CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 3 octobre 2014, n° 13/22870
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
GROSZ
Défendeur :
COCHEVELOU dit Alan STIVELL, KELTIA III (SARL), BUDDE MUSIC FRANCE (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marie-Christine AIMAR
Conseillers :
Mme Sylvie NEROT, Mme Véronique RENARD
Avocats :
Me Jean ENNOCHI, AARPI YS AVOCATS, Me Ismay MARÇAIS
Monsieur Pierre GROSZ est auteur avec Alain COCHEVELOU dit Alan STIVELL, de deux 'uvres intitulées 'RENTRER EN BRETAGNE ' et 'TERRE DES VIVANTS'.
La société KELTIA III est productrice des enregistrements sonores et audiovisuels d'Alan STIVELL ainsi qu'éditrice de ses 'uvres musicales.
Un contrat de cession et d'édition d''uvre musicale a été signé le 9 avril 1981, en ce qui concerne l''uvre ' RENTRER EN BRETAGNE'entre les co-auteurs et les sociétés KELTIA III et ÉDITIONS MUSICALES CLAUDE PASCAL, aux droits de laquelle vient la SARL BUDDE MUSIC FRANCE.
Un second contrat concernant les 'uvres 'LE VIEUX PÉCHEUR' et 'TERRE DES VIVANTS' a été signé le même jour entre les mêmes parties.
Par bulletins de déclaration du 9 avril 1981, les parties sont convenues de la répartition des droits de reproduction mécanique afférente aux oeuvres de la manière suivante :
* sur l'oeuvre ' RENTRER EN BRETAGNE':
- auteur : Pierre GROSZ : 12,5%
- auteur - compositeur : Alan STIVELL : 37,5%
- éditeurs : KELTIA III 25% et EDITIONS CLAUDE PASCAL 25%,
* sur l'oeuvre ' TERRE DES VIVANTS ' :
- auteur : Pierre GROSZ : 25%
- compositeur : Alan STIVELL : 25%
- éditeurs : KELTIA III 25% et EDITIONS CLAUDE PASCAL 25%.
Reprochant aux sociétés co-éditrices de ne pas avoir respecté leurs obligations contractuelles notamment d'exploitation des oeuvres et de reddition de comptes, Monsieur Pierre GROSZ a, selon actes d'huissier des 13 et 20 mars 2012, fait assigner la SARL BUDDE MUSIC FRANCE, la SARL KELTIA III et Monsieur Alain COCHEVELOU devant le tribunal de Grande Instance de PARIS .
Par jugement en date du 24 octobre 2014 , le Tribunal de Grande Instance de PARIS , a, sans ordonner l'exécution provisoire de sa décision, débouté Monsieur Pierre GROSZ de l'ensemble de ses demandes, condamné Pierre GROSZ aux dépens de l'instance, condamné Monsieur Pierre GROSZ à verser respectivement à la SARL BUDDE MUSIC FRANCE, à la SARL KELTIA III et à Alain COCHEVELOU la somme 3.000 euros chacun au titre des frais irrépétibles.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 12 juin 2014 , auxquelles il est expressément renvoyé, Monsieur Pierre GROSZ demande à la cour, au visa des articles L 131-4, L 132-1, L 132-11, L 132-12 et L 132-13, du Code de la Propriété Intellectuelle, de
- infirmer le jugement entrepris,
- prononcer la résiliation des contrats de cession et d'édition des 'uvres musicales conclus le 9 avril 1981 concernant les 'uvres ' RENTRER EN BRETAGNE' et 'TERRE DES VIVANTS',
en tout état de cause,
- constater la carence de BUDDE MUSIC dans l'administration, la gestion et l'exploitation des 'uvres,
- condamner in solidum BUDDE MUSIC et KELTIA III à lui verser à titre de dommages et intérêts :
- la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral,
- la somme de 50. 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial,
- condamner in solidum les sociétés KELTIA III et BUDDE MUSIC à lui payer la somme de 10. 000 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les sociétés BUDDE MUSIC et KELTIA III in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- débouter les intimés de l'ensemble de leurs demandes,
- faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de son conseil.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 12 juin 2014 , auxquelles il est expressément renvoyé, la société BUDDE MUCIC FRANCE entend voir :
à titre principal,
-'consttater qu'elle assure l'édition graphique des 'uvres ''RENTRER EN BRETAGNE' et de l''uvre ''TERRE DES VIVANTS' et que les 'uvres en cause sont disponibles à la vente et confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société BUDDE MUSIC FRANCE n'avait commis aucune faute justifiant de la résiliation des contrats d'édition en cause,
-'confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'elle assure une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale de l''uvre ''RENTRER EN BRETAGNE' et de l''uvre ''TERRE DES VIVANTS' et débouter en conséquence, Monsieur Pierre GROSZ de l'ensemble de ses demandes,
-'confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la demande de dommages et intérêts de Monsieur Pierre GROSZ n'était pas justifiée et en conséquence, débouter Monsieur Pierre GROSZ de l'ensemble de ses demandes,
-'confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur Pierre GROSZ à lui régler la somme de 3'000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,
- le réformant en ce qu'il a rejeté sa demande au titre de la procédure abusive,
-'condamner Monsieur Pierre GROSZ à lui régler la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause,
-'condamner Monsieur Pierre GROSZ à lui régler la somme de 10. 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile en raison des frais d'appel exposés,
-'condamner Monsieur Pierre GROSZ aux entiers dépens de l'instance dont distraction sera faite au profit de son conseil,
-'juger que les frais d'exécution de la décision à intervenir seront mis à la charge de Monsieur Pierre GROSZ.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 12 juin 2014 , auxquelles il est expressément renvoyé, Alain COCHEVELOU dit Alan STIVELL et la société KELTIA III entendent voir :
à titre principal,
- dire et juger que les sociétés BUDDE MUSIC FRANCE (sic) et KELTIA III n'ont pas manqué à leurs obligations de reddition de compte et d'exploitation permanente et suivie et d'édition graphique des 'uvres dont objet,
en conséquence,
- confirmer la décision de première instance en toutes ses dispositions,
- débouter Monsieur Pierre GROSZ de l'intégralité de ses demandes,
à titre subsidiaire,
- condamner la société BUDDE MUSIC FRANCE à garantir la société KELTIA III de toutes condamnations qui seraient prononcées à l'encontre de cette dernière, et ce, tant en principal, intérêts frais et accessoires,
en tout état de cause :
- condamner Monsieur Pierre GROSZ à payer à la société KELTIA III, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Monsieur Pierre GROSZ à payer à Monsieur Alan COCHEVELOU dit Alan STIVELL la somme de 5. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner Monsieur Pierre GROSZ aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement par leur conseil conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 juin 2014 .
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant que Monsieur GROSZ conclut à l'infirmation du jugement qui a rejeté sa demande de résiliation des contrats de cession et d'édition des oeuvres musicales 'RENTRER EN BRETAGNE' et 'TERRE DES VIVANTS' conclus le 9 avril 1981, de sorte qu'en application combinée des articles L 132-1, L 132-11 à L 132- 13 et L 132-17 alinéa 2 du code de la Propriété Intellectuelle il appartient à la cour d'apprécier la réalité et la gravité des manquements allégués ;
* sur l'exploitation graphique
Considérant que selon l'article L 132-11 du Code de la Propriété Intellectuelle,
l'éditeur est tenu d'effectuer ou de faire effectuer la fabrication selon les conditions, dans la forme et suivant les modes d'expression prévus au contrat ;
Que l'article 10 des contrats d'édition du 9 avril 1981 stipule que 'l'éditeur s'engage envers l'auteur à assurer à l''uvre une exploitation permanente et suivie ainsi qu'une diffusion commerciale conforme aux usages de l'édition de musique française.
La première reproduction graphique de l''uvre sera de ' exemplaires destinés partiellement à la promotion et partiellement à la vente. ' ;
Que se prévalant de ces dispositions, Monsieur Pierre GROSZ reproche aux éditeurs ne n'avoir pas réalisé d'impression graphique des 'uvres ''RENTRER EN BRETAGNE' et ''TERRE DES VIVANTS' alors que cette impression est destinée à la promotion des 'uvres et à la commercialisation des formats ;
Considérant toutefois que la société BUDDE MUSIC FRANCE, qui fait justement valoir que l'exploitation des oeuvres musicales revêt aujourd'hui un caractère secondaire compte tenu du développement d'autres formes d'édition notamment phonographiques, verse aux débats un procès-verbal de constat des 26, 27 avril et 5 mai 2012, qui révèle que les partitions desdites oeuvres étaient disponibles à la vente à cette date sur le site planetepartitions.com exploité par la librairie musicale en ligne CAPTE NOTE, auquel fait expressément référence son propre site internet ;
Que si comme le relève l'appelant, ce constat est effectivement postérieur à l'assignation, il ne l'est que de quelques semaines et aucun élément ne permet de considérer que l'exploitation litigieuse a été provoquée par l'introduction de l'instance ;
Que par ailleurs les ventes de partitions en cause ont donné lieu à rémunération au profit de Monsieur GROSZ, notamment pour l'année 2012 pour un total de 7,20 euros ;
Considérant enfin que la société BUDDE justifie avoir déposé l'oeuvre 'RENTRER EN BRETAGNE' auprès de l'Office américain du copyright de Washington le 1er juin 1982 ;
Qu'il résulte de ces éléments que le grief allégué n'est pas fondé et le jugement sera confirmé en ce qu'il a considéré que les co-éditeurs n'avaient pas commis de faute ni causé un préjudice à l'égard de Monsieur Pierre GROSZ, de nature à justifier la résiliation du contrat de ce chef ;
* sur l'exploitation permanente et suivie des oeuvres
Considérant que selon l'article L 132-12 du Code de la Propriété Intellectuelle l'éditeur est tenu d'assurer à l''uvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession ;
Qu'il résulte des pièces versées aux débats que les enregistrements des oeuvres
'RENTRER EN BRETAGNE' et 'TERRE DES VIVANTS ' interprétées par Alan STIVELL sont reproduites sur l'album 'TERRE DES VIVANTS' publié en 1981, réédité en 1994 et remasteurisé en 2007.
Qu'en outre, et ainsi que l'indique l'appelant lui-même dans ses écritures, l'oeuvre'RENTRER EN BRETAGNE' fait actuellement l'objet, ce depuis le 6 décembre 2010, d'une importante diffusion en raison de son interprétation par l'artiste Nolwenn LEROY dans son album intitulé 'BRETONNE' et l'enregistrement de cette oeuvre est également reproduit sur un album intitulé 'LEGENDES BRETONNES' interprété par Alan STIVELL et publié en mars 2011 ;
Qu'enfin la société BUDDE MUSIC FRANCE justifie par la production des pièces qu'elle verse aux débats de la réalité d'un travail éditorial continu des oeuvres en cause, les relevés SACEM/SDRM justifiant quant à eux d'une exploitation réelle ;
Que le grief allégué sera donc également écarté ;
* sur la reddition de comptes
Considérant que selon l'article L 132-13, l'éditeur est tenu de rendre compte ;
Qu'en l'espèce, si la plupart des décomptes produits par la société BUDDE MUSIC FRANCE ne concernent effectivement pas l'exploitation les oeuvres en cause, l'intimée produit néanmoins un décompte du 30 mars 2012, concomitant à l'acte introductif d'instance, faisant état d'un total de royalties pour l'oeuvre musicale ' RENTRER EN BRETAGNE' de 6,67 euros pour la période du 01/01/2011 au 31/12/2011 (et d'un report de 7,56 euros pour la période précédente);
Qu'étant observé que Monsieur Pierre GROSZ n'a formé aucune réclamation entre 1981 et 2012, que les droits d'exécution publique et phonographiques lui ont été versées directement par la SACEM et/ou la SDRM, et que les droits éditoriaux sont quasiment inexistants, il y a lieu de considérer, en l'espèce, que les co-éditeurs n'ont pas commis de faute suffisamment grave pour justifier la résiliation des contrats litigieux et l'allocation de dommages-intérêts au profit de Monsieur Pierre GROSZ ;
Que le jugement sera en conséquence confirmé ce qu'il a rejeté l'ensemble des demandes de ce dernier ;
Sur les autres demandes
Considérant que la demande de garantie de la société KELTIA III par la société BUDDE MISIC FRANCE devient sans objet ;
Considérant que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol ;
Que faute pour la société BUDDE MISIC FRANCE de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou d'une légèreté blâmable de la part de Monsieur Pierre GROSZ, qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, sa demande tendant à voir condamner ce dernier au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée ;
Considérant que Monsieur GROSZ, qui succombe, supportera la charge des dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;
Que l'équité ne justifie pas l'application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 24 octobre 2013 en toutes ses dispositions.
Déclare sans objet la demande de garantie de la société KELTIA III par la société BUDDE MISIC FRANCE.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause appel.
Condamne Monsieur Pierre GROSZ aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.