CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 18 septembre 2013, n° 12/03337
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
OLLIVIER
Défendeur :
AGENCE CHEVAL DE FRANCE (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Benjamin RAJBAUT
Conseillers :
Madame Brigitte CHOKRON, Madame Anne-Marie GABER
Avocats :
SELARL 2H, Me Catherine DE GOURCUFF, Me Ingrid-Méry HAZIOT, Me Jacqueline LEVY
Vu l'appel interjeté le 22 février 2012 par Dominique OLLIVIER, du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 26 janvier 2012 ;
Vu les dernières conclusions de Dominique OLLIVIER, appelant, signifiées le 8 avril 2013 ;
Vu les dernières conclusions de la société AGENCE CHEVAL DE FRANCE (SARL), intimée, signifiées le 16 avril 2013 ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 23 avril 2013 ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties ;
Qu'il suffit de rappeler que Dominique OLLIVIER, auteur spécialisé dans l'art équestre, a signé le 5 février 2003 avec la société AGENCE DU CHEVAL DE FRANCE, ci-après la société ACF, une petite maison d'édition dédiée à l'univers du cheval, créée en 2000, un contrat d'édition portant sur un 'Dictionnaire d'Equitation' dont la première édition a été publiée en novembre 2003 ;
Qu'ayant constaté, dès le début de l'exploitation de l'ouvrage, que l'éditeur communiquait des comptes incomplets avec un retard systématique de 2 ans, il lui fit rappeler en janvier 2006, par l'intermédiaire de la SGDL, ses obligations et, ayant en outre découvert que l'ouvrage était indisponible sur le site de librairie en ligne 'Amazon.fr', il lui demanda des explications par une lettre du 17 décembre 2008 restée sans réponse ;
Que, dans ces circonstances, Dominique OLLIVIER a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris la société ACF, suivant acte du 8 juin 2010, aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat du 5 février 2003 pour manquement par l'éditeur à ses obligations d'exploitation permanente et suivie et de reddition des comptes et subséquemment, une mesure d'interdiction, de mise au pilon de l'ouvrage, outre la condamnation de l'éditeur à lui verser 30.000 euros de dommages-intérêts ;
Que le tribunal, par le jugement dont appel, a retenu que l'ouvrage avait été normalement exploité, que les comptes avaient été rendus et les droits d'auteur payés, certes avec un retard récurrent de 8 à 12 mois, qui ne justifiait pas toutefois la résiliation du contrat mais un dédommagement à hauteur de 1000 euros, a par ailleurs débouté la société ACF de sa demande reconventionnelle en paiement de 40.000 euros de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et atteinte à son image et l'a condamnée à verser à Dominique OLLIVIER 2000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Que devant la cour, Dominique OLLIVIER maintient ses prétentions telles que soutenues en première instance et fait valoir que la gravité des manquements de l'éditeur justifie la résiliation du contrat à ses torts et griefs outre sa condamnation à réparer le préjudice qui lui a été causé, tout particulièrement au plan moral, tandis que la société intimée, pour conclure au rejet de telles demandes, se prévaut des investissements importants qu'elle a consentis pour réaliser un très bel ouvrage et en assurer une promotion constante, soutient avoir accompli ses obligations et avoir en particulier assuré, avec un volume de stocks suffisant, une exploitation permanente et suivie, persiste, par voie d'appel incident, en sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts, faisant grief à Dominique OLLIVIER de monter en épingle le moindre incident et de rechercher délibérément la rupture du contrat de manière à promouvoir sa propre maison d'édition créée en 2009 ;
Sur l'obligation d'exploitation permanente et suivie,
Considérant que selon les dispositions de l'article L.132-12 du Code de la propriété intellectuelle, l'éditeur est tenu d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale conformément aux usages de la profession ;
Considérant que l'auteur indique à cet égard que l'ouvrage n'a fait l'objet que de deux publicités, effectuées en 2004 dans les revues spécialisées 'Sabots' et 'L'éperon', qu'il n'est pas offert à la vente sur les sites de librairie en ligne 'Fnac' et 'Chapitre', qu'il est indiqué 'indisponible' sur le site 'Amazon.fr', qu'il n'était pas exposé sur les stands du Salon 'Cheval Passion' de 2006, que de nombreuses commandes de lecteurs n'ont pas été honorées par l'éditeur et qu'il s'infère de l'ensemble de ces éléments que l'éditeur a failli à son obligation d'exploitation permanente et suivie ;
Considérant que la cour relève à l'instar du tribunal que l'ouvrage en cause est particulièrement soigné, relié, revêtu d'une couverture noire en quadrichromie, illustré de dessins et de photographies d'une belle qualité esthétique ;
Considérant que les pièces de la procédure établissent au demeurant un coût de fabrication et de réalisation important, de l'ordre de 17 720 euros HT pour un tirage de 2156 exemplaires (le contrat d'édition prévoyant un tirage minimum de 2000 exemplaires) et indiquent un prix unitaire de vente au public de 35 euros TTC ;
Considérant qu'il importe de souligner par ailleurs que la teneur de l'ouvrage atteste d'une très haute érudition qui n'est à la portée que d'un public très restreint de spécialistes de l'instruction équestre et du dressage ;
Considérant qu'au regard de ces éléments, le volume des ventes sur la période de 2004 à 2012 (592 exemplaires dont 59 vendus en 2010 après 7 ans d'exploitation )est satisfaisant et stable, tandis que le volume des exemplaires en stock (1466 au 31 décembre 2012) est apte à satisfaire durablement les commandes d'un ouvrage qui est insensible compte tenu de son caractère savant aux phénomènes de mode et qui est ainsi appelé à connaître une longue période d'exploitation ;
Considérant qu'il résulte de ces chiffres que la diffusion de l'ouvrage a été correctement assurée et que l'éditeur a rempli son obligation d'exploitation permanente et suivie ainsi que l'a estimé à raison le tribunal ;
Considérant que force est de relever que les attestations de lecteurs produites par l'appelant pour contester la conclusion précitée, outre que leur valeur probante est sujette à caution, aucune n'étant conforme aux dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, sont toutes datées du début de l'année 2006 et font état de faits remontant à 2004, tout au plus révélateurs d'une situation ponctuelle, l'un de ces lecteurs, M. BOIVIN, écrivant le 28 août 2011, que les difficultés exposées en 2006 'sont rentrées dans l'ordre depuis longtemps (...)l'ouvrage est devenu accessible dans le commerce et dans les salons équestres' ;
Considérant que c'est vainement que l'appelant reproche à l'éditeur de ne pas avoir été présent au Salon 'Cheval Passion' de 2006, les pièces de la procédure justifiant de sa participation constante au Salon du Cheval de Paris , au Salon du Cheval d'Albi, au Festival Equestre de Tarbes, au Salon Agricole de Paris , au Salon du Cheval de Montpellier, au Salon du Cheval de Lyon, au Salon du Cheval d'Avignon, et attestant ainsi d'une action promotionnelle régulière et soutenue ;
Considérant qu'il est par ailleurs établi que l'ouvrage est référencé à la FNAC depuis le 29 janvier 2004, un courrier des services du référencement de la FNAC en date du 26 août 2011 indiquant en outre qu'il est proposé à la vente sur le site de vente en ligne et qu'il ressort encore de la procédure que l'ouvrage figure sur les catalogues de librairies spécialisées à tout le moins depuis 2007 : CAVALIVRES ( Paris ) , LIBREST (grossiste/distributeur) , CHEVAL ET SOLEIL (Perthuis), LIBRAIRIE SAURAMPS (Montpellier), LIBRAIRIE DECITRE (Lyon), ACTES SUD (Arles) et qu'en l'état de l'ensemble de ces éléments, l'auteur ne saurait sérieusement mettre en cause les conditions de diffusion de l'ouvrage ;
Considérant qu'il suit de ces observations que les griefs avancés par l'auteur pour contester l'exécution par l'éditeur de l'obligation d'exploitation permanente et suivie ne sont pas fondés et que le jugement doit être confirmé sur ce point ;
Sur l'obligation de reddition des comptes,
Considérant que selon les articles L.132-13 et L.132-14 du Code de la propriété intellectuelle, l'éditeur est tenu de rendre compte et est tenu de fournir à l'auteur toutes justifications propres à établir l'exactitude de ses comptes ;
Considérant que le contrat d'édition stipule en l'espèce à l'article 14 que les comptes annuels sont établis au terme des trois mois suivant l'inventaire effectué le 1er janvier et sont tenus à la disposition de l'auteur à partir du début du quatrième mois (avril) et qu'après acceptation du compte, le versement des droits est effectué au début du quatrième trimestre de l'année civile;
Considérant que la cour relève à l'instar du tribunal que les droits d'auteur, dont le montant n'est pas contesté, ont été payés par chèque, le 12 février 2006 pour l'année 2004, le 29 décembre 2006 pour l'année 2005, 31 mars 2008 pour 2006, le 10 avril 2009 pour l'année 2007, en mai 2010 pour l'année 2008, le 1er décembre 2010 pour l'année 2009 ;
Considérant que si les retards sont minimisés par l'éditeur (ils ne seraient selon lui que de 3 à 5 mois) force est de constater qu'ils ne sont pas contestés et qu'ils présentent en toute hypothèse un caractère systématique qui est de nature à aggraver le manquement de l'éditeur à ses obligations ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que la résiliation du contrat d'édition n'est pas justifiée dès lors que l'exploitation permanente et suivie de l'ouvrage est assurée dans des conditions satisfaisantes et que le paiement des droits d'auteur est effectué ;
Considérant toutefois que le retard accusé dans le paiement des droits est préjudiciable à l'auteur et doit être réparé par l'allocation d'une somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts, le montant de 1000 euros retenu par le tribunal étant insuffisant au regard du caractère systématique des retards observés sur la période des cinq années suivant la publication de l'ouvrage ;
Sur la demande reconventionnelle,
Considérant que pour demander à titre reconventionnel 40.000 euros de dommages-intérêts la société ACF n'invoque pas de fait précis et se borne à faire valoir que Dominique OLLIVIER aurait 'monté en épingle' des griefs et se serait livré à une concurrence déloyale en créant sa propre maison d'édition spécialisée dans le domaine équestre ;
Or considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que les griefs avancés par Dominique OLLIVIER ne sont pas tous dénués de fondement ;
Qu'en outre, la création d'une maison d'édition concurrente par l'auteur ne présente en l'espèce aucun caractère fautif au regard du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande comme mal fondée;
Considérant que l'équité ne commande pas de faire droit aux demandes respectivement formées au titre des frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS:
Confirme le jugement déféré sauf sur le montant des dommages-intérêts,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société ACF à payer à Dominique OLLIVIER la somme de 3000 euros à titre de dommages-intérêts,
Condamne la société ACF aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile .