Cass. crim., 28 septembre 2022, n° 22-84.210
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Leprieur
Avocat général :
M. Valat
Avocats :
SCP Sevaux et Mathonnet, SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Il résulte des arrêts attaqués et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [E] [T] a été mis en examen des chefs de viol et agression sexuelle aggravés, agression sexuelle et tentative, violations de domicile.
3. Par arrêt du 29 octobre 2020, la chambre de l'instruction de la cour d'appel a rejeté sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
4. Par ordonnance du 15 février 2022, le juge d'instruction a renvoyé la personne mise en examen devant la cour criminelle sous l'accusation de viol et agression sexuelle aggravés, tentatives d'agression sexuelle, violations de domicile.
5. L'accusé a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction du 29 octobre 2020
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation des réquisitions adressées à l'Institut national de police scientifique aux fins d'exploitation des scellés, alors « qu'en matière de réquisitions pour examen technique, le juge saisi d'un moyen pris de ce que ces actes n'ont pas été précédés d'une autorisation du procureur de la République doit apprécier l'existence de cette autorisation, qu'elle ait été écrite ou orale, et rechercher pour ce faire s'il résulte d'une pièce du dossier que cette autorisation a été demandée et qu'une réponse écrite ou orale du parquet a bien été délivrée ; qu'en se bornant à constater, pour dire n'y avoir lieu à annulation, que les réquisitions litigieuses mentionnaient qu'elles avaient été prises « sur autorisation du procureur de la République » et que les procès-verbaux y afférent mentionnaient que ces réquisitions avaient été faites « suite à l'autorisation préalable de monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles » et qu'il n'était pas nécessaire qu'une autre pièce de la procédure indique qu'il y ait eu une demande en ce sens et une réponse écrite ou verbale du parquet autorisant ces réquisitions, la chambre de l'instruction a violé l'article 77-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter le moyen de nullité des réquisitions, l'arrêt attaqué énonce que l'autorisation que le procureur de la République peut donner à un officier de police judiciaire pour présenter les réquisitions prévues à l'article 77-1 du code de procédure pénale n'est soumise à aucune forme particulière.
8. Il en déduit que la réquisition portant mention d'une autorisation du procureur de la République est régulière, quand bien même aucune autre pièce du dossier n'aurait été établie pour constater qu'un magistrat du parquet a donné une autorisation verbale ou écrite.
9. Les juges relèvent qu'en l'espèce, la réquisition du 23 mai 2019 porte la mention « sur autorisation du procureur de la République près le TGI de Versailles » et le procès-verbal établi le même jour mentionne en outre que la réquisition est faite « suite à l'autorisation préalable de monsieur le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles ». Ils ajoutent que la réquisition du 20 août 2019 porte la mention « Vu l'article 77-1 du code de procédure pénale, vu l'autorisation préalable de Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles » et le procès-verbal établi le même jour mentionne en outre que la réquisition est faite « Vu les dispositions de l'article 77-1 du code de procédure pénale, suite à l'autorisation préalable de Monsieur le procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Versailles ».
10. Ils concluent que l'officier de police judiciaire a requis l'Institut national de police scientifique sur autorisation du procureur de la République et que ces réquisitions sont régulières.
11. En statuant ainsi, dès lors que l'autorisation que le procureur de la République peut donner à un officier de police judiciaire pour requérir, sur le fondement de l'article 77-1 du code de procédure pénale, toute personne qualifiée de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, si elle doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête préliminaire en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable,n'est soumise à aucune forme particulière, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des texte et principe visés au moyen.
12. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Mais sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction du 29 octobre 2020
Enoncé des moyens
13. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure à compter du procès-verbal d'identification de M. [T] par Mme [N], alors « que la personne gardée à vue peut demander qu'un avocat soit présent lors d'une séance d'identification des suspects dont elle fait partie ; que l'absence d'information de l'avocat porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; que M. [T] faisait valoir que son avocat n'avait pas été informé d'une seconde séance d'identification à laquelle il a fait partie alors qu'il avait demandé que son avocat soit présent ; qu'en retenant qu'aucune nullité ne saurait résulter de l'absence de son avocat à cet acte, la chambre de l'instruction a violé les articles 61-3 du code de procédure pénale et 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme. »
14. Le troisième moyen fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'est proscrit le stratagème qui, par un contournement ou un détournement d'une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l'un des droits essentiels ou à l'une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie ; que contournent les règles de la procédure, les enquêteurs qui omettent volontairement de rédiger un procès-verbal à décharge pour n'en rédiger qu'un autre à charge ; qu'en refusant d'annuler la procédure lorsqu'elle constatait que les enquêteurs avaient dissimulé, en omettant volontairement de rédiger un procès-verbal portant sur la première séance d'identification, que lorsqu'il avait été présenté avec d'autres individus, et non seul, la plaignante n'avait pas identifié de manière formelle M. [T], la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
15. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 61-3 du code de procédure pénale et le principe de la loyauté de la preuve :
16. D'abord, il se déduit du texte susvisé que toute personne placée en garde à vue doit pouvoir bénéficier de la présence d'un avocat lors d'une séance d'identification des suspects dont elle fait partie.
17. Ensuite, constitue une atteinte au principe de loyauté de la preuve, le stratagème employé par un agent de l'autorité publique qui, par un contournement ou un détournement d'une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l'un des droits essentiels ou à l'une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie.
18. Pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de présentation à témoin, l'arrêt énonce d'abord que la présentation d'une personne gardée à vue à une victime n'est pas une audition et qu'aucune nullité ne saurait résulter de l'absence de l'avocat à cet acte.
19. Les juges ajoutent que les conditions de reconnaissance de M. [T] par Mme [N] ont fait l'objet d'un premier procès-verbal le 26 septembre 2019 mentionnant qu'un groupe de quatre hommes, porteurs de numéros de un à quatre, lui a été présenté, et qu'elle a formellement reconnu la personne portant le numéro un, soit M. [T], par son âge, sa taille, ses cheveux et la musculature de ses bras.
20. Ils retiennent encore qu'un second procès-verbal, établi à la suite du courrier adressé par l'avocat de la personne mise en examen au magistrat instructeur, précise que la présentation, à travers une glace sans tain, de M. [T] parmi un groupe, constitué de quatre personnes, a eu lieu en présence de l'avocat du mis en cause et que la victime a hésité et désigné le numéro un, sans être formelle. Mais, alors que l'avocat venait de partir et qu'elle était conduite vers un bureau pour l'établissement du procès-verbal, elle a souhaité revoir l'homme portant le numéro un, spécialement ses avant-bras. C'est ainsi que M. [T] a été replacé au centre de la pièce, seul, en débardeur, après avoir enlevé sa chemise et que la victime a alors déclaré le reconnaître formellement.
21. Ils concluent que les conditions de la présentation, puis de la reconnaissance, faisant ainsi l'objet de procès-verbaux précis et détaillés, soumis au contradictoire et à la discussion des parties, le moyen de nullité doit être rejeté.
22. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des pièces de la procédure, d'une part, qu'une seconde présentation de la personne gardée à vue à la victime s'était déroulée en l'absence de l'avocat du demandeur, en méconnaissance des dispositions de l'article 61-3 du code de procédure pénale, et, d'autre part, que les circonstances de la présentation, telles que transcrites au procès-verbal établi le 26 septembre 2019, seul procès-verbal rédigé d'initiative par les enquêteurs, étaient manifestement inexactes, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
24. La cassation de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles du 29 octobre 2020 entraîne, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt de mise en accusation de ladite cour d'appel du 30 juin 2022.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens dirigés contre l'arrêt du 30 juin 2022, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 29 octobre 2020, mais en ses seules dispositions ayant rejeté le moyen de nullité du procès-verbal de présentation à témoin figurant à la cote D535 et des procès-verbaux subséquents, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 30 juin 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.