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Décisions

CA Bourges, 1re ch., 17 novembre 2022, n° 22/00516

BOURGES

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Fleuron (SAS), Le Fleuron (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Waguette

Conseillers :

M. Perinetti, Mme Ciabrini

Avocat :

Selarl Liancier Morin Meneghel

JEX Nevers, du 29 avr. 2022

29 avril 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

La SCI Le Fleuron est propriétaire d'un ensemble immobilier constituant un Centre Commercial, situé [Adresse 2], composé d'un hypermarché et de cellules commerciales en location.

La SAS Fleuron, qui exploite l'hypermarché, a régularisé un protocole d'accord le 29 septembre 2017 avec la SCI Le Fleuron aux termes duquel elle devait louer cinq lots se décomposant comme suit :

- Lot n° 5 : Activité de prêt-à-porter

- Lot n° 9 : Activité de vente de journaux et de périodiques

- Lot n° 11 : Activité de parfumerie

- Lot n° 13 : Activité à usage de fleurs

- Lot n° 10 : Découpé entre le lot n°9 et le lot n° 11

Le lot n° 5 faisait l'objet d'un bail dérogatoire de 18 mois et le lot n° 11 devait être exploité, d'un commun accord, par une autre société, la SARL ALMA BEAUTY.

Finalement, la SAS Fleuron louait les lots n° 9 et 13, correspondants aux activités de fleurs et de presse qui, à raison des conditions sanitaires, ont fait l'objet d'une fermeture administrative entre le 16 mars et le 11 mai 2019.

A la sortie de ce premier confinement, la SAS Fleuron va solliciter auprès de la SCI Fleuron une renégociation des baux.

Le 20 octobre 2020, la SCI a adressé à la SAS un commandement de payer les loyers pour un montant de 95.770,70 euros qui concernait l'activité de fleurs, de presse, mais aussi de parfumerie et de brasserie.

La SAS Fleuron a formé opposition à ce commandement de payer, en assignant la SCI Le Fleuron par devant le tribunal judiciaire de Nevers aux fins de voir constater la nullité du commandement de payer, la destruction temporelle partielle des locaux loués par la SAS Fleuron et voir condamner la défenderesse à lui payer diverses sommes.

Cette procédure est actuellement pendant devant le tribunal judiciaire de Nevers.

Avant l'issue de ce contentieux, la SCI Le Fleuron a fait procéder le 5 août 2021 à une saisie conservatoire de sa créance pour un montant de 123.049,18 euros sur les comptes détenus par la SAS Fleuron auprès de la banque CIC.

Par actes d'huissier des 20 et 23 septembre 2021, la SAS Fleuron a fait assigner la SCI Le Fleuron devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nevers aux fins principales de voir ordonner la mainlevée de la saisie-conservatoire.

La SCI Le Fleuron a conclu au rejet de la demande de mainlevée.

Par jugement en date du 29 avril 2022, le Juge de l'exécution a débouté les parties de toutes leurs demandes et les a condamnées à supporter chacune la moitié des dépens.

Par acte reçu au greffe de la cour d'appel de céans le 16 mai 2022, la SAS Fleuron a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions signifiées le 22 juin 2022, l'appelante demande à la cour, au visa de l'article 16 du code de procédure civile et des articles L.511-1, L. 512-1 et L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, de :

Annuler le jugement du Juge de l'Exécution en date du 29 avril 2022.

A titre subsidiaire,

Réformer le jugement du Juge de l'Exécution en date du 29 avril 2022.

En conséquence,

Ordonner la mainlevée de la saisie conservatoire de créances pratiquée par la SCI LE FLEURON le 5 août 2021 à l'encontre de la SAS FLEURON.

Condamner la SCI LE FLEURON à régler les intérêts légaux portant sur cette somme à compter du 5 août 2021 jusqu'à parfaite restitution.

Condamner la SCI LE FLEURON à payer à la SAS FLEURON une somme de 33,77 euros par jour jusqu'à complète restitution et arrêtée au 5 décembre 2012 à la somme de 4 119,94 euros au titre de son préjudice.

Condamner la SCI LE FLEURON à payer à la SAS FLEURON une somme de 33,77 euros par jour à compter du 6 septembre jusqu'à mainlevée de la saisie litigieuse.

Condamner la SCI LE FLEURON à payer à la SAS FLEURON une somme de 4 000 euros au titre de la procédure abusivement initiée.

Condamner la SCI LE FLEURON à payer à la SAS FLEURON une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner la SCI LE FLEURON aux entiers dépens.

Par dernières conclusions signifiées le 19 juillet 2022, la société SCI Le Fleuron demande à la cour de:

DÉCLARER l'appel formé par la SAS FLEURON mal fondé ;

LA DÉBOUTER de son appel, et plus généralement de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

CONFIRMER le jugement (par substitution de motifs) dès lors que les conditions d'une saisie conservatoire sont réunies ;

CONDAMNER la SAS FLEURON à verser à la SCI LE FLEURON la somme de 3.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens de l'instance.

La cour renvoie expressément aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

SUR CE :

Sur l'annulation du jugement.

Il résulte de la lecture du jugement entrepris que le premier juge a rejeté les demandes des parties au motif de l'absence de production par la demanderesse du protocole d'accord contenant bail commercial présenté comme constituant le titre exécutoire en vertu duquel la saisie conservatoire litigieuse avait été pratiquée.

Il a également relevé que si ce protocole figurait au nombre des pièces listées dans le bordereau de communication de pièces de la défenderesse, la dite pièce, numérotée 5, ne figurait pas dans le dossier de plaidoirie remis par l'avocat de la SCI Le Fleuron.

Si nécessairement, la dite pièce devait être produite et soumise à l'appréciation du juge il sera fait observer que le tribunal a relevé ce moyen d'office sans respecter le principe de contradiction et que, s'agissant d'une pièce dont la communication n'avait pas été contestée, il devait inviter les parties à s'expliquer sur son absence au dossier et ce d'autant plus que cette absence a eu pour effet de pénaliser la SAS Fleuron, déboutée de sa demande pour un manquement qui ne lui était pas imputable et qu'elle ne pouvait pas connaître.

Cette violation d'un principe fondamental conduira à annuler la décision entreprise en toutes ses dispositions.

L'effet dévolutif de l'appel ayant opéré, la cour statuera au fond.

Sur la demande de mainlevée de la saisie conservatoire du 5 août 2021.

En application des dispositions combinées des articles L. 511-1, L. 512-1 et R. 512-1 du code des procédures civiles d'exécution, la mise en oeuvre d'une saisie-conservatoire suppose que le créancier requérant justifie cumulativement de ce qu'il détient une créance qui paraît fondée en son principe et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. Le juge peut toutefois donner mainlevée de la mesure ordonnée en l'absence de l'une de ces conditions dont il incombe au créancier de prouver qu'elles sont réunies.

Le principe d'une créance.

Le créancier doit justifier du caractère vraisemblable d'un principe de créance et le juge doit, si besoin, apprécier le fond du litige afin de vérifier le sérieux de la créance sans cependant statuer sur sa réalité ou son montant.

Le principe de la créance dont se prévaut la SCI Le Fleuron résulte du bail commercial qui la lie à la SAS Fleuron, qui n'est pas contesté, en vertu duquel la bailleresse est créancière des loyers et charges dues par la SAS Fleuron en contrepartie de l'occupation de cellules commerciales louées au sein du centre commercial de Varennes-Vauzelles aux termes du protocole d'accord, valant bail commercial, régularisé entre les parties le 29 septembre 2017.

Pour conclure à la mainlevée de la saisie pratiquée, la SAS Fleuron fait valoir qu'elle a contesté le commandement de payer qui lui a été délivré, pour un montant de 95.770,70 €, par sa bailleresse, que l'instance est pendante devant la juridiction de Nevers et qu'elle y développe une argumentation tendant à démontrer l'absence de bonne foi dans l'exécution de ses obligations contractuelles par la société intimée qui réclame paiement de loyers et charges alors qu'ils ne seraient pas dus intégralement compte tenu de l'impossibilité temporaire d'exercer imposée à certains commerces à raison de la crise sanitaire qui a contraint à des fermetures administratives.

Toutefois, il appartiendra à la juridiction du fond de déterminer le montant réel de la créance de la SCI Le Fleuron au regard des contestations formulées mais, en l'état, le principe de la créance n'apparaît pas contestable et il est fait observer que la dette alléguée par la SCI Le Fleuron a été arrêtée à 131.377,14 € au 28 octobre 2021 et est revendiquée à hauteur de plus de 150.000 € au 2 mai 2022, ce qui reste bien supérieur au montant de la saisie conservatoire.

En outre, l'argumentation tendant à prétendre devant le juge du fond que la fermeture administrative équivaudrait à une perte de la chose au sens de l'article 1722 du code civil pour se dégager du paiement des loyers dus n'a pas reçu l'aval de la Cour de cassation qui a, au contraire, jugé que la fermeture administrative des commerces en lien avec la crise sanitaire ne pouvait être assimilée à la perte de la chose ni à l'inexécution de l'obligation de délivrance à la charge du bailleur.

Les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement.

Il appartient à la société SCI Le Fleuron de démontrer que sa crainte d'un défaut de paiement est légitime au regard de circonstances propres à donner, à tout le moins, l'apparence de menacer le recouvrement de sa créance.

Pour ce faire, elle argue de la baisse drastique du résultat comptable de sa locataire réduit à 190.000 € au 31 décembre 2019 contre 500.000 € à l'issue du précédent exercice, de l'opacité entourant la situation financière actuelle de la SAS Fleuron qui ne verse aucun élément récent aux débats et de la manoeuvre opérée en contestant le commandement de payer, qui ne visait cependant aucune clause résolutoire, aux seules fins de rendre impossible une demande de paiement provisionnel qu'elle s'apprêtait à introduire devant le juge des référés.

Il n'est pas douteux que les conséquences de la crise sanitaire ont fait peser de lourdes charges financières sur certaines sociétés et le résultat comptable de la société SAS Fleuron, déjà diminué de deux tiers avant même la crise sanitaire, n'a pas été rendu public et n'est pas communiqué dans le cadre des présents débats par l'appelante qui bien que soutenant et avançant des données comptables qu'elle veut rassurantes ne produit pour seul justificatif qu'une attestation de son comptable ne fournissant aucune donné comptable postérieurement au 30 juin 2021 et qui, en tout état de cause, n'est étayée par aucune pièce comptable.

En outre, ainsi que le fait observer la SCI Le Fleuron, sa locataire s'était contractuellement engagée à lui déclarer son chiffre d'affaires mensuel 5 jours après la fin de chaque mois, ainsi que son chiffre d'affaires annuel à compter du 15 avril de chaque année ce qu'elle s'abstient de faire malgré les pénalités de retard prévues en cas d'inexécution.

Enfin, l'examen des comptes annuels des années 2018 et 2019 démontrent que les dividendes versés aux actionnaires ont été divisés par sept entre ces deux exercices et, surtout, que les comptes d'associés sont créditeurs d'une somme de 712.000 € dont ceux-ci peuvent réclamer le remboursement à tout moment.

Ces divers éléments peuvent effectivement générer des doutes sérieux quant à la solvabilité de la société SAS Fleuron.

Il en résulte que la demande de mainlevée de la saisie conservatoire ne pourra qu'être rejetée.

Sur la demande de dommages-intérêts.

Par application des dispositions de l'article L. 512-2 du code des procédures civiles d'exécution, lorsque la mainlevée de la saisie a été ordonnée par le juge, le créancier peut être condamné à réparer le préjudice causé par la mesure conservatoire.

Toutefois, la réparation d'un préjudice suppose que la mainlevée ait été ordonnée et, à défaut comme en l'espèce, la demande à cette fin formée par la SAS Fleuron ne pourra qu'être rejetée.

La société SAS Fleuron qui succombe en ses prétentions devra supporter les dépens tant de première instance que d'appel et sera condamnée à payer à la société SCI Le Fleuron la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Annules-en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 avril 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nevers,

Statuant au fond,

Déboute la société SAS Fleuron de toutes ses demandes,

Condamne la société SAS Fleuron aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société SCI Le Fleuron la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.