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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 28 mars 2018, n° 17/00256

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

EDITIONS PAQUET (SARL)

Défendeur :

Jean-François M., François R.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidents :

Mme Martine ROY-ZENATI, M. Renaud SORIEUL

Conseiller :

Mme Christina DIAS DA SILVA

Avocats :

SCP N. - H., Me Gilles A., SELAS Antoine G. Avocats

Paris, du 16 déc. 2016

16 décembre 2016

M. Jean-François M., écrivain journaliste, a illustré deux bandes dessinées dont le scénario a été écrit par M. François R. : 'Mort sur le Nil' et 'Le crime de l'Orient Express' adaptées des romans d'Agatha C..

Les auteurs ont cédé leurs droits sur ces oeuvres à la société EP Editions aux termes de deux contrats d'édition des 4 novembre 2002 et 20 janvier 2003.

Le fonds de la société EP Editions a été cédé en 2008 à la société Editions Heupé.

Dans le cadre de la procédure collective de cette dernière, M. Jean-François M. a déclaré une créance à hauteur de 18.094,96 euros pour ses droits d'auteurs arrêtés au 31 décembre 2012.

Par jugement du 26 février 2014, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de cession de la société Editions Heupé au profit de la société Editions Paquet, ledit plan de cession comprenant notamment la dénomination, la clientèle, les droits et contrats attachés aux oeuvres, les stocks et les droits d'auteur.

Faisant valoir qu'en dépit de ses demandes renouvelées, sa créance d'arriérés de droits d'auteurs demeurait impayée et qu'il n'avait reçu aucun relevé d'exploitation de ses oeuvres par les Editions Paquet pour les années 2013, 2014 et 2015 M. Jean-François M. a vainement mis en demeure les sociétés Editions Heupé et Editions Paquet, les 28 janvier 2015 et 6 juillet 2016, puis les a assignées devant le juge des référés aux fins de condamnation provisionnelle et injonction de produire sous astreinte les états récapitulatifs pour chacun des ouvrages sus-visés mentionnant le nombre d'exemplaires vendus depuis le 1er janvier 2013, les tirages, les stocks et les exemplaires inutilisables ou détruits.

Par ordonnance du 16 décembre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :

- rejeté l'exception d'incompétence ;

- condamné la société Editions Paquet à payer à titre provisionnel à M. Jean-François M. la somme de 18.094,96 euros ;

- ordonné à la société Editions Paquet de communiquer à M. Jean-François M. un état récapitulatif mentionnant le nombre d'exemplaires vendus, la date et l'importance des tirages et le nombre d'exemplaires en stock, outre le nombre d'exemplaires inutilisables ou détruits, à compter du 1er janvier 2013 jusqu'au 16 décembre 2016, et ce pour les ouvrages 'Mort sur le Nil' et 'Le crime de l'Orient Express', sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance pendant une durée de deux mois ;

- rejeté le surplus des demandes ;

- déclaré l'ordonnance commune à M. François R. ;

- condamné la société Editions Paquet à payer à M. Jean-François M. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Editions Paquet aux dépens.

Par déclaration du 29 décembre 2016, la société Editions Paquet a interjeté appel de cette ordonnance à l'égard de M. M.. Par déclaration du 20 juin 2017, elle a interjeté appel de l'ordonnance intimant M. R..

Le 4 juillet 2017, les deux appels ont été joints.

Par ses conclusions transmises le 2 février 2018 , la société Editions Paquet demande à la cour de :

- juger M. Jean-François M. irrecevable en sa demande tendant à voir déclarer tardif l'appel dirigé a l'encontre de M. François R.,

- juger recevable son appel dirigé tant à l'encontre de M. Jean-François M. que de M. François R.,

- dire que les demandes de M. Jean-François M. se heurtent à des contestations sérieuses,

- infirmer l'ordonnance du 16 décembre 2016 en toutes ses dispositions,

- condamner M. Jean-François M. à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- aucune demande n'a été formée par M. François R., pourtant mis en cause par M. Jean-François M. en première instance, à l'encontre de la société Editions Paquet ;

- M. M. est irrecevable à soulever l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société Editions Paquet à l'encontre de M. R., nul ne plaidant par procureur, et en tout état de cause les dispositions des articles 552 et 553 du code de procédure civile relèvent les parties de toute tardiveté qui pourrait être encourue en cas de solidarité ou d'indivisibilité ;

- l'action de M. M. concernant la condamnation à produire un état récapitulatif mentionnant le nombre d'exemplaires vendus des ouvrages depuis le 1er janvier 2013 est mal dirigée puisque le débiteur principal des obligations sur le fondement desquelles il agit n'a pas été mis dans la cause, ce qui constitue une contestation sérieuse ;

- le cessionnaire du fonds de commerce de la société Editions Heupe est la société EP Média et non la société Editions Paquet, c'est donc la société EP Média qui s'est engagée à prendre en charge les arriérés dus aux auteurs pour les contrats non dénoncés et en cours à la date du jugement du 26 février 2014 autorisant la cession, estimés à 125.374, 28 euros, et la poursuite des contrats en assurant les règlements découlant de leur exécution conformément à son offre ;

- la société Editions Paquet a acquis le fonds de commerce de la société Editions Heupe pour le compte de la société EP Média à la condition que la prise en charge des arriérés dus aux auteurs pour les contrats en cours s'arrête à la date du jugement du 26 février 2014, de sorte que seules les créances reconnues à cette date pouvaient être prises en compte, la créance de M. M. ne figurait qu'à hauteur de 975,90 euros, les créances alléguées par ce dernier et admises par le juge commissaire le 30 juillet 2014 ne peuvent pas être opposées à la société Editions Paquet puisqu'il s'agit de créances postérieures au jugement approuvant la cession ;

- l'interprétation du jugement comme celle de l'acte de cession d'entreprise ne relève pas de la compétence du juge des référés ;

- la créance alléguée par M. M. ne correspond qu'à une estimation faite par celui-ci de manière arbitraire.

Par ses conclusions transmises le 18 septembre 2017, M. Jean-François M. demande à la cour de :

- le recevoir en ses demandes,

- débouter la société Editions Paquet de son appel,

- confirmer l'ordonnance de référé du 16 décembre 2016 en toutes ses dispositions,

- condamner la société Editions Paquet à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il fait valoir :

- que la contestation de la société Editions Paquet relative à l'action prétendument mal dirigée n'est pas sérieuse dès lors que les auteurs, dont M. M., ne sont pas parties au contrat de cession du 22 mai 2014, la cession du fonds de commerce de la société Editions Heupe est opérée au bénéfice de la société Editions Paquet aux termes du jugement du 26 février 2014, la société Editions Paquet reste tenue solidairement de l'exécution des obligations vis-à-vis des auteurs ;

- que la cour doit confirmer l'ordonnance s'agissant de sa demande de communication de documents dès lors que la société Editions Paquet s'est engagée à poursuivre l'exécution des contrats d'édition de M. M. et à payer les arriérés des droits d'auteurs antérieurs au jugement de cession au titre de l'acte de cession du fonds de commerce et l'éditeur est tenu à une obligation de résultat dans la communication des comptes et ne peut pas s'exonérer sur la seule foi de ses propres déclarations ;

- que l'appelante avait amplement le temps de satisfaire à ses obligations puisque M. M. lui réclame les redditions de compte qui lui sont dues depuis janvier 2015, les documents qu'elle lui a communiqués en novembre 2016 ne sont manifestement pas conformes aux dispositions d'ordre public des articles L. 132-13, L. 132-14, L. 132-17-3 du code de la propriété intellectuelle ;

- que la carence de la société Editions Paquet dans son obligation de communication de compte demeure manifeste puisque l'ordonnance du juge des référés n'a jamais été exécutée sur ce point ;

- que sa demande de provision est bien fondée dès lors que :

- la déclaration de créance de M. M. date du 5 juillet 2013, soit antérieurement à le cession du 26 février 2014,

- la décision du juge commissaire du 30 juillet 2014 d'admettre la créance n'a eu pour effet que de conférer l'autorité de la chose jugée à cette créance,

- la société Editions Paquet s'est obligée à prendre en charge tous les arriérés dus aux auteurs au titre du jugement du 26 février 2014 qui a estimé les droits d'auteur à la somme de 125.347, 28 euros,

- les auteurs n'ont jamais eu connaissance de l'annexe 8 invoquée par la société Editions Paquet puisqu'ils n'étaient pas parties au jugement de cession, en infraction des articles L. 642-7 et R. 642-7 du code de commerce et L. 132-16 du code de la propriété intellectuelle,

- c'est bien le montant définitivement retenu par le tribunal de commerce de Paris dans le cadre de la procédure de vérification des créances qui doit être mis à la charge définitive de la société Editions Paquet,

- la contestation de la société Editions Paquet n'est pas sérieuse puisqu'elle remet en cause l'autorité de la chose jugée par le tribunal de commerce et le juge commissaire.

M. François R., assigné par acte d'huissier du 4 septembre 2017 remis à sa personne n'a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Considérant que la société Editions Paquet ne critique pas la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce ;

Considérant qu'il doit être rappelé que la procédure d'appel d'une ordonnance de référé, qui suit les dispositions de l'article 905 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au litige, n'est pas soumise à une mise en état, de sorte qu'aucun conseiller de la mise en état ne peut être saisi de conclusions d'incident ;

Considérant que dans ses dernières écritures qui seules lient la cour en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, M. M. ne soulève pas l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société Editions Paquet à l'encontre de M. R., de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer de ce chef ;

- sur la demande de provision

Considérant qu'aux termes de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile le président peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ;

Considérant qu'il est constant que M. M. a conclu 2 contrats d'édition avec la société EP Editions dont le fonds a été cédé à la société Editions Heupe ; que par jugement du 26 février 2014 le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de cession de la société Editions Heupe au profit de la société Editions Paquet, le jugement précisant dans son dispositif que le plan comprend les dispositions suivantes : 'la dénomination Editions Heupe, la clientèle,(...), droits d'auteurs :les Editions Paquet s'engagent à prendre en charge tous les arriérés dus aux auteurs pour les contrats en cours à la date du présent jugement estimés à 125.347, 28 euros et à poursuivre ces contrats en assurant les règlements découlant de leur exécution' ;

Considérant par ailleurs que M. M. justifie de l'existence de sa créance par la production aux débats de trois notifications de créances admises datées du 13 août 2014 et de l'ordonnance d'admission des créances du juge commissaire datée du 30 juillet 2014 pour un montant total de 18.094,96 euros à titre privilégié ;

Considérant que la société Editions Paquet ne peut utilement s'opposer au paiement de cette somme en soutenant que la demande de M. M. doit être dirigée contre la société EP Media SARL devenue cessionnaire du fonds de commerce de la société Editions Heupe aux termes d'un acte de cession d'entreprise du 22 mai 2014 dès lors d'une part que M. M. n'est pas partie à ce contrat de cession et d'autre part que le jugement du tribunal de commerce de Paris du 26 février 2014 qui a arrêté le plan de cession des Editions Heupe au bénéfice de la société Editions Paquet précise dans son dispositif 'autorise la substitution du cessionnaire, qui restera garant solidaire, au profit d'une société filiale à constituer' ;

Que l'appelante ne peut pas non plus valablement invoquer une limitation de son engagement à hauteur de 125.347, 28 euros, le jugement de cession précisant que la société cessionnaire s'est engagée à prendre en charge tous les arriérés dus aux auteurs sans limitation, ce montant de 125.347, 28 euros n'étant qu'une estimation ;

Qu'il s'ensuit que les moyens opposés par la société appelante ne constituent pas des contestations sérieuses et que c'est à bon droit que le premier juge a dit que la créance de M. M. était manifestement établie et qu'il y avait lieu de faire droit à sa demande de provision, l'ordonnance étant confirmée de ce chef ;

- sur la demande de communication de pièces

Considérant qu'en application des articles L 132-13 et L 132-14 du code de la propriété intellectuelle et des contrats d'édition conclus par M. M., les comptes de l'ensemble des droits dus à l'auteur sont arrêtés une fois l'an à la clôture de l'exercice ; que l'article L 132-17-3 du même code dispose que l'éditeur est tenu pour chaque livre de rendre compte à l'auteur du calcul de sa rémunération de façon explicite et transparente et qu'à cette fin l'éditeur adresse à l'auteur ou met à sa disposition un état des comptes mentionnant, lorsque le livre est édité sous une forme imprimée, le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d'exercice, le nombre des exemplaires en stock en début et en fin d'exercice, le nombre des exemplaires vendus par l'éditeur et le nombre d'exemplaires hors droits et détruits au cours de l'exercice ;

Considérant qu'en application de ces dispositions et de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, M. M. était manifestement bien fondé à solliciter de la société Editions Paquet, devenue cessionnaire de la société Editions Heupe, son engagement comprenant celui de prendre en charge tous les arriérés dus aux auteurs pour les contrats en cours et à poursuivre ces contrats ainsi qu'il est dit dans le jugement arrêtant le plan de cession dont s'agit, la communication des documents de reddition des comptes sous astreinte ;

Considérant qu'ainsi qu'il ressort des pièces produites aux débats , le 21 novembre 2016 la société Editions Paquet a adressé à M. M. un relevé des droits en cours au 30 juin 2016 constitué d'un tableau ventilant chaque oeuvre ainsi qu'un tableau récapitulatif des droits en cours et un tableau comprenant pour chaque titre l'état des stocks ; que ces éléments ne comportant aucune précision ni sur l'année concernée ni sur le détail des informations pour chaque exercice sur le nombre d'exemplaires fabriqués, en stock, vendus et détruits en début et en fin d'exercice permettant aux auteurs de se rendre compte de la réalité de l'exploitation des oeuvres, le premier juge a à juste titre ordonné la communication de ces éléments manquants pour les ouvrages 'Mort sur le Nil' et 'Le crime de l'orient express' sous astreinte ;

Considérant cependant qu'il résulte des pièces versées aux débats en appel et notamment d'un jugement du juge de l'exécution rendu le 3 novembre 2017 saisi par M. M. en liquidation de cette astreinte, que la société Editions Paquet justifie avoir exécuté l'obligation par la production des pièces qui contiennent l'ensemble des éléments visés dans la décision de référé ; qu'il y a donc lieu de tenir compte de l'évolution du litige et de dire que la demande de communication de pièces à M. M. est devenue sans objet ;

- sur les frais de procédure et les dépens

Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ;

Qu'à hauteur de cour, il convient d'accorder à M. M., contraint d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci-après ;

Que partie perdante la société Editions Paquet ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supportera les dépens d'appel lesquels seront recouvrés selon les modalités de l'article distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise dans ses dispositions soumises à la cour,

Vu l'évolution du litige

Dit que la demande de M. M. de communication par la société Editions Paquet d'un état récapitulatif pour les ouvrages 'Mort sur le Nil' et 'Le crime de l'Orinet Express' est devenue sans objet ;

Y ajoutant ;

Condamne la société Editions Paquet à payer à M. Jean-François M. la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Editions Paquet aux dépens d'appel, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.