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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 1 février 2000, n° 1999/22682

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Banque Eurofin (SA), REP (SA)

Défendeur :

Balzac Participation (Sté), Conseil des Marchés Financiers, Commission des Opérations de Bourse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Thin

Conseillers :

Mme Riffault, M. Somny

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Teytaud

Avocats :

Me Schmidt, Me Peltier, Me Brandford Griffith, Me Pasturel

CMF, du 9 nov. 1999, n° 199C1717

9 novembre 1999

Statuant en application du décret n° 96-869 du 3 octobre 1996 relatif aux recours exercés devant la Cour d'Appel de PARIS contre les décisions du Conseil des marchés financiers ;

Après avoir entendu les conseils des parties et du Conseil des marchés financiers, le représentant de la Commission des opérations de bourse et le ministère public en leurs observations ;

La Cour est saisie du recours en annulation formé par la société EUROFIN en sa qualité d’actionnaire de la société REP, contre la décision n° 199C1717 du Conseil des marchés financiers (le CMF ou le Conseil) du 9 novembre 1999, publiée le 12 novembre 1999, qui, par application des articles 5-6-3 et 5-7-1 de son Règlement général, a déclaré recevable le projet d’offre publique de retrait suivie d’un retrait obligatoire présenté par la SOCIÉTÉ GENERALE, agissant pour le compte de la société BALZAC PARTICIPATIONS, visant les actions de la société REP inscrite sur le second marché de la Bourse de Paris ;

Par décision du 24 novembre 1999, le Conseil des marchés financiers a constaté que le dépôt de ce recours n’avait pas donné lieu de la part des requérants a demandé de sursis a exécution de la décision attaquée, et a reporté d’office la mise en oeuvre du retrait obligatoire, l’offre étant elle-même proIongée jusqu’à plus amples informations, sous forme d’une procédure de centralisation.

Au soutien de sa demande d’annulation de la décision entreprise, la requérante expose

- que dans le cadre de l’offre publique d’achat simplifiée qu’elle a initiée préalablement au dépôt de  l’offre contestée, la société BALZAC PARTICIPATIONS à notamment acquis 15.706 actions auto-détenues par la société REP et représentant 1,13 % de son capital, cette opération lui ayant permis d’atteindre le seuil de 95 % requis par l’article 5-6-3 du Règlement général,

- que cette acquisition réalisée dans des conditions suspectes, aurait du faire l’objet de la part du Conseil des marchés financiers d’une vérification, compte tenu des éléments portés a sa connaissance,

- qu'en effet les titres en cause avaient été acquis par la société REP en exécution d’un programme de rachat de ses propres actions avec pour unique objectif la régularisation du cours, décision prise par l’assemblée générale des actionnaires le 7 juillet 1999 et non pas en vue d'une cession à l’un des actionnaires de la société, cette violation des objectifs votés par les actionnaires étant de nature à entrainer la nullité de la cession,

- que la décision du conseil d’administration de la société REP autorisant la cession de ces titres à la société BALZAC PARTICIPATION, a été prise dans des conditions irrégulières, puisque participaient au vote les administrateurs communs aux deux sociétés, cette irrégularité étant elle aussi susceptible d’entrainer l’annulation de la délibération et par conséquent de la cession critiquée,

- que les administrateurs de la société REP ont fait un usage de ses biens contraire a l’intérêt social, puisque la cession a été réalisée au prix de 48 euros alors que les actions REP étaient cotées sur le marché à un cours variant entre 48 et 64 euros,

- que les principes d’égalité et de loyauté inscrits à l’article 5-1-1 du Règlement général imposaient au Conseil des marchés financiers, constatant que l’égalité des actionnaires avait été violée par la cession d’un actif social au profit du majoritaire dans des conditions irrégulières, de demander à l’initiateur de l’offre de modifier son projet,

- qu’elle-même a saisi le Tribunal de commerce de Paris d’une demande d’annulation de la cession, le prononcé éventuel de cette annulation ayant pour conséquence que les conditions de détention requises par l’article 5-6-3 du Règlement général ne seraient plus remplies.

Elle demande à la Cour d’annuler la décision entreprise.

La société REP conclut au rejet du recours et demande la condamnation de la banque EUROFIN à lui payer 200.000 francs en application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, en observant

- que la cession critiquée, annoncée dans la note d’information de l’offre publique d’achat simplifiée visée par la Commission des opérations de bourse, est intervenue sur le marché le 30 septembre 1999, au cours cote,

- que les actions cédées avaient été acquises auparavant en exécution d’une décision prise le 6 juillet 1998 par l’assemblée générale des actionnaires,

- qu’en tout état de cause, les actions auto-détenues, cédées ou non, doivent être considerées comme appartenant l’actionnaire majoritaire la société BALZAC PARTICIPATIONS, l’argument développé par la requérante étant sans portée,

- que les conditions d’application de l’article 5-6-3 du Règlement général sont dès lors parfaitement remplies.

La société BALZAC PARTICIPATION déclare

- que la Cour, dont la juridiction s’exerce dans la limite des pouvoirs donnés au Conseil des Marchés financiers, n’est pas compétente pour se prononcer sur le moyen tiré d’une prétendue irrégularité de la cession des actions, la demande de la banque EUROFIN étant irrecevable pour déaut d’intérêt à agir et mal fondée,

- que même en cas d’annulation de la cession, la participation de la société BALZAC PARTICIPATIONS serait supérieure à 95 % du capital et des droits de vote de la société REP.

Elle demande à la Cour

- de dire que le Conseil des marchés financiers et par suite la Cour ne sont pas compétents pour se prononcer sur le recours, en ce qu’il ne repose que sur un moyen tiré de la violation de la loi sur les sociétés commerciales,

- en toute hypothèse, de déclarer l’action de la banque EUROFIN irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, et mal fondée,

- de la condamner à lui payer 400.000 francs en application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de sa décision, le Conseil des marchés financiers expose

- que l’unique moyen développé par la requérante à  l’appui de sa demande d’annulation est inopérant, lui-même comme la Cour d’appel n’ayant pas compétence pour se prononcer sur la violation alléguée de la loi du 24 juillet 1966, ni pour en tirer les conséquences,

- que la demande de la société EUROFIN est irrecevable faute d’intérêt à agir et en tout hypothèse mal fondée, la participation détenue par la société BALZAC PARTICIPATIONS dans le capital et les droits de vote de la société REP restant supérieure à 95 % même en cas d’annulation de la cession,

Il demande à la Cour de déclarer en conséquence la banque EUROFIN irrecevable et mal fondée en son recours.

Invitée à présenter des observations en l’article 12-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967, la Commission des opérations de bourse conclut au rejet du recours, en observant :

- que la société BALZAC PARTICIPATIONS a atteint le seuil de 95 % des droits de vote de la société REP, l’acquisition des actions auto-détenues n’ayant eu aucun effet sur le calcul de ce seuil de détention, le moyen tiré d’une irrégularité prétendue de la cession de ces titres étant inopérant,

- qu’en outre il n’entre pas dans le champ de compétence du Conseil des marchés financiers et par conséquent de la Cour de se prononcer sur la régularité, au regard du droit des sociétés, d’une opération antérieure au dépôt de l’offre publique.

Dans un mémoire en réplique dépose le 7 janvier 2000, la requérante maintient ses précédentes demandes, en retorquant

- que le CMF et les sociétés mises en cause ne se prononcent pas sur le moyen d’annulation qu’elle invoque, et qui a pour fondement la méconnaissance de l’article 5-1-1 du Règlement général, l’exception d’incompétence soulevée ne pouvant qu’être rejetée et sa demande accueillie par la Cour,

- qu’il est inexact de dire qu’en toute hypothèse la société BALZAC PARTICIPATIONS détiendrait un pourcentage de droits de vote supérieur a 95%, puisqu'en cas d’annulation de la cession la société REP aurait du céder à nouveau ses titres sur le marché, cette fois au plus offrant,

- que l’agrégation de ces titres à ceux détenus par la société BALZAC PARTICIPATIONS, nécessaire pour franchir le seuil de 95 % du capital de la société REP, est également douteuse, aucune disposition législative ou règlementaire ne prévoyant qu’il est fait agrégation des titres auto-détenus pour le calcul des seuils visés par l’article 33-4° de la loi du 2 juillet 1996.

Tout en observant à titre subsidiaire que le recours paraît sans objet, le pourcentage de droits de vote détenu par la société BALZAC PARTICIPATIONS étant en toute hypothèse supérieur a 95%, le Ministère Public a conclu oralement à l’incompétence de la Cour pour connaitre de la présente instance, la critique exposée par la requérante étant exclusive de la compétence d’attribution reconnue à l’autorité de marché et par suite de celle de la juridiction statuant sur les recours formés contre ses décisions.

SUR CE, LA COUR

Considérant que la société BALZAC PARTICIPATIONS, qui détenait à  l’issue d’une offre publique d’achat simplifiée clôturée le 20 octobre 1999, plus de 95 % des droits de vote de la société REP, a déposé le 28 octobre 1999 un projet d’offre publique de retrait suivie d’un retrait obligatoire, conformément aux intentions qu’elle avait précédemment annoncées ;

Considérant que la société Banque EUROFIN demande à la Cour de prononcer l’annulation de la décision de recevabilité prise le 9 novembre 1999 par le Conseil des marchés financiers sur ce projet d’offre, au motif que la société BALZAC PARTICIPATIONS n’aurait pu atteindre le seuil de 95 % des droits de vote requis par l’article 5-6-3 du Règlement général, qu’en raison de l’acquisition, dans des conditions irrégulières, des titres auto-détenus par la société REP ; qu’elle soutient qu’en s’abstenant de procéder au contrôle des conditions dans lesquelles est intervenue cette cession, le Conseil des marchés financiers n’a pas respecté les dispositions de l’article 5-1-1 de son Règlement général qui lui imposent d’assurer le respect des principes d'égalité des actionnaires, de transparence et d’intégrité du marché, de loyauté dans les transactions et la compétition ;

Sur la recevabilite du recours

Considérant que la société BALZAC PARTICIPATIONS et le Conseil des marchés financiers déclarent que le recours formé par la Banque EUROFIN est irrecevable, la requérante ne justifiant pas d’un intérêt à agir ;

Considérant toutefois que la Banque EUROFIN justifie de sa qualité d’actionnaire de la société REP visée par l’offre, et fonde ses critiques notamment sur les dispositions du Règlement général relatives aux conditions de recevabilité des offfes publiques ;

Que son recours est dès lors recevable ;

Sur le fond

Considérant que selon l’article 33-4° de la loi du 2 juillet 1996, le Règlement général du Conseil des marchés financiers fixe (...) les conditions dans lesquelles, à l’issue d’une procédure d’offre ou de demande de retrait, les titres non présenté par les actionnaires minoritaires, des lors qu’ils ne représentent pas plus de 5 % du capital ou des droits de vote, sont transférés aux actionnaires majoritaires à leur demande, et les détenteurs indemnisés (...) ;

Que selon l’article 5-6-3 du Règlement général du Conseil des marchés financiers, le ou les actionnaires majoritaires qui détiennent de concert au sens de l’article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966 au mois 95 % des droits de vote d’une société dont les actions sont admises sur un marchés réglementé (...), peuvent déposer auprès du Conseil un projet d’offre publique de retrait visant les titres de capital ou de droits de vote ou donnant accès au capital non détenus par eux ; que selon l’article 5-7-1, l’actionnaire ou le groupe majoritaire peut se voir transférer les titres non présentés par les actionnaires minoritaires a l’issue de l’offre publique de retrait ainsi réalisée, le CMF examinant le projet d’offre dans les conditions prévues par les articles 5-1-1 et 5-1 -9 de son Règlement général ;

Considérant qu’en l’espèce, il apparait que la société BALZAC PARTICIPATIONS a atteint le seuil de 95 % fixe par le Règlement général du Conseil des marchés financiers, la prise en compte des titres auto-détenus par la société REP étant indifférente ; qu’il ressort en effet des éléments produits devant la Cour que le nombre total de droits de vote de la société REP s’élève à 1.379.374, déduction faite du nombre de droits de vote attachés aux actions auto-détenues, et que le nombre total des droits de vote détenus par la société BALZAC PARTICIPATIONS à l’issue de la procédure d’offre simplifiée s’élevait à 1.315.666 déduction faite des droits de vote attachés à cet auto- contrôle, sa participation s’établissant dès lors à 95,38 % des droits de vote ;

Considérant que les conditions de détention requises par l’article 5-6-3 du Règlement général étaient dès lors remplies, ainsi que l’a justement constaté le Conseil des marchés financiers ;

Considérant en revanche que la juridiction de la Cour ne peut porter sur l’examen de la régularité de la cession des titres auto-détenus, intervenue le 30 septembre 1999 entre la société REP et la société BALZAC PARTICIPATIONS, dont le Tribunal de commerce est par ailleurs saisi ; qu’en effet, même dans l'hypothèse ou n’est pas tranché un différend, il n’est ni du pouvoir du Conseil, ni de la compétence de la Cour statuant sur les recours formés contre ses décisions, de se prononcer sur les violations d’obligations dont les sanctions de droit privé n’entrent pas dans les mesures que l’autorité de marché est habilitée a prendre par application de la loi du 2 juillet 1996 et de son règlement général ;

Que la requérante n’articule aucun autre grief susceptible de constituer une violation des dispositions de l’article 5-1-1 du Règlement général ;

Qu’il convient de rejeter le recours formé par la société Banque EUROFIN ;

Considérant que ni l’équité, ni les circonstances de l’espèce ne justifient le prononcé d’une condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable le recours formé par la société Banque EUROFIN,

Le déclare mal fondé,

Déboute la société Banque EUROFIN de toutes ses demandes,

Déboute la société REP et la société BALZAC PARTICIPATIONS de leur demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Condamne la société Banque EUROFIN aux dépens.