CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 4 mars 2021, n° 20/02881
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Valpaco France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lebée
Conseillers :
M. Malfre, M. Gouarin
La société Valpaco France a pour activité la gestion de stocks de papier. La société de droit italien Rotolito intervient comme sous-traitante de la société Valpaco France.
Par jugement du 11 octobre 2018, le tribunal de première instance de Milan a condamné la société Valpaco France à payer à la société Rotolito la somme de 182 283,92 euros augmentée des intérêts au taux du décret législatif 231/2002 du 1er juillet 2013 ainsi que celle de 4 814,35 euros au titre des dépens.
Ce jugement a été revêtu de la formule exécutoire le 27 décembre 2018.
Le 5 juin 2019, cette décision a été certifiée par le tribunal de première instance de Milan en tant que décision exécutoire européenne au visa de l'article 53 du règlement (UE) n°1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale.
En vertu de ce jugement, la société Rotolito a fait pratiquer, le 24 juillet 2019, trois saisies conservatoires de créances sur les comptes bancaires ouverts par la société Valpaco France dans les livres de la Monte Paschi Banque, de la Banque Palatine et du Crédit Lyonnais pour avoir sûreté et garantie de la somme de 276 524,09 euros, saisies dénoncées le 31 juillet 2019 et dont seule celle pratiquée entre les mains du Crédit Lyonnais a été fructueuse à hauteur de la somme de 291,23 euros.
Le 13 août 2019, la société Rotolito a fait signifier à toutes fins à la société Valpaco France le jugement du tribunal de première instance de Milan en date du 11 octobre 2018 ainsi que le certificat européen délivré par ce tribunal, accompagnés de leur traduction en français.
Le 21 août 2019, la société Rotolito a faire inscrire un nantissement judiciaire provisoire sur le fonds de commerce de la société Valpaco France, exploité [...], inscription dénoncée le 27 août 2019.
Suivant acte d'huissier du 30 août 2019, la société Valpaco France a fait assigner la société Rotolito devant le juge de l' exécution du tribunal de grande instance de Créteil aux fins, notamment, de voir ordonner la nullité et la mainlevée des mesures conservatoires et de l'acte de nantissement judiciaire provisoire.
Le 8 octobre 2019, la société Rotolito a fait signifier à la société Valpaco France la déclaration du directeur du greffe du tribunal de grande instance de Créteil en date du 25 septembre 2019, par laquelle celui-ci a constaté la force exécutoire du jugement du tribunal de première instance de Milan en application des articles 509-2 ancien du code de procédure civile et 39 du règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 ainsi que de son annexe II.
Par jugement du 8 novembre 2019, le juge de l' exécution du tribunal de grande instance de Créteil a débouté la société Valpaco France de toutes ses demandes et condamné celle-ci au paiement de la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens.
Selon déclaration du 6 février 2020, la société Valpaco France a interjeté appel de cette décision.
Suivant requête conjointe du 23 mars 2020, les parties ont saisi le tribunal de commerce de Créteil aux fins de radiation du nantissement judiciaire provisoire.
Le 2 avril 2020, la société Rotolito a donné mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur les comptes de la société Valpaco France au Crédit Lyonnais, seule saisie fructueuse.
Par dernières conclusions du 7 avril 2020, l'appelante, outre des demandes de «'constater'» ne constituant pas des prétentions sur lesquelles il n'y a pas lieu de statuer, demande à la cour de prononcer la nullité des actes de saisie conservatoire du 24 juillet 2019 ainsi que du nantissement de fonds de commerce du 27 août 2019, d'en ordonner la mainlevée et de condamner l'intimée à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières conclusions du 13 mai 2020, la société Rotolito demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, «'en tout état de cause'», de dire irrecevable la société Valpaco France en sa demande tendant à la mainlevée des mesures conservatoires devenue sans objet, de débouter l'appelante de toutes ses demandes et de condamner celle-ci à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé du litige, il est référé aux dernières écritures des parties.
SUR CE
Sur la recevabilité des demandes de la société Valpaco France
Contrairement à ce que soutient la société Rotolito, la société Valpaco France conserve un intérêt à agir aux fins de mainlevée des saisies conservatoires pratiquées à son encontre entre les mains de la Banque Palatine et de la Monte Paschi Banque ainsi que du nantissement judiciaire provisoire inscrit sur son fonds de commerce, dès lors que la mainlevée de ces saisies n'a pas été donnée par l'intimée et que ce nantissement n'a pas été radié à la date à laquelle la cour statue.
En revanche, la demande de l'appelante tendant à voir ordonner la nullité et la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par l'intimée sur ses comptes ouverts au Crédit Lyonnais est devenue sans objet à la suite de la mainlevée de cette saisie le 2 avril 2020.
Sur la validité des mesures conservatoires
Le premier juge, dont l'appelant s'approprie les motifs sur ce point, a retenu à bon droit que, selon l'article 66 du règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale, ce texte n'est applicable qu'aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015 et que c'est le règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I qui continue à s'appliquer aux décisions rendues sur les actions intentées avant cette date, qu'en l'espèce, l'action engagée devant le tribunal de première instance de Milan ayant été introduite par assignation du 6 juin 2014, le Règlement Bruxelles I s'applique à la cause.
Le premier juge a considéré que l'acte délivré le 5 juin 2019 par le tribunal de première instance de Milan certifiant que le jugement du 11 octobre 2018 était exécutoire au sens de l'article 53 du règlement (UE) n°1215/2012 était inopérant car pris conformément à des dispositions inapplicables à ce jugement.
Il a estimé qu'en vertu de l'article 47 1° et 2° du règlement Bruxelles I, le requérant pouvait demander à procéder à des mesures provisoires ou conservatoires, prévues par la loi de l'État membre requis, avant même que la décision rendue dans l'État d'origine ait été reconnue exécutoire par déclaration de l'État requis et que, si l'autorité compétente de l'État membre requis constatait la force exécutoire du jugement étranger, sa décision emportait autorisation de procéder à des mesures conservatoires.
Rappelant les articles L. 511-1 et L. 511-2 du code des procédures civiles d' exécution , le premier juge a considéré que ce dernier article dispensait le créancier de solliciter une autorisation préalable lorsque celui-ci disposait d'une décision étrangère non encore revêtue de l'exequatur.
Le premier juge en a déduit que, que ce soit en droit interne ou en en droit européen, l'existence d'une décision de justice, même non reconnue exécutoire, suffit à établir le principe de créance requis pour une mesure conservatoire, qu'en l'espèce les mesures critiquées consistaient en des saisies conservatoires régulièrement pratiquées au regard de l'article L. 511-2 et que devaient être écartés les moyens tenant à l'obligation d'obtenir une déclaration de force exécutoire ou d'effectuer une demande pour procéder à une mesure conservatoire, relevant en outre l'absence de grief compte tenu de la déclaration intervenue le 25 septembre 2019.
La société Valpaco France soutient que les mesures conservatoires en cause sont nulles, d'une part, en ce qu'elles se fondent sur un certificat du caractère exécutoire du jugement du tribunal de première instance de Milan du 11 octobre 2018 non valable car délivré en application du règlement (UE) n°1215/2012 inapplicable, d'autre part, en ce qu'elles n'ont pas été précédées d'une déclaration du caractère exécutoire du jugement sur lequel elles sont fondées conformément aux articles 47 2° et 54 du règlement (CE) n°44/2001 ou encore n'ont pas été préalablement autorisées par un juge français comme l'exige l'article 47 1° de ce même règlement.
L'appelante reproche au premier juge d'avoir fait application des dispositions de l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d' exécution , alors que les conditions dans lesquelles peut être exécutée une décision rendue dans un État membre sont régies par la réglementation européenne qui exige une autorisation judiciaire préalable.
En l'espèce, le premier juge a exactement fait application des dispositions de l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d' exécution .
En effet, selon l'article 47 1° du règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000, lorsqu'une décision doit être reconnue en application dudit règlement, rien n'empêche le requérant de demander qu'il soit procédé à des mesures provisoires ou conservatoires, prévues par la loi de l'État membre requis, sans qu'il soit nécessaire que cette décision soit déclarée exécutoire au sens de l'article 41, à savoir que soit délivrée une déclaration constatant sa force exécutoire dans les conditions de l'article 509-2 ancien du code de procédure civile, en l'espèce délivrée postérieurement aux saisies conservatoires litigieuses.
L'article 47 2° prévoit que la déclaration constatant la force exécutoire emporte l'autorisation de procéder à des mesures conservatoires.
Suivant l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d' exécution , une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire.
Si le règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000 détermine les conditions dans lesquelles une décision rendue dans un autre État membre peut obtenir force exécutoire, la procédure d' exécution d'une telle décision est régie par les dispositions en vigueur dans l'État membre requis, sans toutefois que l'application des règles de procédure de l'État membre requis dans le cadre de l' exécution puissent porter atteinte à l'effet utile du système prévu par le règlement européen.
C'est donc à juste titre que le premier juge a estimé que les saisies conservatoires et l'inscription de nantissement provisoire de fonds de commerce pratiquées par la société Rotolito étaient régulières dès lors que cette dernière était muni d'une décision de justice même non encore exécutoire au regard du règlement (CE) n°44/2001 du 22 décembre 2000, ces mesures conservatoires n'étant pas subordonnées à une autorisation judiciaire préalable.
Cependant, en cause d'appel, les parties indiquent que la société Rotolito a été désintéressée par des mesures d' exécution pratiquées en Italie, que la saisie conservatoire entre les mains du Crédit Lyonnais a fait l'objet d'une mainlevée et qu'elles ont saisi le tribunal de commerce de Créteil le 23 mars 2020 d'une requête conjointe aux fins de radiation du nantissement judiciaire provisoire du fonds de commerce de la société Valpaco France.
Par ailleurs, la société Rotolito n'invoque aucune menace pesant sur le recouvrement de sa créance envers la société Valpaco France, de sorte que les conditions posées par l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d' exécution ne sont pas réunies.
Le jugement entrepris sera donc infirmé et, la cour statuant à nouveau, il sera ordonné la mainlevée des saisies conservatoires et la radiation du nantissement provisoire de fonds de commerce pratiquées par la société Rotolito à l'encontre de la société Valpaco France.
La société Rotolito, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.
Il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Dit sans objet la demande de la société Valpaco France tendant à voir ordonner la nullité et la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 31 juillet 2019 par la société Rotolito sur ses comptes ouverts au Crédit Lyonnais ;
Déclare recevables les autres demandes formées par la société Valpaco France ;
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau,
Ordonne la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées le 24 juillet 2019 par la société Rotolito à l'encontre de la société Valpaco France sur ses comptes bancaires ouverts dans les livres de la Monte Paschi Banque et de la Banque Palatine ;
Ordonne la mainlevée et la radiation du nantissement provisoire inscrit par la société Rotolito le 21 août 2019 sur le fonds de commerce de la société Valpaco France, exploité [...] ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne la société de droit italien Rotolito aux dépens de première instance et d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.