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Décisions

Cass. crim., 10 mai 2023, n° 22-82.177

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Michon

Avocat général :

M. Lagauche

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre

Versailles, 1er prés., du 15 déc. 2020

15 décembre 2020

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 28 septembre 2017, la société [2] a cédé 60 % de sa participation dans sa filiale, la société de conseil en informatique [4], à une société d'investissement.

3. Par décision du 18 juillet 2018, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en oeuvre dans les domaines de l'ingénierie, du conseil en technologies, et des services informatiques, qui auraient débuté en 1989 et se poursuivraient à la date de la requête.

4. Saisi par requête du 24 octobre 2018, le juge des libertés et de la détention a, par ordonnance du 31 octobre suivant, autorisé le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à faire procéder à des visites et saisies dans les locaux notamment de l'entreprise « [2] », visée à trois adresses distinctes, et dans ceux des sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses.

5. Les opérations se sont déroulées le 8 novembre 2018.

6. La société [4] a changé de dénomination sociale le 7 février 2019, pour devenir la société [7].

7. Cette dernière a formé un recours contre le déroulement des opérations.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches

8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième et sixième branches

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté les demandes d'annulation de la société [7], alors :

« 2°/ qu'une visite domiciliaire ne satisfait à l'exigence de proportionnalité découlant de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qu'à la condition de circonscrire précisément le champ de l'enquête et de définir expressément et limitativement les lieux privés et les sociétés visées par la visite ; que le juge qui autorise des opérations de visite et saisie dans les locaux de diverses sociétés est tenu d'identifier précisément chacune d'elles, sauf lorsqu'elles appartiennent au même groupe et sont domiciliées à la même adresse ; qu'ainsi lorsque le juge autorise la visite et saisie dans les locaux d'une société identifiée ou dans celles des sociétés du même groupe domiciliées à la même adresse, le rapporteur général ne peut pratiquer des visites dans des sociétés non visées par l'ordonnance que si elles appartiennent encore au même groupe à la date des opérations ; qu'en considérant que les opérations réalisées dans les locaux de la société [4] devenue [5] étaient régulières, au motif que la société [4] était toujours rattachée à la SA [2] par un lien capitalistique de près de 40% et partageait avec elle la même dénomination, les mêmes locaux parisiens, et la même adresse de messagerie, après avoir constaté que la société [4] « ne faisait plus partie du groupe [2] depuis la cession le 28 septembre 2017 de 60% environ de son capital à la société [1] », le conseiller délégué qui s'est contredit a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que l'Autorité de la concurrence est compétente pour appliquer le droit de la concurrence français et européen sur l'ensemble du territoire français à l'exception de la Polynésie Française et de la Nouvelle Calédonie ; qu'en se bornant à affirmer, pour valider la saisie de documents concernant des marchés étrangers, que le secteur économique visé par l'ordonnance ne se limitait pas au seul territoire national, sans vérifier comme il y avait été invité si l'Autorité de la concurrence n'avait pas excédé sa compétence en recherchant la preuve de pratiques anticoncurrentielles commises à l'étranger, le conseiller délégué a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 450-4, et L. 462-5 du code de commerce, ainsi que des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

6°/ qu'à l'appui de son recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie, les sociétés [5] produisaient non seulement en pièce n° 26 un « fichier Excel listant les documents saisis et identifiés comme relevant du secret des correspondances avocat-client communiqué à l'Autorité de la concurrence le 26 novembre 2018 » mais aussi en pièce n° 46 une clé USB rassemblant toutes les « pièces couvertes par le secret des correspondances avocat-client » non restituées par l'Autorité de la concurrence le 11 décembre 2018 ; qu'en affirmant que la requérante n'avait pas produit et précisé les documents visés dans sa pièce n° 26 et lui paraissant avoir été définitivement saisis de manière illicite, quand ces éléments avaient été produits en totalité en pièce n° 46, le conseiller délégué a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 450-4 du code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

10. Pour rejeter le recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie, l'ordonnance attaquée énonce notamment que la société appelante n'était pas encore devenue [7] au moment des opérations.

11. Le juge ajoute que la SA [2] dispose toujours, depuis le 28 septembre 2017, de près de 40 % du capital de la société [3], devenue [5], et que les deux entreprises, qui faisaient partie du même groupe jusqu'au 28 septembre 2017, partagent la même dénomination, les mêmes locaux parisiens et la même adresse de messagerie.

12. C'est à tort que le juge a fondé sa décision sur la dénomination sociale des sociétés en cause, dès lors que cet élément, pris isolément, est inopérant.

13. Cependant, l'ordonnance n'encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, la société [4] était une filiale opérationnelle de la société [2] à l'époque d'une partie des pratiques visées par la requête ayant justifié l'ordonnance contestée. Elle faisait donc partie d'une entreprise visée par cette dernière, peu important que la composition de son actionnariat ait été modifiée postérieurement.

15. En second lieu, la société [4] occupait des locaux visés par l'ordonnance.

16. Ainsi, le grief doit être écarté.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

17. Le moyen qui se borne à soutenir que le premier président aurait dû rechercher si l'Autorité de la concurrence n'a pas excédé sa compétence en recherchant la preuve de pratiques anticoncurrentielles commises à l'étranger, sans faire valoir que les documents saisis excèdent le champ de l'autorisation de visite, est inopérant en ce qu'il est dirigé non contre l'ordonnance ayant autorisé lesdites visite et saisie mais contre celle statuant sur la régularité de ces opérations.

Mais sur le moyen, pris en sa sixième branche

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

18. Tout jugement, arrêt ou ordonnance doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

19. Pour écarter le moyen de nullité des opérations de visite et de saisie, selon lequel des documents relevant du secret de la correspondance avocat-client auraient été saisis, l'ordonnance retient que la requérante n'a pas produit et précisé les documents qu'elle vise dans la pièce n° 26 et qui lui paraissent avoir été saisis de manière illicite.

20. En se déterminant ainsi, alors que les documents visés ont été communiqués sur une clé USB qui figure en pièce n° 46 du bordereau de communication de pièces des sociétés exposantes, le premier président n'a pas justifié sa décision.

21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la saisie de documents dont il est soutenu qu'ils relevaient de communications avec un avocat dans le cadre de l'exercice des droits de la défense. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'ordonnance susvisée du premier président de la cour d'appel de Versailles, en date du 15 décembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives à la saisie de documents dont il était soutenu qu'ils relevaient de communications avec un avocat dans le cadre de l'exercice des droits de la défense, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.