Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 10 novembre 2022, n° 22/07271

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pruvost

Conseillers :

Mme Lefort, M. Trarieux

Avocat :

Me Bridji

JEX Paris, du 9 mars 2022, n°21/82221

9 mars 2022

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon jugement d'adjudication rendu le 7 janvier 2021 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris, la SA [5] a été déclarée adjudicataire d'un bien situé [Adresse 1], lots 23 et 65, à [Localité 3], appartenant à M. [V] [Z] [K] et Mme [H] [J] épouse [K].

Sur le fondement de ce jugement, la société [5] a fait délivrer par acte d'huissier du 25 mai 2021 à M. et Mme [K] un commandement de quitter les lieux.

Par acte d'huissier du 29 juillet 2021, les époux [K] ont fait assigner la SA [5] en référé devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir un délai pour quitter les lieux et la suspension de toutes mesures d'exécution.

Par ordonnance de référé du 16 novembre 2021, le juge des contentieux de la protection s'est déclaré incompétent au profit du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris.

Par jugement contradictoire du 9 mars 2022, le juge de l'exécution a :

déclaré recevables les preuves d'envoi et de réception des conclusions de la société [5] aux conseils des époux [K], envoyées par message RPVA du 4 février 2022 ,

déclaré irrecevable la note en délibéré adressée par la société [5],

rejeté la demande des époux [K] de délais pour quitter les lieux qu'ils occupent au [Adresse 1], lots 23 et 65, à [Localité 3],

rejeté la demande des époux [K] de suspension de toutes mesures d'exécution forcée,

condamné les époux [K] à payer à la société [5] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné les époux [K] aux dépens.

Selon déclaration du 7 avril 2022, les époux [K] ont formé appel de ce jugement.

Par acte d'huissier du 6 mai 2022, la déclaration d'appel et les conclusions d'appelants ont été signifiées, à personne morale, à la société [5], laquelle n'a pas constitué avocat.

Par conclusions du 4 mai 2022, les époux [K] demandent à la cour d'appel de :

constater leur bonne foi ;

infirmer la décision entreprise dans toutes ses dispositions ;

et, statuant à nouveau,

faire droit à leur demande tendant à l'octroi de délais concernant leur expulsion poursuivie en vertu du commandement de quitter les lieux délivré le 25 mai 2021 ;

fixer ce délai à 15 mois ;

statuer ce que de droit sur les dépens.

A l'appui de leur demande, les appelants soutiennent :

qu'ils n'ont pas été mis en mesure de répondre aux écritures de la partie adverse, le juge de l'exécution ayant rejeté leur demande de renvoi, de sorte que le jugement a été rendu en violation du principe du contradictoire et est donc nul ;

qu'ils sont de bonne foi, ayant multiplié, en vain, les recherches de logement, tant dans le parc locatif social que privé, et étant transparents sur leurs revenus ;

que la société [5] ne peut légitiment prétendre à une indemnité d'occupation, d'une part en application des articles L.1331-22 et suivants du code de la santé publique, puisque le logement est insalubre, et ce en raison du dégât des eaux survenu en novembre 2020, bien avant le jugement d'adjudication, provoqué par les travaux qu'elle a réalisés dans l'immeuble où elle était déjà propriétaires de locaux, d'autre part en application de l'article 1347 du code civil en raison de la compensation d'obligations réciproques, puisque la société [5], qui a reconnu sa responsabilité en procédant à des travaux de réparation qu'elle a arrêtés après l'adjudication, leur doit réparation de leur préjudice matériel ;

que les délais de fait dont ils sont supposés avoir bénéficié étaient justifiés par la contestation de l'adjudication de leur bien, intervenue à un prix inférieur à sa valeur, et dont ils cru pouvoir obtenir régularisation dans un délai raisonnable pour assurer leur relogement dans un autre appartement ;

qu'ils sont aujourd'hui dans une situation catastrophique.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du jugement

Il résulte de l'article 542 du code de procédure civile que l'appel tend soit à la réformation du jugement soit à son annulation par la cour d'appel.

Selon l'article 954 alinéa 3 du même code, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Il résulte de l'article 16 du code de procédure civile que le juge doit faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Le jugement rendu en violation du principe de la contradiction est susceptible d'annulation par la cour d'appel.

En l'espèce, M. et Mme [K] invoquent la nullité du jugement pour violation de l'article 16 du code de procédure civile dans les motifs de leurs conclusions mais demandent l'infirmation du jugement dans le dispositif. La cour n'est donc pas saisie d'une demande d'annulation du jugement.

En tout état de cause, le refus du premier juge de renvoyer l'affaire pour répondre aux conclusions adverses ne constitue pas en l'espèce une violation du principe de la contradiction dès lors qu'ils ont disposé d'un délai suffisant pour prendre connaissance des conclusions de la société [5], adressées une semaine avant l'audience, et y répondre, soit par de nouvelles conclusions, soit oralement à l'audience.

Sur la demande de délai pour quitter les lieux

Aux termes de l'article L.412-3 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution, le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation.

L'article L.412-4 du même code dispose : 'La durée des délais prévus à l'article L.412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il doit être tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L.441-2-3 et L.441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés'.

En vertu de l'article L.322-13 du code des procédures civiles d'exécution, le jugement d'adjudication constitue un titre d'expulsion à l'encontre du saisi.

Pour rejeter la demande de délai, le juge de l'exécution, statuant au vu des seuls éléments produits par la société [5], a retenu d'une part l'insuffisance des démarches des époux [K] pour se reloger, en l'absence de recherches dans le secteur privé, d'autre part leur mauvaise foi résultant tant de l'absence de paiement d'une indemnité d'occupation que du jugement du juge des contentieux de la protection en date du 22 juillet 2022 qui les a déclarés irrecevables à la procédure de surendettement et qui a relevé l'opacité de leurs revenus et la minoration de leur patrimoine, et enfin les délais de fait dont ils ont déjà bénéficié.

Il ne saurait être reproché à M. et Mme [K] de ne pas payer d'indemnité d'occupation à la société [5] alors que d'une part en l'état aucune décision de justice ne met une telle indemnité à leur charge, d'autre part, ils justifient de nombreuses dégradations dans leur logement causées par un chantier de travaux de la société [5] avant le jugement d'adjudication, ce qui n'incite pas au paiement spontané d'une indemnité d'occupation.

Les époux [K] justifient avoir deux enfants âgés respectivement de sept et cinq ans, l'aîné étant handicapé. Ils apportent la preuve que leurs revenus se composent du revenu de solidarité active (RSA couple), des allocations familiales et de l'allocation pour l'éducation d'un enfant handicapé, soit un total mensuel de 1.151 euros.

Leurs recherches de logement dans le secteur privé ne sont pas pertinentes car s'ils justifient de nombreux refus, ils n'apportent pas la preuve que les logements pour lesquels ils se sont portés candidats étaient adaptés à leur situation familiale et financière. En effet, les seules pièces permettant de connaître les caractéristiques des logements montrent qu'ils ont déposé des candidatures pour des logements minuscules dans le [Localité 4].

En revanche, ils justifient avoir déposé une demande de logement social et avoir effectué un recours DALO, qui a été rejeté par décision du 23 septembre 2021 au motif que « le comportement du requérant (vente par adjudication à la suite de dettes contractées) est à l'origine de son expulsion ». Ils produisent en outre un courrier du service du logement de la mairie de [Localité 6] en date du 4 février 2022 qui maintient le rejet de leur candidature pour intégrer le dispositif « Accompagner et Reloger les Publics Prioritaires » en ce qu'ils « ne justifient pas des modalités de traitement de leur dette locative », mais indique que leur demande de logement social continue d'être prise en compte.

Dès lors, M. et Mme [K] apportent la preuve qu'ils se heurtent à de réelles difficultés pour se reloger, puisqu'ils ne sont pas considérés comme prioritaires pour le relogement dans le secteur social malgré la procédure d'expulsion en cours et que leur situation financière et familiale ne leur permet pas de se reloger dans le secteur privé, même en s'éloignant du 8e arrondissement.

Par ailleurs, ils ont de nombreuses et importantes dettes, de sorte qu'il est très peu probable, au vu du nombre d'inscriptions hypothécaires, qu'ils puissent bénéficier d'un reliquat du prix de vente après distribution.

Enfin, la société [5], qui n'a pas constitué avocat à hauteur d'appel, ne justifie pas d'un besoin impérieux et immédiat de prendre possession du logement.

Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de délai et d'accorder à titre exceptionnel à M. et Mme [K] un délai pour se reloger jusqu'au 30 juin 2023.

Toutefois, une instance étant en cours pour la fixation d'une indemnité d'occupation, il convient, le cas échéant, de conditionner le maintien dans les lieux par le paiement de l'indemnité d'occupation qui sera éventuellement fixée dès que celle-ci sera due.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Compte tenu de la présente décision, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. et Mme [K] à payer à la société [5] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Restant débiteurs de l'obligation de quitter les lieux, les époux [K] doivent néanmoins garder à leur charge les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONSTATE qu'elle n'est pas saisie d'une demande d'annulation du jugement,

INFIRME le jugement rendu le 9 mars 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris , en ce qu'il a rejeté la demande de délai pour quitter les lieux de M. [V] [Z] [K] et Mme [H] [J] épouse [K] et les a condamnés à payer à la SA [5] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

ACCORDE à M. [V] [Z] [K] et Mme [H] [J] épouse [K] un délai pour quitter les lieux qu'ils occupent au [Adresse 1], lots 23 et 65, à [Localité 3], jusqu'au 30 juin 2023,

DIT que dès qu'une indemnité d'occupation sera due, le cas échéant, à la SA [5] en vertu d'une décision de justice exécutoire, ce délai sera conditionné par le paiement de ladite indemnité,

DIT qu'en conséquence, en cas de non-paiement de cette indemnité d'occupation à bonne date, la procédure d'expulsion pourra reprendre,

CONDAMNE M. [V] [Z] [K] et Mme [H] [J] épouse [K] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.