CA Caen, 2e ch. civ. et com., 11 septembre 2014, n° 11/003800
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CHAVIER épouse AILLAUD, PHARMACIE AILLAUD (SELARL)
Défendeur :
MEKAPHARM (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur CHRISTIEN
Conseillers :
Madame BEUVE, Madame BOISSEL DOMBREVAL
Avocats :
Me Guillaume BOSQUET, Me Claude GIANNESINI, SCP LE PASTEUR-CAMASSEL, Me Gérard-Gabriel LAMOUREUX
Le 11 mars 2010, la SELARL Pharmacie Aillaud (la société Aillaud) a commandé à la société Mekapharm la fourniture et la maintenance d'un système d'automatisation du stockage et de la distribution de médicaments qui lui a été livré et facturé le 20 octobre 2010.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 septembre 2011, un conseil en propriété industrielle a invité la société Aillaud à vérifier que ses équipements ne portaient pas atteinte aux droits de la société britannique Arx, laquelle a déposé une demande de brevet européen dont la traduction française a été publiée à l'Institut national de la propriété industrielle le 1er juillet 2011.
Invoquant un trouble à sa jouissance paisible du matériel vendu, la société Aillaud et Mme Aillaud ont, par acte du 25 octobre 2011, fait assigner la société Mekapharmdevant le tribunal de commerce d'Alençon en résolution de la vente et du contrat de maintenance qui en constitue l'accessoire, ainsi qu'en restitution du prix et en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 12 février 2013, les premiers juges ont :
La société Aillaud et Mme Aillaud ont relevé appel de cette décision le 18 mars 2013, en demandant à la cour de :
La société Mekapharm conclut quant à elle à la confirmation du jugement attaqué.
Elle réclame en outre la condamnation de la société Aillaud et de Mme Aillaud au paiement des sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et de 6 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Aillaud et Mme Aillaud le 12 mai 2014 , et pour la société Mekapharm le 11 avril 2014 .
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les appelants fondent leur demande de résolution de contrats sur le trouble prétendument provoqué par la lettre de mise en connaissance adressée à l'officine exploitant l'automate fourni par l'intimée, laquelle constituerait selon elle une menace implicite de poursuites pour détention et utilisation d'un matériel contrefaisant un brevet européen revendiqué par un fournisseur concurrent.
Il ressort toutefois des termes de ce courrier que la demande de brevet, déposée le 15 novembre 2005, n'a été publiée dans sa traduction française à l'Institut national de la propriété industrielle que le 1er juillet 2011, alors que l'automate fourni par la société Mekapharma a été commandé, livré et mis en exploitation antérieurement, au cours de l'année 2010.
Or, il résulte de la combinaison des articles L. 614-9 et L. 615-4 du code de la propriété intellectuelle que les faits de contrefaçon antérieurs à la date à laquelle la traduction française des revendications a été publiée à l'Institut national de la propriété industrielle ne peuvent être considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés au brevet.
Il ressort d'autre part de la décision de l'Office européen des brevets du 6 février 2014 que le brevet de la société Arx, dont la délivrance a été mentionnée au bulletin européen des brevets du 11 janvier 2012, a été révoqué sur les oppositions formées par la société Mekapharma et un autre fabricant.
En outre, l'action en contrefaçon exercée par la société Arx contre la société Mekapharma devant le tribunal de grande instance de Paris a fait l'objet d'une décision de radiation du 1er mars 2013.
La cour ne méconnaît pas le fait que la société Arx a exercé un recours contre la décision de la division des oppositions de l'Office européen des brevets et que la mesure de radiation n'emporte que la suspension de l'instance en contrefaçon.
Cependant, il sera observé que la résolution judiciaire d'un contrat suppose la démonstration de manquements graves du cocontractant à ses obligations.
Or, étant rappelé que la société Aillaud a acquis, dans l'ignorance de la demande de brevet, un matériel commercialisé antérieurement à la publication en France de la traduction française de ses revendications, et qu'elle ne fait actuellement l'objet d'aucunes poursuites de la part du titulaire d'un brevet révoqué, il n'est pas établi que la simple menace implicite d'une hypothétique action civile en contrefaçon par utilisation de produit contrefaisant, aux chances de succès incertaines, constitue un trouble de jouissance présentant une gravité telle qu'il y ait matière à résolution de la vente et du contrat de maintenance qui en est l'accessoire.
Ces demandes seront donc rejetées.
Partant, la société Aillaud ne pourra qu'être déboutée de ses demandes d'expertise et en paiement de dommages-intérêts qui ne procèdent que des demandes principales en résolution de contrats.
Mme Aillaud n'est pas davantage fondée à réclamer réparation d'un préjudice résultant, selon elle, de la menace de poursuites pénales à son encontre susceptibles de lui interdire de continuer à exercer sa profession de pharmacienne.
En effet, aux termes de l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle, les faits d'utilisation et de détention de produits contrefaisants ne sont, à les supposés avérés, susceptibles d'entraîner que la responsabilité civile, et non pénale, de leur auteur.
Pour le surplus, les préjudices invoqués ne procèdent que des demandes principales en résolution de contrats, de sorte que sa demande en paiement de dommages-intérêts ne pourra qu'être rejetée.
De son côté, la société Mekapharma ne démontre nullement que l'exercice de l'action et du recours de la société Aillaud et de Mme Aillaud, qui ont pu se méprendre sur ,la portée de leurs droits et n'ont fait qu'exercer des voies de droit que la loi leur ouvrait, ait en l'espèce dégénéré en abus.
Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il les a condamnées au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et de les débouter de leur demande en dommages-intérêts complémentaires pour appel abusif.
En revanche, les premiers juges ont fait une correcte application de l'équité en allouant à la société Mekapharma une indemnité de 6 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance, de sorte que la décision attaquée sera, de ce chef, confirmée.
En outre, la cour lui allouera une indemnité complémentaire de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Confirme le jugement rendu le 12 février 2013 par le tribunal de commerce d'Alençon, sauf en ce qu'il a condamné la SELARL Pharmacie Aillaud et Mme Aillaud au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Déboute la société Mekapharma et cette demande ainsi que sa demande en paiement de dommages-intérêts complémentaires pour appel abusif ;
Condamne in solidum la SELARL Pharmacie Aillaud et Mme Aillaud à payer à la société Mekapharma une somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum la SELARL Pharmacie Aillaud et Mme Aillaud aux dépens d'appel.