CRE, cordis, 30 juillet 2009, n° 01-38-09
COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE
Arrêt
sur le différend qui oppose la société SAIPOL à la société RTE EDF Transport, relatif au raccordement de son site industriel de consommation d’électricité au réseau public de transport d’électricité
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Racine
Rapporteur :
M. Laffaille
Avocats :
Me Ravetto, Me Vogel, Me Guillaume, Me Daboussy
Le comité de règlement des différends et des sanctions,
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 2 juin 2009 sous le numéro 01-38-09, présentée par la société SAIPOL, société par actions simplifiée, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro B 328 319 041, dont le siège social est situé 12, avenue George V, 75008 Paris, représentée par son directeur général Monsieur Yves DELAINE, et ayant pour avocat, Maître Paul RAVETTO, cabinet PAUL RAVETTO, 27, avenue de l’Opéra, 75001 Paris.
La Société Agro Industrielle de Patrimoine Oléagineux (ci-après désignée « SAIPOL ») a saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie du différend qui l’oppose à la société RTE EDF Transport (ci-après désignée « RTE »), gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, sur les conditions de raccordement de son site industriel de consommation d’électricité situé sur le territoire de la commune de Grand-Couronne (Seine-Maritime).
Elle expose que si, selon l'arrêté du 4 juillet 2003, le domaine de tension de raccordement de référence de son installation, eu égard à sa puissance de raccordement, relève de la HTA, elle peut, en application de l'article 4 du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, obtenir son raccordement au niveau de tension supérieur du réseau de transport d'électricité en HTB1 avec l'accord du gestionnaire de réseau de transport, les textes relatifs au raccordement au réseau public de transport d'électricité ne prévoyant pas, en pareil cas, l'obligation d'obtenir l'accord du gestionnaire du réseau public de distribution.
La société SAIPOL rappelle que le refus de la société RTE de poursuivre la procédure de raccordement de son installation au réseau public de transport est fondé sur l’opposition de la société Electricité Réseau Distribution France (ci-après désignée « ERDF ») qui résulte elle-même de la « prétendue absence de contraintes techniques particulières » pour un raccordement à un niveau de tension supérieure. Elle estime que ce motif ne répond ni à un impératif lié au bon accomplissement des missions de service public, ni à un motif technique tenant à la sécurité et à la sûreté des réseaux ou à la qualité de leur fonctionnement. Elle soutient qu’en application de l’article 23 de la loi du 10 février 2000, le refus de la société RTE contrevient au principe de l’accès des tiers au réseau.
La société SAIPOL demande, donc, au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie :
- de confirmer que la mise en œuvre de la proposition technique et financière n° 32-2008 du 18 mars 2009 de raccordement au réseau public de transport émanant de la société RTE ne saurait dépendre de la position exprimée par la société ERDF le 2 avril 2009 ;
- en conséquence, de constater que la société SAIPOL ayant formellement accepté la proposition technique et financière n° 32-2008 du 18 mars 2009, la société RTE est définitivement engagée à procéder au raccordement de la société SAIPOL, nonobstant le refus de la société ERDF du 2 avril 2009 ;
- d’enjoindre à la société RTE de procéder au raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport dans les conditions techniques et financières prévues par sa proposition n° 32-2008 du 18 mars 2009, dont le délai de validité doit être considéré comme suspendu pendant la procédure de règlement de différend.
En conséquence, la société SAIPOL demande au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie :
- en premier lieu, d’enjoindre à la société RTE d’adresser à la société SAIPOL la facture de l’acompte de 10 % prévu par la proposition technique et financière n° 32-2008 dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions, sous peine d’une astreinte par jour de retard dont le montant sera fixé par le comité de règlement des différends et des sanctions ;
- en second lieu, d’enjoindre à la société RTE de communiquer à la société SAIPOL le projet de convention de raccordement de son installation dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision du comité de règlement des différends et des sanctions, sous peine d’une astreinte par semaine de retard dont le montant sera fixé par le comité de règlement des différends et des sanctions.
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Vu les observations en défense, enregistrées le 18 juin 2009, présentées par la société RTE EDF Transport (RTE), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 444 619 258, dont le siège social est situé, 1, terrasse Bellini, Tour Initiale, TSA 41000, 92919, Paris La Défense Cedex, représentée par le président du Directoire, Monsieur Dominique MAILLARD, et ayant pour avocat, Maître Joseph VOGEL, cabinet SELAS VOGEL & VOGEL, 30, avenue d’Iéna, 75116 Paris.
La société RTE soutient que sa démarche, consistant à subordonner l’accès au réseau public de transport à l’accord de la société ERDF, est la seule démarche possible au regard du cadre législatif et réglementaire. Elle estime que la demande de la société SAIPOL s’inscrit dans le cadre du décret n° 2003229 du 13 mars 2003 dès lors que son installation est déjà raccordée au réseau public de distribution. Elle soutient qu’aux termes du décret du 13 mars 2003, un raccordement au réseau public de transport peut être aussi envisagé avec l’accord des parties concernées et qu’en l’espèce, le raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport nécessite un accord de la société ERDF.
Elle estime que sa démarche ne peut en aucun cas être qualifiée de refus d’accès au réseau et qu’elle ne porte aucunement atteinte au principe de l’accès au réseau consacré aux niveaux national et communautaire. Elle indique ne s’être jamais opposée à la demande de raccordement au réseau public de transport de la société SAIPOL.
La société RTE soutient que le refus de poursuivre la procédure de raccordement au réseau public de transport émane de la société ERDF et que pour trancher ce différend, il lui paraît indispensable d’attraire la société ERDF à la procédure.
La société RTE demande au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie de :
- constater que la démarche adoptée par la société RTE, consistant à subordonner à l’accord de la société ERDF l’accès de son réseau à un utilisateur dont la tension de référence relève de la HTA, est la seule démarche possible au regard du cadre législatif et réglementaire applicable ;
- constater que le fait de subordonner l’accès de son réseau à l’accord de la société ERDF ne peut en aucun cas être qualifié de refus d’accès au réseau ;
- constater que la démarche adoptée par la société RTE ne porte aucunement atteinte au principe de l’accès au réseau consacré aux niveaux national et communautaire, ce principe n’impliquant pas que l’utilisateur ait le choix du réseau auquel il sera raccordé.
En conséquence, la société RTE demande au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie de :
- rejeter toutes les demandes de la société SAIPOL à l’encontre de la société RTE ;
- donner acte à la société RTE de ce qu’elle ne s’oppose pas à la poursuite de la procédure de raccordement de l’installation de la société SAIPOL ;
- mettre en cause la société ERDF pour déterminer si son opposition à la demande de la société SAIPOL est conforme à la règlementation applicable.
Subsidiairement, si le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie l’estime nécessaire de :
- constater qu’il serait intéressant de soumettre la question à la Commission de régulation de l’énergie, s’agissant de la possibilité d’utiliser en l’espèce les dispositions de l’article 37 de la loi du 10 février 2000 ;
- surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la Commission de régulation de l’énergie prise sur le fondement de l’article 37.
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Vu les observations, enregistrées le 18 juin 2009, présentées par la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro B 444 608 442, dont le siège social est situé 102, terrasse Boieldieu, Tour Winterthur, 92085 Paris La Défense Cedex, représentée par son Directeur Juridique, Madame Marie-Hélène POINSSOT, et ayant pour avocats, Maître Emmanuel GUILLAUME et Maître Simon DABOUSSY, cabinet BAKER & McKENZIE SCP, 1, rue Paul Baudry, 75008 Paris.
La société ERDF soutient que le raccordement au réseau public de transport d’une installation relevant, en application des dispositions du décret du 13 mars 2003, du réseau public de distribution, est « subordonné à l’accord de l’ensemble des parties en cause, à savoir l’utilisateur qui exploite l’installation à raccorder, les gestionnaires du réseau de distribution dont l’installation dépend en principe et le gestionnaire du réseau de transport auquel il est envisagé de raccorder l’installation ».
Elle rappelle que les installations de la société SAIPOL sont raccordées au réseau public de distribution en HTA depuis 1992 et que la demande de la société SAIPOL faite à la société RTE porte sur une puissance de 15 MW. Elle soutient qu’en application du décret du 27 juin 2003, la puissance électrique demandée pour justifier d’un raccordement au réseau public de transport devrait être supérieure à 40 MW et, par ailleurs, qu’aucune contrainte technique particulière ne rend nécessaire le raccordement à ce réseau de l’installation de la société SAIPOL.
La société ERDF soutient que la société RTE a fait une exacte application des textes en subordonnant à son accord le raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport.
Elle soutient que la méconnaissance des dispositions relatives à l’accès des tiers au réseau ne peut lui être reprochée dès lors que les installations de la société SAIPOL sont déjà raccordées au réseau public de distribution.
La société ERDF demande, au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie de rejeter la demande de la société SAIPOL comme non fondée.
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Vu les observations, enregistrées le 2 juillet 2009, présentées par la société SAIPOL, en réponse aux observations des sociétés RTE et ERDF.
La société SAIPOL soutient que le décret du 27 juin 2003 porte sur le premier raccordement au réseau public de transport de toute installation de consommation, notamment lorsque la tension de raccordement de référence de cette installation correspond au domaine HTA, sous la seule réserve de l’accord de la société RTE. Elle ajoute qu’aucune disposition du décret précité ne subordonne à l’accord de la société ERDF un tel raccordement.
Elle soutient que le refus de la société RTE de poursuivre la procédure de raccordement de son installation au réseau public de transport, en raison de l’opposition de la société ERDF, méconnaît les dispositions régissant l’accès des tiers au réseau.
La société SAIPOL persiste dans ses précédentes conclusions.
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Vu les observations, enregistrées le 2 juillet 2009, présentées par la société ERDF, en réponse aux observations de la société RTE.
La société ERDF continue de soutenir que la société RTE a fait une exacte application des textes en refusant que les installations de la société SAIPOL soient raccordées au réseau public de transport, dès lors qu’elle n’avait pas donné son accord à ce raccordement.
Elle indique que la société RTE se trouvait en situation de compétence liée, pour refuser à la société SAIPOL la possibilité de raccorder ses installations directement au réseau public de transport en l’absence d’accord de la société ERDF.
La société ERDF persiste dans ses précédentes conclusions tendant à ce que le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie rejette la demande de la société SAIPOL comme non fondée.
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Vu les observations en duplique, enregistrées le 16 juillet 2009, présentées par la société RTE, en réponse aux observations de la société SAIPOL.
La société RTE continue de soutenir que la demande de raccordement de la société SAIPOL entre nécessairement dans le champ du décret du 13 mars 2003 dès lors que la puissance de raccordement demandée est de 15 MW, peu importe que cette demande lui ait été adressée.
Elle soutient que le droit d’accès au réseau ne signifie pas qu’un utilisateur puisse choisir librement le réseau public auquel il souhaite que son installation soit raccordée.
La société RTE souligne que si la procédure de raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport devait être poursuivie, cette procédure de raccordement ne pourrait être poursuivie que dans les conditions fixées par la documentation technique de référence. Elle ajoute que le délai de trois mois demandé par la société SAIPOL pour communiquer un projet de convention de raccordement de son installation est irréaliste au regard des études techniques détaillées, des commandes de matériels et de travaux, ainsi que des procédures administratives requises.
La société RTE demande au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie de :
- constater que la démarche adoptée par la société RTE, consistant à subordonner à l’accord de la société ERDF l’accès de son réseau à un utilisateur dont la tension de référence relève de la HTA, est la seule démarche possible au regard du cadre législatif et réglementaire applicable ;
- constater que le fait de subordonner l’accès de son réseau à l’accord de la société ERDF ne peut en aucun cas être qualifié de refus d’accès au réseau ;
- constater que la démarche adoptée par la société RTE ne porte aucunement atteinte au principe de l’accès au réseau consacré aux niveaux national et communautaire, ce principe n’impliquant pas que l’utilisateur ait le choix du réseau auquel il sera raccordé.
En conséquence, la société RTE demande au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie de :
- rejeter toutes les demandes de la société SAIPOL à l’encontre de la société RTE ;
- donner acte à la société RTE de ce qu’elle ne s’oppose pas à la poursuite de la procédure de raccordement de l’installation de la société SAIPOL dans les conditions fixées par la documentation technique de référence de la société RTE.
Subsidiairement, si le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie l’estime nécessaire, de :
- constater qu’il serait intéressant de soumettre la question posée dans le cadre du présent litige à la Commission de régulation de l’énergie, s’agissant de la possibilité d’utiliser en l’espèce les dispositions de l’article 37 de la loi du 10 février 2000 ;
- surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la Commission de régulation de l’énergie prise sur le fondement de l’article 37.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, notamment son article 38 ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié, relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu la décision du 20 février 2009, relative au règlement intérieur du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie ;
Vu la décision du 2 juin 2009 du président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la désignation d’un rapporteur et d’un rapporteur adjoint pour l’instruction de la demande de règlement de différend enregistrée sous le numéro 01-38-09 ;
Vu le décret n° 2003-229 du 13 mars 2003 modifié, relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement aux réseaux publics de distribution ;
Vu le décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement au réseau public de transport de l'électricité ;
Vu l’arrêté du 17 mars 2003 modifié, relatif aux prescriptions techniques de conception et de fonctionnement pour le raccordement au réseau public de distribution d’une installation de consommation d’énergie électrique ;
Vu l’arrêté du 4 juillet 2003, relatif aux prescriptions techniques de conception et de fonctionnement pour le raccordement direct au réseau public de transport d’une installation de consommation d’énergie électrique.
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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique du comité de règlement des différends et des sanctions, qui s’est tenue le 30 juillet 2009, en présence de :
Monsieur Pierre-François RACINE, président du comité de règlement des différends et des sanctions,
Madame Dominique GUIRIMAND, Monsieur Jean-Claude HASSAN et Madame Jacqueline RIFFAULTSILK, membres du comité de règlement des différends et des sanctions,
Monsieur Rémy COIN, directeur juridique et représentant le directeur général,
Monsieur Didier LAFFAILLE, rapporteur, Monsieur Mathieu CACCIALI, rapporteur adjoint,
Les représentants de la société SAIPOL, assistés de Maître Paul RAVETTO,
Les représentants de la société RTE, assistés de Maître Joseph VOGEL,
Les représentants de la société ERDF, assistés de Maître Ludovic COUDRAY.
Après avoir entendu :
- le rapport de Monsieur Didier LAFFAILLE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Maître Paul RAVETTO et Monsieur Gabriel KRAPF, pour la société SAIPOL ; la société SAIPOL persiste dans ses moyens et conclusions ; elle indique avoir formé cette demande au regard de projets de développement qu’elle envisage pour le site considéré ; elle ajoute que s’agissant d’un site « Seveso » les réseaux HTA d’alimentation de l’installation seraient conservés et utilisés pour assurer le secours ;
- les observations de Maître Joseph VOGEL et de Madame Brigitte PEYRON, pour la société RTE ; la société RTE persiste dans ses moyens et conclusions ; elle indique que, par application combinée des dispositions de l’article 12, 14 et 18 de la loi du 10 février 2000 et de leurs décrets d’application, le droit d’accès au réseau n’implique pas pour un utilisateur le droit de choisir le réseau public auquel il souhaite raccordé son installation ; elle ajoute que les critères de refus d’accès prévus à l’article 23 de la loi du 10 février 2000 sont fixés en « creux » dans sa documentation technique de référence ;
- les observations de Maître Ludovic COUDRAY, de Madame Isabelle COTTIN et de Monsieur Bruno DOBROWOLSKI, pour la société ERDF ; la société ERDF persiste dans ses moyens et conclusions ; elle indique que le droit d’accès reconnu par la loi du 10 février 2000 n’est pas un droit d’accès aux réseaux de distribution ou de transport.
Aucun report de séance n’ayant été sollicité ;
Le comité de règlement des différends et des sanctions en ayant délibéré le 30 juillet 2009, après que les parties, le rapporteur, le rapporteur adjoint, le public et les agents des services se sont retirés.
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Les faits :
Il ressort des pièces du dossier que la société SAIPOL exploite un site industriel de consommation d’électricité, situé sur le territoire de la commune de Grand-Couronne (Seine-Maritime), d’une puissance de raccordement de 15 MW et d’une puissance maximale de soutirage de 12,5 MW.
Le 19 octobre 2007, ladite société a demandé à la société RTE une étude exploratoire pour le raccordement de son installation au réseau public de transport.
Le 29 février 2008, la société RTE a communiqué cette étude à la société SAIPOL, en précisant que dans la mesure où le domaine de tension de raccordement de référence relevait de la HTA, ce raccordement ne pouvait être envisagé qu’avec l’accord de la société ERDF, gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité sur la commune de Grand-Couronne.
Le 15 décembre 2008, la société SAIPOL a demandé à la société RTE le raccordement de son site industriel, par l’intermédiaire d’un poste électrique de 90 kV, au réseau public de transport d’électricité, dans la perspective de l’implantation d’une centrale électrique à partir de biomasse d’une puissance de 9 MW.
Le 30 décembre 2008, la société RTE a sollicité la société ERDF en vue du raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport d’électricité, demande à laquelle la société ERDF a opposé un refus le 30 janvier 2009.
Le 18 mars 2009, la société RTE a communiqué à la société SAIPOL une proposition technique et financière pour le raccordement de son site industriel au réseau public de transport par une liaison souterraine à 90 kV en antenne, d’environ 550 mètres, entre le poste de livraison « SAIPOL » et le poste du réseau public de transport « GRAND-COURONNE ». Cette proposition a évalué le montant des travaux de raccordement à 683.900 € HT et prévu une durée de 27 mois pour leur réalisation. La société RTE a indiqué à la société SAIPOL que la tension de raccordement de référence relevait du domaine de tension HTA, qu’en application du dernier alinéa de l’article 3 du décret du 13 mars 2003, le raccordement du site industriel au réseau public de transport pouvait être envisagé « avec l’accord des parties concernées, à savoir votre société, RTE et ERDF » et qu’il appartenait à la société SAIPOL de « rechercher auprès d’ERDF l’accord prévu par le décret ».
Le 19 mars 2009, la société SAIPOL a demandé à la société ERDF, en sa qualité de gestionnaire du réseau public de distribution de la commune de Grand-Couronne, l’autorisation de procéder à un raccordement au réseau public de transport d’électricité.
Le 2 avril 2009, la société ERDF a informé la société SAIPOL qu’elle refusait le raccordement du site industriel au réseau public de transport, au motif que « la puissance électrique demandée pour justifier d’un raccordement au réseau public de transport devrait être supérieure à 40 MW » et qu’« il n’existe pas de contrainte technique particulière qui rendent nécessaire le raccordement […] à un niveau de tension supérieur ».
Le 30 avril 2009, la société SAIPOL a dûment signé la proposition technique et financière relative au raccordement de son site industriel au réseau public de transport d’électricité et a retourné un original de cette proposition à la société RTE, le 6 mai 2009.
La 30 avril 2009, la société RTE a demandé à la société ERDF de motiver son refus de raccorder l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport d’électricité, sur le « fondement de critères objectifs, non discriminatoires et publiés, nonobstant le caractère dérogatoire de la demande initiale de raccordement ».
Le 18 mai 2009, la société SAIPOL a demandé à la société RTE la transmission de la demande d’acompte de 10 % du montant de la proposition technique et financière, pour valider le schéma de raccordement et permettre la poursuite de la procédure de raccordement.
Considérant que le gestionnaire du réseau public de transport n’avait pas accédé à sa demande, la société SAIPOL a saisi le 2 juin 2009, le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie d’une demande de règlement du différend qui l’oppose à RTE sur les conditions de raccordement de son site industriel au réseau public de transport.
Le 3 juin 2009, la société ERDF a indiqué à la société RTE que l’« application de la réglementation, qui est très claire, ne pose en l’espèce, aucune difficulté et justifie à elle seule le refus d’ERDF » et que le « raccordement de SAIPOL au RPT conduirait à une redondance inutile des ouvrages d’alimentation électrique de la zone […] » laquelle serait « contraire aux missions de service public confiées au distributeur et comportant le développement rationnel du réseau ».
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Sur le cadre juridique du litige
La société SAIPOL demande au comité de règlement des différends et des sanctions de confirmer que la mise en œuvre de la proposition technique et financière du 18 mars 2009 de raccordement au réseau public de transport doit être poursuivie sur le seul fondement du décret n° 2003-588 du 27 juin 2008 relatif au raccordement au réseau public de transport et ne saurait par conséquent être subordonnée à l’accord de la société ERDF.
Aux termes du II de l’article 2 de la loi du 10 février 2000 susvisée : « La mission de développement et d’exploitation des réseaux publics de transport et de distribution consiste à assurer : 1° - La desserte rationnelle du territoire […] 2° Le raccordement et l’accès, dans des conditions non discriminatoires, aux réseaux publics de transport et de distribution. » Les décrets nos 2003-229 du 13 mars 2003 et 2003-588 du 27 juin 2003 , qu’il y a lieu d’examiner ensemble, ainsi que les arrêtés des 17 mars 2003 et 4 juillet 2003 pris respectivement pour leur application, ont défini les critères permettant de rattacher de manière rationnelle et non discriminatoire une demande de raccordement à la compétence soit du gestionnaire du réseau de transport soit du gestionnaire du réseau de distribution.
En l’espèce, selon les tableaux inclus respectivement à l’article 2 du décret n° 2003-229 du 13 mars 2003 et à l’article 2 du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, les tensions de raccordement supérieures à 50 kV (en courant alternatif) relèvent du domaine de tension HTB et, donc, du réseau de transport. Il résulte de l’article 3 de l’arrêté du 17 mars 2003 modifié, pris en application du décret n° 2003-229 du 13 mars 2003, comme de l’article 4 de l’arrêté du 4 juillet 2003, pris en application du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, que la puissance de raccordement d’une installation de consommation doit normalement être supérieure à 40 MW pour être raccordée dans le domaine de tension en HTB et, donc, au réseau public de transport.
Une telle réglementation, qui fait obstacle à ce qu’un utilisateur choisisse librement le réseau auquel il entend être raccordé, met en œuvre des critères objectifs et non discriminatoires, conformément aux principes dégagés par la Cour de justice des Communautés européennes, interprétant l’article 20 de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, dans son arrêt du 9 octobre 2008 relatif à l’affaire C-239/07, Julius Sabatauskas, pour admettre que les Etats membres gardent une marge de manœuvre afin d’orienter les utilisateurs de réseaux vers tel ou tel type de réseau.
Or la puissance de l’installation de la société SAIPOL faisant l’objet du litige n’excède pas 15 MW. Par conséquent, sa demande ne peut normalement être satisfaite que dans le domaine de tension HTA, dès lors que tout raccordement à un réseau public, de transport ou de distribution, doit se faire dans le domaine de tension égal ou inférieur à la tension de référence de l’installation de l’utilisateur, ainsi qu’il résulte expressément de l’article 3 du décret n° 2003-229 du 13 mars 2003 et de l’article 4 du décret n° 2003-588 du 27 juin 2008 .
En son article 1er, le décret n° 2003-229 du 13 mars 2003 relatif aux raccordements au réseau public de distribution dispose qu’ « il s’applique aux installations devant faire l’objet d’un premier raccordement à un réseau public de distribution, en basse tension ou en HTA, ou qui font l’objet de modifications de leurs caractéristiques électriques justifiant une nouvelle convention de raccordement » .
Or la société SAIPOL est actuellement raccordée au réseau public de distribution ; sa demande, qui implique des modifications des caractéristiques électriques de ses installations, doit donc être traitée dans le cadre défini par le décret du 13 mars 2003 relatif au raccordement au réseau public de distribution.
S’il est vrai qu’en son dernier alinéa, l’article 3 de ce même décret dispose que : « un raccordement […] au réseau public de transport peut être aussi envisagé avec l’accord des parties concernées », en l’espèce, la société RTE, gestionnaire du réseau public de transport, saisie d’une demande de raccordement au réseau public de transport d’une installation de consommation raccordée au réseau public de distribution et faisant l’objet de modifications de ses caractéristiques électriques justifiant une nouvelle convention de raccordement, avait l’obligation, comme elle l’a fait pour la société SAIPOL, d’instruire la demande de raccordement en recherchant l’accord du gestionnaire du réseau public de distribution concerné qui est la société ERDF.
Sur la validité des motifs de refus opposés par ERDF
Sauf à justifier des motifs pour lesquels elle estime ne pas devoir y donner suite, le fait pour la société ERDF de ne pas donner son accord a pour effet de conduire à un refus d’accès au réseau public de transport, alors même qu’en l’occurrence, le raccordement au réseau de transport n’est pas incompatible avec la notion d’accès efficace au réseau.
Or, un tel refus ne peut être motivé que dans les conditions prévues par les dispositions de l’article 23 de la loi du 10 février 2000 aux termes duquel : « […] tout refus de conclure un contrat d’accès aux réseaux publics est motivé et notifié au demandeur et à la Commission de régulation de l’énergie. Les critères de refus sont objectifs, non discriminatoires et publiés et ne peuvent être fondés que sur des impératifs liés au bon accomplissement des missions de service public et sur des motifs techniques tenant à la sécurité et la sûreté des réseaux, et à la qualité de leur fonctionnement […] ».
Pour refuser le raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport d’électricité, la société ERDF se borne à indiquer, d’une part, que la puissance électrique demandée pour justifier d’un tel raccordement devrait être supérieure à 40 MW et, d’autre part, qu’aucune contrainte technique particulière pouvant rendre nécessaire le raccordement de l’installation envisagée au réseau public de transport n’a été observée.
De tels motifs ne sont pas au nombre de ceux qui sont expressément et limitativement prévus par les dispositions précitées de l’article 23 de la loi du 10 février 2000.
Au surplus, ils n’ont pas été notifiés à la Commission de régulation de l’énergie, ni publiés, conformément aux dispositions de l’article 23 de la loi du 10 février 2000.
Sur l’engagement définitif de la société RTE à procéder au raccordement de l’installation de la société SAIPOL
La société SAIPOL ayant formellement accepté la proposition technique et financière, elle demande au comité de règlement des différends et des sanctions de constater que la société RTE doit procéder au raccordement de son installation.
La société RTE demande, pour sa part, qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle ne s’oppose pas à la poursuite de la procédure de raccordement de l’installation de la société SAIPOL.
La proposition technique et financière a été signée par la société RTE le 18 mars 2009 sous réserve que la société SAIPOL obtienne l’accord de la société ERDF durant la période de validité de cette proposition, et par la société SAIPOL le 30 avril 2009.
Le refus de la société ERDF n’étant pas recevable et la société RTE ne s’opposant pas à la poursuite de la procédure, il y a lieu d’inviter cette dernière à poursuivre l’instruction de la demande de raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport dans les termes de la proposition technique et financière du 18 mars 2009.
Sur la demande de la société SAIPOL tendant à ce que la société RTE procède au raccordement au réseau public de transport d’électricité
La société SAIPOL demande au comité de règlement des différends et des sanctions d’enjoindre la société RTE de procéder au raccordement de son installation au réseau public de transport dans les conditions prévues par la proposition technique et financière du 18 mars 2009.
Aux termes de l’article 38 de la loi du 10 février 2000, « en cas de différend entre les gestionnaires et utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité […] lié à l’accès auxdits réseaux […] ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d’accès ou de désaccord sur la conclusion, l’interprétation ou l’exécution des contrats et protocole visés […] à l’article 23 de la présente loi […], la Commission de régulation de l’énergie peut être saisie par l’une ou l’autre des parties. […] Sa décision est motivée et précise les conditions d’ordre technique et financier de règlement du différend ».
Il résulte des dispositions de l’article 38 de la loi du 10 février 2000 que le comité de règlement des différends et des sanctions est compétent pour préciser les conditions techniques et financières de règlement du différend relatif à l’accès au réseau public d’électricité, opposant un utilisateur à un gestionnaire de réseau public. Toutefois, il ne lui appartient pas d’enjoindre au gestionnaire du réseau public de transport de procéder au raccordement de l’installation de la société SAIPOL alors même qu’aucune convention de raccordement n’a encore été signée.
La demande de la société SAIPOL devra, donc, être rejetée.
Sur la durée de validité de la proposition technique et financière
La société SAIPOL demande au comité de règlement des différends et des sanctions de constater que la durée de validité de la proposition technique et financière doit être prolongée pendant la procédure de règlement de différend.
Une telle demande est sans objet dès lors que la société RTE ne s’oppose pas à la poursuite de la procédure de raccordement de l’installation de la société SAIPOL, ce dont il lui sera donné acte.
Sur la transmission par la société RTE de la demande d’acompte de 10 % prévue par la proposition technique et financière
La société SAIPOL demande au comité de règlement des différends et des sanctions d’enjoindre la société RTE de lui transmettre la demande d’acompte de 10 % prévue par la proposition technique et financière dans un délai de huit jours à compter de la notification de la décision, sous peine d’une astreinte par jour de retard dont le montant est à fixer.
Dès lors qu’il appartient à la société RTE de poursuivre l’instruction de la demande de raccordement de l’installation de la société SAIPOL au réseau public de transport dans les termes de la proposition technique et financière du 18 mars 2009, il y a lieu d’inviter la société RTE à transmettre à la société SAIPOL dans un délai d’un mois, la demande d’acompte de 10 %.
Toutefois, il ne lui appartient pas dans les circonstances de l’espèce de prononcer une astreinte par jour de retard.
Sur la transmission par la société RTE d’un projet de convention de raccordement
La société SAIPOL demande au comité de règlement des différends et des sanctions d’enjoindre la société RTE de lui communiquer le projet de convention de raccordement de son installation dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision, sous peine d’une astreinte par semaine de retard dont le montant est à fixer.
Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’il n’appartient pas au comité de règlement des différends et des sanctions de prononcer une astreinte.
S’agissant de la communication d’un projet de convention de raccordement dans un délai de trois mois, il appartiendra à la société RTE, conformément à l’article 4-1 de la proposition technique et financière, et à sa documentation technique de référence, de transmettre une convention de raccordement à la société SAIPOL dès qu’elle sera en mesure d’établir le montant forfaitaire du raccordement mis à la charge du client.
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DÉCIDE :
Article 1er. – A défaut pour la société Electricité Réseau Distribution France d’avoir opposé à la demande de raccordement de l’installation de la Société Agro Industrielle de Patrimoine Oléagineux au réseau public de transport d’électricité un refus légalement motivé, la société RTE EDF Transport doit poursuivre l’instruction de cette demande de raccordement dans les termes de la proposition technique et financière du 18 mars 2009.
Article 2. – La société RTE EDF Transport adressera à la Société Agro Industrielle de Patrimoine Oléagineux, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, la demande d’acompte de 10 % prévue par la proposition technique et financière.
Article 3. – Le surplus des conclusions de la Société Agro Industrielle de Patrimoine Oléagineux et les conclusions de la société RTE EDF Transport et de la société Electricité Réseau Distribution France est rejeté.
Article 4. – La présente décision sera notifiée à la Société Agro Industrielle de Patrimoine Oléagineux, à RTE EDF Transport et à Electricité Réseau Distribution France. Elle sera publiée au Journal officiel de la République française.