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Décisions

CJUE, 1re ch., 11 mai 2023, n° C-407/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l’Économie

Défendeur :

Manitou BF SA, Bricolage Investissement France SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Arabadjiev

Juges :

M. Xuereb, M. von Danwitz (rapporteur), M. Kumin, Mme Ziemele

Avocat général :

M. Pikamäe

Avocats :

Me Joalland, Me Locatelli, Me Menu-Lejeune, Me Dervieux, Me Donnedieu de Vabres

CJUE n° C-407/22

10 mai 2023

LA COUR (première chambre),

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 49 TFUE.

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance (France), d’une part, à Manitou BF SA (affaire C-407/22) et, d’autre part, à Bricolage Investissement France SA (affaire C-408/22), au sujet de la restitution à ces sociétés d’une fraction de l’impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt acquittée au titre, respectivement, des exercices fiscaux 2011 et 2012, et correspondant à la quote-part de frais et charges réintégrée dans leurs résultats à raison des dividendes perçus de leurs filiales établies dans des États membres autres que la France.

Le droit français

3 L’article 216, I, du code général des impôts, dans sa version applicable aux faits en cause dans les litiges au principal (ci-après le « CGI »), dispose :

« Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères et visées à l’article 145, touchés au cours d’un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges.

La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris. »

4 Aux termes de l’article 223 A du CGI :

« Une société peut se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés dû sur l’ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l’exercice, directement ou indirectement par l’intermédiaire de sociétés ou d’établissements stables membres du groupe [...].

[...]

Seules peuvent être membres du groupe les sociétés ou les établissements stables qui ont donné leur accord et dont les résultats sont soumis à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l’article 214. [...] »

5 L’article 223 B du CGI prévoit :

« Le résultat d’ensemble est déterminé par la société mère en faisant la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun ou selon les modalités prévues à l’article 214.

Le résultat d’ensemble est diminué de la quote-part de frais et charges afférente aux produits de participation perçus par une société du groupe d’une société membre du groupe depuis plus d’un exercice et aux produits de participation perçus par une société du groupe d’une société intermédiaire pour lesquels la société mère apporte la preuve qu’ils proviennent de produits de participation versés par une société membre du groupe depuis plus d’un exercice et n’ayant pas déjà justifié des rectifications effectuées en application du présent alinéa ou du troisième alinéa.

[...] »

Les litiges au principal et la question préjudicielle

L’affaire C 407/22

6 Manitou BF a perçu, au cours de l’année 2011, des dividendes provenant de filiales établies dans des États membres autres que la France qu’elle a placés sous le régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du CGI. Conformément à cet article 216, I, elle a déduit ces dividendes de son bénéfice net, à l’exception d’une quote part de frais et charges, forfaitairement fixée à 5 % du montant des dividendes perçus.

7 Par une réclamation du 24 décembre 2014, Manitou BF a demandé la restitution de la fraction de la cotisation primitive d’impôt sur les sociétés à laquelle elle était assujettie au titre de l’exercice fiscal clos en 2011, correspondant à la réintégration de cette quote-part dans son résultat fiscal, au motif que cette réintégration avait été opérée en vertu de dispositions nationales portant atteinte à la liberté d’établissement.

8 L’administration fiscale ayant rejeté cette réclamation, Manitou BF a introduit un recours contre cette décision. Par jugement du 26 septembre 2017, le tribunal administratif de Montreuil (France) a rejeté son recours. Par un arrêt du 27 mai 2021, la cour administrative d’appel de Versailles (France) a annulé le jugement de première instance et accordé à Manitou BF la restitution des sommes réclamées, estimant que l’article 223 B du CGI méconnaissait la liberté d’établissement en tant qu’il ne prévoyait pas la possibilité, pour une société mère, de neutraliser la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des produits de participation provenant de filiales établies dans un État membre autre que la France satisfaisant aux critères d’éligibilité au régime d’intégration fiscale défini à cet article. À cet égard, cette juridiction a considéré comme étant dépourvue d’incidence la circonstance que cette société mère, bien que détenant en France des filiales éligibles, n’avait pas constitué de groupe fiscal intégré dans cet État membre.

9 Estimant que ladite juridiction a considéré, à tort, que l’article 223 B du CGI méconnaissait cette liberté, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance a formé un pourvoi contre cet arrêt devant le Conseil d’État (France), la juridiction de renvoi. Il invoque, en particulier, une erreur de droit et une qualification inexacte des faits par la cour administrative d’appel de Versailles en jugeant que la circonstance qu’une société mère ait ou non fait le choix de constituer un groupe fiscal intégré avec ses filiales françaises était sans incidence sur le bien-fondé de la demande de restitution de Manitou BF.

L’affaire C 408/22

10 Bricolage Investissement France, entièrement détenue par le groupe Adeo, a perçu au cours de l’année 2012 des dividendes d’une filiale polonaise qu’elle détient intégralement. Bricolage Investissement France a placé ces dividendes, aux fins de l’établissement de l’impôt sur les sociétés dû au titre de l’exercice fiscal clos en 2012, sous le régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du CGI. Conformément à l’article 216, I, de ce code, elle a déduit le montant de ces dividendes de son bénéfice net, à l’exception d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant des dividendes perçus.

11 Par une réclamation ultérieure, Bricolage Investissement France a demandé à l’administration fiscale de pouvoir bénéficier de la déduction de l’intégralité des dividendes reçus de sa filiale polonaise, sans réintégration de cette quote-part.

12 À la suite du rejet de cette demande, Bricolage Investissement France a saisi le tribunal administratif de Montreuil afin d’obtenir, à hauteur du montant de 633 352 euros, la décharge des cotisations d’impôts sur les sociétés et des cotisations additionnelles à cet impôt qu’elle a acquittées au titre de l’exercice fiscal 2012. Par jugement du 10 octobre 2019, ce tribunal a rejeté cette demande.

13 Par un arrêt du 19 octobre 2021, la cour administrative d’appel de Versailles, saisie de l’appel interjeté par Bricolage Investissement France, a annulé ce jugement et accordé à cette société la décharge desdites cotisations à concurrence de la neutralisation de la quote-part de frais et charges qu’elle avait réintégrée dans son bénéfice, en raison des considérations déjà évoquées au point 8 du présent arrêt.

14 La juridiction de renvoi a été saisie du pourvoi formé contre cet arrêt par le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance. Celui-ci soutient que la cour administrative d’appel de Versailles a considéré, à tort, que l’article 223 B du CGI n’était pas conforme à la liberté d’établissement, a méconnu les dispositions de cet article et a qualifié les faits de manière erronée en jugeant qu’une société mère non membre d’un groupe d’intégration fiscale peut déduire de son bénéfice imposable, sans réintégration de cette quote-part, l’intégralité des dividendes perçus de ses filiales, établies dans un État membre autre que la France, relevant du champ d’application dudit article.

Considérations communes aux affaires C 407/22 et C 408/22

15 Compte tenu des observations des parties aux litiges au principal, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’incidence, pour les affaires portées devant elle, de l’arrêt du 2 septembre 2015, Groupe Steria (C 386/14, ci-après l’« arrêt Groupe Steria », EU:C:2015:524). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que l’article 49 TFUE s’oppose à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l’intégration, alors qu’une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option.

16 Eu égard aux considérations de la Cour dans ledit arrêt, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante, qui est formulée dans des termes identiques pour les affaires C 407/22 et C 408/22 :

« [L]’article 49 [TFUE] s’oppose[-t-il] à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la quote part de frais et charges réintégrée à raison des dividendes perçus par elle de sociétés résidentes parties à l’intégration ainsi que, pour tenir compte de l’[arrêt Groupe Steria], à raison de dividendes perçus de filiales établies dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, au régime d’intégration mais qui refuse le bénéfice de cette neutralisation à une société mère résidente qui, en dépit de l’existence de liens capitalistiques avec d’autres entités résidentes permettant la constitution d’un groupe fiscal intégré, n’a pas opté pour son appartenance à un tel groupe, à raison tant des dividendes qui lui sont distribués par ses filiales résidentes que de ceux provenant de filiales établies dans d’autres États membres satisfaisant aux critères d’éligibilité autres que la résidence. »

17 Par décision du président de la Cour du 21 juillet 2022, les affaires C 407/22 et C 408/22 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

Sur la question préjudicielle

18 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale en vertu de laquelle

– une société mère résidente ayant opté pour une intégration fiscale avec des sociétés résidentes peut bénéficier de la neutralisation de la réintégration d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle de ses filiales situées dans d’autres États membres qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option,

– alors qu’une telle neutralisation est refusée à une société mère résidente n’ayant pas opté pour une telle intégration fiscale malgré l’existence de liens capitalistiques avec d’autres sociétés résidentes le permettant.

19 L’article 49, premier alinéa, TFUE prévoit que, dans le cadre des dispositions qui figurent au chapitre 2 du titre IV de la troisième partie du traité FUE, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre sont interdites.

20 Selon une jurisprudence constante, doivent être considérées comme étant des restrictions à la liberté d’établissement toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE (arrêt du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C 391/20, EU:C:2022:638, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

21 L’article 49 TFUE impose ainsi la suppression des restrictions à la liberté d’établissement. Dès lors, même si, selon leur libellé, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’État membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’État membre d’origine entrave l’établissement dans un autre État membre de l’un de ses ressortissants ou d’une société constituée en conformité avec sa législation (arrêt Groupe Steria, point 14 et jurisprudence citée).

22 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la liberté d’établissement est entravée si, en vertu d’une législation d’un État membre, une société résidente détenant une filiale ou un établissement stable dans un autre État membre subit une différence de traitement fiscal désavantageuse par rapport à une société résidente détenant un établissement stable ou une filiale dans le premier État membre (arrêt Groupe Steria, point 15 et jurisprudence citée).

23 En vertu des dispositions nationales en cause dans les litiges au principal, les dividendes perçus par une société mère résidente et provenant d’une filiale, qu’elle soit résidente ou non-résidente, sont déduits du bénéfice net de la société mère, à l’exclusion d’une quote part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net de ces dividendes. Les frais et charges afférents aux participations dont sont issus des dividendes exonérés d’impôts sont, en effet, considérés comme étant non déductibles du bénéfice de la société mère.

24 Cependant, cette réintégration de la quote-part de frais et charges dans le bénéfice de la société mère est neutralisée en faveur d’une société mère faisant partie d’un groupe fiscal intégré, au sens de l’article 223 A du CGI, pour les dividendes distribués par ses filiales appartenant à ce groupe, en application de l’article 223 B de ce code.

25 Il résulte de cette réglementation que les dividendes perçus par une société mère résidente faisant partie d’un groupe fiscal intégré, et qui ont été distribués par ses filiales appartenant au même groupe fiscal, sont entièrement déduits du bénéfice net de cette société mère et, partant, entièrement exonérés de l’impôt sur les sociétés dans cet État membre.

26 Ces dispositions étaient en cause dans l’arrêt Groupe Steria, dans lequel la Cour a jugé que, dès lors que, en vertu d’une telle réglementation, seules des sociétés résidentes peuvent faire partie d’un groupe fiscal intégré, l’avantage fiscal en cause au principal était réservé aux dividendes d’origine nationale. La Cour a conclu que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l’intégration, alors qu’une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option.

27 Il ressort des demandes de décision préjudicielle que, à la suite de l’arrêt Groupe Steria, une société mère intégrante peut bénéficier de la neutralisation de la réintégration d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle également des sociétés non-résidentes, qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, à faire partie d’un groupe fiscal intégré.

28 Par conséquent, il découle de cette réglementation, appliquée compte tenu de l’arrêt Groupe Steria, que les dividendes perçus par une société mère résidente faisant partie d’un groupe fiscal intégré, et qui ont été distribués par ses filiales résidentes appartenant au même groupe fiscal, ainsi que par les filiales non-résidentes qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, à faire partie dudit groupe fiscal, sont entièrement déduits du bénéfice net de cette société mère et, partant, entièrement exonérés de l’impôt sur les sociétés dans cet État membre.

29 En revanche, les dividendes perçus par une société mère résidente ne faisant pas partie d’un groupe fiscal intégré, provenant de filiales tant résidentes que non-résidentes, ne sont que partiellement exonérés de cet impôt, en raison de la réintégration de la quote-part de frais et charges, fixée à 5 %, dans le bénéfice de cette société mère.

30 En l’occurrence, et contrairement à la situation en cause dans l’arrêt Groupe Steria, Manitou BF et Bricolage Investissement France ne font pas partie d’un groupe fiscal intégré, au sens de l’article 223 A du CGI. Toutefois, en raison des liens capitalistiques les unissant à d’autres sociétés résidentes en France, cette possibilité leur était ouverte, sur option, avec ces dernières sociétés, à savoir, s’agissant de Manitou BF, en raison des liens capitalistiques l’unissant à ses filiales résidentes et, s’agissant de Bricolage Investissement France, en raison des liens capitalistiques l’unissant à sa société mère résidente.

31 Il n’en demeure pas moins que, conformément à la réglementation nationale en cause dans les litiges au principal, seules les sociétés résidentes en France peuvent opter pour le régime d’intégration fiscale et faire partie d’un groupe fiscal intégré dans cet État membre. Ainsi, Manitou BF et Bricolage Investissement France ne disposaient pas de la possibilité de créer un tel groupe avec leurs filiales établies dans des États membres autres que la France.

32 En particulier, en vertu de cette réglementation, une société mère résidente peut opter à tout moment pour ce régime avec ses filiales situées en France remplissant les critères d’éligibilité. En outre, selon ladite réglementation, la société mère résidente peut choisir librement le périmètre d’intégration sans être obligée d’intégrer toutes ses filiales résidentes éligibles.

33 En revanche, une société mère résidente n’a pas la possibilité d’opter pour le régime d’intégration fiscale avec ses seules filiales situées dans d’autres États membres satisfaisant aux critères d’éligibilité autres que la résidence, mais doit nécessairement constituer un groupe fiscal intégré avec une au moins des sociétés éligibles résidentes.

34 Il s’ensuit que, tandis qu’une société mère résidente détenant des filiales situées en France a toujours la possibilité de bénéficier de l’avantage fiscal que constitue la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges en exerçant cette option dans un périmètre librement choisi par celle-ci, une société mère résidente détenant des filiales situées dans d’autres États membres n’a pas la possibilité d’en bénéficier, excepté si elle faisait préalablement partie d’un groupe fiscal intégré en France avec des sociétés résidentes.

35 Une telle différence de traitement conduit à exclure du bénéfice d’un avantage fiscal tel que cette neutralisation une société mère qui détient une filiale établie dans un autre État membre et qui ne fait pas partie d’un groupe fiscal intégré, et est de nature à rendre moins attrayant l’exercice par cette société mère de sa liberté d’établissement, en la dissuadant de créer des filiales dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Groupe Steria, point 20).

36 Pour qu’une telle différence de traitement soit compatible avec les dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, il faut qu’elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêt du 25 février 2010, X Holding, C 337/08, EU:C:2010:89, point 20 et jurisprudence citée).

37 S’agissant de la comparabilité des situations, la Cour a déjà estimé, par rapport aux dispositions en cause dans les litiges au principal, que la circonstance que les dividendes perçus par une société mère, qui bénéficient de l’exonération fiscale totale, proviennent de filiales faisant partie du groupe fiscal intégré auquel appartient également la société mère concernée ne correspondait pas à une différence de situation objective entre sociétés mères justifiant la différence de traitement constatée (arrêt Groupe Steria, point 22 et jurisprudence citée).

38 La Cour a jugé en effet que, à l’égard d’une réglementation prévoyant, par l’effet de la neutralisation de la réintégration de la quote-part de frais et charges dans le bénéfice de la société mère, l’exonération fiscale totale des dividendes perçus, la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré est comparable à celle des sociétés n’appartenant pas à un tel groupe, qu’il s’agisse de la société mère ou d’une filiale de celle-ci. Dans les deux cas, d’une part, la société mère supporte des frais et charges liés à sa participation dans sa filiale et, d’autre part, les bénéfices réalisés par la filiale et dont sont issus les dividendes distribués sont, en principe, susceptibles de faire l’objet d’une double imposition économique ou d’une imposition en chaîne (voir, en ce sens, arrêt Groupe Steria, point 22 et jurisprudence citée).

39 Le gouvernement français fait toutefois valoir, en se référant aux arrêts du 25 février 2010, X Holding (C 337/08, EU:C:2010:89, point 24), ainsi que du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a. (C 39/13 à C 41/13, EU:C:2014:1758, point 31), que la situation d’un contribuable ayant opté pour un régime d’intégration fiscale ne saurait être objectivement comparable à celle d’un contribuable qui n’a pas cherché à en bénéficier, a fortiori lorsqu’il remplissait les conditions objectives pour le faire.

40 À cet égard, la Cour a certes indiqué, dans l’arrêt du 25 février 2010, X Holding (C 337/08, EU:C:2010:89, point 24), que la situation d’une société mère résidente qui souhaite constituer une entité fiscale unique avec une filiale résidente et celle d’une telle société mère qui souhaite constituer une telle entité avec une filiale non-résidente sont, au regard de l’objectif d’un régime d’intégration fiscale, objectivement comparables pour autant que l’une et l’autre cherchent à bénéficier des avantages de ce régime, qui permet, notamment, de consolider au niveau de la société mère les bénéfices et les pertes des sociétés intégrées dans l’entité fiscale unique et de conserver aux transactions effectuées au sein du groupe un caractère fiscalement neutre.

41 De même, elle a relevé, dans l’arrêt du 12 juin 2014, SCA Group Holding e.a. (C 39/13 à C 41/13, EU:C:2014:1758, points 29 à 31), que les situations de sociétés mères résidentes détenant des sous-filiales résidentes étaient objectivement comparables à l’égard d’un tel objectif, qu’elles détiennent ces sous-filiales par l’intermédiaire de filiales résidentes ou non-résidentes, pour autant que le régime de l’entité fiscale unique soit recherché dans les deux cas pour l’ensemble formé par la société mère et les sous-filiales.

42 Toutefois, dans la mesure, d’une part, où une société mère résidente française ne dispose d’aucune possibilité de constituer un groupe fiscal intégré avec des filiales établies dans un autre État membre, le fait de ne pas avoir constitué un tel groupe avec une au moins de ses éventuelles filiales ou autres entités résidentes éligibles ne permet pas d’établir que cette société mère ne cherche pas à créer un tel groupe ou à bénéficier d’un régime d’intégration fiscale avec une ou plusieurs de ses filiales non-résidentes.

43 D’autre part, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des considérations figurant au point 38 du présent arrêt, la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscal intégré doit être regardée comme étant comparable à celle des sociétés n’appartenant pas à un tel groupe à l’égard d’une réglementation prévoyant non pas l’intégration fiscale mais l’exonération fiscale totale des dividendes perçus, par l’effet de l’avantage fiscal en cause dans les litiges au principal.

44 Compte tenu de ces éléments, la différence de traitement constatée dans les affaires au principal concerne des situations objectivement comparables.

45 S’agissant du point de savoir si cette différence de traitement pourrait être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, il suffit de relever que ni la juridiction de renvoi ni le gouvernement français n’ont invoqué l’existence de telles raisons impérieuses d’intérêt général.

46 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale en vertu de laquelle

– une société mère résidente ayant opté pour une intégration fiscale avec des sociétés résidentes peut bénéficier de la neutralisation de la réintégration d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle de ses filiales situées dans d’autres États membres qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option,

–  alors qu’une telle neutralisation est refusée à une société mère résidente n’ayant pas opté pour une telle intégration fiscale malgré l’existence de liens capitalistiques avec d’autres sociétés résidentes le permettant.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale en vertu de laquelle

– une société mère résidente ayant opté pour une intégration fiscale avec des sociétés résidentes peut bénéficier de la neutralisation de la réintégration d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle de ses filiales situées dans d’autres États membres qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option,

– alors qu’une telle neutralisation est refusée à une société mère résidente n’ayant pas opté pour une telle intégration fiscale malgré l’existence de liens capitalistiques avec d’autres sociétés résidentes le permettant.