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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 2 mars 2023, n° 22/06085

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Cactus Groupe (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pruvost

Conseillers :

Mme Lefort, M. Trarieux

Avocats :

Me Abbou, Me Vial

JEX Paris, du 17 févr. 2022, n° 21/81823

17 février 2022

Déclarant agir en vertu d'une ordonnance sur requête rendue par le juge de l'exécution le 25 mars 2021, la société Cactus Groupe a, le 4 juin 2021, dressé deux procès-verbaux de saisie conservatoire entre les mains de la société CIC et de la Société Générale, et à l'encontre de la SARL [D], pour avoir sûreté de la somme de 61 818,81 euros en principal ; lesdites saisies conservatoires ont été dénoncées à la débitrice le 10 juin 2021.

Celle-ci les ayant contestées devant le juge de l'exécution de Paris, ce dernier a, par jugement en date du 17 février 2022 :

- dit n'y avoir lieu à en ordonner la mainlevée ;

- maintenu ces saisies conservatoires pour conservation de la somme de 37 513,32 euros ;

- condamné la SARL [D] au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SARL [D] aux dépens.

Selon déclaration en date du 22 mars 2022, la SARL [D] a relevé appel de ce jugement.

En ses conclusions notifiées le 9 mai 2022, elle a exposé :

- qu'elle exerçait une activité de garage, dans un immeuble sis [Adresse 1], les locaux étant mis à sa disposition par la SCI de l'immeuble avenue d'Italie ;

- qu'à la suite des travaux portant sur la ligne n° 14 du métro, l'accès au garage a été condamné, si bien que ladite SCI lui a permis d'organiser des événements dans ces locaux ;

- que M. [B], président de la société Cactus Groupe, se trouvait sur place, et une activité de coworking a été développée, outre la mise à disposition de places de parking ; que chaque événement ou client apporté par la société Cactus Groupe à la SARL [D] entraînait le versement d'une somme équivalente à 30 % du chiffre d'affaires ;

- que la société Cactus Groupe avait toutefois développé des événements à son nom, personnellement, en encaissant les sommes dues au titre des prestations, de la part des plateformes numériques ; qu'il avait été convenu que la société Cactus Groupe lui reverserait 70% des sommes ; que malgré cela, l'intéressée a encaissé des loyers sans lui en reverser aucune ;

- que la société Cactus Groupe avait émis des factures sans fondement ;

- que la somme de 25 440,45 euros reste due par elle à ce jour ;

- qu'aucun contrat susceptible de fonder la demande de la société Cactus Groupe n'a été signé, le seul accord existant étant celui selon lequel elle lui reverserait 30 % du chiffre d'affaires ;

- que contrairement à ce qu'elle avance, la société Cactus Groupe n'a pas réalisé de prestations informatiques et de création de supports de communication ;

- qu'elle a d'ores et déjà été payée des sommes dues au titre du partenariat avec plusieurs plateformes numériques ;

- que les factures sont contestées, et la société Cactus Groupe lui a adressé plusieurs mises en demeure portant sur des sommes différentes ;

- qu'elle a intenté à son encontre une action au fond devant le Tribunal de commerce de Paris, mais l'affaire a été radiée le 3 septembre 2021 ;

- qu'il n'existe aucun péril sur le recouvrement de la prétendue créance.

La SARL [D] a en conséquence demandé à la Cour d'infirmer le jugement et de :

- ordonner la mainlevée des saisies conservatoires sous astreinte journalière de 200 euros ;

- condamner la société Cactus Groupe au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux dépens.

Dans ses conclusions notifiées le 9 janvier 2013, la société Cactus Groupe a répliqué :

- qu'elle avait été contactée par la SARL [D] pour que lui soit proposée une utilisation des locaux, d'une superficie de 22 000 m², permettant une rentabilité financière ;

- qu'elle avait proposé de scinder ces locaux en deux parties, l'une en espace de coworking, l'autre en places de parking ;

- qu'elle avait accompli un travail important, à savoir la décomposition des lieux, les aménagements à réaliser, la politique commerciale, l'analyse financière, une étude détaillée, la création de cinq studios d'enregistrement, la signalétique, l'aménagement des locaux, l'ameublement, la mise en place de moyens de paiement, ainsi que la création de sites internet et de logos ;

- que la SARL [D] a validé cette étude, mais a refusé de signer des contrats écrits et a rompu toute relation avec elle, pour ensuite ne pas réagir à la suite des mises en demeure qui lui ont été adressées le 28 février 2020 et le 25 janvier 2021 ;

- que l'appelante reste redevable de la somme de 68 534,81 euros au titre de plusieurs factures ;

- que pour sa part, elle a refusé d'opérer les compensations invoquées par la SARL [D] ;

- qu'il existe bien une créance paraissant fondée en son principe ; que cela est démontré par le fait que l'appelante a sollicité une proposition amiable ;

- qu'est mis en évidence un péril sur le recouvrement de son dû, car en 2017 les pertes enregistrées par la débitrice ont été supérieures au chiffre d'affaires, tandis qu'elle n'a pas publié ses comptes au titre des autres années ;

- que les saisies conservatoires querellées n'ont d'ailleurs permis d'appréhender que des sommes réduites, à savoir 943 euros et 4 516,30 euros.

Formant appel incident, la société Cactus Groupe a demandé à la Cour de :

- infirmer le jugement sur le montant à hauteur duquel les saisies conservatoires sont opérées ;

- débouter la SARL [D] de ses prétentions ;

- la condamner au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux dépens, en ce compris les frais et honoraires perçus par l'huissier de justice au titre des saisies conservatoires.

MOTIFS

L'article R 512-1 du Code des procédures civiles d'exécution énonce que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.

S'agissant de la créance paraissant fondée en son principe, il résulte des pièces produites que :

- la SCI de l'immeuble [Adresse 1] a, selon acte sous seing privé du 1er octobre 2016, mis à la disposition de la SARL [D] les locaux susvisés, d'une superficie de plus de 22 000 m² ;

- la société Cactus Groupe a été sollicitée par la SARL [D] à compter du mois de janvier 2017, laquelle souhaitait lui faire produire un rendement important ;

- un contrat de partenariat a été conclu le 30 octobre 2017 entre la société Zenpark, la SARL [D] et la société Cactus Groupe, par lequel la première mettait à disposition de ses partenaires une solution de parking partagé, comprenant un kit d'équipements matériels, une plateforme logicielle d'exploitation, un espace web, des sites, etc ; en contrepartie les partenaires mettaient à sa disposition des places de parking prêtes à l'emploi ;

- le 26 octobre 2017 a été régularisé un contrat de prestation digitale exploitants entre la société Néopark, la SARL [D] et la société Cactus Groupe ; il y était mentionné que la société Néopark exploitait une série de sites web et mobiles et mettait à la disposition des autres parties une plateforme ; le système de répartition des commissions prévoyait que le prestataire recevrait 20 % de leur montant, la SARL [D] 70 %, et la société Cactus Groupe 10 % ;

- un procès-verbal de constat en date du 23 septembre 2019 démontre qu'une activité de coworking a été mise en place au [Adresse 1], avec possibilité de profiter de bureaux partagés au mois (espaces de travail, salles de meeting, studios, services divers) ;

- un certain nombre de factures ont été émises par la société Cactus Groupe à l'attention de la SARL [D] au titre de créations de graphiques 4 visuels, d'installation de serveurs, de la mise en place d'une infrastructure (en ce compris l'ameublement, l'étude de l'infrastructure réseau informatique, la création du site web, la phase de commercialisation, l'installation des serveurs, la charte graphique, le développement du système informatique pour la logistique, la formation de gardiens, le partenariat pour un co-working) ;

- la SARL [D] n'a réglé qu'une partie de ces factures ;

- le 2 janvier 2019, celle-ci a adressé un message électronique à la société Cactus Groupe avec la mention 'vu avec M. [D] ce matin, vos factures seront mises en paiement ce mercredi' ;

- bien qu'ayant utilisé les sites web, la SARL [D] s'est refusée à régler le solde des factures, qui continuaient à lui être envoyées au mois de mars 2019, date à laquelle les relations entre les parties se sont rompues, la SARL [D] mettant même la société Cactus Groupe en demeure de quitter les lieux ;

- au mois d'octobre 2019, la société Cactus Groupe a reproché à la SARL [D] de ne pas régler les sommes dues, lesquelles s'élevaient à plus de 70 000 euros, et d'avoir refusé de régulariser des conventions écrites ; et le 28 février 2020 une mise en demeure lui a été adressée, dans laquelle le paiement de la somme de 82 643,51 euros lui était réclamé.

Au vu de ces énonciations il est clair que la société Cactus Groupe a réalisé des prestations pour le compte de la SARL [D], la réalité de son activité étant en outre confirmée par une attestation rédigée par M. [C]. C'est donc de façon critiquable que le 26 février 2019, la SARL [D] a répondu à la société Cactus Groupe qu'il n'avait jamais été question d'établir un contrat entre les deux sociétés, pour tenter de se délier de ses engagements. Le premier juge a d'ailleurs justement relevé que si aucun contrat n'avait été établi, une commission d'apporteur d'affaires de 30 % du chiffre d'affaires était due à la société Cactus Groupe sur les événements organisés grâce à elle et en fonction de l'exploitation de l'espace de coworking créé dans les locaux, baptisé I-coworking. La SARL [D] a donc bien confié un mandat à la société Cactus Groupe en vue de la commercialisation de l'espace et de la mise en place des outils informatiques ad hoc.

Le juge de l'exécution a déduit diverses sommes de celles dues à la société Cactus Groupe, après avoir relevé que la SARL [D] prétendait détenir à son encontre deux créances de 21 380 euros et 4 690,44 euros. Conformément à l'article 1347-1 alinéa 1er du code civil, la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. Ces conditions ne sont pas réunies en l'espèce car la société Cactus Groupe conteste les créances invoquées par la partie adverse et la Cour, qui exerce les pouvoirs du juge de l'exécution, ne dispose pas du pouvoir de les liquider.

D'ailleurs, dans le cadre de la présente instance il n'y a pas lieu de chiffrer la créance de la société Cactus Groupe, ni de trancher les contestations relatives au montant exact de la dette, étant rappelé que la mise en place d'une mesure conservatoire suppose uniquement une créance paraissant fondée en son principe.

La société Cactus Groupe peut dès lors en invoquer une, et ce à hauteur de la somme visée dans l'ordonnance sur requête du 25 mars 2021, soit 61 818,81 euros en principal.

S'agissant du péril invoqué par l'intimée, il convient de déterminer si les craintes qu'elle entretient à ce sujet sont légitimes, sans qu'il soit besoin de démontrer que la SARL [D] se trouve nécessairement en cessation des paiements ou dans une situation financière irrémédiablement compromise.

Dans ses conclusions, la société Cactus Groupe fait valoir en substance que la SARL [D] se dispense de publier ses comptes, à l'exception de l'exercice 2017, et que s'agissant des années 2018 et 2019, les comptes ont été déposés avec la mention 'confidentiel' afin de ne pas être rendus publics, alors que les comptes de l'exercice 2020 n'ont toujours pas été déposés au greffe du Tribunal de commerce.

Il résulte de la lecture d'une capture d'écran du site infogreffe que :

- la SARL [D] a déposé ses comptes afférents à l'exercice 2019 avec déclaration de confidentialité, si bien que la société Cactus Groupe n'y a pas accès ;

- il en est de même de l'exercice 2018 ;

- au titre de l'exercice 2017, le chiffre d'affaires a été de 286 461 euros et le résultat de - 317 463 euros ;

- au titre de l'exercice 2016, le chiffre d'affaires a été de 551 370 euros et le résultat de - 133 271 euros.

La société Cactus Groupe s'inquiète de ne pas avoir accès aux comptes 2018 et 2019. Il sera rappelé que selon les dispositions de l'article L 232-25 alinéa 1er du code de commerce, lors du dépôt prévu au I des articles L. 232-21 à L. 232-23, les sociétés répondant à la définition des micro-entreprises au sens de l'article L. 123-16-1, à l'exception des sociétés mentionnées à l'article L. 123-16-2 et de celles dont l'activité consiste à gérer des titres de participations et de valeurs mobilières, peuvent déclarer que les comptes annuels qu'elles déposent ne seront pas rendus publics. L'usage de ce texte permet à une entreprise de conserver la confidentialité de ses comptes, vis-à-vis des concurrents, des clients et des fournisseurs, mais aussi des salariés qui pourraient tenter de s'appuyer sur ces informations dans leurs revendications salariales. Or la SARL [D] ne démontre pas remplir les critères pour pouvoir être qualifiée de micro-entreprise.

Les comptes des années 2016 et 2017 laissent apparaître des difficultés financières ; s'ils sont anciens comme remontant à 7 et 6 ans, étant rappelé que la question du péril s'apprécie au jour où la Cour statue, l'appelante ne produit pas de document comptable plus récent. En effet aucune pièce n'est communiquée au titre des années 2021 et 2022. Enfin l'intimée fait observer, à juste titre, que les saisies conservatoires querellées n'ont permis d'appréhender que des sommes réduites, à savoir 943 euros et 4 516,30 euros.

Dans ces conditions, la société Cactus Groupe invoque, à juste titre, des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de son dû.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a maintenu les deux saisies conservatoires litigieuses pour la somme de 37 513,32 euros, et de rejeter les contestations de la SARL [D].

La SARL [D], qui succombe, sera condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel. Les frais générés par les saisies conservatoires sont de plein droit à sa charge comme il est dit à l'article L 512-2 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution, si bien qu'il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation à ce titre. La société Cactus Groupe a demandé également que la SARL [D] soit condamnée à régler les honoraires perçus par l''huissier de justice'. L'article R 444-13 I du code de commerce interdit aux commissaires de justice de percevoir des sommes autres que celles prévues au tarif, en matière d'activités monopolistiques. Des honoraires ne peuvent dès lors être exigés ce qui infère le rejet de la demande y relative.

PAR CES MOTIFS

- INFIRME le jugement en date du 17 février 2022 en ce qu'il a dit que les deux saisies conservatoires du 4 juin 2021 sont maintenues pour conservation d'une créance globale de 37 513,32 euros ;

et statuant à nouveau :

- DEBOUTE la SARL [D] de sa demande de mainlevée desdites saisies conservatoires ;

- CONFIRME le jugement pour le surplus ;

- CONDAMNE la SARL [D] à payer à la société Cactus Groupe la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la SARL [D] aux dépens d'appel ;

- DIT n'y avoir lieu à mettre à la charge de la SARL [D] les honoraires du commissaire de justice.