétences de l'autorité ayant rendu la décision soumise à recours ; qu'elle ne peut, dès lors, par réformation de la décision attaquée, prononcer un sursis, ni sur le fondement de l'article 4 du Code de procédure pénale ni sur le fondement d'une bonne administration de la justice, que le Conseil n'a pas lui-même le pouvoir de prononcer ;
Considérant enfin que la majoration ou le caractère fictif de l'apport en nature fait par la société International Bankers SA (IBSA), objet de l'information pénale, à les supposer établis, ne peut qu'entraîner une baisse de la valeur de l'actif net de la BANQUE COLBERT et, partant, de la valeur de l'action ;
Que l'inscription d'une créance au profit de cette banque contre la société IBSA à due concurrence de la valeur de l'apport litigieux à la suite de son annulation au bilan de la BANQUE COLBERT, encore qu'elle constitue une simple hypothèse de la part des requérants, ne saurait être valablement prise en considération qu'à la condition que la solvabilité de la société IBSA soit acquise, ce qui n'est pas démontré ;
Qu'en l'absence démontrée d'influence dans le sens soutenu par M. NOEL de l'instruction pénale sur la recevabilité de l'offre publique, il n'y a lieu ni à sursis à statuer, ni à annulation de la décision de ce chef ;
Sur le moyen tiré de la violation du respect de l'égalité entre les actionnaires :
Considérant que les requérants soutiennent que le prix de 77 F. proposé par ABACUS FINANCE pour acheter l'action BANQUE COLBERT entraîne une violation caractérisée du principe d'égalité des actionnaires, compte tenu de la cession en cours du contrôle de la BANQUE COLBERT dans le cadre du plan de sauvetage du CREDIT LYONNAIS ;
Qu'ils s'appuient sur le fait que la valeur des actions représentatives du capital d'ABACUS cédées au CDR, pour la valeur comptable nette de ces actions au 1er janvier 1994, intègre nécessairement la valeur comptable nette des actions de la BANQUE COLBERT faisant partie de ses actifs à cette date, qui s'élèverait en fait à 175 F., selon le calcul proposé par M. NOEL ;
Mais considérant que le CREDIT LYONNAIS, qui contrôle la BANQUE COLBERT au travers de sa filiale la société ABACUS FINANCE avec laquelle elle ne saurait être confondue nonobstant sa participation à hauteur de 99 %, n'est pas directement actionnaire de la BANQUE COLBERT dont les titres de capital font l'objet de l'offre publique d'achat simplifiée ;
Que le transfert des actifs d'ABACUS au CDR, entraînant une cession indirecte à celui-ci des actions BANQUE COLBERT détenues par ABACUS, n'a pas pour effet d'opérer un changement de contrôle dès lors qu'ABACUS sera filiale à 100 % du CDR, lui-même filiale à 100 % du CREDIT LYONNAIS ;
Qu'en précisant dans ses conclusions qu'elle ne fonde sa demande ni sur la situation du CDR au sein du groupe du CREDIT LYONNAIS ni sur l'application d'une offre publique obligatoire ou d'une garantie de cours, la société TOTAL admet ainsi que le transfert d'ABACUS FINANCE au CDR n'emporte pas transfert de contrôle à un tiers ;
Qu'il ne résulte ni des dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ni de celles de l'article 5-4-6 du règlement général du Conseil des Bourses de Valeurs que la déconsolidation de la BANQUE COLBERT serait constitutive d'un changement de contrôle ;
Considérant qu'à la date où la Cour statue, si le CREDIT LYONNAIS et l'Etat français sont d'ores et déjà convenus du principe de cette cession, le transfert d'ABACUS au CDR, à des conditions financières dont il n'est pas établi qu'elles sont définitivement arrêtées, n'a pas été réalisé ;
Qu'il n'est pas démontré que la cession d'ABACUS sera finalement faite en retenant pour valeur de ses propres actifs BANQUE COLBERT le prix de 175 F. avancé par M. NOEL et résultant, selon le calcul qu'il propose, de la division, par le nombre d'actions détenues par la société ABACUS, de la valeur comptable de la participation correspondante dans les comptes de celle-ci au 31 décembre 1993 ;
Considérant en effet que ce calcul omet, pour être pertinent, de prendre en considération le fait que le reclassement de la BANQUE COLBERT sous le CDR est effectué dans le cadre d'une opération de "défaisance" comportant par essence des incertitudes quant à la valeur réelle des actifs cédés ;
Qu'il ne prend pas davantage en considération le fait que le CREDIT LYONNAIS demeurera indirectement tenu de compenser le transfert des risques liés à l'exploitation d'ABACUS et, partant, de la BANQUE COLBERT ;
Qu'en effet le CREDIT LYONNAIS, qui prendra en charge les coûts de gestion du CDR, financera en outre la SPBI à un taux préférentiel inférieur de 15 % aux conditions du marché le prêt de 145 milliards de francs consenti sur 20 ans et versera à la SPBI une part représentant au moins 34 % de ses résultats nets avant impôt ;
Considérant dès lors que l'opération de transfert projetée de la BANQUE COLBERT au travers des actifs de la société ABACUS FINANCE constitue une cession d'actifs à l'intérieur du groupe du CREDIT LYONNAIS et vise à une déconsolidation comptable dans le cadre du plan de sauvetage de celui-ci garanti, en définitive, par l'Etat français ; qu'il n'est démontré ni même soutenu que cette cession est entachée de fraude ;
Que les conditions exceptionnelles de garantie apportées par l'Etat, sur lesquelles il n'appartient pas à la Cour de se prononcer et qui apparaissent plutôt de nature à préserver les intérêts des actionnaires, ne sont pas propres à modifier, en tout état de cause, le caractère de cession intragroupe des actifs d'ABACUS FINANCE ;
Que l'évaluation purement comptable, faite par M. NOEL des actifs d'ABACUS parmi lesquels figurent, pour 44 %, au bilan de l'exercice clos le 31 décembre 1994, les actions de la BANQUE COLBERT, ne peut être assimilée à une valeur de marché de l'action BANQUE COLBERT ; qu'il n'a pu dès lors être commis une violation du principe de l'égalité entre les actionnaires ;
Que, pour les motifs qui viennent d'être exposés, est dépourvu de portée le moyen tiré par les requérants de la distorsion résultant selon eux du choix de deux dates de référence, 31 décembre 1993 pour ce qui concerne la valeur nette comptable en vue de la cession d'ABACUS au CDR et 31 décembre 1994 pour ce qui concerne l'évaluation du prix proposé pour l'offre publique ;
Sur le grief tiré du défaut de motivation de la décision attaquée :
Considérant que la société TOTAL fait valoir dans son mémoire en réplique déposé le 23 juin 1995 que la décision attaquée doit être annulée faute de comporter des motifs sur les conditions de la cession d'ABACUS au CDR ;
Considérant que toute décision doit être motivée, dès lors que, consacrant au profit d'une personne ou lui refusant l'exercice d'un droit, d'un avantage ou d'une prérogative, elle est soumise à un contrôle organisé de sa légalité ou de son opportunité ;
Mais considérant qu'il résulte des débats et de la note en délibéré produite à la demande de la Cour qu'il s'agit, non d'un moyen mais, ainsi que le qualifie elle-même la requérante, d'un argument, lequel, sous couvert d'un grief de défaut de motivation, ne tend qu'à développer le moyen de fond tiré des effets sur l'offre publique de la cession d'ABACUS au CDR qui vient d'être examiné ; que, l'opération de cession étant indépendante de celle de l'offre publique d'achat, le Conseil n'était pas tenu de motiver sa décision sur des circonstances qui n'en étaient pas le soutien nécessaire ;
Que l'économie du plan de redressement du CREDIT LYONNAIS a fait, au demeurant, l'objet d'une large information publique notamment par le Ministre de l'économie et que les actionnaires n'établissent pas avoir fait usage de la faculté de demander aux autorités de marché toutes informations qu'ils auraient estimées nécessaires ;
Sur la demande de la société TOTAL tendant à l'initiation d'une opération de marché :
Considérant que la société TOTAL demande à la Cour de dire le groupe CREDIT LYONNAIS ou le CDR tenu de réaliser une opération de marché en cas de poursuite du projet de cession directe ou indirecte de la BANQUE COLBERT au CDR ;
Mais considérant que, saisie d'une demande d'annulation ou de réformation d'une décision du Conseil des Bourses de Valeurs, la Cour ne dispose d'aucun pouvoir d'injonction, étant observé de surcroît que la demande de la société TOTAL porte sur une opération étrangère à celle qui fait l'objet de la décision attaquée ;
Sur l'évaluation du prix de l'action BANQUE COLBERT :
Considérant que, à supposer même que les actions BANQUE COLBERT constituent un actif essentiel d'ABACUS dont elles représentent 44 % du portefeuille, l'article 5-3-7 du règlement général du Conseil des Bourses de Valeurs ne contient aucune disposition relative au mode de détermination du prix garanti aux actionnaires de la société dont les titres doivent faire l'objet de l'offre ;
Qu'il y a donc lieu de se référer, pour la fixation du prix, à l'article 5-3-1 dudit règlement applicable aux offres publiques simplifiées et à l'article 5-2-7 de ce même règlement selon lequel le prix est apprécié "en fonction des critères d'évaluation objectifs usuellement retenus et des caractéristiques de la société visée", c'est à dire à la méthode d'évaluation multicritères ;
Considérant que le prix de 77F. offert par action a été déclaré admissible par le Conseil après examen des critères tirés du cours de bourse moyen pondéré au cours des 60 derniers jours de cotation (soit 76,94 F.), de l'actif net au 31 décembre 1994 (soit 58,61 F.) et du produit net bancaire pondéré (soit 49,45 F.) ; que celui de 175 F. offert par obligation convertible a été déclaré recevable au regard du cours de bourse établi à 139,60 F. et de la valeur actuarielle de 175 F. ; que les valeurs retenues sont celles résultant des critères les plus favorables aux actionnaires ;
Considérant, en conséquence, qu'il n'apparaît pas qu'en déclarant recevable l'offre publique au prix unitaire de 77 F. l'action et de 175 F. l'obligation convertible le Conseil ait commis d'erreur ; que le recours doit donc être rejeté ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit du CREDIT LYONNAIS, de la société ABACUS FINANCE et de la BANQUE COLBERT ;
PAR CES MOTIFS :
Rejette les recours formés par M. Franck NOEL et la société TOTAL contre la décision du Conseil des Bourses de Valeurs nº 1002 publiée le 26 mai 1995 ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne M. Franck NOEL et la société TOTAL aux dépens.