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Décisions

Cass. crim., 15 mars 1988, n° 88-80.267

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Berthiau

Rapporteur :

M. Dardel

Avocat général :

Mme Pradain

Avocat :

SCP Waquet et Farge

Douai, ch. d'acc., du 6 nov. 1987

6 novembre 1987

CASSATION et règlement de juges sur le pourvoi formé par :

- X... Patrick,

contre un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai du 6 novembre 1987 qui l'a renvoyé sous l'accusation d'homicide volontaire devant la cour d'assises du département du Nord.

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 156, 161 et 591 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a omis de prononcer la nullité des opérations d'expertise effectuées par M. Y..., expert requis par M. Z..., officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction,

" alors que les magistrats instructeurs ne tiennent d'aucun texte la faculté de déléguer leurs pouvoirs en matière de désignation d'experts, et ne peuvent donner mission à un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, de procéder à cette désignation ; que, dès lors, la chambre d'accusation devait prononcer la nullité desdites opérations effectuées en violation des règles légales de l'expertise " ;

Attendu qu'il appert de la procédure d'information ouverte en vertu d'un réquisitoire introductif en date du 27 septembre 1984 du chef d'homicide volontaire à la suite de la mort de Martine A... survenue le 23 septembre 1984, que l'officier de police judiciaire Z..., agissant en application des articles 53 et suivants du Code de procédure pénale, a requis, les 24 et 25 septembre 1984, le professeur Y..., directeur du laboratoire interrégional de police judiciaire, de procéder à des analyses de produits provenant d'objets découverts sur les lieux des faits et à la comparaison d'une douille également trouvée sur place avec d'autres déjà identifiées ;

Attendu qu'il est vainement reproché à la chambre d'accusation de ne pas avoir annulé de tels examens qui, selon le moyen, n'auraient pu être ordonnés que par le juge d'instruction ; qu'en effet, lorsqu'ils opèrent en cas de crime ou de délit flagrant, dès lors que le juge d'instruction n'est pas présent sur les lieux et tant que l'ouverture d'une information n'a pas été requise, les officiers de police judiciaire tiennent de l'article 60 du Code de procédure pénale le pouvoir de recourir à toutes personnes qualifiées s'il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques ;

Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

" en ce que l'arrêt attaqué n'a pas prononcé la nullité des écoutes téléphoniques réalisées en exécution des commissions rogatoires délivrées par le juge d'instruction ;

" alors qu'il résulte des dispositions de l'article 8 de la Convention précitée que l'ingérence des autorités publiques dans la vie privée et familiale, le domicile et la correspondance d'une personne ne constitue une mesure nécessaire à la répression des infractions pénales que si une loi définit clairement et avec précision l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel pouvoir ; que tel n'est pas le cas des articles 81 et 151 du Code de procédure pénale qui n'autorisent pas, en des termes clairs et précis, le juge d'instruction à faire procéder à des écoutes téléphoniques " ;

Et sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 151 du Code de procédure pénale :

" en ce que la commission, en vertu de laquelle ont été dressés les procès-verbaux d'écoute téléphonique cotés D. 258 à D. 302, ne figure pas au dossier de la procédure ; qu'ainsi la Cour de Cassation n'est pas en mesure de s'assurer de la régularité de la procédure " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'informant contre X... Patrick du chef d'homicide volontaire, le magistrat instructeur a, par commissions rogatoires des 1er octobre 1984, 19 novembre 1984, 31 janvier 1985, prescrit de placer sous écoutes les lignes téléphoniques affectées aux domiciles de B... Louis, de C..., de X... Marcel et de la dame D... ; que l'exécution de ces mesures a donné lieu à plusieurs procès-verbaux ;

Attendu que ces opérations ne sauraient encourir les griefs des moyens ;

Que, d'une part, il n'importe que l'original de la commission rogatoire du 31 janvier 1985 ne figure pas au dossier de la procédure dès lors que son existence est attestée par la transcription qui en est faite dans le procès-verbal établi le jour même par l'officier de police judiciaire chargé de son exécution ;

Que, d'autre part, il résulte des articles 81 et 151 du Code de procédure pénale que le juge d'instruction peut, sur présomption d'une infraction déterminée ayant entraîné l'ouverture d'une information, ordonner qu'il soit, sous son contrôle, procédé sans aucun artifice ni stratagème à des écoutes téléphoniques dès lors qu'elles n'ont pas pour résultat de compromettre les droits de la défense ;

Qu'enfin, le demandeur qui n'a personnellement souffert d'aucune atteinte dans les droits reconnus par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne saurait se prévaloir de cette disposition pour contester la validité d'écoutes téléphoniques régulièrement ordonnées au domicile de tiers ;

Que dans ces conditions, les moyens ne sauraient être accueillis ;

Sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 117, 118, 167, 170, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense :

" en ce que l'arrêt attaqué a omis de prononcer la nullité de l'interrogatoire en date du 15 novembre 1985 (pièce cotée D. 8) ainsi que de toute la procédure subséquente,

" alors que le juge d'instruction doit, aux termes de l'article 167 du Code de procédure pénale, notifier les conclusions des experts aux inculpés dans les formes prévues aux articles 118 et 119 de ce Code ; qu'il résulte des mentions du procès-verbal d'interrogatoire que les conseils de l'inculpé ont été convoqués par lettres recommandées, envoyées le vendredi 8 novembre 1985, pour assister audit interrogatoire qui s'est déroulé le vendredi 15 novembre 1985, de sorte qu'il ne s'est pas écoulé un délai de quatre jours ouvrables entre l'envoi de la convocation et l'interrogatoire ; qu'en ne déclarant pas d'office la nullité de cette pièce et de la procédure subséquente, la chambre d'accusation a méconnu le principe susrappelé sans que les dispositions de l'article 802 du Code de procédure pénale puissent trouver application dès lors que l'un des conseils de l'inculpé n'a pu assister à l'interrogatoire " ;

Attendu qu'il appert des mentions portées au procès-verbal en date du 15 novembre 1985 par lequel le juge d'instruction a notifié à l'inculpé X..., en présence de l'un de ses conseils et en l'absence de l'autre, les conclusions des examens psychiatrique et médico-psychologique le concernant, que ces avocats ont été convoqués par lettre recommandées adressées le 8 novembre précédent ;

Attendu que si par suite de la succession des samedi 9, dimanche 10 et lundi férié 11 novembre 1985 le délai prescrit pour l'envoi des convocations prévu à l'article 118, alinéa 2, du Code de procédure pénale, applicable aux notifications effectuées en vertu de l'article 167 dudit Code se trouvait réduit à trois jours ouvrables, la nullité ainsi encourue n'est cependant pas susceptible de donner ouverture à cassation ; qu'en effet, lors de la notification des conclusions des expertises, il a été imparti à l'inculpé un délai de cinq jours pour présenter ses observations et pendant lequel les conseils de ce dernier avaient la faculté d'intervenir ; qu'il n'est pas établi ni même allégué que l'irrégularité commise ait eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du demandeur ;

Qu'il s'ensuit que, par application de l'article 802 du Code de procédure pénale, le moyen doit être écarté ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 106, 107, 121, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt a omis d'annuler d'office le procès-verbal de transport sur les lieux dressé le 23 avril 1985 (pièce cotée D. 1132), lequel analyse les déclarations et réponses des inculpés et témoins qui ont été interrogés hors les formes prescrites par les articles 103, 106, 107 et 121 du Code de procédure pénale ;

" alors que la chambre d'accusation aurait dû annuler d'office ce procès-verbal qui fait état des déclarations faites au cours de ce transport par les inculpés et témoins sans qu'ait été établi un procès-verbal régulier des déclarations des personnes entendues ; qu'en omettant de reconnaître le vice qui affectait cette pièce, et d'annuler celle-ci, la chambre d'accusation n'a pas justifié sa décision " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu'aux termes de l'article 121 du Code de procédure pénale, les procès-verbaux d'interrogatoires sont établis dans les formes prévues aux articles 106 et 107 dudit Code ; qu'il s'agit de formalités substantielles :

Attendu qu'au cours de la procédure suivie contre X..., inculpé d'homicide volontaire, le juge d'instruction s'est transporté sur les lieux, assisté de son greffier, à l'effet de procéder à une reconstitution des faits en présence de l'inculpé, de l'un de ses défenseurs, et des témoins ; qu'au cours de cette opération X... a été à plusieurs reprises amené à fournir des précisions sur les agissements qu'il était invité à renouveler ;

Mais attendu que ce faisant, le magistrat instructeur ne s'est pas borné à des vérifications ou à des constatations matérielles ayant pour objet d'établir les circonstances du crime, mais qu'il a interrogé l'inculpé sans respecter les formes prescrites par les articles 106 et 107 du Code de procédure pénale et sans avoir procédé sans désemparer à des auditions et confrontations régulières ; qu'il y a ainsi procédé en violation des textes susvisés et que le procès-verbal de transport est entaché de nullité ;

Que la chambre d'accusation, saisie de la procédure en application de l'article 181 du Code de procédure pénale et qui avait l'obligation, conformément à l'article 206, de constater cette nullité et de tirer de cette irrégularité les conséquences qu'elle comportait, a, en s'abstenant de le faire, méconnu également les dispositions de la loi ;

Qu'il s'ensuit que son arrêt encourt la censure ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 117 et 118 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense :

" en ce que l'arrêt attaqué a omis de prononcer la nullité des procès-verbaux du 18 avril et du 4 décembre 1986 (pièces cotées D. 402 et B. 39) et de la procédure subséquente),

" alors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 117 et 118 du Code de procédure pénale que, lorsqu'un inculpé a désigné plusieurs avocats appartenant au même barreau et n'a pas fait connaître celui d'entre eux auquel devaient être adressées les convocations et notifications, celles-ci doivent être adressées au premier conseil choisi ; qu'en l'espèce l'inculpé ayant désigné Me Cattelin et ultérieurement Me Van der Meulen, tous deux avocats au barreau de Lille, sans autres précisions, le premier conseil choisi devait, à peine de nullité, être convoqué aux interrogatoires en cause ; qu'en omettant de prononcer la nullité des interrogatoires effectués sans que Me Cattelin ait été régulièrement convoqué, la chambre d'accusation a méconnu les textes susvisés " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que, selon l'article 117 du Code de procédure pénale, s'ils désignent plusieurs conseils, l'inculpé et la partie civile doivent faire connaître celui d'entre eux auquel seront adressées les convocations et notifications ; qu'à défaut de ce choix, celles-ci seront adressées au conseil premier choisi ;

Attendu que lors du procès-verbal de première comparution établi le 30 mai 1985, X... a déclaré choisir pour assurer sa défense Me Cattelin, avocat à Lille, lequel s'est présenté spontanément ; que postérieurement, Me Van der Meulen, du même barreau, a fait connaître au magistrat instructeur, par lettre du 3 octobre 1985, que X... l'avait " désigné tant dans le dossier de vol à main armée que dans le dossier de meurtre " ; qu'il ne résulte d'aucune pièce du dossier que cet inculpé ait renoncé à l'assistance de Me Cattelin ni qu'il ait désigné l'un de ses conseils pour recevoir les convocations ou notifications ;

Attendu qu'il est vainement fait grief au juge d'instruction d'avoir procédé le 18 avril 1986 à l'interrogatoire de X... en présence de Me Van der Meulen seul avocat convoqué par lettre recommandée du 20 mars précédent ; qu'en effet la régularité du procès-verbal constatant cet acte d'instruction, extrait de la procédure suivie contre le susnommé du chef de vol avec arme et joint en copie dans le dossier de l'instruction visant les faits d'homicide volontaire, ne saurait être critiquée à l'occasion du présent pourvoi ;

Mais attendu qu'il appert de deux procès-verbaux en date du 4 décembre 1986 que le magistrat instructeur a interrogé X... sur un élément de personnalité (B. 39) et l'a confronté avec le témoin E... (D. 448) sans que Me Cattelin, conseil premier choisi, ait été convoqué ; qu'ainsi ont été méconnues les dispositions susvisées ;

Que dès lors, en s'abstenant d'examiner, ainsi que l'article 206 du Code de procédure pénale lui en faisait l'obligation, la régularité de la procédure qui lui était soumise en application de l'article 181 du même Code et en omettant de constater, fût-ce d'office, la nullité des procès-verbaux d'interrogatoire du 4 décembre 1986 et de tirer de ces constatations les conséquences légales qu'elles comportaient, la chambre d'accusation a également méconnu les textes visés au moyen ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encore encourue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai du 6 novembre 1987, et pour que l'affaire soit à nouveau jugée conformément à la loi :

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens.