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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 30 mars 2021, n° 20/04654

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Matricis (SAS)

Défendeur :

Audensiel Sud-Est (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Saunier-Ruellan

Conseillers :

Mme Stella, Mme Masson-Bessou

T. com. Lyon, du 23 juill. 2020, n° 2020…

23 juillet 2020

Matricis est une société spécialisée dans le conseil et l'assistance dans le chiffrage de prestations de services dans le domaine de la propreté industrielle mais également dans le développement et la commercialisation d'appareils de mesure de la propreté à destination des professionnels de la propreté industrielle. Dans un premier temps, son établissement principal était situé à Paris, puis, le 20 juin 2018, elle l'a transféré à Aix-en-Provence (Puyricard).

Elle a un salarié depuis le 1er janvier 2020.

Audensiel Sud-Est ci-après « ASE » est une société spécialisée dans le conseil, la prestation de services dans le domaine de l'ingénierie et des études techniques, la recherche et le développement de l'ingénierie informatique, l'assistance à maîtrise d'ouvrage, l'assistance à maître d'œuvre dans les systèmes d'information, la gestion de projets et de process dans tous les domaines y compris celui de l'industrie.

Elle est en activité depuis le 26 juillet 2018.

Matricis a recherché un prestataire informatique afin de lui confier le développement d'une plateforme logicielle d'aide à la décision et de mise en relation professionnelle dans le secteur du nettoyage industriel.

Matricis s'est, notamment, rapprochée d'ASE. Le 8 avril 2019, les parties ont signé un ensemble contractuel comportant, d'une part, un contrat de prestations de services, ci-après, le « Contrat de prestations », et, d'autre part, un avenant intitulé « Avenant numéro 1 ' Proposition Commerciale Technique ' Projet Développement »

Par courrier recommandé avec accusé de réception, daté du 11 décembre 2019, ASE a mis en demeure Matricis de lui payer la somme de 79 722 € TTC (66 435 € HT).

Par courrier officiel en date du 22 janvier 2020, Matricis lui a répondu de manière circonstanciée par la voie de son conseil. Ce dernier a rappelé à ASE que Matricis n'a jamais refusé de tenter de trouver une solution amiable au litige qui l'oppose à ASE, mais que, pour autant, elle n'accepterait pas de payer pour un logiciel inexploitable et incomplet, qui ne lui serait donc d'aucune utilité.

Par ordonnance du 30 janvier 2020, le président du tribunal de commerce de Lyon a autorisé, sur requête non contradictoire du 22 janvier 2020, la société Audensiel Sud-Est à faire pratiquer une saisie-conservatoire au préjudice de la société Matricis sis à Aix-en-Provence entre les mains du Crédit Mutuel pris en son agence de Sèvres (92310) auprès duquel la débitrice a ouvert un compte et ce pour sûreté de sa créance évaluée provisoirement à la somme de 79 762 euros, correspondant à huit factures restant impayées malgré la mise en demeure et les tentatives de règlement amiable.

Matricis s'est vu dénoncée, le 21 février 2020, la saisie conservatoire de créances pour la somme de 79 792 € en date du 18 février 2020 sur son compte bancaire tenu par la société Crédit Mutuel située [...].

La société Matricis a saisi le président du tribunal de commerce en rétractation et mainlevée de la saisie-conservatoire au motif de son incompétence territoriale et subsidiairement pour défaut de réunion des conditions cumulatives de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution. A titre infiniment subsidiaire, elle a sollicité la mainlevée partielle de ladite saisie-conservatoire.

Suivant ordonnance du 23 juillet 2020, le président du tribunal de commerce de Lyon a :

•            confirmé l'ordonnance du 30 janvier 2020 en toutes ses dispositions,

•            débouté la société Matricis SAS de l'ensemble des demandes,

•            dit n'y avoir lieu à application au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

•            condamné la société Matricis SAS aux entiers dépens.

Le juge des référés a fait application de l'article 20 du contrat du 8 avril 2019 liant les parties contenant une clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Lyon pour tout différend relatif à l'interprétation ou l'exécution du contrat.

Il a considéré que la société Matricis ne démontre pas de façon probante que la créance ne paraissait pas fondée en son principe. Il n'est pas contesté non plus par la société Matricis que la mise en demeure de payer l'intégralité des factures d'un montant de 79 722 euros TTC du 11 décembre 2019 est restée infructueuse alors que la société Matricis n'a adressé aucun document à son cocontractant permettant de dissiper ses doutes quant à d'éventuelles difficultés pour recouvrer sa créance.

Appel a été interjeté par le conseil de la S.A.S Matricis par déclaration électronique du 24 août 2020 à l'encontre des dispositions ayant confirmé l'ordonnance du 30 janvier 2020, l'ayant déboutée de ses demandes, ayant dit n'y avoir lieu à application au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'ayant condamnée aux dépens.

La procédure a été orientée selon les dispositions de l'article 905, 905-1 et 905-2 du code de procédure civile à bref délai et les plaidoiries fixées au 16 février 2021 à 9 heures.

Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2020, la S.A.S Matricis demande à la Cour de :

A titre principal :

•            réformer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau :

•            déclarer le président du tribunal de commerce de Lyon territorialement incompétent pour autoriser une mesure conservatoire au préjudice d'une société dont le siège social est sis Aix-en-Provence hors de son ressort territorial.

En conséquence :

•            rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 30 janvier 2020 autorisant Audensiel Sud-Est à pratiquer une saisie-conservatoire au préjudice de la société Matricis entre les mains du Crédit Mutuel, prise en son agence de Sèvres,

•            ordonner mainlevée immédiate de la mesure conservatoire de créances pratiquée le 18 février 2020 suivant acte de la SCP V. & Associés huissiers de justice à Neuilly sur Seine.

A titre subsidiaire :

•            constater que la créance ne paraît pas fondée en son principe et qu'il n'existait pas de circonstances susceptibles d'en menacer son recouvrement,

•            ordonner la mainlevée totale et immédiate de ladite mesure conservatoire.

A titre infiniment subsidiaire :

•            ordonner la mainlevée partielle et immédiate de ladite saisie conservatoire, et la limiter à la somme de 62 952 euros TTC au regard de deux avoirs qui ont été omis.

En tout état de cause :

•            condamner la société Audensiel Sud-Est à lui payer 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la saisie-conservatoire de créance

•            condamner la société Audensiel Sud-Est à lui payer 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Elle soutient en substance que :

•            les clauses attributives d'une autre compétence que le lieu de domicile du débiteur sont réputées non écrites en application des articles R 511-2 et R 511-3 du code des procédures civiles d'exécution. Le juge se doit de relever d'office son incompétence car la règle est d'ordre public,

•            à titre subsidiaire, le juge a fait peser sur le débiteur et non sur le créancier la preuve des conditions pour que la mesure conservatoire soit autorisée et aucune des deux conditions cumulatives ne sont réunies,

•            à titre infiniment subsidiaire, il y a lieu à mainlevée partielle de la saisie-conservatoire car il n'a pas été tenu compte de deux avoirs,

•            sur la réparation de son préjudice à raison de la saisie-conservatoire : prouver une faute n'est pas nécessaire. Néanmoins, elles sont nombreuses : défaut de présentation des avoirs annulant deux factures fondant sa créance, non-respect des conditions de l'article L 511-1 du code des procédures civiles d'exécution et tentative d'induire le juge en erreur. Elle a visé un article abrogé et tronqué pour fonder sa requête initiale notamment en omettant l'alinéa 2 sur le caractère réputé non écrite de toute clause attributive de compétence territoriale contraire au code. Au moment de la saisie, le compte était créditeur de plus de 146 000 euros. C'est l'intégralité qui a été rendue indisponible en application de l'article L 162-1 du code des procédures civiles d'exécution durant 15 jours ouvrables, soit du 18 février au 9 mars 2020. De ce fait, le salaire de son employé a été versé avec retard. Elle n'a pas pu payer ses prestataires, et ses fournisseurs. Son image a été atteinte outre des majorations de retard. L'établissement bancaire a prélevé des frais à hauteur de 82 euros. Sa trésorerie a été amputée de près de la moitié. Elle a dû reporter des projets d'embauche et des projets professionnels. Elle a subi un préjudice moral, d'image et financier.

L'intimée, à qui a été signifiée à personne habilitée la déclaration d'appel le 7 septembre 2020 et les conclusions de l'appelante le 19 octobre 2020, a constitué avocat le 23 novembre 2020 mais n'a pas pu conclure dans les délais. Le présent arrêt sera réputé contradictoire.

A l'audience, le conseil de l'appelante a été entendu en ses observations, le conseil de l'intimée étant présent, et a déposé son dossier respectif. Puis, l'affaire a été mise en délibéré au 30 mars 2021.

MOTIFS

Sur la compétence territoriale du président du tribunal de commerce de Lyon

L'article 20 du contrat du 8 avril 2019 liant les parties prévoyait une clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Lyon pour tout différend relatif à l'interprétation ou à l'exécution du contrat. Pour autant, cette clause doit être réputée non écrite en application des articles R. 511-2, R. 511-3 et R. 121-4 du code des procédures civiles d'exécution aux termes desquels « Le juge compétent pour autoriser une mesure conservatoire est celui du lieu où demeure le débiteur. » et « Toute clause contraire aux articles L. 511-3 ou R. 511-2 est réputée non avenue' alors que selon l'article R. 121-4 du même code « Les règles de compétence prévues au présent code sont d'ordre public. »

En conséquence, le président du tribunal de commerce de Lyon aurait dû soulever d'office son incompétence territoriale. Il ne disposait pas du pouvoir d'autoriser ou non la mesure conservatoire sollicitée ni du pouvoir de rétracter ou non l'ordonnance initiale.

En l'espèce, le juge compétent pour autoriser une mesure conservatoire est celui du lieu du siège social de la débitrice, soit celui d'Aix-en-Provence. En conséquence, l'ordonnance du 23 juillet 2020 déférée doit être infirmée du chef de la compétence territoriale du président du tribunal de commerce de Lyon.

En application de l'article 90 alinéa 3 du code de procédure civile, la Cour d'appel de Lyon n'étant pas la juridiction d'appel de la juridiction qui est territorialement compétente en l'occurrence, le président du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, renvoie l'examen de l'affaire à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui seule pourra examiner le fond de l'affaire, cette décision de renvoi s'imposant aux parties et à la Cour de renvoi.

La présente Cour se déclare incompétente territorialement sur la demande de réformation de l'ordonnance qui a refusé de rétracter l'ordonnance du 30 janvier 2020 autorisant la saisie-conservatoire et ses conséquences éventuelles s'agissant de la mainlevée totale ou partielle de la mesure conservatoire litigieuse, de la demande indemnitaire de la société Matricis, ainsi que des condamnations aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déclare le président du tribunal de commerce de Lyon territorialement incompétent,

Infirme l'ordonnance prononcée par le président du tribunal de commerce de Lyon le 23 juillet 2020 qui a retenu sa compétence territoriale en lieu et place du président du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence.

En conséquence,

Vu l'article 90 du code de procédure civile,

Se déclare incompétente pour statuer au fond sur les demandes de la société Matricis y compris sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance,

Renvoie l'affaire devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, juridiction d'appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance pour statuer sur l'entier appel.

Rappelle que la présente décision s'impose aux parties et à la Cour de renvoi.