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Décisions

Cass. crim., 27 mars 2018, n° 17-85.603

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocat :

SCP Spinosi et Sureau

ch. instr. Riom, du 1 août 2017

1 août 2017

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 17 novembre 2017, joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ;

Vu les mémoires produits, communs aux demandeurs ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'un renseignement anonyme, les enquêteurs, agissant en enquête préliminaire, ont procédé à diverses réquisitions sur le fondement des dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale en utilisant, dans certains cas, la plate-forme nationale des interceptions judiciaires, système informatique également dénommé "PNIJ", tendant à l'identification des titulaires de lignes téléphoniques ; qu'ils ont également procédé, après qu'une information eut été ouverte, à la pose de balises de géolocalisation sur deux véhicules, une Golf immatriculée [...] et une Audi immatriculée [...] ; que l'interpellation de MM. Y... et Z... et les perquisitions effectuées ont permis la découverte de près de 110 kg de produits stupéfiants ; que les intéressés ont été mis en examen des chefs susvisés ;

Attendu que M. Y... a présenté une requête en nullité à laquelle s'est joint M. Z... par mémoire déposé devant la chambre de l'instruction ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 77-1-1, 591, 593 du code de procédure pénale :

"en ce que la chambre de l'instruction a rejeté le moyen tiré de la nullité des réquisitions judiciaires et de leurs réponses figurant aux cotes D2, D4, D5, D6, D7, D29, D32, D77, D78, D87, D89, D91, D92, D95, D96 et D98 ;

"aux motifs que le législateur afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, a mis en place un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé : plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ). Ce traitement enregistre et met à la disposition des magistrats, des officiers et agents de police judiciaire de la gendarmerie et la police nationales chargés de les seconder ainsi que des agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires :
a) Le contenu des communications électroniques interceptées sur le fondement des articles 74-2, 80-4, 100 à 100-7 et 706-95 ;
b) Les données et les informations communiquées en application des articles 60-1, 60-2 , 77-1-1, 77-1-2, 99-3, 99-4, 230-32, des articles R. 10-13 et R. 10-14 du code des postes et des communications électroniques et du décret n° 2011-219 du 25 février 2011 ; que les réquisitions des officiers de police judiciaire intervenant dans ce cadre sont établies informatiquement et prenne la forme d'un "imprimé type adressé par voie électronique à la PNIJ une copie du formulaire de réquisition étant imprimée et versée à la procédure La plate-forme nationale des interceptions judiciaires centralise les réquisitions, les transmet aux organismes concernés et fait retour de la réponse aux services requérants ; que la page écran, que les enquêteurs complètent et dont une copie papier figure à la procédure comporte un cadre intitulé "magistrat" ; que l'existence de ce cadre ne peut avoir d'autre sens que celui d'indiquer le nom du magistrat qui a autorisé la réquisition et le fait par l'officier de police judiciaire requérant de remplir ce cadre en y indiquant le nom et la fonction d'un magistrat signifie nécessairement qu'il a effectivement obtenu préalablement l'autorisation de ce dernier de procéder à la réquisition ; qu'il doit dès lors être considéré qu'en indiquant dans le cadre magistrat le nom de M. E... substitut du procureur de la République à Clermont-Ferrand les enquêteurs justifient avoir satisfait aux obligations prescrites par l'article 77-1-1 du code de procédure pénale ; qu'aucune nullité n'est donc encourue de ce chef ; qu'il en va autrement des réquisitions qui ne concernent pas la PNIJ et et pour lesquelles il n'est effectivement pas mentionné qu'elles ont été préalablement autorisées par un magistrat. Tel est le cas de la réquisition adressée au CCPO de Tournai (036) et de sa réponse (043), des réquisitions adressées aux casinos de Royat et Vichy (048 et 051), de la réquisition adressée à la société APPR et de sa réponse (062 et 079), de la réquisition adressée à la société SAPN et de sa réponse (063 et 093) ; que s'agissant des cotes 06 qui concerne des identifications de titulaires de lignes il apparaît que l'OPJ a, par erreur mentionné une autorisation du JLO consécutive à une requête du procureur de la République uniquement nécessaire pour des interceptions téléphoniques ; que le visa du magistrat ayant sollicité la mesure suffit à considérer au-delà de cette erreur matérielle que la réquisition a bien été autorisée par le procureur de la République ; qu'au demeurant la réponse à cette réquisition qui figure à la cote 07 n'apporte pas d'éléments ultérieurement exploités par les enquêteurs et ne constitue pas le support nécessaire d'autres actes ; que s'agissant d'un problème similaire concernant la cote 079 les mêmes observations peuvent être formulées mais il sera constaté au surplus qu'à la cote 089 figure une réquisition concernant le même numéro que celui visé à la cote 079 et qui ne comporte cette fois aucune erreur ; qu'en conséquence seuls sont affectés de nullités les actes figurant aux cotes 036, 043, 048, 051, 062, 079, 063 et 093 ; qu'il ne résulte pas de l'examen de la procédure que les actes ainsi annulés constituent le support nécessaire d'actes postérieurs de sorte que cette annulation ne s'étend pas à d'autres actes ;

"1°) alors que, si l'autorisation que le procureur de la République peut donner à un officier de police judiciaire pour présenter les réquisitions prévues par l'article 77-1-1 du code de procédure pénale n'est soumise à aucune forme particulière, son existence doit être établie avec certitude ; qu'en l'espèce, figurent en procédure plusieurs réquisitions effectuées informatiquement via la plate-forme nationale des interceptions judiciaires qui ne mentionnent pas l'autorisation préalable du procureur de la République ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler ces actes, que la mention du nom de M. E... , substitut du procureur de la République de Clermont-Ferrand, dans le cadre intitulé "magistrat" signifiait nécessairement que ce magistrat avait autorisé lesdites réquisitions, lorsque la seule inscription de son nom, par les enquêteurs eux-mêmes, ne peut suffire à établir l'existence de l'autorisation exigée, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé ;

"2°) alors qu'en retenant, pour refuser d'annuler les réquisitions cotées D6 et D79 concernant les identifications de titulaires de lignes, que le visa du magistrat ayant sollicité la mesure suffisait à considérer que ces réquisitions avaient été autorisées par le procureur de la République lorsqu'elle constatait que l'OPJ avait par ailleurs mentionné par erreur une autorisation –inexistante- du JLD consécutive à une requête du procureur de la République, mention erronée qui était de nature à jeter un doute légitime sur la véracité des autres mentions figurant sur ces actes, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision" ;

Sur le moyen pris en sa première branche :

Attendu que pour écarter l'argumentation de MM. Y... et Z... tendant à l'annulation de réquisitions effectuées par l'intermédiaire de la PNIJ, au motif qu'il ne ressort pas desdites réquisitions qu'elles ont été autorisées par le procureur de la République comme les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale le prévoient, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu que les demandeurs ne sauraient reprocher à la chambre de l'instruction de s'être ainsi prononcée dès lors qu'il ressort des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, qu'ils ne justifient pas avoir établi, ni même allégué, devant la chambre de l'instruction, avoir été les titulaires ou les utilisateurs des lignes objet des réquisitions, ni, à partir des pièces de la procédure soumises à l'examen de cette juridiction, qu'il aurait été porté atteinte, à l'occasion des investigations litigieuses, à leur vie privée ;

Qu'il s'ensuit que leur requête en annulation des réquisitions litigieuses était irrecevable ;

D'où il suit que le grief ne saurait être admis ;

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :

Attendu que pour rejeter l'argumentation de MM. Y... et Z..., qui faisaient valoir que la réquisition cotée D 6 est nulle en ce qu'elle vise les articles 100 et suivants du code de procédure pénale, relatifs aux interceptions de communications, et mentionne une autorisation du juge des libertés et de la détention inexistante, quand elle s'analyse en une réquisition prise sur le fondement de l'article 77-1-1 de ce code, l'arrêt retient que nonobstant une erreur matérielle évidente, le procès-verbal litigieux contient la preuve de l'autorisation du procureur de la République requise par ce dernier texte ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, partiellement sans objet dès lors que la chambre de l'instruction a annulé la pièce cotée D 79, sera rejeté ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 171, 230-32 à 230-44, 802, 591, 593 du code de procédure pénale :

"en ce que la chambre de l'instruction a dit que M. Y... était irrecevable à critiquer la régularité des opérations de géolocalisation des véhicules Volkswagen Golf immatriculé [...] et audi S1 immatriculé [...] ;

"aux motifs qu'il résulte des articles 171 et 802 du code de procédure pénale que la méconnaissance d'une formalité substantielle ne peut être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation d'acte ou de pièce de procédure que si elle a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne ; qu'il ressort de la procédure que M. Y... n'est pas le propriétaire des véhicules Volkswagen Golf immatriculé [...] et Audi S1 immatriculée [...] ceux-ci appartenant respectivement à MM. Melik C... et Hammou D... ; qu'il ne saurait dès lors être admis à contester la régularité de la géolocalisation en temps réel de ces véhicules sur lesquels il ne peut se prévaloir d'aucun droit ;

"1°) alors qu'un mis en examen est recevable à contester la régularité de la géolocalisation en temps réel d'un véhicule sur lequel il dispose de droits ; qu'en se bornant à affirmer, pour déclarer M. Y... irrecevable à critiquer la géolocalisation des véhicules Volkswagen Golf et Audi S1, qu'il n'en était pas le propriétaire, sans rechercher s'il n'avait pas l'usage régulier de ces deux véhicules qui n'ont été ni volés ni faussement immatriculés, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen ;

"2°) alors qu'un mis en examen est recevable à contester la régularité de la géolocalisation en temps réel d'un véhicule par l'intermédiaire duquel il a été géolocalisé, à la condition que ce véhicule n'ait pas été volé et faussement immatriculé ; qu'en déclarant M. Y... irrecevable à critiquer la géolocalisation des véhicules Volkswagen Golf et Audi S1, lorsqu'il ressort des pièces de la procédure qu'il a lui-même été géolocalisé par l'intermédiaire de ces véhicules qui n'ont pas été volés ni faussement immatriculés, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen" ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que la méconnaissance des formalités substantielles régissant la géolocalisation peut être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation d'actes ou de pièces de procédure par la partie titulaire d'un droit sur le véhicule géolocalisé ou qui établit, hors le cas d'un véhicule volé et faussement immatriculé, qu'il a, à l'occasion d'une telle investigation, été porté atteinte à sa vie privée ;

Attendu que, pour écarter l'argumentation de M. Y..., qui soutenait que les géolocalisations des véhicules en cause étaient nulles, faute de respect des dispositions de l'article 230-35 du code de procédure pénale, l'arrêt énonce que l'intéressé ne saurait être admis à contester la régularité desdites opérations, ne pouvant se prévaloir d'aucun droit sur ces véhicules, qui appartiennent à des tiers ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résulte des conclusions de M. Y..., à qui il n'était pas reproché d'avoir pris place dans un véhicule volé et faussement immatriculé, que celui-ci soutenait avoir lui-même été géolocalisé par le biais des mesures contestées, en sorte qu'il avait été porté atteinte à sa vie privée, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen de cassation proposé :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Riom, en date du 1er août 2017, mais en ses seules dispositions relatives à la régularité des géolocalisations des véhicules immatriculés [...] et [...] , toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil DAR.