CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 26 janvier 2023, n° 22/06045
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Comptable Public Responsable du PRS du Val-De-Marne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pruvost
Conseillers :
Mme Lefort, M. Trarieux
Avocats :
Me Etevenard, Me Buge, Me Piermont, Me Salomoni, Me de la Bruyere
Déclarant agir en vertu de deux ordonnances sur requête rendues par le juge de l'exécution de Créteil le 15 octobre 2021, le comptable public du PRS a le 3 décembre 2021 dressé un procès-verbal de saisie conservatoire entre les mains de la société Boursorama et à l'encontre de M. [S], pour avoir conservation de la somme de 313 597 euros ; cette saisie conservatoire a été dénoncée au débiteur le 10 décembre 2021. Il a également pris des inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires portant sur deux immeubles sis [Adresse 15] (le 22 novembre 2021) et [Adresse 2] (le 22 novembre 2021 suivi d'une rectification le 24 novembre 2021), pour avoir sûreté de la somme de 313 597 euros. Ces inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires ont été dénoncées au débiteur le 2 décembre 2021.
M. [S] ayant contesté ces mesures d'exécution, le juge de l'exécution de Créteil, suivant jugement en date du 11 mars 2022, après avoir relevé qu'il était compétent car le demandeur résidait dans son ressort, que les inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires n'étaient pas caduques, et qu'une créance paraissant fondée en son principe était mise en évidence ainsi qu'un péril sur celle-ci :
- s'est déclaré compétent ;
- a débouté M. [S] de ses prétentions ;
- l'a condamné au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- l'a condamné aux dépens.
Selon déclaration en date du 22 mars 2022, M. [S] a relevé appel de ce jugement.
En ses conclusions notifiées le 5 mai 2022, il a exposé :
- qu'il demeure à [Localité 12], et ce depuis le 1er octobre 2021, si bien que le juge de l'exécution de Créteil n'était pas compétent pour rendre les deux ordonnances, dans les conditions de l'article R 511-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
- que les inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires ont été prises le 22 novembre 2021, ce dont il n'avait été informé par l'huissier de justice instrumentaire que par une lettre simple du 2 décembre 2021, reçue le 9 décembre suivant ; qu'il ne s'agit pas là d'une véritable dénonciation ; que l'huissier de justice n'a pas entrepris des diligences suffisantes en vue de lui remettre l'acte à personne ;
- que conformément à l'article R 532-5 du code des procédures civiles d'exécution, le délai de huit jours pour lui dénoncer les inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires partait du 22 novembre 2021 qui était la date d'enregistrement de ces hypothèques ; que celles-ci sont donc caduques ;
- qu'il n'existe pas de créance paraissant fondée en son principe ; que l'administration fiscale se base uniquement sur une proposition de rectification ; qu'il n'a pas bénéficié d'un avantage occulte de la part de la SNC [Localité 14] Blois ; qu'il était nécessaire d'examiner le montant de la vente en l'état futur d'achèvement pour vérifier s'il avait réellement bénéficié d'avantages ;
- qu'il a payé le prix de vente de l'immeuble à ladite SNC le 23 décembre 2021 ;
- qu'il n'existe aucun péril sur la prétendue créance de la partie adverse, dans la mesure où il est détenteur d'un patrimoine immobilier de plus de 3 000 000 euros, alors que l'immeuble sis à [Localité 14] n'est plus grevé de sûretés à ce jour.
M. [S] a en conséquence demandé à la Cour de :
- infirmer le jugement ;
- déclarer le juge de l'exécution de Créteil incompétent ;
- rétracter les ordonnances sur requête susvisées ;
- prononcer leur caducité ;
- ordonner la mainlevée des inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires et des saisies conservatoires ;
- condamner le comptable public du PRS au paiement de la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux dépens.
Selon conclusions notifiées le 3 juin 2022, le comptable public du PRS a répliqué :
- que s'agissant de la compétence territoriale, M. [S] résidait bien à [Localité 14], et ce n'est que le 26 octobre 2021, soit postérieurement aux ordonnances, qu'il lui a notifié un changement d'adresse à [Localité 12] ; qu'il sera observé toutefois que la proposition de rectification lui a été notifiée avec succès en lettre recommandée avec demande d'avis de réception à [Localité 14], le 26 novembre 2021 ;
- que M. [S] est associé et gérant de la SNC [Localité 14] Bois ;
- que celle-ci lui a vendu un immeuble en l'état futur d'achèvement, et ce, dans des conditions exceptionnelles ; que le prix était fixé à 1 350 000 euros mais l'acquéreur n'a versé qu'un acompte de 1 000 euros et devait payer le solde à la livraison, et ce en contravention avec les dispositions de l'article 1601-3 du code civil, selon lesquelles le prix doit être réglé au fur et à mesure de l'avancement des travaux ;
- que des impositions sont en conséquence réclamées à l'appelant à hauteur de 603 197 euros ;
- que la dénonciation des inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires s'est faite par acte d'huissier et non pas par lettre simple ; que ces actes ont été délivrés à l'appelant le 2 décembre 2021, et si la lettre prévue à l'article 658 du code de procédure civile ne lui a été adressée qu'ultérieurement, aucun grief n'en est résulté ;
- qu'il existe bien une créance paraissant fondée en son principe, au vu de ce qui précède ;
- qu'est mis en évidence un péril sur son recouvrement, car M. [S] a reconnu ne pas avoir les moyens de régler les futures rectifications fiscales, et en outre il a mis en vente son bien.
Le comptable public du PRS a demandé à la Cour de confirmer le jugement et de condamner M. [S] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
MOTIFS
En vertu de l'article R 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge compétent pour autoriser une mesure conservatoire est celui du lieu où demeure le débiteur.
En l'espèce, dans sa déclaration de revenus afférente à l'année 2020, M. [S] avait indiqué résider au 1er janvier 2021 au [Adresse 3] et avoir déménagé en 2020, si bien que le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne avait tout lieu de considérer que l'ancienne adresse ([Adresse 2]) n'était plus la bonne. En outre, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à M. [S] par la Direction du contrôle fiscal d'Ile-de-France au [Adresse 3] a été reçue le 27 novembre 2021 par l'intéressé. Il faut donc considérer qu'à la date du dépot des requêtes, le débiteur était domicilié dans le Val-de-Marne, si bien que le juge de l'exécution de Créteil était compétent. Le jugement est confirmé sur ce point.
En application de l'article R 532-5 du code des procédures civiles d'exécution, à peine de caducité, huit jours au plus tard après le dépôt des bordereaux d'inscription ou la signification du nantissement, le débiteur en est informé par acte d'huissier de justice.
Cet acte contient à peine de nullité :
1° Une copie de l'ordonnance du juge ou du titre en vertu duquel la sûreté a été prise ; toutefois, s'il s'agit d'une obligation notariée ou d'une créance de l'Etat, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics, il n'est fait mention que de la date, de la nature du titre et du montant de la dette ;
2° L'indication, en caractères très apparents, que le débiteur peut demander la mainlevée de la sûreté comme il est dit à l'article R. 512-1 ;
3° La reproduction des articles R. 511-1 à R. 512-3 et R. 532-6.
En l'espèce, deux inscriptions ont été prises, l'une sur le bien sis à [Localité 12], l'autre sur le bien sis à [Localité 14]. Elles ont été publiées, pour la première le 22 novembre 2021, pour la seconde le 23 novembre 2021, ainsi qu'il est mentionné sur les bordereaux.
Le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne devait dénoncer les bordereaux à M. [S] au plus tard dans les huit jours et ne l'a fait que le 2 décembre 2021, soit hors délai. Il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a refusé de prononcer la caducité de ces mesures ainsi que celle de l'ordonnance du 15 octobre 2021 les ayant autorisées. En effet, selon les dispositions de l'article R 511-6 du code des procédures civiles d'exécution, l'autorisation du juge est caduque si la mesure n'a pas été exécutée dans un délai de trois mois à compter de l'ordonnance.
Concernant la saisie conservatoire du 3 décembre 2021, l'article R 512-1 du Code des procédures civiles d'exécution énonce que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.
S'agissant de la créance paraissant fondée en son principe, il résulte des pièces produites que M. [S] a bénéficié, de par son statut de gérant et associé de la SNC [Localité 14] Bois, d'une libéralité sur l'acquisition en vente en l'état futur d'achèvement d'un appartement construit par ladite société conclue le 16 décembre 2019, pour la somme de 1 350 000 euros ; l'appelant n'a réglé que la somme de 1 000 euros. Contrairement à ce qui est prévu à l'article 1601-3 alinéa 1er du code civil, l'acquéreur n'a pas réglé les avances de fonds au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Au 7 juillet 2021, le paiement du solde n'était toujours pas intervenu. L'administration fiscale a estimé que via cette libéralité octroyée par la SNC [Localité 14] Bois à M. [S], ce dernier a bénéficié d'un avantage occulte. La jurisprudence du Conseil d'Etat dit qu'en pareil cas, l'acquéreur doit être regardé comme ayant disposé de la fraction de ce prix constitutive d'une libéralité dès la conclusion de la vente et sans attendre la livraison de l'immeuble, alors même que les ouvrages ne deviennent sa propriété qu'au fur et à mesure de l'exécution des travaux. Le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne en déduit que M. [S] a ainsi bénéficié d'un avantage occulte de 1 349 000 euros au 16 décembre 2019 qui est la date de signature du contrat de vente. En outre, l'intéressé soutient qu'il a payé le solde du prix le 23 décembre 2021, mais ledit paiement est intervenu bien après la notification de la proposition de rectification des impositions, et, du reste, quelques jours seulement après la mise en place des mesures conservatoires querellées. Si l'appelant reste libre de contester la proposition de rectification dont il fait l'objet, il n'en demeure pas moins que les circonstances ci-dessus rappelées caractérisent une créance paraissant fondée en son principe.
S'agissant du péril sur le recouvrement de celle-ci, il convient de déterminer si les craintes que l'intimé entretient à ce sujet sont légitimes, sans qu'il soit besoin de démontrer que M. [S] se trouve nécessairement en cessation des paiements ou dans une situation financière irrémédiablement compromise.
M. [S] reconnaît avoir mis en vente l'immeuble sis à [Localité 14]. S'agissant de celui sis à [Localité 12], il n'est grevé à ce jour d'aucune sûreté, mais la mise en place d'une saisie conservatoire constitue, pour le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne, le seul moyen d'être assuré d'être payé. Si M. [S] est également propriétaire d'un immeuble sis à [Localité 11] (Haute-Savoie), il n'est pas justifié de sa situation hypothécaire, et en outre sa valeur (129 500 euros lors de son acquisition) est nettement inférieure au montant de la créance invoquée par le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne.
La seule existence de ces trois immeubles est insuffisante à rassurer le créancier quant aux conditions dans lesquelles il pourrait recouvrer son dû. Dans ces conditions, le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne invoque à juste titre des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de son dû.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de mainlevée de la saisie conservatoire opérée entre les mains de la société Boursorama.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. [S].
Le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne sera condamné aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
-INFIRME le jugement en date du 11 mars 2022 en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes à fin de caducité des inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires prises par le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne sur les biens sis à [Localité 12] et à [Localité 14] et à fin de caducité de l'ordonnance du 15 octobre 2021 les ayant autorisées ;
et statuant à nouveau :
-PRONONCE la caducité :
* de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise par le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne sur le bien sis à [Adresse 13] et [Adresse 4], cadastré AW [Cadastre 5] à AW [Cadastre 6], lots n° 105, 167 et 168, et publiée le 22 novembre 2021 V n° 8333 ;
* de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise par le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne sur le bien sis à [Adresse 15], cadastré X [Cadastre 8] et X [Cadastre 9], lots 10, 11 et 26, et publiée le 23 novembre 2021 V n° 9646 ;
-DECLARE caduque l'ordonnance sur requête rendue par le juge de l'exécution de Créteil le 15 octobre 2021 ayant autorisé ces inscriptions d'hypothèques judiciaires provisoires ;
-CONFIRME le jugement pour le surplus ;
-REJETTE les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-CONDAMNE le comptable public responsable du PRS du Val-de-Marne aux dépens d'appel.