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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 30 novembre 2007, n° 06/05412

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD (SA)

Défendeur :

HERMANT

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur GIRARDET

Conseillers :

Madame REGNIEZ, Monsieur MARCUS

Avoués :

SCP MIRA - BETTAN, SCP BOMMART-FORSTER - FROMANTIN

Avocats :

Me Anne VEIL, Me Elodie-Anne TELEMAQUE

TGI de Paris, du 1er mars 2006

1 mars 2006

Considérant que le tribunal, après avoir rappelé les dispositions de l'article L.132-10 du CPI desquelles il résulte que le contrat d'édition doit indiquer le nombre minimum d'exemplaires constituant le premier tirage, cette obligation ne s'appliquant cependant pas aux contrats prévoyant un minimum de droits d'auteur garantis par l'éditeur, a jugé qu'en l'espèce les deux contrats d'édition en cause ne 'garantissent pas des droits d'auteur minima et prévoient une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conforme aux usages de la profession, sans indiquer le nombre minimum d'exemplaires constituant le premier tirage, en contravention avec les dispositions précitées' ; qu'il a estimé que l'économie même des contrats d'édition se trouvait atteinte par l'absence de cette clause légale et qu'ainsi les contrats sont nuls dans leur entier ;

Que FAYARD conteste cette motivation en faisant valoir qu'elle ne prend pas en compte le fait que les contrats des 16 janvier 2001 et 10 janvier 2003 sont pour chacun d'eux assortis d'un avenant du même jour prévoyant le versement d'un minimum garanti de droit d'auteur, soit 4.573,47 euros par rapport au premier contrat et 3.000 euros pour ce qui concerne le second ;

Considérant que si, contrairement à ce qu'indique M. HERMANT, il est indifférent que la clause prévoyant le 'minimum garanti' soit contenue dans un acte distinct, le contrat d'édition étant susceptible d'être constitué de la réunion de plusieurs éléments, il apparaît en revanche qu'ainsi qu'il le soutient avec pertinence, les documents qualifiés d'avenants par FAYARD et qui se présentent en réalité sous la forme de courriers dont il lui a été demandé d'être cosignataire prévoient des versements déterminés lors de la signature du contrat, à la remise du manuscrit et à la publication, mais que ceux-ci constituent une avance destinée à être incorporée dans un compte ouvert dans les livres de l'éditeur, où elle sera portée en débit ; qu'il n'a pas été en contrepartie expressément stipulé que pour le cas où les droits susceptibles d'être apportés au crédit des comptes se révéleraient d'une valeur inférieure à celle des avances celles-ci demeureraient néanmoins acquises à l'auteur quel que puisse être l'importance du débit ; que, dans ces conditions les avances dont il s'agit ne constituent pas des minimums de droits d'auteur garantis par l'éditeur, au sens du texte susvisé ;

Que, dans ces conditions, c'est sans erreur que les premiers juges ont relevé qu'il aurait dû être indiqué dans les contrats le nombre minimum d'exemplaires constituant le premier tirage et qu'ils ont dit que cette omission était constitutive d'une cause de nullité ;

Sur la violation des dispositions de l'article L.131 4 du CPI

Considérant que M. HERMANT entend qu'il soit statué sur des causes de nullité des contrats tirées du non-respect des dispositions de l'article L.131-4 du CPI ;

Qu'à cet égard il rappelle qu'en application de ce texte, et sauf dans certains cas ne correspondant pas aux faits de la présente espèce, la cession par l'auteur des droits sur son oeuvre doit comporter à son profit la participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation, alors que s'il a bien été stipulé que le prix de la cession correspondait à un pourcentage calculé sur le prix de vente public HT de chaque exemplaire et progressif en fonction du nombre d'exemplaires avec un pourcentage minimal de 8% pour les exemplaires brochés de l'édition ordinaire jusqu'à 5.000 exemplaires, il lui a aussi été fait supporter une réduction de ses droits d'auteur notamment sur les exemplaires vendus hors d'Europe (les droits étant calculés sur la moitié du prix public de vente HT en France afin de tenir compte des coûts de la distribution) et aussi pour les éditions reliées ou cartonnées (les droits sur ces exemplaires ne portant que sur 75% du prix public HT) étant ajouté qu'ont aussi été prévues des déductions portant sur les exemplaires de publicité, ceux distribués gratuitement, ou remis gracieusement à l'auteur, ou encore ceux destinés au dépôt légal, aux justificatifs et, dans le premier contrat, aux exemplaires dits 'de passe' (taux fixés à 5% des ventes en ce qui les concerne) ; que selon lui ces réductions de la rémunération reviennent à lui faire supporter des risques conventionnellement mis à la charge de l'éditeur ;

Que FAYARD répond, au sujet des exemplaires vendus hors d'Europe, que M. HERMANT a librement accepté les conditions proposées en signant par deux fois les contrats d'édition ; que s'agissant des stipulations relatives aux exemplaires reliés ou cartonnés, 'la cour contrairement à M. HERMANT qui feint de l'ignorer sait que ces clauses figurent dans des milliers de contrats d'édition français en circulation et qu'elles n'ont jamais fait l'objet de contestation de la part des auteurs dans la mesure où les pourcentages leur revenant tiennent toujours compte des frais de fabrication, et qu'elle fait pour le reste notamment plaider que les stipulations sont conformes au Code des usages et à la jurisprudence et qu'en tout état de cause aucune somme n'a été déduite par l'éditeur et que M. HERMANT n'a pas subi de préjudice ;

Considérant que le fait d'avoir signé des contrats n'implique pas que leur nullité ne puisse être ensuite invoquée ; que la présence alléguée des stipulations incriminées dans de nombreux autres contrats, ou encore le fait qu'il n'y aurait pas eu de précédente contestation, ne sauraient priver M. HERMANT du droit de discuter la validité de clauses au soutien de laquelle FAYARD procède en particulier à une analyse de la jurisprudence dont à son sens 'la logique semble être' dans le sens de son argumentation ; que l'absence invoquée de préjudice ne peut constituer un obstacle à l'appréciation de la validité des clauses de l'application desquelles un dommage est susceptible de résulter ;

Et considérant que par l'effet de diverses stipulations, en particulier celles relatives aux exemplaires vendus hors d'Europe et aux éditions cartonnées ou reliées, il est porté atteinte à l'assiette de la rémunération due à l'auteur, laquelle ne peut s'entendre que du prix public hors taxe et non pas, comme en l'espèce, de la moitié ou les trois quarts de celui-ci ;

Que la clause de rémunération constituant un élément tout à la fois essentiel des conventions et déterminant du consentement de l'auteur, les contrats d'édition critiqués sont tout entiers affectés et ce dans des conditions telles que leur validité même est atteinte, ce qui implique leur annulation sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres causes de nullité alléguées ;

Que le jugement attaqué doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité des deux contrats d'édition ; que cette décision rend sans objet l'examen des prétentions, au demeurant subsidiaires, se rapportant à la résiliation de ces contrats ;

Sur les contrats de cession des droits d'adaptation audiovisulle

Considérant qu'en première instance la résiliation, sollicitée par M. HERMANT, des contrats de cession des droits d'adaptation audiovisuelle des oeuvres en cause signés par les parties le même jour que les contrats d'édition a été prononcée aux torts de FAYARD, au motif que cette société (non comparante devant le tribunal) n'avait pas rapporté la preuve, dont la charge lui incombe, de ce qu'en application de l'article 3 de chacun des contrats, elle avait recherché une exploitation des droits cédés conformément aux usages de la profession, alors que le respect de cet engagement était formellement contesté par l'auteur ;

Qu'alors que M. HERMANT sollicite la confirmation sur ce point de la décision entreprise, FAYARD expose qu'il ne saurait lui être fait grief de l'absence d'intérêt porté par les producteurs aux deux ouvrages, ce en raison du manque d'intérêt de la part du public ; qu'elle estime que le jugement qui a fait droit à l'intégralité des prétentions de son contradicteur dans des conditions particulièrement déloyales, en l'absence de toute défense qui aurait pu être développée pour elle par son avocat, connu à la fois de ce dernier et de son conseil, ne pourra qu'être infirmé ;

Considérant toutefois que Fayard, qui ne formule aucune demande tendant à ce que soit sanctionnée une violation de son droit à un procès équitable ou une atteinte au principe de la contradiction, se contente de mettre en avant un prétendu défaut d'intérêt dont les producteurs auraient fait montre à l'égard d'oeuvres n'ayant pas connu la faveur du public, sans justifier du respect par elle de l'obligation lui incombant, en application de l'article 3 du contrat de cession des droits d'adaptation audiovisuelle du 16 janvier 2001 et de l'article 3 du contrat ayant pour objet une cession du même ordre signé le 10 janvier 2003, de ce qu'elle a, en tant qu'éditeur, recherché une exploitation des droits cédés conformément aux usages de la profession, une telle recherche impliquant l'accomplissement d'actes positifs dont l'existence doit être démontrée ;

Que, dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement du 1er mars 2006 en ce qu'il a prononcé la résiliation, aux torts de FAYARD, des deux contrats dont il s'agit ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que FAYARD soutient que les demandes de réparation de M. HERMANT, auxquelles le tribunal a fait droit, n'étaient pas fondées en leur quantum compte tenu des 'minima' garantis et des faibles chiffres d'affaires réalisés relativement aux deux titres concernés par les contrats ;

Mais considérant qu'il n'existait en réalité pas de minimums garantis et que la réparation du dommage ne doit pas s'établir en fonction de pertes en relation avec le chiffre d'affaires escompté, susceptibles d'avoir été subies par l'éditeur, mais par rapport à l'évaluation du préjudice subi par l'auteur du fait des annulations et résiliations judiciairement prononcées ;

Que compte tenu des éléments d'appréciation dont elle dispose et en particulier des chances perdues de gains, la cour estime que les premiers juges ont avec pertinence décidé que les avances reçues devaient demeurer acquises à l'auteur à titre d'indemnisation, mais qu'en revanche il convient de ramener à 5.000 euros la somme de 30 .000 euros accordée à titre complémentaire ;

Que le jugement doit partant être à cet égard réformé ;

Considérant, par ailleurs, que la mesure de publication, à nouveau demandée par M. HERMANT, a été avec pertinence écartée par les premiers juges car elle n'apparaît pas nécessaire ;

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que compte tenu du sens du présent arrêt, il y a lieu de confirmer le jugement querellé pour ce qui concerne le sort des dépens et l'application, qui y a été équitablement faite, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, en vertu desquelles il convient d'allouer à M. HERMANT la somme complémentaire de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles de procédure exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs,

La cour :

Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD à payer à M. Philippe HERMANT la somme de 30 .000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Le réformant sur ce point la condamne à lui payer à ce titre la somme de 5.000 euros ;

Rejetant toute autre prétention, condamne la société LIBRAIRIE ARTHEME FAYARD aux dépens d'appel, dont le recouvrement pourra être poursuivi par la SCP BOMMART-FORSTER & Edmond FROMANTIN, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à payer, en application de l'article 700 du même code, la somme de 3.000 euros à M. Philippe HERMANT.