CA Nîmes, 5e ch. soc. h, 23 janvier 2018, n° 16/03729
NÎMES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Les Vignerons du Gravillas (SCA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gagnaux
Conseillers :
M. Le Monnyer, Mme Deligny
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame Cécile R. a été engagée par la société Les Vignerons du Gravillas, par contrat de travail à durée indéterminée non écrit à compter du 22 juin 1985 pour exercer les fonctions d'employée de cave.
Dans le cadre de l'adoption d'une nouvelle classification de la convention collective nationale des caves coopératives et leurs unions du 22 avril 1986, son positionnement devenait TAM niveau 2 échelon expert, pour un poste d'assistante de direction.
Elle était en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle en 2007 et reprenait son travail en septembre 2008, d'abord à mi-temps, puis à temps plein à compter de novembre 2009.
Le 4 mars 2014, la société lui adressait une convocation à un entretien en vue de son licenciement pour motif économique.
Le 17 mars 2014, eu égard à sa qualité de salariée protégée en qualité de candidate aux élections des délégués du personnel du 19 décembre 2013, son employeur sollicitait l'autorisation de licenciement de l'inspection du travail qui lui était refusée.
Le 20 juin 2014, à la fin de la période de protection, la Société convoquait une nouvelle fois Madame R. à un entretien préalable et le 10 juillet 2014, la salariée était licenciée pour motif économique.
Le 4 janvier 2015, contestant la mesure, Madame R. saisissait le conseil de prud'hommes d'Avignon en paiement de différentes sommes indemnitaires ; par jugement du 8 juillet 2016, le Conseil déboutait Madame R. de l'ensemble de ses demandes et la condamnait au paiement de la somme de 600 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Le 22 août 2016, Madame R. interjetait appel de ce jugement.
La clôture était fixée le 15 novembre 2017 et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 29 novembre 2017.
A l'audience, les parties s'accordent sur la révocation de l'ordonnance de clôture pour admettre les dernières écritures et pièces communiquées.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 28 novembre 2017, Madame R. demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- dire nul son licenciement en raison de son caractère discriminatoire,
- à titre subsidiaire, dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement ;
- en tout état de cause, dire que la société Les Vignerons du Gravillas n'a pas respecté les critères d'ordre de licenciement dans le cadre d'un licenciement économique,
- condamner la même à lui payer, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine, les sommes suivantes :
* 20 000 euros net à titre d'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ou à tout le moins 7316,22 euros correspondant à 6 mois de salaires,
* Subsidiairement, 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect par l'employeur des critères de licenciement,
* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'adaptation de la salariée à l'évolution de son emploi,
* 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de 1ère instance et d'appel.
Elle demande également à la Cour d'ordonner sous astreinte la remise d'un bulletin de salaire rectifié et de :
- constater que le salaire moyen des trois derniers mois travaillés (application du minimum conventionnel) s'élève à 1 219,37euros ;
- condamner la société Les Vignerons du Gravillas à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées dans la limite de 6 mois en application de l'article L 1235-4 du code du travail,
- condamner la même au paiement des entiers frais et dépens.
Elle fait principalement valoir que :
- l'ordre de licenciement est basé sur plusieurs critères dont celui de la polyvalence ; or, la mauvaise notation obtenue pour ce critère fait suite à son invalidité, il s'agit d'un critère discriminant ;
- les difficultés financières de la Société ne sont ni importantes ni durables ;
- la société ne justifie ni de ses recherches de reclassement ou d'aménagement de poste ni d'avoir réalisé les efforts de formation et d'adaptation exigés par la réglementation ni encore d'avoir saisi la commission paritaire régionale conformément à la convention collective ;
- concernant les critères d'ordre des licenciements, la société ne justifie pas des éléments objectifs lui ayant permis d'arrêter son choix ;
- elle n'a en outre jamais mis en place de formation de nature à permettre son adaptation à son poste de travail ;
- l'employeur a manqué à l'obligation conventionnelle d'organiser une fois par an un entretien individuel lui permettant de se situer par rapport aux exigences du poste, de formaliser ses éventuelles demandes concernant la revalorisation de sa rémunération, sa progression dans le poste ou le suivi d'actions de formation pour accompagner son évolution.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 27 novembre 2017, la société Les Vignerons du Gravillas demande à la cour de :
- constater que les difficultés économiques auxquelles elle a dû faire face a nécessité l'adoption de mesures de réorganisation et relever le caractère économique du licenciement,
- constater que les critères dans l'ordre des licenciements ont été établis conformément aux dispositions légales tant de forme que de fond et que l'application faite individuellement de ces critères est conforme aux mêmes dispositions,
- constater qu'aucune discrimination n'est à relever par l'application des critères dans l'ordre des licenciements,
- constater que l'employeur respecte ses obligations en matière de reclassement comme de formation,
En conséquence,
- confirmer en tous ses points le jugement attaqué et par ce fait :
- dire que le licenciement de la salariée est fondé sur une cause économique et la débouter de sa demande à ce titre,
- dire que les critères dans l'ordre des licenciements ont été appliqués selon les dispositions légales et débouter la salariée de ce chef,
- dire qu'aucune discrimination n'est à relever dans l'application des critères dans l'ordre des licenciements,
- dire que l'employeur a respecté ses obligations en matière de reclassement comme de formation et débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes à ce titre,
- condamner Madame Cécile R. à 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose essentiellement que :
- l'établissement des critères d'ordre des licenciements est parfaitement régulier ; le critère de reconnaissance de travailleur handicapé a été noté au même niveau que les charges de famille afin de rééquilibrer le différentiel avec la capacité de polyvalence ;
- le licenciement est justifié par la situation économique catastrophique de la cave ;
- la branche professionnelle n'a jamais mis en place de commission paritaire avec pour mission l'aide au reclassement externe ; la Société ne pouvait pas saisir une commission qui n'existait pas ;
- Madame R. a toujours bénéficié des formations qu'elle souhaitait.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs écritures.
MOTIFS
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture :
Les parties s'accordant sur ce point, il y a lieu de révoquer l'ordonnance de clôture et de reporter celle-ci au jour de l'audience.
Sur la nullité du licenciement pour discrimination :
En cas de litige en matière de discrimination, il appartient au salarié concerné, en application de l'article L.1134-1 du code du travail, de présenter les éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et à la partie défenderesse de prouver, au vu de ces éléments, que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il y a discrimination lorsque l'employeur s'est livré à des pratiques ayant eu pour effet de traiter différemment un salarié en raison d'un des motifs prohibés par l'article L 1132-1 du code du travail.
Madame R. soutient que son licenciement est nul en ce que le critère de polyvalence auquel il a été fait référence pour établir l'ordre de licenciement a été affecté par son état de santé qui lui interdisait d'obtenir dans ce domaine un score satisfaisant.
Elle avance ainsi que sa 'notation est manifestement liée à (son) invalidité, laquelle limite les tâches qu'elle peut effectuer, même si elle effectue de multiples tâches'.
Elle en déduit que l'employeur s'est livré à un choix discriminatoire entre les différents salariés.
Elle produit uniquement à l'appui de ses assertions la liste des tâches qu'elle prétend effectuer.
Cette pièce établie par l'intéressée et qui ne repose sur aucun élément objectif ne permet pas de présumer d'une quelconque situation discriminante.
La cour remarque en outre qu'il n'est versé aux débats aucune donnée médicale sur l'inaptitude de la salariée et la modification de ses capacités fonctionnelles.
Rien ne permet d'établir que son affection a pu avoir un impact sur ses attributions ni encore que celles-ci ont pu changer depuis sa mise en invalidité.
En l'absence de tout élément de fait susceptible de laisser supposer des faits de discrimination, la demande en nullité du licenciement doit être rejetée et le premier jugement sera confirmé.
Sur le bien-fondé du licenciement :
Madame R. soutient que son licenciement n'est pas fondé faute pour l'employeur de justifier d'une cause économique et d'avoir respecté son obligation de reclassement.
Sur la cause économique :
Selon l'article L.1233-3 du code du travail, en sa version applicable, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification,
refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Le 10 juillet 2014, Madame R. était licenciée dans ces termes :
« Ces dernières années, l'entreprise connaît d'importantes difficultés économiques en grande partie imputables à ses volumes de vin. En 2013, la situation s'est de nouveau dégradée.
En effet, de 432 322 euros au 31 juillet 2012, le découvert s'est aggravé au 31 juillet 2013 en passant à 488 033 euros soit une augmentation de 55 711 euros.
Les créances clients qui représentaient 21 528 euros au 31 juillet 2012 représentent 275 834 euros au 31 juillet 2013 soit une augmentation des créances clients de 254 306 euros. Cela engendre des difficultés de trésorerie.
La dette fournisseurs qui atteignait 302 707 euros au 31 juillet 2012 a atteint 421 297 euros au 31 juillet 2013 soit une augmentation de la dette fournisseurs de 118 590 euros. L'allongement du délai de règlement des fournisseurs est une conséquence de la baisse de trésorerie.
La récolte 2011 était de 20 631 HL contre 16 026 HL pour la récolte 2012 et 11 377 HL pour la récolte 2013. La baisse de la récolte continue à dégrader la situation financière de l'entreprise et ne permet pas dans le contexte agricole actuel d'envisager une amélioration de la situation.
Les charges fixes sont particulièrement lourdes proportionnellement aux volumes des récoltes 2012 et 2013 ce qui nécessite obligatoirement une adaptation de ces charges au faible volume de récoltes précitées.
L'entreprise a engagé des actions afin d'assurer le redressement de la situation :
- Pendant les vendanges 2013, l'équipe du Gravillas a pratiquement tourné sur elle-même sans l'apport important de saisonniers (importance de la polyvalence),
- Devant les résultats de la commercialisation du dimanche, fermeture du caveau le dimanche,
- Augmentation de la tarification sur nos différents marchés en vrac et bouteilles,
- Recherche dans l'optimisation de l'achat des différentes matières sèches liées à la commercialisation des bouteilles,
- Compression au maximum des charges fixes à ce jour (hors masse salariale),
- Développement de certains axes commerciaux générateurs de valorisation intéressante des produits (résultat à l'export en augmentation),
- Adaptation du rythme de règlement de la récolte à nos coopérateurs (acompte recalculé et adapté).
Malgré l'ensemble des mesures mises en place, l'entreprise constate l'aggravation de sa situation à un niveau non supportable et se voit aujourd'hui contrainte pour faire face aux difficultés économiques générées de prendre des mesures pour réorganiser l'entreprise.
C'est pourquoi nous sommes amenés à supprimer votre poste.
Nous avons recherché toutes les possibilités de reclassement dans la société. Cependant aucune solution de reclassement ou d'aménagement de poste n'a pu être trouvée compte tenu notamment de la taille de l'entreprise.
Par ailleurs, nous vous précisons que dans le cadre des mesures de reclassement nous avons recherché auprès d'organismes et entreprises des postes à pourvoir et qui pourraient vous être proposés. A ce jour, nous n'avons pas reçu de réponse positive ».
A l'appui des difficultés économiques évoquées, l'employeur se prévaut de différents documents :
- les procès-verbaux de la consultation des délégués du personnel sur le projet de licenciement économique des 20 février et 6 juin 2014,
- un tableau certifié par le commissaire aux comptes de la société présentant, pour la période 2006 à 2014, une baisse de la production et la forte dégradation des revenus des coopérateurs, associés de la coopérative,
- les déclaration de productions 2012/2013, 2013/2014, 2014/2015 qui établissent, tous produits confondus, une diminution de la superficie de récolte attestant du départ de coopérateurs ;
- ses comptes de résultats qui font apparaître à la clôture de chaque exercice (1er août/31 juillet) les chiffres suivants :
exercice
produits d'exploitation
charges d'exploitation
résultat d'exploitation
2011/2012
4 503 080
4 476 688
26 392
2012/2013
3 657 961
3 634 388
23 573
2013/2014
2 964 098
3 000 539
(36 442)
Ces données chiffrées doivent être rapprochées de l'attestation de Monsieur Grégory H., expert-comptable, qui bien que ne respectant pas les prescriptions du code de procédure civile, est suffisamment détaillée pour constituer un élément de preuve admissible ; il explique que 'les difficultés financières de la cave du Gravillas sont la conséquence de plusieurs facteurs, le premier est une perte régulière des volumes de raisin apportés par les associés coopérateurs. Cela entraîne une augmentation mathématique des frais de cave des adhérents. A niveau de prix constant, leur rémunération s'en trouve donc réduite...Le second facteur vient d'une concurrence de plus en plus forte des vinificateurs et acheteurs de raisin hors coopérateurs. Dans ces conditions, la cave a une nécessité impérieuse de se restructurer en réduisant de façon importante ses frais fixes (salaires, charges de fonctionnement externes...). Il est par ailleurs important de préciser qu'en amont, la cave a employé tous les leviers pour éviter ces mesures (allongement des délais de règlement des récoltes, augmentation des découverts bancaires, meilleurs circuits de distribution, réduction des mesures d'investissement)'.
La rentabilité insuffisante de l'entreprise, aggravée par les charges d'exploitation excessives, justifiait tout à fait la nécessité de réduire ces charges.
Parmi celles-ci figurent celles du caveau qui d'après la lettre de licenciement avait été fermé le dimanche.
Le fait prouvé par la salariée que le caveau soit resté ouvert très ponctuellement certains dimanches en 2014 ou en 2015 , à des dates stratégiques (vacances scolaires, pont, fête de la vigne et du vin...) ou durant les trois mois d'afflux touristique de la période estivale, ne contredit pas la réalité des mesures de réduction des coûts adoptées par l'entreprise.
Malheureusement, en dépit de ces mesures, la situation restait préoccupante puisque le commissaire aux comptes de la Société déclenchait à la fin de l'année 2017 une procédure d’alerte.
Si les articles de la presse professionnelle versés aux débats ne visent pas nominativement la Société Les Vignerons du Gravillas, ils permettent d'illustrer la crise générale des vins d'appellation Cotes du Rhône produits et distribués par la cave.
Les graves difficultés économiques auxquelles la cave était confrontée depuis plusieurs années sont avérées.
Le licenciement de Madame R. repose donc effectivement sur un motif économique réel et sérieux.
Sur l'obligation de reclassement :
Selon l'article L.1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
L'appelante fait principalement valoir que la commission paritaire régionale de l'emploi instituée par les partenaires sociaux dans la branche des coopératives agricoles n'a pas été saisie par l'employeur, qui a donc manqué, d'après elle, à une obligation conventionnelle en matière de reclassement.
Il n'est pas discuté que la convention collective applicable prévoit, en son annexe IV, la création d'une commission paritaire nationale interbranches de l'emploi dans toutes les régions dotées d'une fédération régionale de la coopération agricole.
Ces commissions ont notamment pour attribution 'd'examiner en cas de compression d'effectifs entraînant des licenciements toutes les dispositions susceptibles de concourir au reclassement des salariés licenciés, de participer à l'étude des possibilités de reclassement dans les autres coopératives du secteur agricole dépendant de cette région ou de toute autre région limitrophe...'... 'La commission paritaire régionale sera informée des licenciements collectifs sitôt que le comité d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, les délégués du personnel en auront eux-mêmes été régulièrement informés'.
Il est par la suite acquis que lorsqu'une convention collective prévoit des obligations particulières à la charge de l'employeur en matière de reclassement, même à l'extérieur de l'entreprise, comme la saisine d'une organisation professionnelle ou d'un comité territorial ayant une mission de reclassement , le non-respect d'une telle obligation prive de cause réelle et sérieuse le licenciement intervenu, sauf à constater toutefois que l'organisme prévu n'a pas été mis en place par les partenaires sociaux.
En l'espèce, l'existence d'une telle commission paritaire régionale est contestée par l'employeur et Madame R., sur qui repose la charge de la preuve, ne rapporte aucun élément permettant d'en justifier.
Cette analyse est confortée par la réponse négative du syndicat professionnel 'coop de France', interrogé par l'employeur le 19 août 2014, dans le cadre des tentatives de reclassement de l'autre salarié licencié, qui n'aurait pas manqué de renvoyer la société coopérative vers la commission paritaire si celle-ci avait existé.
Ce premier moyen ne peut dès lors prospérer.
Par ailleurs, mais de manière accessoire, Madame R. soutient que l'employeur n'a fait aucun effort pour tenter de la reclasser.
Pour justifier de ses recherches, l'employeur produit :
- le compte-rendu de la consultation des délégués du personnel du 6 juin 2014 dont il ressort la constatation par les partenaires sociaux de l'absence de toute solution 'de reclassement en interne',
- les courriers circonstanciés du 26 mai 2014 adressés par l'employeur aux organismes suivants : office de tourisme de Rasteau, cave de Roaix Séguret, Cave La Suzienne, office de tourisme de Vaison la Romaine, Fédération des Caves des Vignerons Coopérateurs de Vaucluse, Cave La Vinsobraise, Cave La Comtadine, Cave des Vignerons, Côté Millésime, Domaine de la Renjarde et les réponses négatives ;
- le courrier en réponse du syndicat professionnel 'coop de France' informant l'employeur avoir 'procédé à la communication des deux postes dont la suppression est envisagée sur la base de la fiche descriptive de poste que vous nous avez communiqué (...)'.
L'examen de ces pièces permet de constater que l'employeur a tout mis en oeuvre pour rechercher de façon loyale et sérieuse à reclasser Madame R..
Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les critères d'ordre des licenciements :
Selon l'article L 1233-5 du code du travail, en sa version applicable, lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel.
Ces critères prennent notamment en compte : 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L'employeur peut privilégier un de ces critères notamment celui tiré de la valeur professionnelle des salariés à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article.
En l'espèce, Madame R. prétend que l'employeur n'a pas respecté les dispositions légales applicables puisqu'il lui apparaît 'pour le moins surprenant qu'elle soit celle qui a recueilli le moins de points, alors qu'elle est reconnue en invalidité catégorie 2, qu'elle avait une ancienneté de presque 30 ans, avait 48 ans révolus et bénéficiait de compétences indéniables'.
Il est acquis que les assistantes, parmi lesquelles Madame R., étaient au nombre de trois.
Parmi cette catégorie de personnel, la suppression d'un seul poste était envisagée.
D'après les pièces versées aux débats, la décision de supprimer le poste de Madame R. a été prise, cette dernière ayant obtenu le nombre de points le moins élevé après application par l'employeur de tous les critères légaux :
- les charges de famille, avec pondération en fonction du nombre d'enfants à charge ou en fonction de la qualité de parent isolé,
- l'ancienneté dans l'entreprise calculée au 16 mai 2014 à raison de 1 point par année,
- âge du salarié avec majoration de points pour la tranche 46/65 ans,
- reconnaissance travailleur handicapé avec majoration de points en cas de problèmes de santé reconnus,
- qualités professionnelles incluant l'autonomie, la polyvalence, la rigueur et la disponibilité au travail.
Les trois salariées obtenaient le score global de :
- 128,72 points pour Madame R.,
- 132,14 points pour Madame B.,
- 135,81 pour Madame L..
La cour relève que l'employeur a fait pour chacune des trois une exacte application des critères au titre des charges de famille, de l'ancienneté, de l'âge, ou encore du handicap reconnu pour lequel l'intéressée a obtenu plus de points (5 points) que ses deux collègues (0 point).
Madame R. critique essentiellement l'application par l'employeur du critère 'polyvalence' pour lequel elle n'obtenait que 10 points là où Mesdames B. et L. obtenait chacune 30 points.
La cour constate que l'employeur ne produit au dossier aucun élément à l'appui des données objectives qu'il évoque pour démontrer la plus grande polyvalence des deux autres salariées, à l'exception du diplôme d'oenologie de Madame L..
Il ne justifie ni de la formation supérieure de Madame B., alors qu'il se prévaut de son diplôme universitaire en gestion économique et administrative, ni encore de l'expérience que cette dernière aurait acquise 'tant à la cave coopérative de Vinobre qu'à la caisse du crédit agricole de Vaison la Romaine'.
Ni l'expert-comptable ni le commissaire aux comptes n'attestent la réalité de la maîtrise comptable de Madame B. qui, d'après l'employeur, a permis 'd'intégrer des prévisionnels intermédiaires gage d'une meilleure gestion du suivi cave et commercial' et aucun prévisionnel intermédiaire n'est communiqué.
Aucune fiche de poste ni contrat de travail n'est versé aux débats.
Le choix opéré parmi les trois salariées n'est pas justifié. Les critères d'ordre n'ont pas été respectés.
Le préjudice de Madame R. consistant pour cette dernière à avoir perdu son emploi au sein de la société de manière injustifiée doit être réparé par l'allocation d'une indemnité de 12 000 euros tenant compte de son âge lors de la rupture (47 ans) de son salaire (1 219,37 euros) de son ancienneté (plus de 28 ans) dans la société et de l'évolution de sa situation depuis la rupture.
Sur le manquement à l'obligation d'adaptation à l'emploi :
Selon l'article L.6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il doit être rappelé à titre liminaire que la mise en place des formations relève de l'initiative de l'employeur, celui-ci ne pouvant se retrancher derrière l'absence de demande salariale pour s'exonérer de son obligation.
La société Les Vignerons du Gravillas a motivé la lettre de licenciement par les difficultés économiques rencontrées depuis plusieurs années précédant la rupture du contrat.
Madame R. a été licenciée pour avoir obtenu le moins de points au critère de polyvalence au poste d'assistante.
Il appartenait à la Société, alors confrontée à la baisse de son activité, d'assurer à Madame R. une formation lui permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi exigeant beaucoup plus de polyvalence, ce qu’elle ne justifie pas avoir fait.
Les seules formations en 'logiciel de caisse' et en 'lotissement traçabilité' effectuées par la salariée respectivement en 2000 et en 2004, à hauteur de 4 heures chacune, antérieures à l'apparition des difficultés de la société ne répond pas à l'impératif de formation visé aux articles précités, nulle formation n'ayant été dispensée à Madame R. lui permettant de s'adapter à la crise viticole qui devait frapper l'entreprise.
Il s'ensuit que la décision sera infirmée en ce qu'elle a débouté Madame R. de sa demande indemnitaire, l'indemnité devant être fixée à la somme de 2 000 euros pour le manquement de l'employeur à cette obligation.
Sur le manquement à l'obligation d'organiser un entretien individuel annuel :
Madame R. invoque le manquement de l'employeur à son obligation conventionnelle d'organiser un entretien individuel annuel.
Elle ne formule toutefois à ce titre aucune demande particulière.
Sur les intérêts :
La cour rappelle que les sommes indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
Sur les demandes accessoires :
Compte tenu de la nature des sommes allouées, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de rectification des documents de fin de contrat de l'appelante.
Les parties succombant tour à tour, il ne sera pas fait droit à leur demande au titre des frais irrépétibles.
Les parties conserveront la charge de leurs propres dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale, par mise à disposition au greffe ;
Prononce la révocation de l'ordonnance de clôture et dit que la clôture est fixée au jour de l'audience ;
Confirme le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a dit que le licenciement pour motif économique était fondé et a débouté Madame R. de ses demandes y attachées ;
Infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et Y ajoutant ;
Condamne la société Les Vignerons du Gravillas à verser à Madame Cécile R. les sommes suivantes :
- 12 000 euros d'indemnité pour non-respect de l'ordre de licenciement,
- 2000 euros d'indemnité pour manquement de l'employeur à son obligation de formation,
Dit que les sommes indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la présente décision,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit que les parties conserveront la charge de leurs propres dépens de première instance et d'appel.