Cass. 1re civ., 17 février 2021, n° 19-16.991
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
M. Vitse
Avocats :
SCP L. Poulet-Odent, SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Piwnica et Molinié
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Z 19-16.474 et n° M 19-16.991 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 mars 2019), le 16 février 2012, l'association TMPI centre messianique (l'association) a conclu un contrat de maintenance de photocopieurs avec la société NS Partner, ainsi que deux contrats de location de photocopieurs avec les sociétés GE capital équipement finance et Grenke location.
3. Invoquant l'existence d'une pratique commerciale agressive et d'un dol, l'association a assigné en nullité des contrats la société NS Partner, la société GE capital équipement finance, aux droits de laquelle vient la société CM CIC Leasing solutions, et la société Grenke location qui a elle-même sollicité la condamnation de la société NS Partner au paiement de différentes sommes.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° Z 19-16.474, pris en sa seconde branche, et le premier moyen du pourvoi n° M 19-16.991, réunis
Enoncé des moyens
4. Par son moyen, la société CM CIC Leasing Solutions fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats litigieux pour dol et de la condamner en conséquence à restituer à l'association diverses sommes, alors « que le juge qui se borne, au titre de sa motivation, à reproduire les conclusions d'appel de la partie aux prétentions de laquelle il fait droit, ne statue que par une apparence de motivation faisant peser un doute sur l'impartialité de la juridiction ; qu'en se bornant, au titre de sa motivation sur l'existence d'un dol, à reprendre les termes des conclusions de l'association selon laquelle notamment « la pratique commerciale consistant à offrir au client non professionnel un avantage financier immédiat, en l'espèce la remise d'une somme d'argent importante eu égard au budget de l'association, afin d'obtenir la conclusion d'un contrat de vente alors même que, sur la durée desdits contrats, le client ne bénéficie d'aucun avantage, est constitutive du dol destiné à tromper le client sur la portée exacte de ses engagements », la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du code de procédure civile. »
5. Par son premier moyen, la société Grenke location fait grief à l'arrêt de déclarer l'association recevable à agir sur le fondement des pratiques commerciales agressives, de juger interdépendants les contrats litigieux, de juger le dol caractérisé, de prononcer la nullité du contrat de location qu'elle a conclu avec l'association et de la condamner en conséquence à restituer à celle-ci diverses sommes, alors « que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a motivé sa décision en reprenant, quasiment mot pour mot, l'argumentation soutenue par l'association en appel ; qu'en statuant ainsi, en des termes incompatibles avec l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de la motivation de l'arrêt attaqué que la cour d'appel ne s'est pas borné à reproduire les conclusions de l'association, mais y a ajouté des appréciations personnelles.
7. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Sur le moyen du pourvoi n° Z 19-16.474, pris en sa première branche, et les deuxième et troisième moyens du pourvoi n° M 19-16.991, réunis
Enoncé des moyens
8. Par son moyen, la société CM CIC Leasing Solutions fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats litigieux pour avoir été conclus sous l'effet d'une pratique commerciale agressive et de la condamner en conséquence à restituer à l'association diverses sommes, alors « que, selon l'article L. 121-7, 7°, du code de la consommation, les pratiques commerciales ayant pour objet « de donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagne ou gagnera en accomplissant tel acte, un prix ou autre avantage équivalent, alors qu'en fait, il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent », sont réputées agressives, sauf preuve contraire ; qu'en se bornant, pour prononcer la nullité des contrats conclus entre l'association et la société NS Partner, et par voie de conséquence, l'ensemble des contrats subséquents de location financière, formant avec le contrat de fourniture et celui de vente un tout indivisible en raison de leur interdépendance, à énoncer que les contrats de service, fourniture et location financière signés tous le même jour, 16 février 2012, avaient été conclus par l'association sous l'effet de la pratique commerciale agressive représentée par l'apport d'une somme non négligeable de 50 590 euros, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si le versement d'une somme par le fournisseur dans le cadre d'un renouvellement de photocopieurs ne permettait pas de libérer le locataire de ses obligations contractuelles de paiement par anticipation en soldant un contrat en cours, ce dont il résultait le caractère agressif du versement d'une somme d'argent n'existait pas eu égard aux circonstances de la cause la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-7, 7°, du code de la consommation. »
9. Par son deuxième moyen, la société Grenke location fait grief à l'arrêt de déclarer l'association recevable à agir sur le fondement des pratiques commerciales agressives, de prononcer la nullité du contrat de location qu'elle a conclu avec l'association et de la condamner en conséquence à restituer à celle-ci diverses sommes, alors « que, selon l'article préliminaire du code de la consommation, dans sa version applicable en la cause, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que sont réputées agressives les pratiques commerciales qui ont pour objet de donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte un prix ou un autre avantage équivalent quand en fait soit il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût, de sorte que cette disposition ne peut être invoquée que par une personne physique ; qu'en déclarant l'association, personne morale, recevable à se prévaloir du code de la consommation pour lui appliquer les dispositions relatives aux pratiques commerciales agressives, la cour d'appel a violé l'article L. 122-11.1 du code de la consommation, applicable en la cause, devenu l'article L. 121-7-7° du même code, ensemble l'article préliminaire du code de la consommation. »
10. Par son troisième moyen, la société Grenke location fait grief à l'arrêt de retenir l'existence d'une pratique commerciale agressive, de prononcer la nullité du contrat de location qu'elle a conclu avec l'association et de la condamner en conséquence à restituer à celle-ci diverses sommes, alors « que sont seules réputées agressives les pratiques commerciales qui ont pour objet de donner l'impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte un prix ou un autre avantage équivalent quand soit il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu l'existence d'une pratique commerciale agressive de nature à entacher de nullité le contrat conclu entre la société Grenke location et l'association en se fondant sur la remise d'un chèque de 50 590 euros et le remplacement d'un contrat par deux contrats d'un coût plus élevé ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme cela lui était demandé, si l'existence d'une pratique commerciale agressive ne devait pas être exclue dès lors que le procédé avait permis à l'association de se libérer d'un ou plusieurs contrats, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 122-11.1, 8°, et L. 132-10 du code de la consommation, devenus les articles L. 121-7, 7°, et L. 122-15 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel ayant fondé la nullité des contrats litigieux, non seulement sur l'existence de pratiques commerciales agressives, mais aussi sur celle d'un dol suffisant à justifier la décision, les moyens, qui s'attaquent à des motifs surabondants, sont inopérants.
Sur le quatrième moyen du pourvoi n° M 19-16.991
Enoncé du moyen
12. La société Grenke location fait grief à l'arrêt de retenir l'interdépendance des contrats, de prononcer en conséquence la nullité du contrat qu'elle a conclu avec l'association et de la condamner à restituer à celle-ci diverses sommes, alors :
« 1°/ que le mandat suppose que le mandant ne soit pas totalement étranger à l'acte conclu par le mandataire ; qu'en l'espèce, la société Grenke location avait contesté l'interdépendance des contrats en faisant valoir, preuve à l'appui, qu'il résultait du contrat de location qu'elle avait conclu avec l'association que seule cette dernière avait choisi de recourir à la société NS Partner, de sorte que celle-ci n'avait pas pu être son mandataire ; qu'en affirmant, pour retenir l'interdépendance des contrats conclus le 16 février 2012, que la société NS Partner avait été le mandataire de la société Grenke location sans rechercher, comme cela lui était demandé, si cette qualité ne devait pas être écartée au regard du choix personnel du locataire de recourir au fournisseur, la cour d'appel a entaché sa décision de base légale au regard de l'article 1998 du code civil, ensemble les articles L. 122-11-1, 8°, et L. 122-15 du code de la consommation, devenus les articles L. 121-7, 7°, et L. 132-10 du code de la consommation et les articles 1134 et 1184 du code civil, devenus les articles 1103 et 1217 du code civil ;
2°/ que tout jugement doit être motivé ; que le motif dubitatif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, pour retenir une interdépendance des contrats, la cour d'appel a affirmé que « la somme de 50 590 euros qui a été versée par NS Partner à la signature des contrats, a pu être financée par les organismes de location financière » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif dubitatif, a méconnu les exigences posées à l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
13. En retenant que les contrats de fourniture et de location financière avaient été souscrits le même jour, qu'ils participaient d'une seule et même opération économique consistant, pour la société Grenke location, à louer des photocopieurs fournis par la société NS Partner, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision de retenir l'interdépendance des contrats litigieux.
14. Le moyen, inopérant en sa seconde branche qui s'attaque à des motifs surabondants, ne peut donc être accueilli en sa première.
Sur le cinquième moyen du pourvoi n° M 19-16.991
Enoncé du moyen
15. La société Grenke location fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats pour dol et de la condamner en conséquence à restituer à l'association diverses sommes, alors :
« 1°/ que les juges sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, pour voir écarter la nullité du contrat conclu avec l'association sur le fondement du dol, la société Grenke location avait soutenu que, comme il résultait du contrat qu'elle avait conclu avec elle, c'est cette dernière qui avait choisi de recourir à la société NS Partner, seule responsable des manoeuvres contestées ; qu'en condamnant la demanderesse à rembourser à l'association les sommes versées au titre du contrat de location valablement conclu avec elle ainsi que les sommes versées en exécution du jugement sur le fondement du dol sans se prononcer sur ce moyen pertinent, la cour d'appel a méconnu les exigences posées à l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que la contradiction entre les motifs, ou entre les motifs et le dispositif, équivaut à un défaut de motifs ; qu'en condamnant, dans son dispositif, « la société Grenke location à payer à l'association la somme de 24 151,45 euros au titre de restitution des échéances réglées, avec intérêts » et « de 30 087 euros à titre de remboursement des sommes versées par l'association en exécution du jugement entrepris » sans prononcer la condamnation in solidum de la société NS Partner quand elle avait décidé, dans ses motifs, qu'il y avait lieu « de prononcer + La condamnation in solidum des sociétés NS Partner, CM CIC Leasing Solutions et Grenke au paiement des sommes réglées aux organismes de location financière + La condamnation des sociétés NS Partner, CM CIC Leasing Solutions et Grenke à restituer les sommes qui leur ont été versées en exécution du jugement soit 29 246 euros au profit de la société CM CIC Leasing Solutions anciennement CE capital 30 097 euros au profit de la société Grenke », la cour d'appel a entaché sa décision de contradiction et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
16. Ayant relevé l'existence de manoeuvres frauduleuses commises par la société NS Partner justifiant l'annulation du contrat de fourniture pour dol, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à un moyen rendu inopérant par l'interdépendance des contrats litigieux qu'elle avait précédemment retenue.
17. Sous le couvert d'un grief non fondé de contradiction entre les motifs et le dispositif, la seconde branche ne tend qu'à dénoncer une erreur matérielle qui, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 462 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.
18. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Mais sur le sixième moyen du pourvoi n° M 19-16.991
Enoncé du moyen
19. La société Grenke location fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société NS Partner à lui rembourser une certaine somme au titre de l'acquisition du photocopieur loué à l'association, alors « que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant que "la société Grenke location requiert à juste titre la nullité du contrat de vente passé par elle avec la société NS Partner, et consécutivement le remboursement par NS Partner du prix de vente du matériel soit 49 634 euros TTC " et en rejetant, dans son dispositif, cette demande, la cour d'appel a entaché sa décision de contradiction et violé l'article 455 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
20. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motif.
21. Après avoir retenu, dans ses motifs, que la société Grenke location sollicitait à juste titre la nullité du contrat de vente conclu avec la société NS Partner et le remboursement consécutif du prix, l'arrêt rejette ces demandes dans son dispositif.
22. En statuant ainsi, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre les motifs et le dispositif et violé le texte susvisé.
Et sur le septième moyen du pourvoi n° M 19-16.991, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
23. La société Grenke location fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société NS Partner à lui rembourser une certaine somme au titre de la perte de marge escomptée, alors « que le juge ne peut pas dénaturer les termes du litige dont il est saisi ; que, dans ses conclusions d'appel, la société Grenke location demandait à voir condamner la société NS Partner à l'indemniser de son préjudice subi par suite de l'anéantissement du contrat de location financière, soit sa perte de marge, dès lors que les manquements de cette société ne sauraient lui être préjudiciables et qu'elle avait parfaitement exécuté ses obligations ; qu'en rejetant cette demande dans la mesure où la demande de la société Grenke location tendant à obtenir le paiement par "l'association"de la somme de 9 584 euros au titre de la perte de marge escomptée du contrat de location, n'était "pas correctement dirigée", la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
24. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
25. Pour rejeter la demande de la société Grenke location tendant au paiement d'une certaine somme au titre de la perte de marge escomptée, l'arrêt retient que cette demande est mal dirigée comme étant formée contre l'association.
26. En statuant ainsi, alors que, dans le dispositif de ses conclusions, la société Grenke location sollicitait la condamnation de la société NS Partner à lui payer une certaine somme au titre de la perte de marge escomptée, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé le texte susvisé.
Demande de mise hors de cause
27. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause, sur leur demande, l'association CMC CIC Leasing Solutions, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du septième moyen du pourvoi n° M 19-16.991, la Cour :
REJETTE le pourvoi n° Z 19-16.474 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Grenke location tendant à voir condamner la société NS Partner à lui rembourser une certaine somme au titre de l'acquisition du photocopieur loué à l'association TMPI centre messianique, et celle tendant à voir condamner la société NS Partner à lui payer une certaine somme au titre de la perte de marge escomptée, l'arrêt rendu le 14 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Met hors de cause l'association TMPI centre messianique et la société CMC CIC Leasing Solutions ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.