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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 mai 2023, n° 21/09870

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MVI (SAS), VVO (SAS)

Défendeur :

Volkswagen Group France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dallery

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, M. Richaud

Avocats :

Me Régnier, Me Guillin, Me Lallement, Me Vogel, Me Pagnoux

TJ Paris, 4e ch. sect. 1, du 19 janv. 20…

19 janvier 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Volkswagen Group France (ci-après Volkswagen) est l’importateur en France des véhicules neufs de la marque Volkswagen et de la marque Volkswagen Véhicules Utilitaires, et de plusieurs autres marques, ainsi que leurs pièces de rechange et accessoires.

Les sociétés MVI et VVO sont distributeurs et réparateurs agréés des véhicules industriels de la marque Man depuis 1999, sur la ville de Cavaillon s’agissant de la société VVO et sur la ville de Entraigues sur la Sorgues s’agissant de la société MVI.

Elles font partie d'un groupe qui comprend trois autres concessions à Nîmes, Alès, et Montélimar.

Le 10 janvier 2011, Volkswagen a conclu un contrat de distributeur agréé de véhicules utilitaires de la marque Volkswagen, et un contrat de réparateur agréé avec :

- la société VVO, concernant le site de Cavaillon ;

- la société MVI, concernant le site de Entraigues sur la Sorgues.

Le 23 novembre 2016, Volkswagen a résilié, par lettre recommandée avec accusé de réception, ces contrats avec effet au 23 novembre 2018.

Le 23 août 2018, les sociétés MVI et VVO ont assigné la société Volkswagen Group France devant le tribunal de grande instance de Paris, désigné compétent par les contrats, en indemnisation de leurs préjudices pour rupture abusive des contrats.

Par jugement du 19 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

- Déboute la société VVO et la société MVI de l’ensemble de leurs demandes ;

- Condamne la société VVO et la société MVI à payer à la société Volkswagen Group France la somme de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamne aux entiers dépens de l’instance ;

- Dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour en date du 26 mai 2021, la société MVI et la société VVO ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 avril 2022, les société MVI et VVO demandent à la Cour, au visa de l’article 1134 alinéa 3 ancien du code civil, de :

- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris 19 janvier 2021,

Statuant à nouveau :

- Juger que la société  Volkswagen Group France a engagé sa responsabilité à l’égard des Sociétés MVI et VVO,

- Condamner en conséquence la société  Volkswagen Group France à payer :

* à la société MVI :

° 350.000 € au titre de la perte de son fonds de commerce VW Utilitaires,

° 55.000 € au titre du licenciement de Monsieur Philippe Jumeau,

° 235.049 € au titre des investissements effectués dans l’intérêt de la marque VW Utilitaires, devenus inutiles,

° 15.411 € au titre de l’outillage spécifique, acquis dans l’intérêt de la marque VW Utilitaires, devenus inutiles,

° 42.560 € HT au titre de la reprise du stock de pièces de rechange VW Utilitaires ;

* à la société VVO :

° 235.000 € au titre de la perte de son fonds de commerce VW Utilitaires,

° 337.803 € au titre de la perte de marge brute sur les années 2017 et 2018,

° 214.806 € au titre des investissements effectués dans l’intérêt de la marque VW Utilitaires, devenus inutiles,

° 15.411 € au titre de l’outillage spécifique, acquis dans l’intérêt de la marque VW Utilitaires, devenus inutiles,

° 19.661 € HT au titre de la reprise du stock de pièces de rechange VW Utilitaires ;

- Condamner la société Volkswagen Group France à payer à chacune des sociétés MVI et VVO la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Volkswagen Group France aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 14 février 2023, la société Volkswagen Group France demande à la Cour, au visa de l’article 1134 du code civil, de :

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 19 janvier 2021 en toutes ses dispositions, et donc en ce qu’il a :

* Débouté la société VVO et la société MVI de l’ensemble de leurs demandes ;

* Condamné la société VVO et la société MVI à payer à la société  Volkswagen Group France la somme de 7.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

* Condamné la société VVO et la société MVI aux entiers dépens de l’instance ;

- Rejeter l’ensemble des demandes des sociétés MVI et VVO ;

- Condamner solidairement les sociétés MVI et VVO à verser à la société Volkswagen Group France la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner les sociétés MVI et VVO aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL BDL Avocats, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2023.

MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Sur l'abus du droit de rompre le contrat

Exposé du moyen :

La société MVI et la société VVO font valoir que Volkswagen a commis une faute en procédant, de mauvaise foi et de manière abusive, à la mise en œuvre des clauses résolutoires, mettant fin à l’ensemble des contrats conclus avec les sociétés MVI et VVO. En effet, ces résiliations sont intervenues moins de 6 ans après avoir fait investir les sociétés MVI et VVO pour la distribution et la réparation des véhicules utilitaires de sa marque, laquelle était alors très peu représentée dans le département du Vaucluse.

Elles se prévalent de quatre arrêts de la Cour de cassation (Com, 5 avril 1994, n° 92-17.278 ; Com. 20 janvier 1998, n° 93-18353 ; 1ere Civ, 21 fév. 2006, n° 02-21.240 ; Com. 8 oct. 2013, n° 12-22.952) relatif au caractère abusif d'une résiliation, notamment compte tenu des investissements effectués à la demande du co-contractant.

Elles soutiennent avoir fait tripler les ventes de véhicules Volkswagen utilitaires entre 2011 et 2017. Elles estiment qu’en 2016, elles commençaient à constituer un parc de véhicules d’occasion significatif qui leur permettait de faire travailler sur les 10 années à venir leurs ateliers de réparation et de rentabiliser leurs investissements. Elles ajoutent que le nouveau concessionnaire retenu n'a fait aucune offre de reprise, ni du fonds, ni des stocks de pièces, ni du salarié qu'elle avait repris du concessionnaire précédent en 2010 alors qu'il était âgé de 50 ans.

La Société Volkswagen Group France répond avoir mis en œuvre les clauses résolutoires des différents contrats de bonne foi et conformément aux stipulations contractuelles, notamment l’article 17 du contrat de distributeur signé par les sociétés MVI et VVO, et l’article 18 du contrat de réparateur agréé signé par les sociétés MVI et VVO, qui prévoient la possibilité, par l’une ou l’autre des parties contractantes, de résilier le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception, adressée à l’autre partie avec un préavis de 24 mois.

Elle justifie la résiliation des contrats par un changement de stratégie de distribution, et précise que cette résiliation a aussi eu lieu pour le site d’Alès, laquelle est n’est pas contesté par les appelantes (l'économie de la transaction reposant sur la renonciation au préavis de 24 mois et la reprise du fonds de commerce).

Elle fait valoir que les sociétés MVI et VVO citent des décisions de jurisprudence très anciennes, rendues à une époque où les préavis de résiliation ordinaire étaient beaucoup plus courts et qui évoquent des faits très différents (résiliation intervenue 20 jours après le renouvellement de la concession, signature en parallèle d'un pacte de préférence et d'une promesse de revente d'une durée de 10 ans, manœuvre de l'auteur de la résiliation en vue de faire occuper un poste stratégique par son épouse, reconversion sciemment entravée par le concédant...)

Elle ajoute que :

- les investissements réalisés en l'espèce par les sociétés concessionnaires sont intervenus 8 ans auparavant et avaient été quasiment amortis en totalité,

- la résiliation prévue contractuellement a prévu un préavis plus que raisonnable de 2 ans, aucune circonstance entourant la rupture ne caractérise un abus de droit.

Réponse de la Cour :

Il résulte des dispositions de l'article 1134 alinéa 2 du code civil que, dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n'a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l'alinéa 3, offerte aux deux parties.

En l'espèce, les articles 17 du contrat de distributeur agréé et 18 du contrat de réparateur agréé signés le 10 janvier 2011 prévoient une faculté de résiliation pour chaque partie contractante avec un préavis de 24 mois.

Les appelantes font valoir que l'abus réside dans la grande précocité de la rupture eu égard à l'importance des investissements réalisés pour devenir concessionnaires Volkswagen, étant rappelé que ces investissements étaient une condition pour que les entreprises soient agréées.

Cependant la Cour constate, en premier lieu, comme l'a fait le tribunal, que les sociétés VVO et MVI étaient concessionnaires d’autres marques.

La Cour retient, en deuxième lieu, qu'il ressort d'une analyse financière (pièce Volkswagen n° 4) non utilement contestée par les appelantes, que l'ensemble des investissements correspondant aux factures émises par MVI au titre des aménagements et travaux de mise au standard  Volkswagen, des matériels et outillages spécifiques et de l'outillage spécifique à la marque avaient été entièrement amorties fin novembre 2018 et que s'agissant de la société VVO, seule une facture du 6 février 2017 d'un montant de 1 420 euros ne l'aurait pas été (mention manuscrite du service comptable de cette société).

La circonstance que le commissaire aux comptes de ces sociétés évoque (pièce MVI et VVO n° 29) la durée d'utilisation réelle de ces aménagements et équipements et atteste que ces derniers « étaient, au jour de la prise d'effet de la résiliation du contrat de distribution, en parfait état de fonctionnement, ce qui témoigne d'une valeur économique de ces actifs » est dépourvue de portée. Cet élément, s'il est à vocation à être pris en compte lors de l’évaluation du préjudice économique une fois la faute établie, ne permet pas en effet de caractériser par lui-même un abus par la société Volkswagen de son droit de résilier unilatéralement les contrats conclus pour une durée indéterminée.

C'est à raison, en troisième lieu, que le tribunal a, dans la décision attaqué, retenu que :

- MVI et VVO ne démontraient pas avoir engagé des dépenses de formation ou un travail de fond sur le terrain pour amener les clients à changer de marque, ni que ces dépenses n'étaient pas amorties au jour de la fin du contrat ;

- que l'acquisition en décembre 2010 de la branche d'activité « concessionnaire Volkswagen » à la société MGC Motors Avignon ne pouvait être prise en compte eu égard à la une durée effective des contrats litigieux (plus de 7 ans et demi) et au rachat ou remboursement par  Volkswagen de tous les véhicules et outillages de sa marque au moment de la résiliation.

- que l'abus de droit ne peut procéder du préjudice causé par la rupture, mais des circonstances entourant celles-ci, si bien que le fait que les sociétés MVI et VVO comptaient sur un parc de véhicules à réparer qui lui échappe avec la résiliation du contrat ne peut constituer une circonstance caractérisant l'abus dans la rupture.

Il n'est pas démontré, enfin, que la rupture procéderait d'une intention de nuire, ni que Volkswagen se serait livrée à des manœuvres de nature à tromper ses concessionnaires sur sa volonté de mettre fin au contrat.

Il s'en déduit que l'examen des circonstances établies ne permet pas en l'espèce de retenir une faute faisant dégénérer en abus l'exercice du droit de rompre.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a considéré que la résiliation n'était pas fautive et que les préjudices allégués n'étaient pas en lien avec une faute de Volkswagen.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Volkswagen les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits en cause d'appel. Il sera en conséquence fait droit à sa demande à hauteur de 7 000 euros.

Les appelantes sont déboutées de leurs demandes formées à ce titre. Parties perdantes, elles seront condamnées aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 19 janvier 2021 en l’ensemble des dispositions qui lui sont soumises,

Y ajoutant ;

CONDAMNE in solidum la société VVO et la société MVI à payer à la société Volkswagen Group France la somme supplémentaire de 7.000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la société VVO et la société MVI aux dépens d’appel.