Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 10, 1 décembre 2022, n° 22/01206

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Bois Joli (SCI)

Défendeur :

Société Générale (SA), Eos France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pruvost

Conseillers :

Mme Lefort, M. Trarieux

Avocats :

Me Moga, Me Maquin-Joffre

JEX Créteil, du 14 déc. 2021, n° 21/0583…

14 décembre 2021

Déclarant agir en vertu d'un acte notarié de prêt de 500 000 euros en capital daté du 13 juin 2006, la Société Générale a, le 7 juillet 2021, pris une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur un bien sis [Adresse 2] (50) appartenant à la SCI le Bois joli, pour sûreté de la somme de 76 167,07 euros. Cette inscription sera dénoncée à la débitrice le 12 juillet 2021, et entre-temps publiée au service de la publicité foncière de Coutances le 7 juillet 2021 volume 2021 S n° 01810.

La SCI le Bois joli ayant contesté cette mesure devant le juge de l'exécution de Créteil, ce dernier a, suivant jugement daté du 14 décembre 2021 :

- débouté la SCI le Bois joli de sa demande de caducité et de mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ;

- condamné la SCI le Bois joli au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SCI le Bois joli aux dépens.

Selon déclaration en date du 11 janvier 2022, la SCI le Bois joli a relevé appel de ce jugement.

En ses conclusions notifiées le 7 octobre 2022, elle a exposé :

- que conformément à l'article R 532-5 du code des procédures civiles d'exécution, le débiteur devait être informé au plus tard huit jours après du dépôt des bordereaux d'inscription ; que l'acte de dénonciation querellé ne mentionnait pas de date de dépôt, et se bornait à lui signifier le titre exécutoire fondant la mesure ; qu'au demeurant, dès le 7 juillet 2021 le service de la publicité foncière avait accusé réception de la lettre recommandée de la Société Générale, si bien qu'au jour de la dénonciation de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, elle savait pertinemment que celle-ci était prise ; que le nécessaire n'ayant pas été fait, la mesure en cause était caduque ;

- que le 7 mai 2017 elle a avait procédé au remboursement anticipé du prêt, ce que la Société Générale avait confirmé le 17 juillet 2018 ;

- que plus de deux ans après, le 30 juillet 2020, la Société Générale avait cru pouvoir la mettre en demeure de régler le solde de ce prêt ;

- que les conditions d'une mesure conservatoire n'étaient pas réunies ;

- qu'en effet la Société Générale ne pouvait justifier d'une créance paraissant fondée en son principe, d'une part parce que la prescription biennale de l'article L 218-2 du code de la consommation était acquise, aucun aménagement conventionnel de prescription n'étant intervenu en l'espèce, les parties s'étant soumises volontairement aux dispositions du code de la consommation, d'autre part parce que la quittance établissait le paiement de la dette et que la créancière ne pouvait rapporter la preuve contraire qu'avec un écrit, comme il est dit à l'article 1359 du code civil, des relevés de compte étant insuffisants à cet effet ; que les éléments de preuve dont se prévalait l'intimée étaient antérieurs à la quittance et ne pouvaient donc être retenus ;

- qu'il n'existait aucun péril sur le recouvrement de la prétendue dette, la Société Générale ayant omis de renouveler son privilège de prêteur de deniers.

La SCI le Bois joli a en conséquence demandé à la Cour d'infirmer le jugement et de :

- prononcer la caducité de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ;

- en ordonner la mainlevée ;

- la radier ;

- condamner la partie adverse au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Dans ses conclusions notifiées le 17 octobre 2022, la société Eos France venant aux droits de la Société Générale, en sa qualité de représentant-recouvreur du Fonds commun de titrisation Foncred V, représenté par la société France Titrisation, intervenante volontaire, a répliqué :

- que l'article R 532-5 du code des procédures civiles d'exécution n'édictait aucune sanction lorsque la mention de la date de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ne figurait pas dans l'acte de dénonciation ; qu'en pratique, le créancier n'avait que très rarement l'état sur formalité mentionnant la date exacte du dépôt, le nécessaire ayant été fait, en l'espèce, au 22 juillet 2021 ; que le bordereau portant la date de publication ne pouvait que rarement être obtenu sur le champ ou avant l'expiration du délai de huit jours ;

- qu'elle avait adressé au service de la publicité foncière de Coutances une lettre recommandée avec demande d'avis de réception le 6 juillet 2021, reçue le lendemain, aux fins de régulariser son inscription ;

- que la SCI le Bois joli ne justifiait d'aucun grief ;

- que le 17 juillet 2018, une attestation de remboursement de prêt avait été établie par erreur ; qu'en effet la somme de 76 167,07 euros restait due au 7 juillet 2018 et n'était toujours pas réglée ;

- que la prescription ne saurait être acquise ; que sa durée était de 5 ans car d'une part il s'agissait d'un prêt consenti à une SCI et non pas à un consommateur et la soumission conventionnelle aux dispositions du code de la consommation était sans effet sur le délai applicable, d'autre part l'article 2254 du code civil prohibait l'aménagement conventionnel de la prescription en matière de dettes périodiques ;

- que le délai de 5 ans avait couru à dater du 7 juillet 2018 et n'était donc pas acquis ;

- que s'agissant de la créance paraissant fondée en son principe, la quittance avait été remise par erreur, et elle en rapportait la preuve par l'acte notarié de prêt, l'avenant, et les écritures passées sur le compte professionnel de la débitrice démontrant que toutes les échéances avaient été payées sauf la dernière ;

- qu'il existait bien un péril sur son recouvrement, une mise en demeure ayant été adressée à la SCI le Bois joli en vain.

La société Eos France a demandé à la Cour de confirmer le jugement et de condamner la SCI le Bois joli au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

En vertu de l'article R 532-5 du code des procédures civiles d'exécution, à peine de caducité, huit jours au plus tard après le dépôt des bordereaux d'inscription ou la signification du nantissement, le débiteur en est informé par acte d'huissier de justice.

Cet acte contient à peine de nullité :

1° Une copie de l'ordonnance du juge ou du titre en vertu duquel la sûreté a été prise ; toutefois, s'il s'agit d'une obligation notariée ou d'une créance de l'Etat, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics, il n'est fait mention que de la date, de la nature du titre et du montant de la dette ;

2° L'indication, en caractères très apparents, que le débiteur peut demander la mainlevée de la sûreté comme il est dit à l'article R 512-1 ;

3° La reproduction des articles R 511-1 à R 512-3 et R 532-6.

En l'espèce, l'acte litigieux comporte notamment la mention 'qu'en vertu de la copie exécutoire d'un acte notarié reçu le 13 juin 2006 par Maître Thierry Huet-Leroy, notaire à Grandville, contenant prêt par la Société Générale d'une somme de 500 000 euros à la SCI le Bois joli, la Société Générale a inscrit le juillet 2021 auprès du service de la publicité foncière de Coutances une hypothèque judiciaire provisoire sur une maison située sur la commune de [Adresse 8] (...)'. L'appelante n'a donc pas été informée de la date de l'inscription. Toutefois le texte susvisé n'impose pas au créancier de mentionner ladite date ; en outre celle-ci est aléatoire. En effet, en pratique, lorsque ce dernier adresse sa demande au service de la publicité foncière compétent, il n'a nullement la maîtrise de la date à laquelle ce service la reçoit ; or l'article 2428 alinéa 1er du code civil prévoit que l'inscription d'une hypothèque est opérée sur le dépôt du bordereau. Il en résulte que c'est à la date à laquelle la demande parvient au service de la publicité foncière que la sûreté est prise, et en l'espèce, la lettre du créancier est parvenue au service de la publicité foncière le 7 juillet 2021 et c'est ce jour là que la sûreté a été publiée. Le créancier reste dans l'ignorance de cette date tant qu'il n'en a pas eu communication par le service de la publicité foncière ou que l'avis de réception de la Poste ne lui est pas revenu signé dudit service. Par ailleurs, la Société Générale ne pouvait attendre de recevoir les justificatifs y relatifs sous peine de laisser écouler le délai de huit jours à elle imparti pour dénoncer l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire à la débitrice.

La Cour constate que par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 6 juillet 2021 adressée au service de la publicité foncière de Coutances et reçue le 7 juillet suivant, la Société Générale a déposé audit service un bordereau d'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire en double exemplaire, et que le 12 juillet 2021, soit moins de huit jours après, la débitrice en a été dûment informée. Elle a d'ailleurs pu contester cette mesure devant le juge de l'exécution. Le jugement est confirmé en ce qu'il a refusé de faire droit à sa demande tendant à voir prononcer la caducité de ladite mesure.

L'article R 512-1 du Code des procédures civiles d'exécution énonce que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire, à savoir l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe et des circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement, ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment. Il appartient au créancier de prouver que ces conditions sont remplies.

S'agissant de la créance paraissant fondée en son principe, la SCI le Bois joli soulève tout d'abord la prescription biennale applicable aux prêts immobiliers. L'intéressée étant une personne morale, elle ne saurait être considérée comme un consommateur si bien que l'article L 218-2 du code de la consommation ne lui est pas applicable. S'il est exact que dans l'avenant suivant le contrat de prêt notarié du 13 juin 2006, les parties se sont volontairement soumises, via l'offre préalable de prêt acceptée le 31 août 2015, aux articles L 312-1 et suivants du code de la consommation, cette circonstance ne rend pas pour autant applicable le délai de prescription spécifique de deux ans, le délai étant de cinq ans, dans les conditions du droit commun, conformément à l'article 2224 du code civil. Ce délai ne saurait être écoulé car la débitrice a été mise en demeure de payer le 30 juillet 2020, et cette date doit être retenue comme point de départ du délai de prescription car le solde du prêt lui est présentement réclamé. La prescription n'est donc pas acquise.

Sur le fond, il résulte des pièces produites que :

- le prêt a été consenti par la Société Générale à la SCI le Bois joli selon acte notarié daté du 13 juin 2006 ;

- un avenant a été régularisé le 31 août 2015, lequel prévoyait que le crédit immobilier serait amorti par une échéance de 300 euros, 34 échéances de 1 099,17 euros, et une échéance de 500 000 euros qui correspondait au capital ;

- le 22 avril 2017, la SCI le Bois joli a sollicité l'autorisation de rembourser partiellement le crédit par anticipation, à l'aide d'un versement de 424 000 euros ;

- le 12 mai 2017, la Société Générale a accusé réception de ladite somme et a transmis à l'emprunteur un tableau d'amortissement actualisé prévoyant que seraient versées 13 échéances de 137,07 euros et une échéance de 76 167,07 euros ;

- le 30 juillet 2020, la Société Générale a adressé à la SCI le Bois joli une lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans laquelle elle lui a indiqué que son compte était clôturé, et la mettait en demeure de lui régler la dernière échéance de prêt de 76 167,07 euros ;

- le 3 septembre 2020, la SCI le Bois joli a annoncé être particulièrement surprise de cette demande en paiement car une attestation de remboursement intégral lui avait été remise le 17 juillet 2018 et qu'il s'agissait manifestement d'une erreur ; ladite attestation était rédigée comme suit : 'Nous avons le plaisir de vous confirmer que le prêt ci-dessus référencé est intégralement remboursé, à la suite du règlement de la dernière échéance. Nous vous remercions de la confiance que vous nous avez témoignée et demeurons à votre entière disposition pour étudier avec vous toute nouvelle demande relative au financement ou à la réalisation de vos projets' ;

- le 19 avril 2021, le conseil de la Société Générale a indiqué à la SCI le Bois joli que c'était par erreur que l'attestation de remboursement intégral du prêt lui avait été adressée, et rappelait que la somme de 76 167,07 euros demeurait impayée.

Dans le cadre de la présente instance, il n'y a pas lieu de trancher les contestations de fond et notamment de décider si la quittance remise par la Société Générale à la SCI le Bois joli est utilement combattue par des preuves conformes aux dispositions de l'article 1359 du code civil, étant rappelé que la mise en place d'une mesure conservatoire suppose uniquement l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe. Il sera observé en outre que l'appelante ne prouve ni même ne soutient avoir réglé la somme de 76 167,07 euros au titre de la dernière échéance de prêt qui était prévue dans l'avenant.

S'agissant du péril sur le recouvrement de la créance, il convient de déterminer si les craintes que l'intimée entretient à ce sujet sont légitimes, sans qu'il soit besoin de démontrer que la SCI le Bois joli se trouve nécessairement en cessation des paiements ou dans une situation financière irrémédiablement compromise.

L'appelante ne communique aucune pièce relativement à sa situation financière ou patrimoniale, alors que le montant de la somme à elle réclamée est important et qu'elle n'a pris aucune disposition pour s'acquitter de sa dette, y compris à la suite de la réception de la lettre de mise en demeure. En outre, la société Eos France ne bénéficie plus à ce jour du privilège de prêteur de deniers. La prise d'une hypothèque constitue, concrètement, le seul moyen pour elle d'être assurée d'être payée sur le prix de vente de l'immeuble, sans être primée par des créanciers postérieurs.

Les conditions de mise en place d'une mesure conservatoire étant réunies, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

La SCI le Bois joli, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

- CONFIRME le jugement en date du 14 décembre 2021 ;

- CONDAMNE la SCI le Bois joli à payer à la société Eos France la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNE la SCI le Bois joli aux dépens d'appel.