CRE, cordis, 25 mai 2004, n° 04-38-02
COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE
se prononçant sur un différend qui oppose Réseau de transport d’électricité (RTE) à la société Cerestar France relatif à la tarification de l’accès au réseau public de transport et à la signature d’un contrat d’accès au réseau
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Syrota
Rapporteur :
M. Laffaille
Avocats :
Me Vogel, Me Tran Thiet, Me Servoir, Me Charpentier
Commissaires :
Mme Benassayag, M. Dyevre, M. Lapeyre, M. Lechevin, M. Troesch
La Commission de régulation de l’énergie,
Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 24 mars 2004 sous le numéro 04-38-02 et régularisée le 9 avril 2004, présentée par Réseau de transport d’électricité (RTE), gestionnaire du réseau public d’électricité, domicilié au 34-40, rue Henri Régnault, 92048 Paris La Défense Cedex 48, service d’Electricité de France (EDF), établissement public à caractère industriel et commercial, immatriculé au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro B 552 081 317, dont le siège social est situé 22-30, avenue de Wagram, 75008 Paris, pris en la personne de son directeur, Monsieur André MERLIN, ayant pour avocat Maître Joseph VOGEL, 30, avenue d’Iéna, 75016 Paris.
Réseau de transport d’électricité (ci-après désigné « RTE ») a saisi la Commission de régulation de l’énergie du différend qui l’oppose à la société Cerestar France sur la tarification de l’accès au réseau public de transport de son site industriel de Haubourdin (Nord) et sur la signature d’un contrat d’accès au réseau.
RTE soutient que la société Cerestar France ne saurait justifier son refus de régler la part des factures correspondant à sa consommation d’électricité d’octobre 2003 à février 2004, en revendiquant la propriété du jeu de barres construit pour le raccordement d’une centrale de cogénération installée sur son site industriel et exploitée par la société Flandres Energies, dès lors que les limites de propriété des ouvrages électriques, qui déterminent le tarif d’utilisation du réseau public applicable en vertu du décret du 19 juillet 2002, définies contractuellement avec la société Cerestar France et validées par les pouvoirs publics, situent cet ouvrage dans le réseau d’alimentation générale en énergie électrique (ciaprès désigné le « RAG »).
RTE soutient, en se fondant sur les dispositions combinées des articles 552 et 553 du code civil, que la simple propriété des terrains n’emporte pas nécessairement la propriété des ouvrages électriques qui sont installés sur ces terrains, dès lors qu’il est démontré que le jeu de barres en cause, bien que situé sur les terrains appartenant à la société Cerestar France et financé par la société Flandres Energies, fait partie du réseau public de transport d’électricité.
Il indique que ce jeu de barres a été construit en application de la loi du 15 juin 1906, du décret d’application du 29 juillet 1927 et de l’arrêté interministériel du 2 avril 1991, c’est-à-dire d’une réglementation exclusivement applicable aux ouvrages du réseau public de transport, et conformément à la procédure prévue à l’article 8 du cahier des charges annexé à l’avenant du 10 avril 1995 à la convention du 27 novembre 1958 pour la concession à Electricité de France du RAG.
RTE rappelle que, en vertu de l’article 8.4 du cahier des charges du RAG, les ouvrages de raccordement font partie intégrante du réseau du concessionnaire, dont la propriété lui a été reconnue par l’article 4-I de la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997.
Il observe que la société Cerestar France ne produit aucun document contractuel ou administratif attestant du droit de propriété qu’elle revendique sur le jeu de barres.
RTE soutient, également, que les limites de propriété des ouvrages électriques n’ont jamais été contestées au moment de leur construction et que la revendication tardive de la société Cerestar France, qui ne s’est pas opposée aux travaux de raccordement de la centrale de cogénération, ne s’explique que par l’entrée en vigueur du décret du 19 juillet 2002, qui a modifié les règles de tarification de l’accès aux réseaux publics de transport et de distribution d’électricité.
Il soutient que la mise en œuvre du décret du 19 juillet 2002, qui prévoit que l’énergie à prendre en compte pour la tarification de l’accès aux réseaux publics est celle correspondant au flux physique, ne permet pas à la société Cerestar France de déduire de son soutirage l’énergie produite par la centrale de cogénération et que c’est seulement pour faire obstacle à cette situation qu’elle revendique la propriété du jeu de barres.
RTE soutient que l’attitude de la société Cerestar France est contraire au principe selon lequel les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi.
Réseau de transport d’électricité demande, en conséquence, à la Commission de régulation de l’énergie :
- de condamner la société Cerestar France à lui payer le solde des factures pour ses consommations d’octobre 2003 à février 2004, soit la somme de 196.833,22 euros, ainsi que des pénalités de retard égales à une fois et demie le taux d’intérêt légal en vigueur à la date d’émission des factures ;
- de condamner la société Cerestar France à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- d’enjoindre à la société Cerestar France de conclure un contrat d’accès au réseau public de transport ;
- de dire que, à défaut du règlement des sommes en cause et de la conclusion d’un contrat d’accès au réseau dans un délai de trente jours calendaires à compter de la décision, l’accès de la société Cerestar France au réseau public de transport d’électricité sera suspendu.
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Vu les observations en défense, enregistrées le 22 avril 2004, présentées par la société Cerestar France, société anonyme, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Lille sous le numéro B 317 586 907, dont le siège social est situé au 7, rue du Maréchal Joffre, 59320 Haubourdin, prise en la personne de son directeur général, Monsieur Hugues de LABROUHE, ayant pour avocats Maître Jean-Paul TRAN THIET et Maître Anne SERVOIR, CMS Bureau Francis Lefebvre, 1-3, villa Emile Bergerat, 92522 Neuilly-sur-Seine Cedex.
La société Cerestar France soutient qu’en application du principe du contradictoire, des articles 2 et 4 du décret du 11 septembre 2000 modifié et de l’article 13 du règlement intérieur de la Commission de régulation de l’énergie, la communication des observations et pièces entre les parties devrait être organisée selon un calendrier de procédure établi à compter du 9 avril 2004, date de régularisation de la saisine, et que chaque partie devrait disposer, dans le respect des règles d’équité, d’un délai identique pour produire ses écritures.
La société Cerestar France soutient que la Commission de régulation de l’énergie n’est pas compétente pour statuer sur le différend qui lui est soumis, qui n’est pas relatif à l’application d’une convention d’accès au réseau conclue entre un gestionnaire de réseau et un utilisateur de ce réseau.
Elle soutient, également, que la Commission de régulation de l’énergie n’est pas compétente, en vertu des dispositions de l’article 38 de la loi du 10 février 2000 modifiée, pour prononcer des condamnations tendant à l’exécution d’obligations contractuelles ou au versement de dommages et intérêts et qu’elle n’a pas plus compétence pour lui enjoindre de signer un contrat ou, à défaut, tirer les conséquences juridiques du différend en décidant de suspendre l’accès au réseau.
Elle soutient que la Commission ne serait pas non plus compétente pour connaître d’un litige relatif à la propriété des biens, qui met en jeu des règles de droit civil qui relèvent du juge civil.
La société Cerestar France indique qu’elle est propriétaire du terrain sur lequel se trouve le jeu de barres en cause et soutient que la présomption de propriété, posée par l’article 552 du code civil à son profit, ne pourrait être renversée que par la production d’un titre de propriété, ce qui n’est pas le cas des documents produits par RTE, qui ont été élaborés de façon unilatérale, sont dépourvus de caractère contractuel ou ont été obtenus par la contrainte et ne lui sont donc pas opposables.
Elle rappelle que, aux termes de l’article 8.4 du cahier des charges du RAG, les limites de propriété des ouvrages électriques sont fixées conventionnellement et que, en application de la loi du 10 février 2000, il convient de se référer à la convention de raccordement du 15 octobre 1986 passée avec le gestionnaire du réseau, qui a établi ces limites en amont du jeu de barres.
La société Cerestar France soutient que la centrale de cogénération doit être regardée comme raccordée non pas au réseau public, mais à ses propres installations, de sorte que l’acheminement de l’énergie produite jusqu’à son usine ne représente aucun coût pour RTE, qui n’est pas fondé à réclamer le paiement d’un service qu’il n’assure pas. Elle considère que l’application des principes de tarification établis par le décret du 19 juillet 2002 implique qu’elle ne doit s’acquitter du prix du transport que pour les flux physiques mesurés au point limite de propriété défini dans la convention de raccordement du 15 octobre 1986.
La société Cerestar France indique, également, qu’en raison du désaccord persistant entre les parties sur la détermination des limites de propriété des ouvrages électriques et du refus de RTE de négocier sur ce point, elle n’était pas en mesure de signer le contrat d’accès au réseau public de transport (CART) qui lui a été proposé le 22 novembre 2002. Elle se trouve ainsi, du seul fait de RTE, privée de contrat définissant les conditions de son accès au réseau de transport.
Elle considère que l’intervention de la Commission de régulation de l’énergie dans la fixation des limites de propriété ne saurait préjuger des discussions restant à mener entre les parties sur les autres points qui n’ont pas été évoqués dans la saisine.
La société Cerestar France demande, en conséquence, à la Commission de régulation de l’énergie :
- de se déclarer régulièrement saisie par Réseau de transport d’électricité à compter du 9 avril 2004 ;
- de fixer un calendrier de procédure accordant à chaque partie un délai identique pour la production de ses écritures, jusqu’à la séance au cours de laquelle la Commission statuera sur le différend ;
- à titre principal, de déclarer irrecevables l’ensemble des demandes présentées par Réseau de transport d’électricité ;
- à titre subsidiaire, si elle s’estimait compétente, de dire que la limite de propriété entre les équipements de la société Cerestar France et ceux de Réseau de transport d’électricité est celle qui a été définie dans la convention de raccordement du 15 octobre 1986.
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Vu les observations en réplique, enregistrées le 3 mai 2004, présentées par Réseau de transport d’électricité.
RTE soutient que le différend dont il a saisi la Commission de régulation de l’énergie relève bien du champ d’application de l’article 38 de la loi du 10 février 2000 modifiée, puisqu’il porte sur les conditions techniques et financières de l’accès au réseau, à savoir la détermination du point de raccordement et la conclusion d’un contrat en vue de la tarification de l’accès au réseau public de transport d’électricité.
Il soutient que la Commission de régulation de l’énergie est bien compétente pour statuer sur la question de la propriété des ouvrages électriques, dans la mesure où la réponse à cette question est nécessaire à la résolution du différend qui lui a été soumis.
Il soutient que les dispositions de l’article 38 de la loi du 10 février 2000 donnent compétence à la Commission pour prononcer des condamnations à exécuter des obligations contractuelles ou pour fixer le montant d’une créance, dès lors qu’elle a été saisie d’un différend relatif aux conditions financières d’utilisation du réseau public.
RTE soutient que la Commission de régulation de l’énergie est également compétente pour enjoindre la signature d’un contrat d’accès au réseau public de transport, dans la mesure où les clients ayant exercé leur éligibilité sont tenus, en vertu de l’article 23 de la loi du 10 février 2000, de conclure un tel contrat.
Il soutient, également, qu’elle est compétente pour autoriser la suspension de l’accès au réseau et que, si elle se déclarait incompétente, l’absence de contrat d’accès au réseau créerait un vide juridique contraire aux obligations fixées par la loi du 10 février 2000.
RTE considère qu’il a toujours été ouvert à la négociation et relève que la société Cerestar France n’a jamais manifesté avant 2003 le moindre désaccord sur les documents contractuels et administratifs qui lui ont été transmis et n’a notamment pas formé de recours contre l’autorisation d’exécution des travaux de raccordement en date du 1er février 2000, qui situe le jeu de barres dans le périmètre de la concession du RAG.
RTE soutient, également, qu’en vertu des dispositions légales et réglementaires et des stipulations conventionnelles, le point de raccordement, qui correspond au point d’application de la tarification de l’accès au réseau public de transport, se situe en aval du jeu de barres, qui est la propriété de RTE, qui n’a pas à justifier d’un acte de transfert ou de cession, puisqu’il en est propriétaire depuis l’origine.
Il considère que cette limite de propriété découle notamment de la consigne d’exploitation du 16 juin 2000, document contractuel à caractère synallagmatique engageant valablement la société Cerestar France et établi avec son accord, puisqu’elle est signée par une personne dont RTE a pu légitimement penser que, selon la théorie du mandat apparent, elle agissait au nom de la société et pour son compte. Il indique, également, que l’article 2 des conditions particulières du contrat de mise à disposition de l’énergie électrique (MADE), conclu le 8 novembre 2000 entre RTE et la société Cerestar France, valablement représentée par son directeur général, a fixé la même limite de propriété.
RTE considère qu’en application de l’article 8.4 du cahier des charges du RAG, il convient désormais, pour déterminer les limites de propriété des ouvrages électriques, de se référer au contrat d’accès au réseau public de transport visé à l’article 23 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000.
RTE indique, enfin, que le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, prévu par l’article 4 de la loi du 10 février 2000 et le décret n° 2001-365 du 26 avril 2001, est indépendant de toute notion de distance parcourue par l’énergie.
Dès lors, Réseau de transport d’électricité demande à la Commission de régulation de l’énergie :
- de se prononcer sur le différend d’ordre technique et financier relatif à la conclusion du contrat d’accès au réseau proposé à la société Cerestar France en novembre 2002 et, dans ce cadre, sur la régularité des conditions dudit contrat ;
- de dire que la société Cerestar France lui est redevable des prestations de transport d’électricité figurant sur les factures établies à compter du 1er novembre 2002 et qu’elle a refusé d’acquitter ;
- de dire que, pour la période d’octobre 2003 à mars 2004, la somme dont la société Cerestar France lui est redevable s’élève à 245.046,66 euros ;
- de condamner la société Cerestar France au règlement de la somme de 245.046,66 euros et au paiement des pénalités contractuelles de retard égales à une fois et demie le taux d’intérêt légal en vigueur à la date d’émission des factures ;
- de fixer le point de départ des intérêts au taux légal dus en vertu de l’article 1153-1 du code civil à la date de la saisine ;
- d’enjoindre à la société Cerestar France de conclure un contrat d’accès au réseau conforme au projet de contrat qui lui a été transmis en novembre 2002 avec prise d’effet au 1er novembre 2002 ;
- de dire qu’à défaut de conclusion d’un contrat dans les trente jours calendaires à compter de la décision, l’accès au réseau public de transport d’électricité sera suspendu ;
- à titre subsidiaire, de dire que ce contrat a pris effet au 1er novembre 2002 ;
- à titre très subsidiaire, de constater qu’en l’absence de titre juridique lui permettant d’alimenter la société Cerestar France en électricité, il devra suspendre son accès au réseau et son alimentation.
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Vu les observations en duplique, enregistrées le 14 mai 2004, présentées par la société Cerestar France.
La société Cerestar France relève que RTE ne demande plus à la Commission de régulation de l’énergie de la condamner au règlement du solde des factures d’octobre 2003 à mars 2004, mais l’invite à dire qu’elle lui est redevable, pour cette même période, de la somme de 245.046,66 euros, augmentée des intérêts légaux. Elle considère, néanmoins, que la Commission de régulation de l’énergie demeure incompétente, dès lors que de telles demandes ne portent pas sur un différend d’ordre technique et financier relatif à l’accès au réseau, mais portent sur les éventuelles conséquences juridiques et financières du différend.
La société Cerestar France considère que la Commission de régulation de l’énergie n’est pas compétente pour lui enjoindre de signer le contrat d’accès au réseau transmis le 22 novembre 2002, ni pour constater que ce contrat aurait pris effet le 1er novembre 2002. Elle souligne que cela reviendrait à la priver de toute possibilité de négociation sur le contenu du contrat.
La société Cerestar France soutient que, par voie de conséquence, la demande de RTE tendant à ce que, à défaut de conclusion d’un contrat, son accès au réseau public soit suspendu, doit être rejetée. Elle soutient qu’eu égard au fait qu’il a continué de lui accorder l’accès au réseau de transport et à lui facturer cette prestation, factures dont elle s’est acquittée, il existe un contrat, fût-il non écrit, qui permet valablement à RTE de lui offrir la prestation d’accès.
La société Cerestar France considère que la Commission de régulation de l’énergie est compétente pour connaître de la demande de règlement du différend d’ordre technique et financier relatif à la conclusion du contrat d’accès au réseau proposé en novembre 2002.
La société Cerestar France souligne que le différend porte sur la fixation du point de raccordement de ses installations au réseau public de transport. Elle réaffirme que ce point est celui qui a été fixé dans la convention de raccordement de 1986, qu’il n’a pas été déplacé depuis cette date et qu’elle n’en a jamais accepté la modification. La solution préconisée par RTE lui paraît contraire à la volonté commune des parties, dépourvue de logique économique et illicite au regard des règles du droit de l’électricité.
La société Cerestar France soutient que, dans d’autres situations identiques, RTE a eu une attitude différente et n’a pas tenté de modifier le point de raccordement au réseau de transport de l’usine consommatrice. De plus, il a accepté de comptabiliser les flux physiques soutirés par cette usine au point de raccordement, en amont du point de raccordement de l’installation de cogénération.
La société Cerestar France soutient que l’attitude de RTE la place dans une situation discriminatoire par rapport à d’autres acteurs économiques dans la mesure où elle a choisi d’externaliser son installation de cogénération, d’autant qu’à terme la propriété de cette installation lui reviendra vraisemblablement, ainsi que le stipule le contrat qui la lie à la société Flandres Energies.
La société Cerestar France estime que, dès lors qu’il n’assure aucune prestation de transport entre la centrale de cogénération et ses installations, RTE ne peut recevoir aucune rémunération et que, dans le cas contraire, il y aurait enrichissement sans cause.
Elle souligne que l’objet du contrat de mise à disposition d’énergie électrique (MADE) n’est pas de définir les conditions de raccordement et que, en outre, ce contrat fait référence à la convention de raccordement de 1986, ce qui signifie que l’intention des parties n’est pas de modifier la situation du point de raccordement.
La société Cerestar France rappelle qu’en vertu de l’article 2 du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, elle est propriétaire du jeu de barres qui se situe en aval de son point de raccordement et qu’aucun des documents invoqués par RTE n’emporte un transfert de propriété. Elle estime que le système de tarification indépendant de la distance parcourue est inadapté et remarque que RTE lui-même demeure hésitant sur la détermination des limites de propriété.
La société Cerestar France demande, donc, à la Commission de régulation de l’énergie :
à titre principal :
- de dire que sont irrecevables et doivent être rejetées :
· l’ensemble des demandes de Réseau de transport d’électricité tendant à ce qu’elle soit condamnée au paiement de certaines sommes, à ce qu’il lui soit enjoint de signer un contrat d’accès au réseau public de transport avec prise d’effet au 1er novembre 2002, ou à ce qu’à défaut de signature d’un contrat dans les trente jours calendaires, son accès au réseau de transport soit suspendu ;
· la demande, présentée à titre subsidiaire, tendant à ce que la Commission de régulation de l’énergie constate que le contrat a pris effet entre les parties le 1er novembre 2002 ;
· la demande, présentée à titre très subsidiaire, tendant à autoriser Réseau de transport d’électricité à suspendre son accès au réseau public de transport ;
- de dire que le différend porte sur la fixation du point de raccordement de ses équipements au réseau public de transport et que Réseau de transport d’électricité ne pouvait valablement fixer unilatéralement ce point à un endroit différent de celui défini conventionnellement entre les parties le 15 octobre 1986 ;
- de dire qu’en vertu du principe de la tarification aux flux physiques, elle n’est redevable envers Réseau de transport d’électricité que du paiement des prestations de transport de l’électricité qu’elle soutire lorsque l’installation de cogénération ne fonctionne pas ;
à titre subsidiaire :
- de dire qu’elle est propriétaire du jeu de barres raccordant l’installation de cogénération à ses propres installations de raccordement au réseau public de transport ;
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Vu l’ensemble des dossiers remis par les parties ;
Vu la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ;
Vu le décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000 modifié, relatif aux procédures applicables devant la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu la décision du 15 février 2001, relative au règlement intérieur de la Commission de régulation de l’énergie ;
Vu la décision du 26 mars 2004 du président de la Commission de régulation de l’énergie, relative à la désignation d’un rapporteur et de rapporteurs adjoints pour l’instruction d’une demande de règlement de différend ;
Vu le code civil, et notamment ses articles 552 et 553 ;
Vu la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997, portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier ;
Vu le décret du 23 décembre 1994, approuvant le cahier des charges de la concession à Electricité de France du réseau d’alimentation générale en énergie électrique ;
Vu le décret n° 2001-365 du 26 avril 2001, relatif aux tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité ;
Vu le décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002, fixant les tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité en application de l’article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité ;
Vu le décret n° 2003-588 du 27 juin 2003 relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations en vue de leur raccordement au réseau public de transport d’électricité ;
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Les parties ayant été régulièrement convoquées à la séance publique de la Commission de régulation de l’énergie, qui s’est tenue le 25 mai 2004, en présence de :
Monsieur Jean SYROTA, président, Madame Jacqueline BENASSAYAG et Messieurs Eric DYEVRE, Michel LAPEYRE, Bruno LECHEVIN et Jacques-André TROESCH, commissaires,
Monsieur Olivier CHALLAN BELVAL, directeur général, Madame Gisèle AVOIE, directrice juridique,
Monsieur Didier LAFFAILLE, rapporteur, et Messieurs Mounir MEDDEB et Laurent SCHWEBEL, rapporteurs adjoints,
Maître Joseph VOGEL et Messieurs Olivier LAVOINE, Xavier GALLET et Olivier JALLET pour Réseau de transport d’électricité (RTE) ;
Maître Jean-Paul TRAN THIET, Maître Anne SERVOIR, Maître CHARPENTIER et Monsieur Luc DELEURENCE, pour la société Cerestar France.
Après avoir entendu :
- le rapport de Monsieur Didier LAFFAILLE, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de Maître Joseph VOGEL et de Monsieur Olivier LAVOINE, pour Réseau de transport d’électricité (RTE) : RTE persiste dans ses conclusions et considère que le différend porte sur la localisation du point de raccordement qui sert de point de tarification ; RTE ajoute que la société Cerestar France a, au début, réglé intégralement les factures pour 2002 et 2003 ;
- les observations de Maître Jean-Paul TRAN THIET et de Monsieur Luc DELEURENCE, pour la société Cerestar France : la société Cerestar France demande que les pièces déposées par RTE après l’envoi de la convocation à l’audience soient écartées des débats. A défaut, la Commission de régulation de l’énergie devrait accepter toutes les pièces, y compris celles transmises par la société Cerestar France le jour même de l’audience ; elle maintient ses conclusions et estime que, le litige l’opposant à RTE portant sur la fixation du point de raccordement, il convient, par conséquent, d’écarter toutes les autres demandes de RTE ; elle ajoute qu’elle a financé le jeu de barres dans le cadre du contrat de fourniture d’énergie et que ce jeu de barres demeure sa propriété dans la mesure où la convention de raccordement de 1986 n’a été ni rapportée, ni résiliée et ne comporte pas de date d’échéance ; elle réaffirme qu’elle connaît au moins deux cas similaires dans lesquels RTE n’a pas procédé à un déplacement des limites de propriété, mais que, pour des raisons de secret d’affaires, elle ne peut divulguer ; elle admet que le contrat MADE a été signé, mais estime que ce contrat est ambigu dans ses termes et que ce n’est pas parce que ce contrat a été signé qu’elle ne peut plus demander à la Commission de régulation de l’énergie de se prononcer sur la portée de ce contrat ;
- les nouvelles observations de Maître Joseph VOGEL et de Monsieur Olivier LAVOINE, pour Réseau de transport d’électricité (RTE) : RTE considère que la société Cerestar France est mal venue à invoquer un problème de procédure, celle-ci ayant pu répondre aux écritures de RTE ; il indique que la Commission de régulation de l’énergie est compétente pour définir la propriété des installations en cause pour régler ce litige, faute de quoi le recours à un autre juge serait nécessaire, donnant lieu à une longue procédure judiciaire ; il rappelle que le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour les autorités administratives indépendantes de régler des questions de propriété en l’absence de difficulté sérieuse ; il indique que, dans le cas présent, la propriété de RTE sur le jeu de barres est incontestable ; RTE rejette comme étant sans fondement les allégations de la société Cerestar France concernant le traitement de situations similaires et rappelle que tous les contrats d’accès sont notifiés à la Commission de régulation de l’énergie ;
- les nouvelles observations de Maître Jean-Paul TRAN THIET et de Monsieur Luc DELEURENCE, pour la société Cerestar France : la société Cerestar France indique que la décision de la Commission de régulation de l’énergie suffit pour le paiement des factures et qu’il est dans tous les cas possible d’introduire une requête en injonction de payer devant un tribunal de commerce ; il rappelle que la Commission de régulation de l’énergie peut dans le cadre de ses pouvoirs d’investigation vérifier la réalité des cas similaires invoqués ;
- les nouvelles observations de Maître Joseph VOGEL et de Monsieur Olivier LAVOINE, pour Réseau de transport d’électricité (RTE) : en réponse aux questions soulevées au cours de la séance publique, RTE indique qu’il n’y a pas de convention de servitude pour le jeu de barres et que la procédure a été conduite dans le respect des dispositions du décret du 29 juillet 1927 ; il indique, enfin, qu’il ne maintient pas sa demande de dommages et intérêts ;
- les nouvelles observations de Maître Jean-Paul TRAN THIET et de Monsieur Luc DELEURENCE, pour la société Cerestar France : en réponse aux questions soulevées au cours de la séance publique, la société Cerestar France affirme qu’elle n’a pas contesté plus tôt la modification des limites de propriété introduite dans le contrat MADE et dans la consigne d’exploitation, d’une part, parce que ce point a échappé à sa vigilance et d’autre part, parce qu’elle a estimé que, chaque texte ayant sa propre finalité, c’était la convention de 1986 qui faisait foi ; elle indique qu’il y a un comptage technique, mais qui n’est pas reconnu par RTE, et que la question du comptage avait une moindre importance avant l’entrée en vigueur du principe de tarification selon les flux physiques.
La Commission de régulation de l’énergie en ayant délibéré le 25 mai 2004, après que les parties, le rapporteur, les rapporteurs adjoints, le public et les agents des services se sont retirés.
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Les faits :
Il ressort des pièces du dossier soumis à la Commission de régulation de l’énergie que la société des Produits du maïs, devenue depuis la société Cerestar France, a conclu le 15 octobre 1986 une convention de raccordement au réseau d’alimentation générale (RAG) pour son usine située sur le territoire de la commune de Haubourdin (Nord).
Afin de réaliser ce raccordement, il a été nécessaire d’installer, depuis le poste de transformation EDF 225/90 kV de « La Pierrette », une liaison souterraine constituée de 3 câbles unipolaires d’une longueur de 2.300 mètres. Un poste de livraison et de transformation, dénommé « Ilot », comprenant un sectionneur de ligne, une cellule d’arrivée munie d’un disjoncteur et un transformateur, a été également installé sur les terrains de la société Cerestar France.
Aux termes de l’article 3 de la convention de raccordement de 1986, la limite de propriété des ouvrages d’Electricité de France dans le nouveau poste « Ilot » a été fixée « sur les sorties des têtes de câbles 90 kV à l’arrivée dans le poste de réception et de transformation, y compris les boîtes d’extrémité ».
A la fin des années 1990, la société Cerestar France a conclu un contrat d’achat de vapeur avec la société Flandres Energies, en vue de l’installation et l’exploitation sur ses terrains d’une usine de cogénération.
La puissance de l’installation étant supérieure à 40 MW, la société Flandres Energies a bénéficié, le 3 décembre 1998, d’une dérogation de la DRIRE Nord-Pas-de-Calais pour le raccordement de la centrale de production au réseau électrique 90 kV (au lieu de 225 kV). Pour réaliser ce raccordement, un jeu de barres 90 kV, financé par la société Flandres Energies, a été construit par RTE après une décision de la DRIRE Nord-Pas-de-Calais, du 1er février 2000, portant approbation et autorisation d’exécution et précisant que l’ouvrage projeté serait incorporé dans la concession du RAG (partie en trait épais du schéma présenté ci-dessous).
Compte tenu de cette nouvelle configuration, RTE a adressé à la société Cerestar France un projet de convention de raccordement, en date du 2 octobre 2000, qui modifie notamment la limite de propriété, en stipulant que « les ouvrages de raccordement […] feront partie de la concession du RAG jusqu’à la limite de propriété. Celle-ci sera située : - en HTB : au poste d’ILOT sur les bornes de raccordement amont des sectionneurs têtes de ligne 90 kV de la cellule CERESTAR, (les plages de raccordement de ces bornes étant la propriété de CERESTAR, les cosses de raccordement vers le jeu de barres étant propriété de RTE) […] ». La société Cerestar France a refusé de signer cette nouvelle convention de raccordement.
Une consigne d’exploitation et un contrat de mise à disposition de l’énergie électrique (MADE), prenant en compte la nouvelle limite de propriété, ont néanmoins été signés respectivement les 22 juin et 8 novembre 2000 par la société Cerestar France.
En novembre 2002, la société Cerestar France a refusé de signer le contrat d’accès au réseau de transport (CART), qui lui était proposé par RTE.
A partir du mois de novembre 2003, elle a décidé de ne pas régler l’intégralité des factures d’accès au réseau et a déduit de ces factures l’énergie injectée par l’usine de cogénération.
Malgré deux mises en demeure adressées par RTE à la société Cerestar France, les 12 janvier et 25 février 2004, celle-ci ne s’est pas acquittée du solde des factures en cause.
Sur le respect du contradictoire :
Aux termes de l’article 13 du règlement intérieur de la Commission de régulation de l’énergie, « si le délai le permet, l’échange entre les parties se poursuit jusqu’à la date d’envoi des convocations de la commission qui délibèrera sur la demande ».
Il résulte de ces dispositions que la procédure d’instruction écrite des demandes de règlement de différend s’achève à la date d’envoi des convocations à la séance publique de la Commission de régulation de l’énergie, au cours de laquelle le débat contradictoire se poursuit oralement.
Les pièces produites au dossier après le 17 mai 2004, date d’envoi des convocations à la séance de la Commission de régulation de l’énergie, doivent, dès lors, être écartées.
Sur la compétence de la Commission de régulation de l’énergie :
Aux termes de l’article 38 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée, « en cas de différend entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité […] lié à l’accès auxdits réseaux […] ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d’accès ou de désaccord sur la conclusion, l’interprétation ou l’exécution des contrats et protocole visés […] à l’article 23 de la présente loi […], la Commission de régulation de l’énergie peut être saisie par l’une ou l’autre des parties. […] Sa décision est motivée et précise les conditions d’ordre technique et financier de règlement du différend ».
Il résulte des dispositions précitées que la Commission de régulation de l’énergie est compétente pour préciser les conditions techniques et financières de règlement du différend lié à l’accès au réseau public d’électricité, opposant un utilisateur à un gestionnaire du réseau.
Le présent différend, qui oppose RTE à la société Cerestar France, porte sur la tarification de l’accès au réseau de la société Cerestar France et sur la conclusion entre cette société et RTE d’un contrat d’accès au réseau public de transport. La Commission de régulation de l’énergie est donc compétente pour statuer sur ce différend.
Sur les conclusions de Réseau de transport d’électricité tendant au paiement du solde des factures :
Réseau de transport d’électricité demande, en l’état de ses dernières écritures, que la Commission de régulation de l’énergie constate que la société Cerestar France est redevable, au titre des prestations de transport d’électricité, de la somme de 245.046,66 euros, correspondant au solde des factures pour la période d’octobre 2003 à mars 2004. Il considère, en effet, que la tarification de l’accès au réseau public de transport de la société Cerestar France doit s’effectuer au point de raccordement de ses installations, situé en aval du jeu de barres 90 kV construit pour le raccordement de la centrale de cogénération de la société Flandres Energies.
La société Cerestar France conteste cette demande en soutenant qu’elle est propriétaire du jeu de barres 90 kV par lequel est raccordée la centrale de cogénération et que son point de raccordement au réseau est donc situé en amont de ce jeu de barres. Elle considère que cette situation lui permet de déduire physiquement de son soutirage l’énergie injectée par la centrale de cogénération.
En ce qui concerne la détermination du point de raccordement :
En vertu de la section 3 du chapitre II de l’annexe du décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002, « la tarification de l’utilisation des réseaux publics s’effectue par point physique de raccordement ». Il convient, dès lors, pour définir le tarif applicable, de déterminer le point de raccordement.
En application de l’article 4 de la loi n° 97-1026 du 10 novembre 1997 portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, les ouvrages du réseau d’alimentation générale en énergie électrique sont réputés constituer la propriété d’Electricité de France depuis que la concession de ce réseau lui a été accordée. En vertu de l’article 8.4 du cahier des charges du RAG, les ouvrages de raccordement « situés à l’amont de la limite de propriété définie dans le contrat de fourniture ou d’achat feront partie intégrante du réseau du concessionnaire » et « les modalités techniques et financières […] seront précisées dans chaque cas par une convention passée entre le concessionnaire et le client ou le producteur autonome ».
Il est constant que les ouvrages de raccordement sont constitués de conducteurs de liaison (ligne aérienne, câble souterrain ou jeu de barres de liaison) et, normalement, d’une cellule disjoncteur à chaque extrémité.
En l’espèce, pour raccorder la centrale de cogénération de la société Flandres Energies, les parties ont choisi de réaliser un nouveau jeu de barres 90 kV et de déplacer et renforcer celui existant dans les installations de la société Cerestar France.
Ce choix a eu pour effet de raccorder la société Cerestar France et la société Flandres Energies sur le même ouvrage de raccordement, à savoir le jeu de barres 90 kV, mais chacune en un point de raccordement différent.
Il résulte de cette nouvelle configuration que l’ensemble des ouvrages de raccordement réalisés ou renforcés ont été nécessairement intégrés au RAG en application des dispositions précitées et que, par suite, tant le point de raccordement de la société Cerestar France que celui de la société Flandres Energies se trouvent situés en aval du jeu de barres. La modification des limites de propriété qui est également résultée de cette nouvelle configuration aurait dû être formalisée par la conclusion, par RTE et la société Cerestar France, d’un avenant à la convention de raccordement du 15 octobre 1986.
C’est donc à tort que la société Cerestar France se prévaut des limites de propriété fixées par la convention de raccordement du 15 octobre 1986, dont l’article 9 prévoit, d’ailleurs, qu’elle doit être modifiée par voie d’avenant en cas de changement dans la consistance du raccordement.
Au surplus, il ressort des pièces du dossier que la société Cerestar France a, à plusieurs occasions, signé des documents dans lesquels les ouvrages de raccordement étaient considérés comme intégrés dans le réseau public de transport.
Tel est notamment le cas de l’article 2 des conditions particulières du contrat de mise à disposition d’énergie électrique (MADE) du 8 novembre 2000, aux termes duquel « le point de livraison et la limite de propriété sont situés au poste d’ILOT, sur les bornes amont des sectionneurs têtes de ligne 90 kV de la cellule CERESTAR (les plages de raccordement de ces bornes étant la propriété de CERESTAR, les cosses de raccordement vers le jeu de barres étant la propriété du RTE) ». Il résulte, en effet, de ces stipulations que le point de livraison est le point de raccordement, qui correspond à la limite de propriété entre les installations de la société Cerestar France et le réseau public de transport.
La conclusion de ce contrat confirme l’accord exprimé par la société Cerestar France lors des réunions préalables au raccordement de la centrale de cogénération de la société Flandres Energies, ainsi que lors de la signature de sa nouvelle consigne d’exploitation le 22 juin 2000.
Dès lors que l’intégration des ouvrages de raccordement au réseau public de transport d’électricité résulte d’une exacte application de l’article 8.4 du cahier des charges du RAG, la société Cerestar France ne saurait utilement invoquer l’application différente de ces dispositions, qui aurait été faite, par RTE, à d’autres utilisateurs du réseau se trouvant dans une situation identique à la sienne. Au demeurant, ses allégations ne sont étayées par aucune précision permettant d’en apprécier le bienfondé.
La société Cerestar France ne peut pas plus utilement se prévaloir d’une modification à venir, de surcroît purement hypothétique, de ses relations contractuelles avec la société exploitant la centrale de cogénération.
Contrairement à ce que soutient la société Cerestar France, la présente décision n’a pas pour objet de statuer sur la propriété des ouvrages de raccordement au regard des articles 552 et 553 du code civil, et la Commission de régulation de l’énergie ne méconnaît pas sa compétence en indiquant, pour déterminer le point de raccordement au réseau de transport, ce que doit être la consistance du réseau public de transport en application de l’article 8.4 du cahier des charges du RAG.
La société Cerestar France ne saurait utilement invoquer les dispositions du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, qui ne concernent que les installations devant faire l’objet d’un premier raccordement au réseau public de transport ou qui font l’objet de modifications importantes de leurs caractéristiques électriques.
En ce qui concerne le tarif applicable :
En vertu des dispositions de la section 1 du chapitre II de l’annexe du décret n° 2002-1014 du 19 juillet 2002, l’énergie à prendre en compte pour la tarification de l’accès aux réseaux publics de transport et de distribution d’électricité est celle « correspondant au flux physique soutiré du réseau mesuré par les appareils de comptage installés par les gestionnaires de réseaux ».
Dès lors que le jeu de barres sur lequel l’installation de cogénération de la société Flandres Energies a été raccordée fait partie intégrante du réseau public de transport, il ne saurait être contesté que RTE assure l’acheminement de l’énergie électrique jusqu’au point de raccordement de la société Cerestar France, situé en aval du jeu de barres 90 kV.
Il ressort, en outre, des pièces du dossier que, à la suite du raccordement de l’installation de cogénération, les dispositifs de comptage n’ont pas été déplacés et sont toujours situés en aval du sectionneur de ligne, et donc du jeu de barres 90 kV renforcé par RTE.
Il suit de là que la facturation établie par RTE, qui prend en compte l’énergie correspondant au flux physique soutiré au point de raccordement de la société Cerestar France, mesuré par les dispositifs de comptage et qui demeure sans rapport avec la distance parcourue, est conforme au tarif d’utilisation du réseau public de transport issu des dispositions combinées des décrets n° 2001-365 du 26 avril 2001 et n° 2002-1014 du 19 juillet 2002.
En application des décrets précités, et en vertu du principe de la tarification en fonction des flux physiques, la société Cerestar France n’est pas fondée, contrairement à ce qu’elle soutient, à soustraire de ses factures la part correspondant à l’énergie injectée sur le jeu de barres 90 kV du réseau public de transport par l’installation de cogénération de la société Flandres Energies.
Il résulte de tout ce qui précède que la société Cerestar France est redevable à RTE de la somme de 245.046,66 euros, correspondant au solde des factures afférentes aux prestations de transport d’électricité d’octobre 2003 à mars 2004 inclus.
Sur les conclusions de Réseau de transport d’électricité tendant à ce que la Commission de régulation de l’énergie enjoigne à la société Cerestar France de signer un contrat d’accès au réseau public de transport :
En vertu des dispositions de l’article 23 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, « un droit d’accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti par les gestionnaires de ces réseaux […]. A cet effet, des contrats sont conclus entre les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution concernés et les utilisateurs de ces réseaux ».
Il résulte de ces dispositions que la conclusion d’un contrat est une condition d’accès aux réseaux publics de transport et de distribution d’électricité, à laquelle doit satisfaire tout utilisateur des réseaux.
En l’espèce, à l’échéance du contrat de mise à disposition d’énergie électrique (MADE) du 8 novembre 2000, prolongé par un avenant du 4 décembre 2001, RTE a transmis en novembre 2002 à la société Cerestar France un projet de contrat d’accès au réseau public de transport (CART) conforme à la réglementation en vigueur, prenant en compte notamment des modifications intervenues dans la consistance de son raccordement.
La société Cerestar France, devant la Commission de régulation de l’énergie, n’invoque aucun motif autre que le fait qu’il prévoit l’intégration au RAG des ouvrages de raccordement pour refuser de signer le contrat d’accès au réseau public de transport. Ce motif ne peut pas légalement fonder un tel refus, alors qu’il a été démontré que cette intégration au RAG résulte bien de l’application de l’article 8.4 du cahier des charges du RAG.
Dès lors, faute d’invoquer un motif légitime de refus, la société Cerestar France ne saurait légalement refuser de signer le projet de contrat qui lui a été soumis, sans se placer dans une situation irrégulière au regard des dispositions de l’article 23 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000. Il lui appartient donc de signer le contrat d’accès au réseau public de transport proposé par RTE, avec effet à la date du 1er novembre 2002, correspondant au terme du contrat de mise à disposition d’énergie électrique (MADE).
Sur les conclusions de Réseau de transport d’électricité tendant à ce que la Commission de régulation de l’énergie décide la suspension de l’accès au réseau public de transport de la société Cerestar France :
Si la société Cerestar France persistait à refuser, sans justification valable, de signer son contrat d’accès au réseau public de transport, elle se trouverait dans une situation irrégulière au regard des dispositions de l’article 23 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, ainsi que cela a été dit précédemment. RTE serait alors fondé à tirer les conséquences de droit d’une telle situation.
Par suite, la Commission de régulation de l’énergie ne peut qu’écarter les conclusions de RTE tendant à ce qu’elle décide la suspension de l’accès au réseau que RTE peut décider lui-même.
Sur la demande de pénalités contractuelles :
En vertu de la présente décision, la société Cerestar France est tenue de signer le contrat d’accès au réseau public de transport (CART) qui lui a été transmis par Réseau de transport d’électricité le 22 novembre 2002, avec prise d’effet au 1er novembre 2002.
L’article 9.2.5 des conditions générales du contrat d’accès au réseau public de transport (CART) qui a été adressé à la société Cerestar France le 22 novembre 2002 prévoit que « à défaut de paiement intégral dans le délai prévu pour leur règlement, les sommes dues sont majorées de plein droit, et sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure, de pénalités égales à une fois et demie le taux d’intérêt légal en vigueur à la date d’émission de la facture, appliqué au montant de la créance (montant de la facture TTC hors minoration prévue à l’article 9.2.4 b). Cet intérêt est calculé à partir de la date d’échéance jusqu’à la date de paiement effectif de la facture. Toutefois, ces pénalités ne peuvent être inférieures à un minimum de perception fixé à 100 euros hors taxes ».
En conséquence, le règlement par la société Cerestar France du solde des factures afférentes aux prestations de transport d’électricité d’octobre 2003 à mars 2004 sera assorti des pénalités contractuelles de retard, qui sont égales à une fois et demie le taux d’intérêt légal en vigueur à la date de leur émission.
Sur la demande de dommages et intérêts de Réseau de transport d’électricité :
RTE n’a pas repris dans ses observations en réplique du 3 mai 2004 ses conclusions initiales tendant à ce que la société Cerestar France soit condamnée au paiement de la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts. Lors de l’audience du 25 mai 2004 devant la Commission de régulation de l’énergie, il a indiqué renoncer à sa demande de dommages et intérêts. Par suite, il n’y a pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur le surplus des conclusions de Réseau de transport d’électricité :
Il n’appartient pas à la Commission de régulation de l’énergie, lorsqu’elle est saisie sur le fondement de l’article 38 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée, de condamner au paiement des intérêts au taux légal sur le fondement des dispositions de l’article 1153-1 du code civil, qui ne concernent que les intérêts dus en cas de condamnation par un jugement.
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DECIDE :
Article 1er. – La société Cerestar France versera à Réseau de transport d’électricité le solde des factures afférentes à ses prestations de transport d’octobre 2003 à mars 2004 inclus, soit la somme de 245.046,66 euros, assortie des pénalités contractuelles de retard.
Article 2. – La société Cerestar France conclura avec Réseau de transport d’électricité, dans un délai de trente jours à compter de la notification de la présente décision, le contrat d’accès au réseau public de transport (CART) proposé le 22 novembre 2002, avec effet au 1er novembre 2002.
Article 3. – Il n’y pas lieu de statuer sur la demande de Réseau de transport d’électricité tendant à l’octroi de la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Article 4. – Le surplus des conclusions de Réseau de transport d’électricité et les conclusions de la société Cerestar France sont rejetés.
Article 5. – La présente décision sera notifiée à Réseau de transport d’électricité (RTE) et à la société Cerestar France ; elle sera publiée au Journal officiel de la République française.