Cass. crim., 29 novembre 2022, n° 22-81.393
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Violeau
Avocat général :
M. Quintard
Avocat :
SCP Sevaux et Mathonnet
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une première information judiciaire ouverte des chefs notamment d'infractions à la législation sur les armes, l'appartement occupé par M. [F] [X] et Mme [T] [J] situé au [Adresse 2], a fait l'objet d'une sonorisation, autorisée par ordonnance du 3 juin 2016, renouvelée jusqu'au 6 juin 2017.
3. Le 8 septembre 2017 et le 20 juin 2018, les enquêteurs ont indiqué avoir tenté de pénétrer dans l'appartement afin de retirer le dispositif alors désactivé, sans y parvenir, en raison de la pose d'une serrure inviolable. Ils ont précisé surseoir à ce retrait dans l'attente d'une opportunité d'accès à l'appartement.
4. Dans le cadre d'une deuxième information judiciaire portant sur des faits de tentative d'assassinat, le juge d'instruction a ordonné, le 16 novembre 2018, la sonorisation de l'appartement susvisé et a prolongé cette mesure à plusieurs reprises.
5. Pour mettre en oeuvre cette sonorisation, le service technique est « entré en communication » avec le dispositif resté en place dans l'appartement, qu'il a activé le 3 décembre 2018 à 20 heures.
6. Cette mesure aurait permis de percevoir des manipulations d'importantes sommes d'argent, dissimulées dans des caches au sein de l'appartement.
7. Sur la base de ces renseignements, une troisième information judiciaire a été ouverte le 12 avril 2019, des chefs de blanchiment de crime ou délit commis en bande organisée, non-justification de ressources et association de malfaiteurs.
8. Par ordonnance du même jour, le juge d'instruction a ordonné la sonorisation de l'appartement précité, qu'il a renouvelée jusqu'au 28 septembre 2020, date à laquelle une perquisition a été diligentée et a permis le retrait du dispositif posé dans le cadre de la première sonorisation.
9. Par ailleurs, le juge d'instruction a autorisé, par ordonnance du 7 octobre 2019, la sonorisation de l'appartement de Mme [J], situé au [Adresse 1], à [Localité 4].
10. Cette mesure a été prolongée jusqu'au 6 octobre 2020, date à laquelle le juge d'instruction a dessaisi les services de police.
11. Par ordonnance du 14 octobre 2020, il a autorisé la poursuite de la sonorisation de cet appartement et a confié cette mesure au directeur général de la gendarmerie nationale par commission rogatoire datée du même jour.
12. Dans le cadre de la troisième information judiciaire susvisée, Mme [J] a été mise en examen le 16 janvier 2021 des chefs de blanchiment en bande organisée de crimes ou de délits et notamment d'extorsion en bande organisée, fraude fiscale, trafic de stupéfiants, ainsi que des chefs de non-justification de ressources et association de malfaiteurs.
13. Le 4 juin 2021, son avocat a déposé une requête en annulation notamment de la mesure de sonorisation de ses appartements.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, le deuxième moyen, pris en sa première branche, les quatrième et cinquième moyens
14. Les moyens ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches et le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé des moyens
15. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa requête en nullité, alors :
« 2°/ que si un même domicile peut faire l'objet, à l'occasion de procédures distinctes, de mesures de sonorisation successives, la durée globale de ces mesures ne peut excéder la durée maximale de sonorisation prévue par la loi ; que, pour apprécier la durée globale desdites mesures, il convient de tenir compte de la période pendant laquelle le dispositif est resté installé dans le domicile y compris le temps où il n'était pas activé ; qu'en rejetant le moyen de nullité pris de ce que l'appartement sis [Adresse 2] avait fait l'objet, à l'occasion de trois procédures distinctes, de mesures de sonorisation successives dont la durée globale avait dépassé le délai maximal de deux ans prévu par la loi au motif inopérant qu'il ne résulte d'aucun texte qu'un même logement ne puisse faire l'objet de plusieurs mesures de sonorisation à l'occasion de procédures distinctes sauf à ce que le recours à un stratagème ne soit établi, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-98 du code de procédure pénale, dans sa version antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, 706-95-16 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi du 23 mars 2019 précitée, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; que l'installation et le maintien d'un dispositif de sonorisation dans un domicile porte une atteinte grave au respect de la vie privée que ce soit, bien qu'avec une intensité différente, le temps où ce dispositif est activé comme celui où il est désactivé mais peut l'être, à tout moment, sur décision de l'autorité judiciaire ; qu'en se bornant à retenir, pour rejeter le moyen de nullité soulevé par la mise en examen, qu'il ne résulte d'aucun texte qu'un même logement ne puisse faire l'objet de plusieurs mesures de sonorisation à l'occasion de procédures distinctes sauf à ce que le recours à un stratagème ne soit établi sans rechercher, comme elle y était invitée, si le recours, pendant plus quatre ans, à des mesures de sonorisation, dans le même appartement, à l'encontre des mêmes personnes, dans le cadre d'informations judiciaires ouvertes au cabinet du même juge d'instruction et dans lesquelles le même service de police était rogatoirement saisi, ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée (requête, p. 6 à 8), la chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale. »
16. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté se requête en nullité, alors :
« 2°/ que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme prohibe le maintien d'un dispositif de sonorisation en dehors de toute autorisation quand bien même ce dernier ne serait pas exploité ; qu'en ne répondant pas au moyen de madame [J] qui faisait valoir que le maintien sans droit puis la réactivation du dispositif avait porté gravement atteinte à son droit au respect de la vie privée dans la mesure où les enquêteurs pouvaient, pendant plus de dix-huit mois, activer ce dispositif à distance de façon arbitraire et en dehors de tout contrôle judiciaire, la chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Les moyens sont réunis.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
18. C'est à bon droit que la chambre de l'instruction, après avoir examiné la régularité de chacune des mesures de sonorisation ordonnées dans l'appartement sis [Adresse 2], a énoncé qu'il ne résulte d'aucun texte qu'un même domicile ne puisse faire l'objet de plusieurs mesures de sonorisations à l'occasion de procédures distinctes, sauf à ce que le recours à un stratagème soit établi, pour les motifs qui suivent.
19. La technique spéciale d'enquête prévue à l'article 706-96 du code de procédure pénale ne peut être mise en oeuvre que sur autorisation écrite et motivée d'un juge justifiant de la nécessité des opérations, par référence aux éléments de fait et de droit issus de chaque procédure dans le cadre de laquelle cette mesure est ordonnée.
20. Placée sous le contrôle effectif d'un magistrat du siège, la mesure de sonorisation ne peut donner lieu à transcription que des données utiles à la manifestation de la vérité interceptées dans le temps de l'autorisation du juge, conformément aux dispositions de l'article 706-95-16 dudit code.
21. De plus, elle ne peut être ordonnée que pour les seules nécessités de l'enquête ou de l'information judiciaire relatives à une infraction d'une particulière gravité et complexité, de sorte qu'elle est une mesure nécessaire à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales.
22. Enfin, les articles 706-98 du code de procédure pénale, dans sa version antérieure à la loi du 23 mars 2019, et 706-95-16 du même code, dans sa version issue de cette loi, prévoient que la durée totale des opérations ordonnées dans une même procédure ne peut excéder deux ans.
23. Ainsi, dans la procédure concernée, aucune captation, fixation, transmission et enregistrement de paroles ou images ne saurait avoir lieu après expiration de ce délai, indépendamment de la date du retrait du dispositif de sonorisation, qui n'en constitue qu'une modalité d'exécution.
24. Il en résulte que le grief, qui ne critique pas la régularité de chacune des sonorisation ordonnées, doit en conséquence être écarté.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
25. Le demandeur ne saurait se prévaloir d'une atteinte effective à sa vie privée consécutive au seul maintien dans les lieux du dispositif technique prévu à l'article 706-96 du code de procédure pénale, dont l'accès était devenu impossible, dès lors que, ainsi que la chambre de l'instruction l'a constaté, il résulte des procès-verbaux dressés par les enquêteurs et de la note du 13 septembre 2021 du commissaire divisionnaire, chef de l'office central de lutte contre le crime organisé, que le dispositif de captation a été désactivé et le matériel de réception des conversations retiré dès la fin des opérations autorisées par le juge d'instruction, ce dispositif devenant dès lors inutilisable par les enquêteurs.
26. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa requête en nullité, alors :
« 1°/ que le renouvellement d'une autorisation de mise en place d'un dispositif de sonorisation doit intervenir avant l'expiration de la mesure précédente même si le système mis en place est resté, pendant un certain temps, désactivé dans les lieux concernés ; qu'en rejetant le moyen de nullité dirigé contre l'ordonnance du 14 octobre 2020 par laquelle le juge d'instruction avait ordonné la prolongation de la sonorisation de l'appartement situé [Adresse 1] et qui était tiré de ce que cette ordonnance de prolongation avait été prise à une date postérieure à l'expiration de la précédente prolongation au motif inopérant qu'avant qu'il ne prenne cette ordonnance le juge d'instruction avait dessaisi le service de police en charge de l'enquête au profit d'un service de la gendarmerie nationale et qu'il résulte d'un procès-verbal du 6 octobre 2020 que ce service de police avait mis fin à « l'écoute de la sonorisation », la chambre de l'instruction a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 706-95-16 du code de procédure pénale dans sa version issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
2°/ qu'en écartant ce moyen de nullité au motif que le service de police initialement saisi avait mis fin à « l'écoute de la sonorisation » du domicile situé [Adresse 1] lorsqu'elle constatait que ledit service avait mis fin à l'écoute « au profit de la section de recherche d'[Localité 3] », ce dont il résultait que l'exploitation du dispositif n'avait pas cessé le 6 octobre 2020 et que, compte tenu de la pose effective de ce dispositif le 8 octobre 2019, le renouvellement ne pouvait intervenir après le 8 octobre 2020, la chambre de l'instruction a violé l'article 706-95-16 du code de procédure pénale dans sa version issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. »
Réponse de la Cour
28. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'irrégularité de la prolongation de la sonorisation de l'appartement situé au [Adresse 1], l'arrêt attaqué énonce en substance que le renouvellement de la mesure de sonorisation, dont le dispositif a été effectivement posé le 8 octobre 2019, aurait dû intervenir avant le 8 octobre 2020.
29. Les juges relèvent que, le 5 octobre 2020, le juge d'instruction a dessaisi les services de police initialement chargés de l'exécution de la sonorisation.
30. Ils ajoutent que, par ordonnance du 14 octobre 2020, le juge d'instruction a, de nouveau, autorisé la sonorisation de l'appartement situé au [Adresse 1] pour une durée de quatre mois et a délivré, le même jour, une commission rogatoire au directeur général de la gendarmerie nationale.
31. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a exactement analysé la portée de l'ordonnance du 14 octobre 2020 comme constituant une nouvelle mesure de sonorisation et non la prolongation de la précédente, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
32. En effet, un même domicile peut faire l'objet de plusieurs mesures de sonorisation à l'occasion d'une même procédure, dès lors que la durée totale des opérations n'excède pas deux ans, conformément à l'article 706-95-16 du code de procédure pénale .
33. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
34. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.