Cass. com., 31 octobre 2006, n° 05-13.890
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
M. Petit
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Gatineau, SCP Thomas-Raquin et Bénabent
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par les sociétés Etablissements X... et compagnie, Casa del Habano et Club del Habano que sur le pourvoi incident relevé par les sociétés Coprova et Octubre holding ;
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que la société Coprova, dont la majorité du capital est détenue par la société Octubre holding, est l'importateur exclusif en France des cigares cubains fabriqués par la société Habanos, venant aux droits de l'établissement public de droit cubain Cubatabaco ; qu'en 1986 et 1989, la société Coprova a conclu avec la société Etablissements X... et Cie (la société X...) deux protocoles d'accord ayant pour objet la création d'une boutique spécialisée dans la vente de cigares qui serait exploitée par une SARL créée en commun ; que le 17 juillet 1990, la société X... a conclu avec Cubatabaco un contrat de franchise renouvelé le 20 septembre 1994 avec la société Habanos ; que par lettre du 5 novembre 1991, le ministère du budget a informé les sociétés Coprova et X... que leur projet n'était pas conforme à la législation française, qui exige que le débitant de tabac soit propriétaire individuel ou gérant majoritaire d'une SNC ; qu'ont alors été constituées, d'une part, la SNC Casa del Habano, ayant pour objet la vente de cigares et dont le gérant était M. X..., détenteur de 95 % des parts et, d'autre part, le 28 mai 1993, la SA Club del Habano, dont le capital était détenu pour 60 % par le groupe X... composé notamment des sociétés X... et Casa del Habano et pour 40 % par la société Coprova ; que le 31 juillet 1992, la société Octubre holding a transmis par télécopie à la société Coprova un projet d'accord de coopération entre les sociétés Casa del Habano et Club del Habano stipulant notamment que dans l'hypothèse d'un résultat négatif de la SNC, la SA aiderait à le combler ;
qu'en 1995, la SNC Casa del Habano ayant connu une exploitation déficitaire, M. X... a vainement demandé que la société Coprova contribue aux pertes dans la proportion de sa participation au capital de la société Club del Habano ; qu'après qu'un arrêt du 3 juin 1998, rendu sur demande de référé-provision formée par la société Coprova, eut dit qu'il n'y avait lieu a référé et ordonné à cette société de reprendre ses livraisons à la société Casa del Habano dans la limite d'un encours de 700 000 francs (106 640,87 euros), les sociétés X... et Casa del Habano ont demandé que soit ordonnée la compensation entre les créances réciproques résultant, d'une part, de l'obligation de payer les livraisons faites à la société Casa del Habano et, d'autre part, des sommes dues à celle-ci au titre de l'acte du 31 juillet 1992 ; que la société Coprova a notamment demandé la condamnation de la société Casa del Habano à lui payer 106 640,87 euros au titre de l'encours dû et non apuré, ainsi que la dissolution de la société Club del Habano ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que les sociétés X..., Casa del Habano et Club del Habano font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande tendant à voir juger parfait l'accord de coopération entre les sociétés Casa del Habano et Club del Habano et d'avoir en conséquence condamné la société Casa del Habano à payer 106 640,87 euros à la société Coprova alors, selon le moyen :
1 / que pour justifier de ce que l'accord de coopération entre les sociétés SNC Casa del Habano et SA Club del Habano avait bien été conclu par les parties en dépit de l'absence de signature apposée sur le document, les sociétés du groupe X... faisaient valoir que la société Coprova, actionnaire de la SA Club del Habano à hauteur de 40 %, avait conformément au projet d'accord, exercé un contrôle de la comptabilité de la SNC Casa del Habano, avait participé financièrement et commercialement aux investissements de la SNC ; qu'en affirmant que ces interventions comptables et financières de la société Coprova dans la gestion de la SNC Casa del Habano s'inscrivaient dans le cadre de l'exécution des contrats de franchise conclus les 17 juillet 1990 et 20 septembre 1994, lorsque ces contrats de franchise avaient été conclus entre d'une part la société des Etablissements X..., et la société de droit cubain Cubatabaco devenue Habanos d'autre part, et non pas entre les parties au projet d'accord de coopération, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1165 du code civil ;
2 / qu'une société anonyme en formation peut conclure des conventions avec les tiers avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés ; qu'en relevant dès lors que la SA Club del Habano n'avait été constituée que plusieurs mois après la rédaction de l'accord de coopération dans lequel elle apparaissait aux côtés de la SNC Club del Habano, pour en déduire qu'aucune acceptation des parties n'avait pu valablement intervenir sur le projet d'accord de coopération, la cour d'appel s'est prononcée par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
3 / que dans ses courriers en date du 7 septembre 1995 et du 24 juillet 1996 adressés à la société Coprova en sa qualité d'actionnaire de la SA Club del Habano, M. X... ès qualités de gérant de la SNC Casa del Habano, faisait valoir "en vertu de l'accord de coopération existant entre la SA Club del Habano et la SNC Casa del Habano, avalisé par la société Octubre holding SA le 31 juillet 1992", que "l'activité de la SA Club del Habano et de la SNC Casa del Habano sont effectivement comme nous vous l'avons déjà rappelé à consolider" et sollicitait en conséquence de la société Coprova sa "participation consolidée à hauteur de 40 % des pertes encourues de la SNC" ; qu'ainsi M. X... tenait pour acquise la conclusion de l'accord de coopération, et en sollicitait l'exécution de la part de la société Coprova ;
qu'en affirmant que par ces deux courriers, M. X... restait dans l'attente des réponses de Coprova sur l'accord de coopération, ne considérant pas cet accord comme finalisé, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces courriers en violation de l'article 1134 du code civil ;
4 / que l'accord de coopération entre les sociétés SNC Casa del Habano et SA Club del Habano prévoyait que "l'activité des deux sociétés et par là même leur résultat est à considérer de façon consolidée. Dans l'hypothèse d'un résultat négatif de la SNC, la SA aidera à le combler" ; qu'il était ainsi clairement stipulé qu'en cas de déficit de la SNC Casa del Habano, la SA Club del Habano comblerait le déficit de la SNC par la consolidation de ses résultats avec ceux de la SNC ; qu'en affirmant que cette clause ne comporte pas un engagement ferme, clair et définitif de partage de l'éventuel "résultat consolidé négatif" entre les deux parties en l'absence de précision sur les conditions de l'aide fournie par la SA à la SNC, la cour d'appel a dénaturé le sens clair et précis de l'accord de coopération ;
5 / que pour justifier leurs demandes tendant à voir la société Coprova condamnée à prendre en charge à hauteur de 40 % les pertes enregistrées par la SNC Casa del Habano, les sociétés du groupe X... rappelaient que le capital de la SA Club del Habano, qui s'était engagée au terme de l'accord de coopération à combler les résultats négatifs de la SNC Casa del Habano, était détenu à 40 % par la société Coprova ; que cette participation de la société Coprova dans la SA Club del Habano à hauteur de 40 % était d'ailleurs reconnue par la société Coprova ; qu'ainsi en tant qu'actionnaire à 40 % de la SA Club del Habano, la société Coprova se trouvait tenue au terme de l'accord de coopération de combler à hauteur de 40 % les pertes de la SNC ; qu'en retenant qu'il n'était pas justifié du taux de 40 % retenu au titre de la participation de la société Coprova aux pertes de la SNC, dès lors qu'elle n'avait pas de participation directe ou indirecte dans la SNC, sans rechercher comme elle y était pourtant invitée si la société Coprova en tant qu'actionnaire de la SA Club del Habano à hauteur de 40 %, n'était pas tenue de combler les pertes de la SNC à hauteur de sa détention du capital social de la SA Club del Habano en vertu de l'accord de coopération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés, que si les associés d'une société en nom collectif répondent des dettes de celle-ci, la société Coprova n'est pas associée de la société Casa del Habano et que sa qualité d'actionnaire de la société Club del Habano ne peut justifier qu'elle participe aux pertes de la société Casa del Habano dans la proportion de sa participation au capital de la société Club del Habano ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations d'où il résulte qu'à le supposer conclu, l'accord de coopération invoqué, auquel seules étaient parties les sociétés Casa del Habano et Club del Habano, ne pouvait avoir pour effet d'obliger la société Coprova, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi principal :
Attendu que les sociétés X..., Casa del Habano et Club del Habano font encore grief à l'arrêt d'avoir prononcé la dissolution de la société Club del Habano alors, selon le moyen, que tout intéressé est recevable à demander en justice la dissolution de la société qui n'a pas régularisé sa situation en méconnaissance des dispositions de l'article L.. 225-248 du code de commerce en cas de perte de la moitié du capital social, à la condition de justifier d'un intérêt légitime ; qu'en l'espèce, les sociétés Etablissements X..., SNC Casa del Habano et SA Club del Habano, faisaient valoir que la société Coprova actionnaire à hauteur de 40 % de la SA Club del Habano, s'était opposée à la régularisation de la situation patrimoniale de celle-ci au moyen d'une augmentation de capital lors de l'assemblée générale extraordinaire qui s'était tenue le 10 juillet 1998, soulignant ainsi que la société Coprova était à l'origine de l'absence de régularisation et qu'elle était donc dépourvue d'intérêt légitime à demander la dissolution de la société ;
qu'en affirmant que les juges du fond ne disposaient d'aucun pouvoir d'appréciation et devaient prononcer la dissolution en l'absence de régularisation, pour accueillir la demande de la société Coprova, lorsque le succès de la prétention de la société Coprova était à tout le moins subordonné à la recevabilité de son action, et partant à la légitimité de son intérêt, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la légitimité de l'intérêt de la société Coprova, a privé sa décision de base légale au regard des articles 31 du nouveau code de procédure civile, 1844-7 du code civil et L.. 225-248 du code de commerce ;
Mais attendu que la circonstance qu'un actionnaire s'est opposé à l'adoption d'une résolution destinée à permettre la régularisation de la situation d'une société anonyme dont les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié de son capital, n'est pas de nature à le priver de la faculté, ouverte à tout intéressé, de demander la dissolution de la société dans les conditions de l'article L. 225-248 du code de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l'article 1153 du code civil ;
Attendu qu'après avoir retenu, par motifs propres et adoptés, que la société Coprova demandait que la société Casa del Habano fût condamnée à lui payer la somme de 106 640,87 euros, correspondant à l'encours dû et non apuré, et que cette société reconnaissait devoir cette somme, l'arrêt a confirmé le jugement en ce qu'il avait fixé au jour de sa signification le point de départ des intérêts au taux légal dus sur cette somme par la société Casa del Habano ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la créance d'une somme d'argent dont le principe et le montant résultent de la loi ou du contrat et non de l'appréciation du juge porte intérêt à compter de la sommation de payer, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé au jour de la signification du jugement le point de départ des intérêts dus par la société Casa del Habano sur la somme de 106 640,87 euros, l'arrêt rendu le 18 mars 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.