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Décisions

Cass. com., 18 octobre 1994, n° 92-14.401

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

Mme Loreau

Avocat général :

Mme Piniot

Avocat :

SCP Mattei-Dawance

Bordeaux, 2e ch., du 22 janv. 1992

22 janvier 1992

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 22 janvier 1992), que la société civile agricole de Perramond (la SCA Perramond) et la société Les Fils d'Henri E..., aux droits de laquelle vient la société Voreal, fournisseurs de la société Sudovia qui a été mise en liquidation des biens par jugement du 24 mars 1977, ont assigné cette dernière, ainsi que MM. C..., expert-comptable et Y..., commissaire aux comptes de cette société, en invoquant la faute que ceux-ci auraient commis dans le cadre de leur mission respective et qui aurait permis à la société Sudovia de poursuivre son activité malgré son état de cessation des paiements ;

Attendu que la SCA Perramond fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de son action dirigée à l'encontre de M. Y... alors, selon le pourvoi, d'une part, que le commissaire aux comptes engage sa responsabilité civile lorsque, constatant que les comptes ne sont pas conformes à la réalité, il s'abstient de signaler ces irrégularités et inexactitudes et certifie la sincérité et la régularité de l'exercice comptable ; qu'au cas particulier, il résulte des motifs de l'arrêt que tout en certifiant les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 1975, M. X... avouait ultérieurement y avoir remarqué le double emploi de certaines factures clients, ce qui aurait dû le conduire à procéder à des investigations plus poussées et, à tout le moins, à signaler immédiatement cette irrégularité ; qu'en estimant toutefois que la responsabilité du commissaire aux comptes n'était pas engagée, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi, par refus d'application, les articles 228 à 230-2, 233 et 234 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors, d'autre part, que le caractère permanent de la mission du commissaire aux comptes lui impose de préparer les contrôles finaux, intervenant à la clôture de chaque exercice, par des vérifications opérées tout au long dudit exercice grâce aux moyens d'investigations que lui confère la loi ; que dès lors, en se déterminant par la circonstance que les comptes de l'exercice de 1976, qui n'ont jamais été arrêtés, n'avaient pas été remis à M. X... ni, par conséquent, examinés par lui, pour en déduire qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre du commissaire aux comptes, la cour d'appel, qui méconnaît le caractère permanent de la mission de ce dernier, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 228 à 230-2, 233 et 234 de la loi du 24 juillet 1966 ; alors, au surplus, que le commissaire aux comptes, investi par la loi des plus larges pouvoirs d'investigation en vue de mener à bien sa mission et notamment, dans ce cadre, de surveiller en permanence la régularité et la sincérité des comptes, a l'obligation d'exiger des intéressés la production immédiate des pièces utiles au contrôle ; qu'en particulier, la résistance ou les artermoiements des dirigeants dans la communication des pièces essentielles de la comptabilité ne peuvent qu'alerter le commissaire aux comptes qui, en pareil cas, est impérativement tenu d'user des pouvoirs que lui confère la loi pour vaincre cette inertie, laquelle devait en outre l'inciter à se montrer spécialement circonspect ; que dès lors, en estimant que l'informatisation de la comptabilité qui était en cours permettait aux dirigeants de s'abstenir de communiquer les pièces de la comptabilité de base au commissaire aux comptes, qui, dans ces conditions, aurait pu valablement attendre l'achèvement de ce projet pour reprendre ses investigations, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 228 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 ; et alors enfin, que, dans ses écritures d'appel, régulièrement déposées et signifiées le 26 février 1991, la SCA de Perramond a expressément fait valoir, en se fondant sur les propres déclarations de M. X... que, s'agissant de l'exercice 1976 : -le commissaire aux comptes n'a porté son attention que sur le seul compte client sans pour autant constater, dans le cadre de ces investigations restreintes, l'existence d'un impayé de 800 000 francs, -M. X..., qui savait que la comptabilité de base se trouvait à l'entreprise et lui aurait permis d'effectuer sa mission, a préféré attendre l'achèvement d'un projet d'informatisation de la comptabilité invoqué par les dirigeants ; -le commissaire aux comptes, constatant le "désordre" régnant dans la comptabilité, désordre dont il avouait n'avoir "aucune idée", a préféré attendre que le bilan soit tiré plutôt que d'opérer immédiatement des investigations approfondies ; - M. X..., s'étant présenté à l'improviste sur les lieux et s'étant vu refuser la communication des livres de comptes, a préféré repartir en laissant une carte de visite d'excuse ; qu'il résulte de ces éléments que le commissaire aux comptes, pourtant alerté par des irrégularités affectant l'exercice précédent, par le désordre de la comptabilité et les difficultés qu'il rencontrait pour en obtenir communication, a, en préférant attendre la fin de l'exercice, sans accomplir la moindre diligence, fait preuve d'une inertie fautive engageant sa responsabilité ; qu'ainsi, en se bornant à relever la prétendue incapacité de M. X... à effectuer les sondages nécessaires à l'exercice de sa mission, sans répondre aux chefs de l'argumentation de la SCA Perramond tendant à établir tant la faute de M. X... que le rapport de causalité avec le dommage subi par les fournisseurs, découlant directement de la poursuite d'une activité gravement déficitaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient par motifs propres et adptés, que M. Y..., qui n'avait été nommé qu'en février 1976, avait, concernant l'exercice 1975, effectué diverses vérifications autres que les sondages portant sur le compte clients mais qui ne lui avaient pas permis de déceler d'anomalies justifiant des investigations plus poussées, que concernant l'exercice 1976, qu'il n'a pas certifié, il avait été, malgré plusieurs démarches faites à cet effet, dans l'impossibilité de faire les contrôles nécessaires du fait que la comptabilité était en cours d'informatisation, que les comptes de l'exercie 1976 n'ont jamais été arrêtés et ne lui ont pas été remis de sorte qu'il n'a pu les examiner, que les falsifications commises et avouées par le comptable de la société Sudovia ne lui ont été révélées qu'en mars 1977 ; que l'arrêt retient aussi que le comportement de la SCA Perramond n'était pas sans critique pour avoir consenti à la société Sudovia, nouveau partenaire, un crédit fournisseur sans garantie et dont le préjudice avait sa cause dans la déconfiture même de la société Sudovia à laquelle M. Y... n'avait pris aucune part, que la SCA Perramond ne démontrait pas que par une surveillance plus étroite M. Z... aurait permis d'éviter le préjudice invoqué ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées sans avoir à suivre dans le détail l'argumentation de la SCA Perramond, et qui a légalement justifié sa décision, a pu décider que cette société n'établissait ni la preuve d'une faute de nature à engager la responsabilité de M. Y..., ni celle d'un rapport de causalité entre la faute invoquée et le dommage allégué ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS ;

REJETTE le pourvoi.