Livv
Décisions

CA Lyon, 6e ch., 19 janvier 2023, n° 22/02787

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Bar Américain et Café Anglais (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boisselet

Conseillers :

Mme Allais, Mme Robin

Avocats :

Me Laffly, Me Gicquel, Me Orsi

JEX Lyon, du 29 mars 2022, n° 21/07703

29 mars 2022

Faits, procédure et demandes des parties

Par acte sous seing privé de 2018 (le jour précis ne figurant pas sur l'acte), la SCI [Localité 2] a renouvelé le bail d’un local situé [Adresse 1] à [Localité 2], à la société Bar américain et café anglais, moyennant un loyer annuel hors taxes de 213.972,16 euros, payable chaque trimestre d'avance.

Le bail renouvelé a pris effet à compter du 1er janvier 2017, jusqu'au 31 décembre 2025.

La SCI [Localité 2] a, par acte d'huissier de justice du 12 novembre 2021, fait pratiquer une saisie conservatoire, entre les mains de la banque populaire Auvergne Rhône Alpes, agence cordeliers au préjudice de la société Bar Américain et café anglais, pour recouvrement de la somme de 306.577,96 euros.

Cette saisie conservatoire a été dénoncée à la société Bar américain et café anglais le 15 novembre 2021.

Par acte d'huissier du 25 novembre 2021, la société Bar Américain et café anglais a fait assigner la SCI [Localité 2] à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon, aux fins de voir :

- prononcer la nullité, ou en tout état de cause, la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 12 novembre 2021,

- condamner la SCI [Localité 2] à lui payer la somme de 5.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'audience, la société Bar Américain et café anglais a ajouté une demande de condamnation de la SCI [Localité 2], au paiement de la somme de 2.000 euros, à titre de dommages et intérêts.

Elle invoque tout d'abord la nullité de la saisie conservatoire, au motif qu'elle a été réalisée sans autorisation du juge de l'exécution, alors que les charges locatives ne pouvaient pas faire l'objet d'une saisie sans autorisation, et que le contexte de pandémie en lien avec la covid 19 limitait le principe de créance tiré du contrat de bail, de nature à autoriser une saisie conservatoire, sans autorisation judiciaire préalable.

Ensuite, elle fait état de la mauvaise foi de la SCI [Localité 2], qui a pratiqué cette mesure, alors que des négociations étaient en cours.

Par ailleurs, elle estime que la saisie conservatoire était prohibée par les dispositions de la loi du 14 novembre 2020, proscrivant toute mesure de ce type, en raison de la fermeture administrative de l'établissement, imposée par le contexte sanitaire.

Enfin, elle considère que les conditions de la saisie conservatoire ne sont pas réunies, dans la mesure où les circonstances menaçant le recouvrement de la créance ne sont pas justifiées.

Elle soutient ainsi, qu'elle a toujours réglé les loyers, en dehors de la période de crise sanitaire.

Elle fonde sa demande de dommages et intérêts sur l'attitude abusive du bailleur.

La SCI [Localité 2] s'est opposée à l'ensemble des demandes, et a sollicité la condamnation de la société Bar américain et café anglais au paiement de la somme de 5.500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que la saisie conservatoire des charges locatives pouvait avoir lieu sans autorisation judiciaire, et que les loyers réclamés étaient antérieurs, à la loi du 14 novembre 2020. Elle fait également valoir que le locataire ne démontrait pas être éligible, au bénéfice de l'interdiction des mesures conservatoires.

Elle indique qu'elle dispose d'une créance fondée en son principe, qu'elle n'a pas manqué à son obligation de délivrance et que la chose louée n'a pas été perdue.

Elle ajoute que les menaces de recouvrement de la créance sont également avérées, dans la mesure où la société Bar américain et café anglais a interrompu tout règlement de loyers, durant une année, alors même qu'un abandon partiel de créance et un report des paiements lui avaient été proposés. Elle a également constaté l'absence de règlement des loyers dans leur totalité, depuis la saisie conservatoire.

Par jugement du 29 mars 2022, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon a :

- débouté la société Bar américain et café anglais de sa demande d'annulation de la saisie conservatoire pratiquée à son encontre le 12 novembre 2021,

- ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 12 novembre 2021, au préjudice de la société Bar américain et café anglais, par la SCI [Localité 2], entre les mains de la banque populaire Auvergne Rhône Alpes,

- condamné la SCI [Localité 2] à payer à la société Bar américain et café anglais la somme de 500 euros, à titre de dommages et intérêts,

- condamné la SCI [Localité 2], à payer à la société Bar américain et café anglais, la somme de 1.500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI [Localité 2] aux dépens,

- rappelé que les décisions du juge de l'exécution bénéficient de l'exécution provisoire de droit.

Le juge de l'exécution a retenu que l'autorisation préalable du juge n'était pas nécessaire pour les charges locatives, en application de l'article L 511-2 du code des procédures civiles d'exécution.

Il a également considéré que la situation de la société Bar américain et café anglais ne correspondait pas à celle visée par l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020, pour interdire les saisies conservatoires, les trois conditions tenant au seuil d'effectif (inférieur à 250 salariés), au chiffre d'affaires ( chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros lors du dernier exercice clos ou pour les sociétés n'ayant pas encore d'exercice clos, un chiffre d'affaires mensuel moyen inférieur à 4,17 millions d'euros) et à la perte du chiffre d'affaires (perte d'au moins 50%) fixées par décret, n'étant pas réunies.

En revanche, il a estimé que la réalité d'une menace pesant sur le recouvrement de la créance n'était pas justifiée, compte tenu du contexte spécifique et exceptionnel de l'absence de paiement des loyers, des contacts réguliers entre les sociétés pour tenter de trouver une solution et de versements réalisés, avant la mesure de saisie conservatoire.

Par déclaration du 14 avril 2022, la SCI [Localité 2] a interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions.

Aux termes de ses dernières conclusions régulièrement notifiées par voie électronique, le 28 novembre 2022, la SCI [Localité 2] demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon rendu le 29 mars 2022, en ce qu'il a débouté la société Bar americain et café anglais, de sa demande d'annulation de la saisie conservatoire pratiquée à son encontre le 12 novembre 2021,

- infirmer le jugement du juge de l'exécution précité en ce qu'il a :

- ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 12 novembre 2021 au préjudice de la société Bar americain et café anglais par la SCI [Localité 2], entre les mains de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes,

- condamné la SCI [Localité 2] à payer à la société Bar américan et café anglais la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamné la SCI [Localité 2] à payer à la société Bar américan et café anglais la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la SCI [Localité 2] de sa demande formée, par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SCI [Localité 2] aux dépens,

Et statuant à nouveau,

- ordonner le rétablissement de la saisie conservatoire pratiquée le 12 novembre 2021, à l'encontre de la société Bar américain et café anglais par la société SCI [Localité 2] entre les mains de la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes,

- débouter la société Bar américain et café anglais de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Bar américain et café anglais, aux frais occasionnés par la mesure conservatoire,

- condamner la société Bar américain et café anglais, à payer à la société SCI [Localité 2] la somme de 7.500 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Bar américain et café anglais aux dépens.

Au soutien de ses prétentions, elle invoque tout d'abord une contradiction dans le jugement déféré. Elle considère ainsi que le juge ayant rejeté la demande de nullité de la saisie conservatoire, n'en a pas tiré les conséquences juridiques, dans la mesure où il aurait dû maintenir la saisie conservatoire, la mainlevée n'étant qu'une conséquence de la nullité de la saisie.

Ensuite, elle fait valoir que les conditions de la saisie conservatoire sont réunies.

Concernant la créance fondée en son principe, elle expose préalablement que le juge de l'exécution aurait du statuer sur ce point. Elle rappelle qu'elle détient une créance fondée sur le contrat de bail et que l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 a prévu des délais de paiement au bénéfice des locataires de locaux commerciaux et la neutralisation des sanctions contractuelles, mais uniquement pendant la période entre le 12 mars 2020 et à l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020.

Cependant, la suspension ou l'annulation des loyers n'est aucunement prévue pendant la période de fermeture administrative liée à la pandémie. Elle ajoute que l'exception d'inexécution ne saurait lui être opposée, dans la mesure où l'impossibilité d'exploiter était le seul fait du législateur et qu'elle n'était pas à l'origine de la non délivrance ou de l'absence de jouissance paisible des locaux.

Elle indique également que la force majeure ne peut davantage recevoir application dans cette hypothèse. Au surplus, elle souligne que le Bar américain et café anglais avait également, aux termes du bail, une activité de vente de tabac, de vente à emporter de gaufres, crêpes, café et autres boissons chaudes, de sorte que les locaux pouvaient encore être exploités.

La perte de la chose louée ne peut pas non plus être valablement invoquée, s'agisssant d'une mesure générale et temporaire. En tout état de cause, le juge de l'exécution n'a pas à apprécier le bien fondé des contestations sur la créance et il ne lui appartient pas de trancher le fond.

Concernant les menaces pesant sur le recouvrement de la créance, elle évoque une dette croissante et l'absence de réponse aux mises en demeures. Elle estime que le juge de l'exécution a dénaturé les conclusions des parties, en se fondant sur l'absence de demande de résiliation du bail pour caractériser l'absence de menace pesant sur le recouvrement de la créance.

Elle soutient que le refus de la société Bar américain de transmettre des éléments comptables, outre des éléments préoccupants sur la période du 1er avril 2020 au 31 janvier 2021, et alors que tous les loyers n'ont pas été réglés suffisent à caractériser les menaces de recouvrement.

Concernant les demandes subsidiaires de la société Bar américain et café anglais, elle réplique qu'une autorisation judiciaire préalable n'est pas nécessaire pour le recouvrement de loyers et charges locatives découlant d'un contrat de louage d'immeubles, la saisie conservatoire ayant été pratiquée pour les loyers et provisions pour charges pour la période du 2ème trimestre 2020 au 2ème trimestre 2021.

Par ailleurs, elle conteste toute mauvaise foi et considère que la saisie était parfaitement régulière, les dispositions de la loi du 14 novembre 2020, n'ayant pas vocation à s'appliquer.

Elle s'oppose enfin à l'octroi de dommages et intérêts. Elle considère que la motivation du juge pour faire droit à cette demande, à savoir l'indisponibilité des comptes bancaires, et l'atteinte, de ce fait, portée au crédit porté par le banquier n'était justifiée par aucune pièce.

La société Bar américain et café anglais, par des conclusions récapitulatives régulièrement notifiées par voie électronique le 21 novembre 2022 demande à la Cour de :

- confirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution de Lyon le 29 mars 2022, en ce qu'il a :

* ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 12 novembre 2021,

* condamné la SCI [Localité 2] à payer à la société Bar américain et café anglais la somme de 500 euros, à titre de dommages et intérêts,

- débouter la SCI [Localité 2] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Subsidiairement, dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé de ces chefs,

- dire et juger que la mesure conservatoire pratiquée par la SCI [Localité 2] est illicite, au regard des dispositions de la loi du 14 novembre 2020,

- infirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lyon le 29 mars 2022, en ce qu'il a débouté la société Bar américain et café anglais de sa demande d'annulation de la saisie conservatoire pratiquée à son encontre le 12 novembre 2021,

- ordonner la nullité et subséquemment la mainlevée de la saisie conservatoire de loyers pratiquée le 12 novembre 2021, à l'encontre de la société Bar américain et café anglais, à la requête de la SCI [Localité 2],

- condamner la SCI [Localité 2] à verser à la société Bar américain et café anglais, la somme de 2000 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice causé par la mesure conservatoire injustifiée et irrégulière,

et en tout état de cause,

- condamner la SCI [Localité 2] à verser à la société Bar américain et café anglais la somme de 5.000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI [Localité 2] aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'aux frais de mainlevée qui demeureront à sa charge.

Elle fait valoir que la menace pesant sur le recouvrement de la créance n'est pas démontrée par la SCI [Localité 2], comme l'a justement retenu le juge de l'exécution.

Elle précise qu'en dehors de la période de pandémie, elle s'est toujours acquittée des loyers et que, si elle conteste être redevable de ceux ci, ayant diligenté une action en justice en ce sens, la contestation ne peut suffire à caractériser une menace de recouvrement. En outre, elle a repris le règlement des loyers depuis la fin du confinement, soit depuis le 3ème trimestre 2021.

Elle répond à la SCI [Localité 2] que cette dernière ne peut fonder la menace de recouvrement sur l'absence de paiement après les mises en demeure, ce règlement n'ayant pas lieu, dans la mesure où la réalité de la dette elle-même est contestée.

Elle soutient également que l'appelante ne peut déduire de l'absence de communication des éléments comptables par la société Bar américain et café anglais, une menace de recouvrement sur la créance, alors que les loyers sont payés régulièrement, ainsi que les charges courantes. La solvabilité de la société est en outre démontrée, par le caractère fructueux de la créance ordonnée en novembre 2021, la somme de 170.000 euros, soit la moitié de la dette ayant pu être appréhendée.

De plus, comme l'a justement souligné le juge de l'exécution, la résiliation du bail n'est pas envisagée, ce qui laisse penser que la SCI [Localité 2] estime que les retards de paiement ne sont que temporaires.

Elle s'oppose également à l'argumentation de l'appelante, qui invoque une contradiction dans la décision déférée, entre le débouté de la demande en nullité de la saisie conservatoire et la mainlevée de celle-ci. Elle soutient en effet que la nullité annule rétroactivement la saisie, tandis que la mainlevée ne joue que pour l'avenir. Elle ajoute que la mainlevée peut certes résulter de la nullité de la mesure pratiquée, mais aussi de l'absence de réunion des conditions de cette mesure, comme c'est le cas en l'espèce.

Subisidairement, si la cour ne confirmait pas l'absence de menaces sur le recouvrement, elle estime que la demande de mainlevée de la mesure conservatoire reste justifiée, en l'absence de créance fondée en son principe.

Elle considère ainsi que les sommes au titre du 2ème trimestre 2020 ne sont pas dues et que les restaurants étaient fermés du 29 octobre 2020 au 9 juin 2021, l'empêchant d'exploiter ces locaux. Elle fait valoir que la pandémie est un cas de force majeure, et qu'elle est bien fondée à invoquer d'une part l'exception d'inexécution et d'autre part la perte partielle de la chose louée.

Elle estime que la SCI [Localité 2] ne lui a pas permis de jouir paisiblement des locaux et n'a donc pas respecté son obligation prévue à l'article 1719 du code civil, l'exception d'inexécution pouvant être invoquée, même si la force majeure n'est pas imputable au bailleur.

Elle se prévaut également des dispositions de l'article 1722 du code civil, indiquant que la fermeture imposée par les autorités administratives entraîne une perte partielle de la chose louée, de sorte que la créance n'est pas fondée en son principe. Elle rétorque, en outre, à l'argumentation de l'appelante que les dispositions de l'article 1722 sont applicables à une situation temporaire et non définitive. Elle précise que si le juge de l'exécution n'est pas compétent pour trancher le fond du droit, il peut cependant apprécier les circonstances, pour déterminer si la créance est fondée en son principe.

Plus subsidiairement, elle s'oppose à l'appréciation du premier juge, considérant qu'une autorisation préalable était nécessaire à la saisie conservatoire. Elle interprète strictement les dispositions de l'article L 511-2 du code des procédures civiles d'exécution qui ne fait référence qu'aux loyers et non aux provisions sur charges, alors que la saisie conservatoire objet du litige inclut des provisions sur charge.

Elle expose également que la mainlevée de la mesure doit être ordonnée, en raison de l'irrégularité de la procédure et de la mauvaise foi de la SCI [Localité 2]. Elle souligne qu'en application de l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 une saisie conservatoire ne pouvait pas être pratiquée.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

I/ Sur le grief formé à l'égard du jugement déféré, une contradiction étant invoquée par la SCI [Localité 2]

Il existe une distinction entre la nullité et la mainlevée de la mesure, la nullité ayant un effet rétroactif, tandis que la mainlevée n'a une influence que pour l'avenir. En outre, si la nullité de la saisie conservatoire entraîne la mainlevée de celle-ci, l'absence de nullité ne conduit pas nécessairement au maintien de la mesure.

En effet, la mainlevée peut également être ordonnée, si les conditions posées par l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas réunies.

Ainsi, le juge a régulièrement pu débouter la société Bar Américain et café Anglais de sa demande de nullité de la saisie conservatoire et en ordonner pour autant la mainlevée, considérant que les dispositions de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution n'étaient pas réunies.

L'argumentation sur ce point de la SCI [Localité 2] ne peut donc qu'être rejetée.

II/ Sur la validité de la saisie conservatoire

- Sur l'absence d'autorisation du juge

En application de l'article L 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire, lorsque le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire. Il en est de même en cas de défaut de paiement d'une lettre de change acceptée, d'un billet à ordre, d'un chèque ou d'un loyer resté impayé, dès lors qu'il résulte d'un contrat écrit de louage d'immeubles.

Il résulte des pièces versées aux débats que la saisie conservatoire est sollicitée pour les loyers et provisions sur charges impayées par la société Bar américain et café anglais à la SCI [Localité 2], en application du contrat de bail de 2018, les liant.

Il est constant que les provisions sur charges sont incluses dans les loyers résultant d'un contrat écrit de louages d'ouvrages, la conception restrictive invoquée par la société Bar américain et café anglais ne pouvant prospérer.

En conséquence, la saisie conservatoire pouvait être pratiquée sans autorisation préalable du juge de l'exécution, le jugement déféré étant en conséquence confirmé sur ce point.

- sur la réunion des conditions de la saisie conservatoire

Aux termes de l'article L 512-1 du code des procédures civiles d'exécution, même lorqu'une autorisation préalable n'est pas requise, le juge peut ordonner la mainlevée de la mesure conservatoire, s'il apparaît que les conditions prescrites par l'article L 511-1 ne sont pas réunies.

L'article L 511-1 du code précité prévoit que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement.

Il y a donc lieu d'aborder, tout d'abord, l'existence d'une créance fondée en son principe, puis si celle-ci est avérée, la condition liée à la menace sur le recouvrement de la créance.

La charge de la preuve de la réunion des conditions pèse sur le créancier.

- Sur la créance fondée en son principe

Il importe de rappeler liminairement que le juge de l'exécution n'a pas à caractériser une créance certaine, ni le montant de cette dernière, mais seulement une créance fondée en son principe.

En l'espèce, il résulte du contrat de bail de 2018 que la SCI [Localité 2] a mis à disposition de la société Bar américain et café anglais un local commercial, situé [Adresse 1] à [Localité 2], moyennant un loyer annuel hors taxes de 213.972,16 euros, payable chaque trimestre d'avance.

La SCI [Localité 2] justifie ainsi du lien d'obligation liant les parties, et d'un contrat avec une exigibilité des échéances.

Si la force majeure est invoquée par le SCI Bar américain et café anglais, pour contester la créance fondée en son principe, le juge de l'exécution devant procéder à la vérification de cette condition, mais n'ayant pas à trancher le fond, il convient de souligner que le preneur ne peut se soustraire à ses obligations concernant le paiement des loyers pendant les périodes de pandémie, ce principe ayant été réaffirmé. De plus, le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation, en invoquant un cas de force majeure.

En outre, il ne peut en tout état de cause être opposé une exception d'inexécution à la SCI [Localité 2], qui n'a pas manqué à son obligation de délivrance permettant à la société Bar Américain et café anglais d'exploiter les locaux, la décision de fermeture administrative ne lui incombant pas et s'imposant à elle.

La même argumentation est applicable pour l'obligation de jouissance paisible des lieux.

Le moyen soulevé par la société Bar américain et café anglais ne peut donc qu'être écarté.

Il en est de même de l'invocation de la perte partielle de la chose louée, en application de l'article 1722 du code civil. S'il n'appartient pas au juge de l'exécution de trancher le fond, il est cependant établi, que l'effet de la mesure gouvernementale d'interdiction de recevoir du public, générale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable au bailleur, de sorte qu'il ne peut lui être reproché un manquement à son obligation de délivrance, et d'autre part assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

Ce moyen est donc inopérant, pour faire obstacle à une créance fondée en son principe.

Au surplus, les locaux loués comprenaient également une activité de ventes de tabac, de gaufres, crêpes, cafés et autres boissons chaudes qui n'a pas été frappée par l'interdiction.

La SCI invoque des impayés au titre des loyers et charges entre le deuxième trimestre 2020 et le 2ème trimestre 2021, et une mise en demeure de les régler a été transmise à la société Bar américain et café anglais le 4 octobre 2021.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la SCI [Localité 2] dispose bien d'une créance fondée en son principe, correspondant au montant des loyers et charges impayés, dus en application du contrat de bail de 2018, liant les deux parties.

- Sur les menaces de recouvrement

La saisie conservatoire nécessite la preuve d'une créance fondée en son principe, mais également de menaces sur le recouvrement de celle-ci.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que la saisie conservatoire porte sur les loyers et charges impayés des 2ème, 3ème et 4ème trimestres 2020 et 1er et 2ème trimestre 2021. Le loyer du troisième trimestre 2021 n'a pas non plus été réglé. Toutefois, comme l'a souligné le premier juge, la seule absence de paiement des loyers et ce d'autant plus pendant une période particulière couvrant la période de crise sanitaire ne peut permettre de caractériser une menace portant sur le recouvrement de la créance.

En outre, les parties ont procédé à des échanges relatifs au paiement des loyers sur cette période concernant notament une réduction de loyers ou un report de paiement, ce qui révèle des liens réguliers, la société bar américain et café anglais étant en outre représentée dans le cadre des procédures judiciaires relatives au règlement des loyers, ceux ci étant contestés.

L'arrêt des pourparlers et l'engagement de procédures judiciaires ne caractérise pas une menace de recouvrement de la créance, comme le prétend la SCI [Localité 2], la société Bar américain et café anglais étant toujours représentée dans ce cadre.

La SCI [Localité 2] évoque par ailleurs de manière erronée une absence de réaction à la mise en demeure. Or, la mise en demeure a été adressée le 4 octobre 2021 et il ressort du décompte produit aux débats que précédemment le 1er octobre 2021, un versement de la somme de 60.000 euros a eu lieu et peu après soit le 19 octobre 2021, un versement également conséquent de la somme de 67.991,14 euros a été effectué par la société Bar américain et café anglais.

Le paiement des loyers courant a également été repris début 2022.

Si la SCI [Localité 2] transmet des soldes intermédiaires de gestion pour justifier l'insolvabilité de la société Bar Américain et café anglais, cette seule pièce ne présente pas de caractère probant correspondant aux périodes du 1er avril 2020 ou 31 janvier 2021, en comparatif de la période du 1er avril 2019 au 31 mars 2020. Si ce document laisse apparaître un excédent brut d'exploitation et des résultats négatifs du 1er avril 2020 au 31 janvier 2021, il ne peut être probant puisque la période visée couvre celle du confinement et de la période d'urgence sanitaire qui a lourdement impacté les établissements exerçant une activité similaire à celle de la société Bar Américain et café anglais.

Il n'est par ailleurs produit aucun autre élément comptable et il ne peut être fait grief à l'intimé de ne pas produire de justificatifs, la charge de la preuve incombant à la SCI [Localité 2] et cette dernière ne pouvant renverser la charge de la preuve.

Il ressort également de la saisie conservatoire l'existence d'une somme de plus de 170.617,94 euros, sur le compte, correspondant à la moitié environ de la créance et démontrant des liquidités.

En conséquence, la preuve de menaces pesant sur le recouvrement de la créance n'est pas démontrée.

Dès lors, les conditions cumulatives posées par l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas réunies.

La mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée à l'encontre de la société Bar américain et café anglais est donc justifiée et le jugement doit être confirmé.

III/ Sur la demande de dommages et intérêts

En application de l'article L 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, lorsque la mainlevée a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.

En l'espèce, la saisie conservatoire est à l'origine de l'indisponibilité des comptes bancaires de la société Bar Américain et café anglais. Elle a ainsi occasionné des tracas liés au blocage des comptes et l'allocation de la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts par le premier juge est justifiée.

En conséquence, le jugement déféré est confirmé également sur ce point.

IV/ Sur les demandes accessoires

Il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré, relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

En outre, la SCI [Localité 2] succombant à l'instance, il convient de la condamner aux dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Enfin, l'équité commande de condamner la SCI [Localité 2] à payer à la société Bar américain et café anglais la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

Condamne la SCI [Localité 2] à payer à la SA Bar américain et café anglais la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

Condamne la SCI [Localité 2] aux dépens d'appel,

Rejette les autres demandes des parties.