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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 30 mars 2022, n° 20/07793

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MSC FILLE AU PLURIEL (SAS)

Défendeur :

LABORATOIRES EPL PERRON RIGOT (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Isabelle DOUILLET

Conseillers :

Mme Françoise BARUTEL, Mme Déborah BOHÉE

Avocats :

SELARL CABINET S. D., SCP LE STANC C., AARPI Dominique O. - Sylvie K. T., cabinet C.

Paris, du 5 mai 2020

5 mai 2020

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 mai 2020 ;

Vu l'appel interjeté à l'encontre dudit jugement le 22 juin 2020 par la société MSC Fille Au Pluriel ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, par voie électronique, le 3 décembre 2021 par la société MSC Fille Au Pluriel, appelante ;

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, le 6 décembre 2021 par la société Laboratoires EPL Perron Rigot, intimée ;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 4 janvier 2022 ;

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société MSC Fille Au Pluriel (Fille au Pluriel), immatriculée en 2011, est une société spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de cires à épiler auprès d'instituts de beauté.

La société Laboratoires EPL Perron Rigot est également spécialisée dans la commercialisation auprès d'esthéticiennes et d'instituts de beauté de produits cosmétiques, et en particulier de cires à épiler.

Elle expose que la société Perron Rigot, devenue ensuite Perigot, a été fondée dans les années 1930 par MM. Perron et Rigot, pharmaciens, lesquels créèrent à leurs noms un laboratoire fabricant divers produits cosmétiques ainsi qu'une cire à épiler, et qu'à la suite d'un jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 juin 2004 ayant arrêté le plan de cession des activités de la société Perigot, cette société a été rachetée par acte du 7 décembre 2004 par le groupe Thalgo, à travers sa filiale Tch Deva, renommée Laboratoires EPL Perron Rigot.

La société Thalgo Tch, holding du groupe, est titulaire de l'ensemble des droits de propriété intellectuelle du groupe et notamment de ceux qu'elle a acquis auprès de la société Perigot et de son ancien dirigeant M. Christian Des G. concomitamment à la cession.

La société Thalgo Tch a consenti à la société Laboratoires EPL Perron Rigot une licence exclusive pour les produits couverts par les brevets qu'elle a acquis par l'intermédiaire de sa filiale Tch Deva devenue Laboratoires EPL Perron Rigot.

La société Thalgo Tch a déposé le 7 juillet 2016 une demande de brevet français sur une composition dépilatoire, le brevet ayant été délivré par l'INPI le 5 juillet 2019 sous le numéro d'enregistrement FR 3 053 590 (FR 590).

La société Laboratoires EPL Perron Rigot fabrique et commercialise notamment les produits Cirépil Cachemire depuis 2017 et les produits Cirépil Boudoir depuis 2018, lesquels intègrent la composition dépilatoire visée par le brevet FR 590.

Reprochant à la société Laboratoires EPL Perron Rigot de s'être livrée à des pratiques commerciales trompeuses et déloyales en indiquant en 2017 disposer d'une innovation brevetée sur les produits Cirépil Cachemire et Cirépil Boudoir alors qu'elle ne disposait à cette date que d'une demande de brevet, et en insérant dans son catalogue 2017-2018 une frise chronologique mentionnant le dépôt de brevets en 1972, 1988, 2004 et 2014, alors qu'elle ne les a pas déposés, la société Fille au Pluriel a mis vainement en demeure la société Laboratoires EPL Perron Rigot par courrier du 10 avril 2018.

C'est dans ce contexte que la société Fille au Pluriel a fait assigner la société Laboratoires EPL Perron Rigot par acte en date du 8 août 2018 devant le tribunal de commerce de Paris .

Par jugement dont appel, le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent, mais a débouté la société MSC Fille au Pluriel de l'intégralité des ses demandes, et l'a condamnée à payer à la société Laboratoire EPL Perron Rigot la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Sur le chef du jugement non contesté

La compétence du tribunal de commerce ne fait plus l'objet de contestation en appel.

Sur les pratiques commerciales déloyales

La société Fille au Pluriel reproche en premier lieu à la société Perron Rigot la présentation dans un catalogue destiné au consommateur d'une frise chronologique mentionnant des informations fausses à savoir d'avoir déposé en 1972 un brevet pour cires recyclables, puis en 1988 un premier brevet sur les cires jetables sans bande 3ème génération, puis en 2004 un brevet sur une 4ème génération de cire avec et sans bande, puis en 2014 un brevet portant sur le complexe Cicacepticalm, et ce alors qu'elle n'est titulaire d'aucun brevet. Elle soutient que ces fausses allégations trompent le consommateur dans le secteur des produits cosmétiques dans lequel il doit être particulièrement protégé contre les allégations trompeuses compte tenu de la sensibilité de ce marché.

L'appelante reproche également à la société Perron Rigot d'utiliser, tant dans son catalogue 2017 et 2018 que sur ses comptes facebook, instagram et sur ses packagings de produits, les mentions 'brevetée-patented innovation' et 'innovation brevetée, efficacité renforcée', et ce alors que la composition dépilatoire de ces produits faisait l'objet d'une simple demande de brevet déposée le 7 juillet 2016 de sorte qu'il était mensonger en 2017 et 2018 de prétendre que l'invention était brevetée, compte tenu des incertitudes demeurant concernant la délivrance du brevet, lequel n'a été effectivement délivré que le 5 juillet 2019 après modifications des revendications de la demande de brevet. Elle soutient que cette mention erronée est de nature à induire le consommateur en erreur et à créer en faveur de la société Perron Rigot un avantage injustifié ce qui est constitutif d'une faute ; que le caractère breveté d'une composition dépilatoire constitue une caractéristique qui influence nécessairement le comportement des consommateurs qui recherchent des produits efficaces et innovants, le consommateur de produits cosmétiques, secteur dans lequel les entreprises renouvellent leurs produits à un rythme rapide, étant particulièrement sensible aux allégations d'innovation, l'association dans la communication litigieuse de la mention 'technologie brevetée' à celle d'efficacité renforcée cherchant d'évidence à provoquer l'achat du consommateur.

La société Perron Rigot soutient que la société Fille au Pluriel ne démontre aucune présentation fausse ou de nature à induire en erreur, dès lors que le service marketing ne dispose pas de connaissances en droit des brevets pour lui permettre de restituer précisément toutes les informations relatives aux titres de propriété industrielle et a opéré certaines confusions dans les dates relatives aux dépôts des brevets ; qu'il n'en demeure pas moins que ces brevets existent et sont d'ailleurs plus nombreux que ceux présentés sur ladite frise, et que les nombreux brevets déposés soit par la société Perron Rigot elle-même, soit par son dirigeant entre 1972 et 2004, soit par la société holding du groupe Thalgo auquel appartient la société Perron Rigot, démontrent qu'elle a développé de nombreuses innovations dans le domaine des cires dépilatoires depuis des décennies ; que le fait qu'elle a porté la mention 'innovation brevetée' sur ces produits n'est pas constitutif d'une pratique commerciale trompeuse, dès lors que la mention 'breveté' ne saurait être considérée comme trompeuse, les inventions citées ayant fait l'objet de demandes de brevet et la protection accordée par le brevet étant rétroactive au jour du dépôt de la demande ; que la société Perron Rigot a fait des investissements en recherche et développement récompensés par la découverte d'une innovation que la société mère a fait le choix de protéger par le dépôt d'une demande de brevet ; qu'elle n'a donc commis aucune faute en faisant état du caractère breveté des composants des produits Cirépil Cachemire ; qu'au jour des faits litigieux une demande de brevet avait été déposée ; que le contrat de licence consenti par la société Thalgo Tch à la société Perron Rigot vise tous les brevets 'que le concédant viendrait à acheter et/ou à déposer pour des produits fabriqués et commercialisés par le licencié' de sorte que la société Perron Rigot exploite sous licence le brevet EP 590 et qu'elle peut s'en prévaloir même si cette licence n'est pas publiée.

La société Perron Rigot ajoute que la société Fille au Pluriel ne démontre pas en quoi le comportement économique du consommateur de cires à épiler, composé principalement de professionnels, aurait été altéré ou serait susceptible d'être altéré de manière substantielle, ces derniers n'étant pas particulièrement influencés par l'existence d'un brevet sur un produit mais s'attachant davantage à d'autres termes employés sur les supports de communication relativement aux caractéristiques des produits à savoir l'efficacité épilatoire, une moindre douleur et une odeur parfumée, qui constituent les éléments déterminants fondant l'achat des consommateurs.

La cour rappelle que l'article L. 121-1 du code de la consommation dispose : 'Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. (').

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7".

L'article L. 121-2 du code de la consommation dispose ensuite : 'Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : (')

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :

a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;

c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;

d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation ;

e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;

f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;

g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ; (')'.

En l'espèce, il est constant que la société Laboratoires EPL Perron Rigot a diffusé en 2017 un catalogue dont la page 12 intitulée 'Depuis 80 ans, Perron Rigot innove pour vous' présente une frise chronologique mentionnant de 1936 à 2014 une série d'innovations et notamment en 1972 '1er brevet déposé par Perron Rigot pour les cires recyclables', en 1988, 'Perron Rigot dépose le 1er brevet sur les cires jetables sans bande 3ème génération', en 2004 'Brevet déposé sur une 4ème génération de cire avec et sans bande'.

La société Perron Rigot reconnaît que le service marketing à l'origine de la création de cette frise a opéré des confusions en ce que la date de 1972 correspond à celle de la prise de direction de la société Perron Rigot par M. Des G., celle de 2004 à l'acquisition de la société par le groupe Thalgo, et en ce qu'elle a associé le lancement d'une gamme de produits au dépôt du brevet correspondant à cette gamme, la cour observant cependant que ces événements dans l'histoire de l'entreprise (changement de dirigeant, acquisition d'une société et lancement de nouveaux produits) sont sans lien avec les dépôts de brevets allégués, ou à tout le moins ne les justifient pas. En outre, si l'intimée affirme dans des termes généraux que 'la société Perron Rigot, dénommée Perigot de 1978 à 2004, et son ancien dirigeant de 1972 à 2004, M. des G., et aujourd'hui la société Thalgo Tch ont procédé au dépôt de nombreux brevets relatifs à des cires et appareils dépilatoires au cours des dernières décennies, les brevets déposés par M. De G. ayant été cédés à la société Thalgo Tch par acte du 24 septembre 2004", elle ne démontre ni n'allègue avec précision la réalité des brevets ainsi présentés dans la frise incriminée, la présentation erronée de cette frise ne relevant dès lors pas d'une simple confusion du service marketing, étant au surplus observé qu'au sein d'une société se présentant comme innovante et dépositaire de nombreux brevets, le service juridique doit donner son avis sur des catalogues et brochures de promotion mettant ainsi en avant les titres de propriété industrielle.

Il est également établi que la société Perron Rigot a présenté ses produits CirépilCachemire et Cirépil Boudoir dans les catalogues 2017 et 2018 destinés à ses clients et prospects en portant la mention 'BREVETEE - PATENTED INNOVATION' dans un bandeau en majuscules d'imprimerie, mention également reprise sur sa page Facebook et sur le compte Instagram représentant les packagings de ces produits sur lesquels figure ladite mention, et ce alors que seule une demande de brevet était déposée, le brevet n'ayant été délivré que le 5 juillet 2019.

Il résulte de ces éléments que l'historique de brevets mentionné sur un catalogue de promotion portant des intitulés et des dates dont il n'est pas justifié, et la mention 'BREVETEE - PATENTED INNOVATION' mise en bandeau sur le packaging de produits reproduits sur des catalogues et des sites de promotion alors que le brevet a seulement été déposé et qu'il n'est pas encore délivré sont des mentions trompeuses tant sur les droits de la société Perron Rigot, que sur les qualités substantielles desdits produits présentés comme brevetés, alors que la délivrance de ce titre n'est pas encore acquise, étant rappelé que l'article L. 615-12 du code de la propriété intellectuelle prévoit une peine d'amende pour 'Quiconque se prévaut indûment de la qualité de propriétaire d'un brevet ou d'une demande de brevet'.

Ces mentions sont en outre susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à savoir en l'espèce les professionnels notamment des instituts de beauté, qui sont à la recherche de produits innovants, la titularité d'un brevet étant un gage d'innovation et d'efficacité dans ce domaine de l'épilation, cette présentation trompeuse étant de nature à procurer à la société Laboratoires EPL Perron Rigot un avantage concurrentiel indu.

Il convient de dire en conséquence que la société Laboratoires EPL Perron Rigot a commis des pratiques commerciales déloyales au détriment de la société Fille au Pluriel, et d'infirmer le jugement entrepris de ce chef.

Sur la réparation du préjudice

La société Fille au Pluriel soutient que les pratiques trompeuses de la société Laboratoires EPL Perron Rigot, qui est son concurrent direct, lui ont nécessairement porté préjudice, une partie de la clientèle étant ainsi indûment captée. Elle sollicite la somme provisionnelle de 50 000 euros au titre de la réparation de son préjudice, outre l'injonction à la société Perron Rigot de produire l'intégralité de sa comptabilité et une attestation de son expert comptable relativement aux chiffre d'affaires des produits Cirépil, ainsi qu'une mesure de publication judiciaire.

La société Laboratoires EPL Perron Rigot oppose qu'il n'est justifié d'aucune distorsion de concurrence puisqu'elle est désormais titulaire d'un brevet valide, qu'il n'y a pas de caractère automatique du préjudice, et qu'en l'espèce la société Fille Au Pluriel ne démontre aucun préjudice, outre qu'elle ne précise pas l'étendue de la comptabilité et les dates de sa demande de communication de pièces.

Les communications trompeuses de la société Perron Rigot constitutives de pratiques commerciales déloyales ont nécessairement causé un préjudice commercial à la société Fille Au Pluriel, qui est son concurrent direct pour la commercialisation de cires d'épilation auprès des esthéticiennes et des instituts de beauté. La cour considère, sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande d'injonction de communication de pièces comptables, que son dommage sera justement et intégralement réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euros, une mesure complémentaire de publication judiciaire n'étant pas nécessaire.

PAR CES MOTIFS ,

LA COUR,

Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce que le tribunal de commerce s'est estimé compétent ;

Statuant à nouveau dans cette limite ;

Dit que la société Laboratoires EPL Perron Rigot a commis des pratiques commerciales déloyales au préjudice de la société MSC Fille Au Pluriel ;

Condamne la société Laboratoires EPL Perron Rigot à payer à la société MSC Fille Au Pluriel la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des pratiques commerciales déloyales ;

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ;

Condamne la société Laboratoires EPL Perron Rigot aux dépens de première instance et d'appel, et vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à verser à ce titre à la société MSC Fille Au Pluriel une somme de 10 000 euros.