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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 21 juin 2006, n° 05/13463

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ROCHER

Défendeur :

EDITIONS DU ROUERGUE (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Alain CARRE PIERRAT

Conseillers :

Madame Marie Gabrielle MAGUEUR, Madame Dominique ROSENTHAL-ROLLAND

Avoués :

Me Michel BLIN, SCP BOMMART-FORSTER - FROMANTIN

Avocats :

Me Jean-Louis LAGARDE, Me Emmanuel PIERRAT

Paris, du 18 mai 2005

18 mai 2005

Vu l'appel interjeté par Philippe ROCHER du jugement rendu le18 mai 2005 par le tribunal de grande instance de Paris qui l'a débouté de ses demandes, l'a condamné à payer à la société Editions du Rouergue la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, a débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné Philippe ROCHER aux dépens ;

Vu les dernières écritures signifiées le 15 mai 2006 par lesquelles Philippe ROCHER, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la Cour de :

- dire que la société Editions du Rouergue a manqué à son obligation permanente et suivie du livre dont il est l'auteur au cours des années 2002, 2003 et 2004,

- dire que les dispositions de l'article 9 alinéa 3 du contrat d'édition conclu le 21 octobre 1997 dont contraires à l'ordre public en ce qu'elles contreviennent à l'obligation d'exploitation permanente et suivie de l'ouvrage et permettent, d'une part, l'épuisement du livre, d'autre part, un délai de douze mois sans exploitation à la suite de la constatation de cet épuisement,

- dire nulle et nul effet la clause figurant à l'article 9 du contrat d'édition permettant à l'éditeur de conserver de façon potestative le bénéfice des droits de l'auteur un an après la réception d'une mise en demeure constatant l'épuisement de l'ouvrage,

- constater l'absence de cause dans le contrat d'édition à la cession des droits de l'auteur au profit de l'éditeur, du fait de l'absence de contrepartie d'exploitation permanente et suivie de l'éditeur,

- prononcer en conséquence la nullité de ladite clause,

- prononcer la résiliation du contrat d'édition pour inexécution au visa de l'article 1184 du Code civil, aux torts exclusifs des Editions du Rouergue,

- dire que la société Editions du Rouergue a tardivement notifié à Philippe ROCHER la restitution de ses droits par courrier du 24 janvier 2005,

- condamner la société Editions du Rouergue à payer à Philippe ROCHER :

* la somme de 15.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial,

* la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- ordonner, à titre de réparation complémentaire la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir, en totalité ou par extraits, dans trois publications quotidiennes ou périodiques de son choix, aux frais de la société Editions du Rouergue, dans la limite totale de 10.000 euros HT,

- condamner la société Editions du Rouergue à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 16 janvier 2006 aux termes desquelles la société Editions du Rouergue prie la Cour de confirmer le jugement déféré et, y ajoutant, de condamner Philippe ROCHER à lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et celle de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 22 mai 2006 ;

Vu les conclusions de procédure signifiées le 23 mai 2006 par lesquelles la société Editions du Rouergue sollicite le rejet des débats des pièces communiquées sous les numéros 23 à 28, le 22 mai par Philippe ROCHER ;

SUR QUOI, LA COUR

- Sur l'incident de communication de pièces

Considérant que Philippe ROCHER a communiqué les pièces numérotées 23 à 28, le 22 mai 2006 , jour du prononcé de la clôture de sorte que la société Editions du Rouergue n'a pas été à même d'en prendre connaissance et de disposer d'un temps utile pour en débattre contradictoirement ;

Qu'afin que soit observé le principe de la contradiction, ces pièces seront rejetées des débats ;

- Sur le fond

Considérant que Philippe ROCHER, auteur photographe, a conclu le 21 octobre 1997 un contrat d'édition avec la société Editions du Rouergue pour la publication d'un ouvrage intitulé 'Chevaux de trait' ;

Que cet ouvrage, achevé d'imprimer en septembre 1998, a été publié au mois d'octobre 1998, au prix de 240 F TTC, soit 36,59 euros, et tiré à 4.395 exemplaires ;

Que par lettre datée du 14 janvier 1999, les Editions du Rouergue ont informé Philippe ROCHER qu'il restait environ 400 exemplaires en stock et que des retours étaient attendus, lui précisant que pour envisager un retirage il faudra trouver quelques ventes en dehors des libraires ;

Que les ventes se sont poursuivies jusqu'au mois de décembre 2001, l'éditeur ayant pris la décision de ne pas rééditer l'ouvrage ;

Que par lettre du 11 avril 2003, Philippe ROCHER a fait savoir à son éditeur que, faute de réimpression de l'ouvrage, il considérait qu'il avait retrouvé la libre disposition de ses droits d'exploitation ;

Que par lettre recommandée avec avis de réception du 7 mai 2003, la société Editions du Rouergue lui rappelait que, conformément à l'article 9 du contrat, elle disposait d'un délai de douze mois à compter du 15 avril 2003 pour décider ou non d'une réimpression de l'ouvrage et que si cette réimpression ne se faisait pas, il recouvrerait la libre disposition de ses droits à compter du 15 avril 2004 ; que par lettre recommandée avec avis de réception du 6 août 2003, elle lui confirmait la teneur du précédent courrier ;

Qu'en réponse à une lettre du conseil de Philippe ROCHER datée du 7 janvier 2005, qui lui demandait s'il pouvait disposer sans délai et librement de l'intégralité de ses droits d'auteur, la société Editions du Rouergue lui indiquait, le 24 janvier 2005, qu'il avait repris l'intégralité de ses droits d'auteur depuis le 11 avril 2004 du fait de la résiliation de plein droit du contrat d'édition du 21 octobre 1997 ;

Que, c'est dans ces circonstances, que Philippe ROCHER a, par acte du 31 janvier 2005, assigné selon la procédure à jour fixe, la société Editions du Rouergue devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prononcer la résiliation du contrat d'édition aux torts de cette dernière ;

* Sur la demande de résiliation du contrat d'édition du 21 octobre 1997 aux torts de l'éditeur

Considérant qu'aux termes de 25 pages de développement, Philippe ROCHER reproche à la société Editions du Rouergue de n'avoir rien fait postérieurement au 31 décembre 2001, ni pour réimprimer, ni pour rééditer l'ouvrage, contrevenant ainsi à son obligation d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale ; qu'il ajoute que l'article 9 du contrat d'édition est en contradiction avec les dispositions d'ordre public de l'article L.132-12 du Code de la propriété intellectuelle de sorte cette clause est nulle et de nul effet ;

Considérant qu'aux termes de l'article 9 alinéa 4 du contrat d'édition, 'dans le cas où toutes les formes de l'édition de l'oeuvre auxquelles a procédé l'éditeur ou ses cessionnaires viendraient à être épuisées, le présent contrat serait résilié de plein droit, sauf convention particulière, si l'éditeur ne procédait pas, par lui-même ou par cessionnaire, à une réimpression dans un délai de douze mois à compter de la mise en demeure, par lettre recommandée avec accusé de réception, qui lui serait faite par l'auteur' ;

Considérant que Philippe ROCHER est irrecevable à soulever la nullité de cette clause, pour la première fois en cause d'appel, s'agissant d'une nullité relative qui se prescrit par cinq ans à compter de la date de conclusion du contrat ; que l'action en nullité est donc prescrite depuis le 21 octobre 2002 ;

Qu'au surplus, cette clause contractuelle reprend les dispositions de l'article L.132-17 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'il n'est ni démontré, ni même allégué que le délai d'un an prévu au contrat ne constitue pas un délai convenable au sens du texte précité ; que Philippe ROCHER est donc mal fondé à soutenir que cette clause contreviendrait à l'article L.132-12 du même code ;

Considérant, par ailleurs, qu'il ressort des relevés de droits d'auteur produits aux débats que les ventes de l'ouvrage litigieux se sont étalées entre les mois de novembre 1998 et de décembre 2001 et qu'elles ont diminuées sensiblement chaque année, comme l'ont rappelé les premiers juges en reprenant précisément le nombre d'exemplaires vendus ; qu'ils ont,

en outre, pertinemment relevé que s'il ne restait plus que 400 exemplaires en stock dès le début de l'année 1999, cet état du stock s'explique par la mise en place importante des ouvrages dans les librairies et par l'effort promotionnel entrepris par l'éditeur par une diffusion de l'ouvrage à la presse, l'édition et la diffusion d'un prospectus, l'envoi d'une fiche d'information aux professionnels intéressés ( maison du cheval, selleries, écomusées), l'organisation de rencontres avec les auteurs dans les librairies, campagne de promotion qui a été relayée par la presse dont plusieurs titres ont recommandé l'ouvrage litigieux ;

Considérant qu'au regard de la diminution constante des ventes, pendant les trois années suivant la parution de l'ouvrage, de sa nature, s'agissant d'un ouvrage consacré aux chevaux de trait qui s'adresse à un lectorat limité, l'éditeur pouvait, une fois le premier tirage épuisé, prendre la décision de ne pas le rééditer sans faillir à l'obligation d'exploitation permanente et suivie prévue à l'article L.132-12 du Code de la propriété intellectuelle, alors qu'il avait déployé tous les moyens dont il disposait pour en assurer une diffusion commerciale conforme aux usage de la profession ;

Que Philippe ROCHER ne démontre pas que la décision de la société Editions du Rouergue de ne pas procéder à un nouveau tirage de l'ouvrage était motivée par sa volonté d'en paralyser la diffusion ; qu'en effet, comme les premiers juges l'ont à juste titre relevé, il n'est justifié d'aucune demande de livraison d'exemplaires adressée à l'éditeur qui serait demeurée insatisfaite ;

Considérant que Philippe ROCHER ayant sollicité, par lettre du 11 avril 2003, la restitution de ses droits d'exploitation, le contrat d'édition a été régulièrement résilié, un an après, soit le 11 avril 2004, conformément à l'article 9 du contrat, faute par l'éditeur d'avoir procédé à la réédition de l'ouvrage ;

Qu'à défaut par l'appelant de rapporter la preuve d'une faute de l'éditeur dans l'exécution du contrat, il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts ;

* Sur les demandes de la société Editions du Rouergue

Considérant que les premiers juges ont à juste titre estimé que Philippe ROCHER avait initié la procédure de mauvaise foi, relevant que :

- il était en possession de tous les éléments lui permettant de connaître l'état des ventes de l'ouvrage,

- il savait que l'éditeur faisant application de l'article 9 du contrat le considérait résilié puisqu'il avait négocié une nouvelle cession de ses droits d'auteur, les Editions de Vecchi lui confirmant, dès le 8 novembre 2004, que son projet sur les chevaux de trait était retenu pour une parution en fin d'année 2005 ;

Qu'il convient de relever au surplus, qu'une lettre du conseil de la société Editions du Rouergue confirmant la résiliation du contrat a été adressée à son conseil, le 24 janvier 2005, soit 7 jours avant la délivrance de l'assignation à jour fixe ;

Que la poursuite de la procédure dans ces circonstances revêt un caractère abusif justifiant que soit porté à 5.000 euros l'indemnité allouée à la société intimée par les premiers juges ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Editions du Rouergue, une somme complémentaire de 5.000 euros devant lui être allouée à ce titre ;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par Philippe ROCHER ;

PAR CES MOTIFS

Rejette des débats les pièces communiquées par Philippe ROCHER sous les numéros 23 à 28,

Déclare prescrite et au surplus mal fondée la demande tendant à voir prononcer la nullité de l'article 9 du contrat d'édition du 21 octobre 1997,

Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à la société Editions du Rouergue,

Le réformant sur ce point et statuant à nouveau,

Condamne Philippe ROCHER à verser à la société Editions du Rouergue la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Y ajoutant,

Condamne Philippe ROCHER à verser à la société Editions du Rouergue la somme complémentaire de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne Philippe ROCHER aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.