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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 9 juin 2022, n° 21/12995

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Petite Chaise (SARL)

Défendeur :

SCP CBF Associés

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pruvost

Conseillers :

Mme Lefort, M. Trarieux

Avocats :

Me Benazeth-Gregoire, Me Galland

JEX Paris, du 14 juin 2021, n°20/81434

14 juin 2021

Par actes sous seing privé des 17 avril et 17 juin 2002, [X] [F] a donné à bail commercial à la Sarl La petite chaise (à effet au 1er juillet 2001) des locaux à usage de bar, restaurant et débit de tabac sis [Adresse 2].

[X] [F] et décédé le 17 mars 2011, laissant pour seul héritier son fils [C] [F].

Par acte authentique reçu le 23 décembre 2011, [C] [F] a fait donation entre vifs en avancement de part successorale à ses quatre filles [E], [R], [T] et [S] [F] d'un quart indivis chacune de la pleine propriété du bien immobilier donné à bail commercial.

Par ordonnance du 14 décembre 2017, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris a notamment constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 2 septembre 2017, a ordonné l'expulsion de la société La petite chaise, et condamné par provision ladite société à payer à [C] [F] la somme de 8 678,26 euros ainsi que les indemnités d'occupation postérieures fixées à titre provisionnel à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires.

Par arrêt du 17 juin 2019, la Cour d'appel de Paris a confirmé cette ordonnance en ce qu'elle a condamné la société La petite chaise à payer à [C] [F] la somme provisionnelle de 8 678,26 euros, et, l'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau, a accordé à la société La petite chaise la faculté de s'acquitter de cette dette dans un délai de 24 mois à compter du mois suivant l'arrêt par le versement de 24 mensualités de 361,59 euros en sus du loyer courant, suspendant les effets de la clause résolutoire pendant ce délai.

Le 12 août 2020, [C] [F], et [E], [R], [T] et [S] [F], ci-après dénommés 'les consorts [F]' ont fait délivrer un commandement de quitter les lieux à la société La petite chaise.

Par actes en date des 28 septembre et 18 décembre 2020, la société La petite chaise a assigné les consorts [F] devant le juge de l' exécution du Tribunal judiciaire de Paris pour voir prononcer la nullité de la procédure d'expulsion, et subsidiairement suspendre la clause résolutoire et lui accorder les plus larges délais de paiement en application des articles 1244-1 du code civil et L145-41 du code de commerce.

Cette affaire a été enregistrée sous le numéro RG 21/81434.

Par acte du 15 avril 2021, la société La petite chaise a assigné en intervention forcée la SCP Brouard Daude, en sa qualité de mandataire judiciaire de la société La petite chaise.

Cette affaire a été enregistrée sous le numéro RG 21/80764.

Cette affaire a été enregistrée sous le numéro RG 21/80011.

Par jugement du 14 juin 2021, le juge de l' exécution du Tribunal judiciaire de Paris a :

- ordonné la jonction des affaires numéro RG 20/81434, 21/80764, 21/80011 et 21/80762 sous un même numéro RG 20/81434,

- rejeté les demandes de nullité de la signification de déchéance du terme du 12 août 2020, du commandement de quitter les lieux du 12 août 2020 et du procès-verbal d'expulsion du 19 novembre 2020,

- condamné la Sarl La petite chaise aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ce jugement a été notifié le 17 juin 2021.

Selon déclaration du 8 juillet 2021, la société La petite chaise a relevé appel de ce jugement.

Par ses conclusions notifiées le 12 août 2021, elle fait valoir :

- que le procès-verbal d'expulsion, le commandement de quitter les lieux et la déchéance du terme de la clause résolutoire sont nuls puisque les consorts [F] n'y ont pas communiqué leur adresse exacte ;

- que les mandats signés en 2018 sont sans aucun effet puisque les consorts [F] n'avaient pas qualité à agir, car la convention d'indivision est caduque faute d'avoir été renouvelée ;

- que son expulsion ne pouvait être poursuivie en application de l'article 10 de la loi du 14 novembre 2020 ;

- que les consorts [F] ne pouvaient diligenter des mesures d' exécution sur le fondement de l'arrêt du 7 juin 2019, celui-ci portant une condamnation au profit de [C] [F] et non des autres indivisaires, et l'intéressé ne saurait agir en qualité de représentant de l'indivision puisque l'indivision conventionnelle n'existe plus ;

- que l'arrêt du 7 juin 2019 n'est pas un titre exécutoire, sa signification étant nulle en raison du caractère erroné de l'adresse, ce qui lui cause un grief indéniable ;

- que la déchéance du terme n'aurait pas dû être prononcée, puisqu'elle a procédé au paiement de la somme de 2361,59 euros en février 2020, alors que la décision de la Cour d'appel n'était pas encore signifiée, ce montant correspondant au règlement de six échéances ;

- que le prix des loyers et charges n'est pas tranché et une procédure est en cours devant la Cour d'appel, si bien qu'il ne peut donc lui être reproché de ne pas avoir respecté les délais accordés par l'arrêt du 7 juin 2019 ;

- que son activité économique a été affaiblie par les mesures de confinement consécutives à l'épidémie de Covid 19, et qu'elle peine à rétablir une bonne situation financière.

Par conséquent, elle demande à la Cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a ordonné la jonction des affaires numéro RG 20/81434, 21/80764, 21/80011 et 21/80762 sous un même numéro RG 20/81434.

Par conclusions du 4 octobre 2021, la Sas BDR et associés, venant aux droits de la SCP Brouard Daude, en tant que mandataire judiciaire de la société La petite chaise, intervenante volontaire, déclare s'associer aux écritures de la société La petite chaise pour voir infirmer le jugement dont appel.

Le 21 septembre 2021, la SCP CBF et associés, en sa qualité d'administrateur de la société La petite chaise, est intervenue volontairement à l'instance devant la Cour.

Par conclusions du 23 septembre 2021, les consorts [F] soutiennent que les actes de procédure contiennent non pas une adresse erronée mais une adresse qui n'a plus cours, qu'ils ont régularisé devant le premier juge leurs adresses respectives par la signification de conclusions, et que cette irrégularité ne saurait être de nature à causer un grief, l'appelante ayant eu connaissance en temps utile des actes de signification et ayant pu introduire les voies de recours appropriées.

Ils affirment que l'absence de renouvellement de la convention d'indivision est sans effet sur la régularité du commandement du 12 août 2020, puisque [C] [F] a fait donation de l'immeuble à ses enfants par acte de donation-partage du 23 décembre 2011, à laquelle s'est ajoutée une convention d'indivision relative à l'exercice des droits indivis en pleine propriété, ayant pour objet de conférer la gérance des biens donnés à [C] [F], et que le commandement de quitter les lieux a été délivré à la requête de ce dernier en sa qualité de mandataire et à la requête de chacun des indivisaires.

Les consorts [F] font valoir :

- que les dispositions de l'article 10 de la loi du 14 novembre 2020 ne sauraient s'appliquer aux loyers et charges dus pour la période antérieure au 17 octobre 2020, l'acquisition de la clause résolutoire ayant été constatée au 2 septembre 2017 et l'expulsion ordonnée par ordonnance du 14 décembre 2017 ;

- que la signification de l'arrêt du 7 juin 2019 est valide, ayant été effectuée à la requête de [C] [F] mais également à la requête de chaque indivisaire ;

- qu aucun grief n'est invoqué ;

- qu'en tout état de cause, l'appelante a pu déférer cet arrêt à la Cour de cassation dans les délais impartis, avant de se raviser ;

- que la débitrice ne justifie pas qu'elle a exécuté en tout point les termes de l'arrêt du 7 juin 2019.

Ils s'opposent à ce que des délais de paiement lui soient accordés, puisqu'il n'appartient pas au juge de l' exécution de modifier le titre sur lequel se fondent les poursuites, et que l'arrêt du 7 juin 2019 avait déjà accordé des délais de paiement au preneur et suspendu l'acquisition de la clause résolutoire à la condition que soient respectés les délais. Ils ajoutent enfin que les difficultés de paiement de la société La petite chaise préexistaient à la pandémie.

Par conséquent, les consorts [F] demandent à la Cour de :

- débouter la Sarl La petite chaise en son appel, ainsi qu'en toutes ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

- condamner la Sarl La petite chaise au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Sarl La petite chaise aux entiers dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022.

MOTIFS

La société La petite chaise soutient que les mandats signés en 2018 sont sans aucun effet puisque les consorts [F] n'avaient pas qualité à agir, puisque la convention d'indivision est caduque faute d'avoir été renouvelée ; elle ajoute que par suite de la caducité de ladite convention le commandement de quitter les lieux et le procès-verbal d'expulsion sont nuls. Il résulte de la lecture de l'acte de donation daté du 23 décembre 2011 (page 8) qu'une convention d'une durée de cinq ans, renouvelable par accord exprès au plus tard un mois avant son expiration, à l'unanimité des indivisaires, soit pour une durée déterminée soit pour une durée indéterminée, prévoyait que [C] [F] se voyait confier la gestion des biens immobiliers et représentait les indivisaires avec notamment le pouvoir d'ester en justice et de façon plus générale de faire le nécessaire dans le cadre de la gestion locative des biens donnés. Cette convention n'a jamais été expressément renouvelée. Mais il sera rappelé qu'elle ne portait que sur l'exercice des droits indivis, et donc sur les pouvoirs de [C] [F] en tant que mandataire, et non pas sur l'indivision proprement dite qui, elle, n'était pas limitée dans le temps. Si au jour de délivrance des deux actes de procédure susvisés [C] [F] avait perdu ses fonctions de gérant, ses quatre filles restaient en indivision.

Le commandement de quitter les lieux daté du 12 août 2020 mentionnait qu'il était dressé sur la demande de [C] [F], d'[E] [F], de [R] [F], de [T] [F] et d'[S] [F], de même que le procès-verbal d'expulsion en date du 19 novembre 2020. C'est en vain que la société La petite chaise soutient que [C] [F] n'avait pas à figurer sur ces actes car ayant perdu sa fonction de gérant. En effet l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 7 juin 2019 ordonnant l'expulsion de la société La petite chaise a été rendu après la date d'expiration de la convention d'indivision, et sur la requête de [C] [F] en qualité de gérant mandataire de l'indivision et de ses quatre filles, et selon l'article R 121-1 alinéa 2 du Code des procédures civiles d' exécution , le Juge de l' exécution ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. En outre, les quatre filles de l'intéressé, qui sont propriétaires indivises du bien, devaient également figurer dans l'acte en tant que requérantes.

L'article 648 2°) du code de procédure civile dispose que tout acte d'huissier doit, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs, comporter, si le requérant est une personne physique, ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance. Le commandement de quitter les lieux et le procès-verbal expulsion susvisés mentionnaient au titre de l'adresse de [C] [F] : [Adresse 8] et concernant celle de ses filles : [Adresse 12]. Dans l'en-tête de leurs conclusions, les intimés ont indiqué leurs adresses respectives, et si celle de [C] [F] est celle susmentionnée, il est précisé que [T] et [S] [F] résident également à cette adresse, alors que [E] [F] demeure à [Localité 13] (38) et [R] [F] à [Localité 14] (34). Les intéressées ne disconviennent pas de ce qu'au jour de la notification des deux actes en cause, elles résidaient bien à ces adresses si bien que celles figurant dans les deux actes sont erronées. La nullité ne saurait être prononcée, s'agissant d'une irrégularité de forme, que pour autant qu'un grief soit retenu, conformément à l'article 114 du Code de procédure civile ; la preuve en fait défaut en l'espèce, et ce d'autant plus que la société La petite chaise a pu assigner les intéressées devant le juge de l' exécution et faire valoir ses contestations.

Pour les mêmes motifs, la demande d'annulation de l'acte de signification de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris a été rejetée à bon droit par le premier juge.

S'agissant de la déchéance du terme, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris avait autorisé la débitrice à s'acquitter de sa dette en 24 mensualités de 361,59 euros en sus du loyer courant à compter du mois de juillet 2019, et l'intéressée déclare dans ses conclusions en avoir réglé six au mois de février 2020 ; à cette date, l'arrêt était déjà signifié et était donc exécutoire. Il est donc démontré que l'appelante n'a pas respecté les délais qui lui avaient été accordés. Par ailleurs la contestation sur le montant proprement dit des loyers, qui, selon la société La petite chaise, fait l'objet d'un débat devant la présente Cour, n'a pas d'incidence sur le fait que le règlement de l'arriéré n'a pas été opéré selon les modalités prévues comme indiqué supra, si bien que la déchéance du terme a été prononcée à bon droit.

Selon l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020,

I.-Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l'article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, du 2° du I de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ou du 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu'elle est prise par le représentant de l'Etat dans le département en application des deux premiers alinéas du III de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 précitée ou du second alinéa du I de l'article L. 3131-17 du code de la santé publique. Les critères d'éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d'affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.

II.-Jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d'intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d' exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée.

Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pratiquer de mesures conservatoires qu'avec l'autorisation du juge, par dérogation à l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d' exécution .

Toute stipulation contraire, notamment toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, est réputée non écrite.

(...).

IV.-Le II s'applique aux loyers et charges locatives dus pour la période au cours de laquelle l'activité de l'entreprise est affectée par une mesure de police mentionnée au I.

Les intérêts ou pénalités financières ne peuvent être dus et calculés qu'à compter de l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du II.

En outre, les procédures d' exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l'encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues jusqu'à la date mentionnée au même premier alinéa.

(...)

VII.-Le présent article s'applique à compter du 17 octobre 2020.

VIII.-Le présent article est applicable à Wallis-et-Futuna, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

Ce texte ne saurait s'appliquer au commandement de quitter les lieux qui est daté du 12 août 2020.

Par ailleurs, les demandes de la société La petite chaise à fin d'octroi de délais de paiement, de suspension des effets de la clause résolutoire et de réintégration dans les locaux ne sont pas reprises dans le dispositif de ses écritures, qui seul saisissent la Cour comme il est dit à l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ces prétentions.

Le jugement est confirmé en l'ensemble de ses dispositions.

La société La petite chaise, qui succombe, sera condamnée au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Statuant dans les limites de l'appel,

- CONSTATE l'intervention volontaire à l'instance de la Sas BDR et associés ès qualités de mandataire judiciaire de la société La petite chaise et de la SCP CBF et associés ès qualités d'administrateur de ladite société ;

- CONFIRME le jugement en date du 14 juin 2021 en toutes ses dispositions ;

- CONDAMNE la société La petite chaise à payer à [C] [F], [E] [F], [R] [F], [T] [F] et [S] [F] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la société La petite chaise aux dépens.