CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 23 février 2023, n° 22/13192
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Financière Trianon (SAS)
Défendeur :
Ajassocies (Selarl), Axyme (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mollat
Conseillers :
Mme Coricon, Mme Rohart
Avocats :
Me Etevenard, Me Petreschi, Me Lamoureux, Me Guerre, Me Fabre
En 2013 et 2014, M. [C] [Z] a créé deux pôles de sociétés, Finotel 1 et Finotel 2, structurés de manière identique, destinés à drainer l'investissement de particuliers dans l'acquisition de fonds de commerce hôteliers à [Localité 9].
Une société en commandite par actions dénommée Finotel (1 ou 2), agréée par l'Autorité des Marchés Financiers pour faire appel à l'épargne publique, contrôle des sociétés financières qui elles-mêmes détiennent les titres de sociétés exploitant chacune un hôtel parisien.
Le pôle 1 regroupe, sous la SCA Finotel, 3 sociétés financières (Regina, Trianon, et First) qui détiennent chacune une société d'exploitation portant le même nom. La SCA Finotel est la dirigeante de ces 6 sociétés. Le pôle Finotel 1 a regroupé 350 investisseurs qui ont apporté environ 18 millions d'euros.
Le pôle 2 regroupe, sous la SCA Finotel 2, 2 sociétés financières (Hôtel Acqueduc et Hôtel de la fontaine Beauséjour) qui détiennent chacune une société d'exploitation portant le même nom. La SCA Finotel 2 est la dirigeante de ces 4 sociétés. Le pôle Finotel 2 a regroupé 550 investisseurs qui ont apporté 14 millions d'euros.
La société Finotel Gestion, société par actions simplifiée, est l'associée commanditée et unique gérante des 2 SCA Finotel. Elle était contrôlée à 100'% par M. [Z] qui en a également été son dirigeant jusqu'au 17 septembre 2021, date à laquelle Mme [Y] [H] l'a remplacé. Celle-ci a été remplacée à son tour le 13 mai 2022 par l'EURL [S] [N] représentée par M. [S] [N].
Un contrat a été conclu avec le groupe hôtelier Maranatha pour la gestion des hôtels. Le groupe ayant fait l'objet d'une procédure collective en septembre 2017, des contrats de prestations administratives et comptables ont été conclus avec la société Anais Consulting, détenue par la fille de M. [Z], et les SCA ; des contrats de gestion ont été conclus entre les sociétés d'exploitation des hôtels et la société Les hôtels confidentiels dirigée par Mme [Y] [H].
Confrontés à une baisse de fréquentation de ses hôtels, le groupe Finotel a sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation en janvier 2021 qui lui a été accordée par ordonnance du 26 janvier 2021. Cette procédure a finalement abouti au placement en redressement judiciaire des 12 sociétés du groupe :
- par plusieurs jugements du 30 juin 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard des sociétés du pôle Finotel 2 ; a désigné la SELARL AXYME prise en la personne de Maître [G] [E], en qualité de mandataire judiciaire, et la SELARL AJASSOCIES prise en la personne de Maître [O] [X] en qualité d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance.
La période d'observation a été prolongée d'une nouvelle durée de 6 mois, soit jusqu'au 30 juin 2022 par jugement en date du 7 janvier 2022, puis, sur requête du ministère public, au 30 décembre 2022, par jugement du 22 juin 2022.
- par plusieurs jugements du 17 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit des sociétés du pôle Finotel 1 dont la société Finotel ; a désigné la SELARL AXYME, prise en la personne de Maître [E] en qualité de mandataire judiciaire, et la SELARL AJASSOCIES prise en la personne de Maître [X] en qualité d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance.
La période d'observation a été allongée pour une nouvelle durée de 6 mois, jusqu'au 17 novembre 2022, par un jugement du 5 mai 2022.
Entre temps, par jugement du 8 septembre 2021, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé à l'encontre de M. [Z] une mesure de faillite personnelle d'une durée de 15 ans dans le cadre de la liquidation judiciaire du groupe hôtelier Maranatha ayant laissé une insuffisance d'actif de plus de 258 millions d'euros.
M. [Z] a, par conséquent, démissionné le 17 septembre 2021 de ses fonctions de dirigeant de la société Finotel Gestion, elle-même dirigeante des SCA Finotel.
Par requête du 17 mai 2022, la SELARL Ajassocié et la SELARL Axyme ont sollicité au visa des articles L 631-12 et R 622-1 du code de commerce, l'extension de la mission d'assistance de l'administrateur judiciaire afin que celui-ci puisse disposer d'une mission de représentation du débiteur dans la société Financière Trianon.
Par jugement du 30 juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette requête estimant que 'la complexité de la gouvernance et la succession des représentants légaux sont sources de coûts additionnels et de conflits d'intérêts mis en évidence par les membres du conseil de surveillance de la SCA FINOTEL'.
Par déclaration du 11 juillet 2022, la société Financière Trianon a interjeté appel de la décision.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 6 octobre 2022, la société Financière Trianon demande à la Cour de':
REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a confié à l'administrateur judiciaire une mission de représentation ;
STATUANT A NOUVEAU,
JUGER qu'en tout état de cause la SELARL AJASSOCIES, prise en la personne de Me [O] [X], agissant ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Financière Trianon, et la SELARL AXYME, prise en la personne de Me [G] [E], agissant ès qualité de mandataire judiciaire de la société Financière Trianon ne justifient pas de leur demande d'extension de la mission d'assistance confiée à l'administrateur judiciaire ;
DEBOUTER la SELARL AJASSOCIES, prise en la personne de Me [O] [X], agissant ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Financière Trinaon, et la SELARL AXYME, prise en la personne de Me [G] [E], agissant ès qualité de mandataire judiciaire de la société Financière Trianon de toutes leurs demandes ;
STATUER ce que de droit sur les dépens.
*****
Par conclusions signifiées par voie électronique le 4 novembre 2022, la SELARL AJASSOCIES, prise en la personne de Maître [X], es qualités d'administrateur judiciaire de la société Financière Trianon, ainsi que la SELARL AXYME prise en la personne de Maître [E] es qualités de mandataire judiciaire de la société Financière Trianon, demandent à la Cour de':
- CONFIRMER dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 30 juin 2022, ayant modifié la mission de la SELARL AJASSOCIES en la personne de Maître [O] [X] et lui ayant confié une mission de représentation de la société Financière Trianon ;
- DEBOUTER la société Financière Trianon de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions';
- STATUER ce que de droit concernant les dépens
SUR CE,
Aux termes de l'article L. 622-1 du code de commerce, l'administration de l'entreprise en cours de période d'observation est assurée par son dirigeant ; le texte prévoit également que''II.-Lorsque le tribunal, en application des dispositions de l'article L. 621-4, désigne un ou plusieurs administrateurs, il les charge ensemble ou séparément de surveiller le débiteur dans sa gestion ou de l'assister pour tous les actes de gestion ou pour certains d'entre eux. III.-Dans sa mission d'assistance, l'administrateur est tenu au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au chef d'entreprise. IV.-À tout moment, le tribunal peut modifier la mission de l'administrateur sur la demande de celui-ci, du mandataire judiciaire ou du ministère public'.
Aux termes de l'article L. 631-12 du code de commerce, 'À tout moment, le tribunal peut modifier la mission de l'administrateur sur la demande de celui-ci, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d'office'.
La société Financière Trianon souligne que la mission de représentation équivaut au dessaisissement intégral du dirigeant de la société à l'exception de ses droits propres, de sorte que cette mission est une mesure d'exception qui doit être particulièrement motivée.
Elle considère qu'en l'espèce la motivation du tribunal de commerce de Paris est sans lien avec sa situation particulière, puisqu'elle n'a aucune activité opérationnelle, son activité se réduisant à la détention des titres de l'hôtel Trianon dont elle n'assure même pas la direction.
Elle souligne que la complexité de la gouvernance est due à la forme sociale de la SAC Finotel 1, qui est sa dirigeante, ce qui ne peut lui être reproché, et qu'il ne peut être relevé une succession de représentants légaux alors qu'elle est dirigée sans discontinuer par la société Finotel Gestion, la succession de dirigeants ne concernant que cette dernière, qui est par ailleurs la seule société ne faisant pas l'objet d'une procédure collective.
Elle ajoute qu'aucun coût additionnels ne la concerne puisqu'elle n'a pas d'activité propre, et qu'aucune situation de conflits d'intérêts ou de contrariété à l'intérêt social n'a été démontrée, le courrier des membres du conseil de surveillance de la SCA Finotel 1 du 13 mai 2022 ne contenant que des critiques personnelles non étayées.
Elle précise que son placement en redressement judiciaire s'est uniquement justifié par les difficultés de sa filiale d'exploitation, difficultés qui se sont résorbés ces derniers mois, les résultats obtenus au cours de la période d'observation qui sont l'oeuvre de la direction actuellement en place.
Elle conclut que les organes de la procédure ne sont pas en mesure d'apporter la preuve que sa direction aurait eu un comportement préjudiciable depuis l'ouverture de la procédure collective et que c'est pour cette raison que le ministère public n'a pas soutenu leur demande en première instance.
Les intimées répliquent que la modification de la mission de l'administrateur est une mesure exceptionnelle qui se justifie à chaque fois que le comportement du dirigeant nuit au bon déroulement de la procédure collective ou met en péril le redressement de la société; que ce comportement peut résulter d'une absence de coopération du dirigeant, d'une opacité dans sa gestion ou d'une défaillance dans l'exécution de ses obligations pendant la période d'observation.
Elles exposent qu'en l'espèce la complexité de la gouvernance et la succession des représentant légaux sont source de coûts additionnels et de conflits d'intérêts préjudiciables pour le bon déroulement de la procédure.
S'agissant de l'opacité de la gouvernance et des conflits d'intérêts, les intimées indiquent que M. [Z] a continué pendant la période d'observation (alors qu'il avait fait l'objet d'une mesure de faillite personnelle) à assurer un rôle de contrôle et de direction des pôles Finotel 1 et 2, à travers les structures de gouvernance qu'il a mises en place : la direction de Mme [H] n'était que de façade puisqu'il contrôle les sociétés Finotel Gestion et Finotel Gestion 2, qui sont les associées commanditées des SCA Finotel et Finotel 2, et les dirige au moins en partie parce qu'il est leur unique salarié sous la casquette de directeur administratif et financier.
Elles ajoutent que c'est encore M. [Z] qui a engagé et rémunère l'EURL [N] qui a succédé à Mme [H], de sorte que son indépendance à l'égard de M. [Z] n'est pas assurée.
Elles exposent par ailleurs que la gouvernance des sociétés était opaque par le cumul des fonctions de Mme [H] qui agissait en tant que représentant légal des sociétés, et prestataire de services à travers les sociétés Anais Consulting et Les Hôtels confidentiels.
S'agissant de l'accumulation de coûts et des carences dans la direction des sociétés, elles indiquent que le coût annuel de la gestion des 5 hôtels s'élevait à plus de 807 000 euros, le représentant légal de chaque SCA étant rémunéré 150 000 euros par société, et que l'absence de maîtrise des frais de gestion est une des causes de la déconfiture des sociétés des deux pôles.
Elles indiquent également avoir découvert l'existence d'un compte courant débiteur de plus de 156 000 euros de la société Finotel à l'égard de la société Finotel Gestion, d'un passif intragroupe s'élevant à plus de 6,3 millions d'euros non déclaré par le dirigeant dans les procédures collectives, d'une absence de communication des informations économiques financières et comptables au conseil de surveillance et aux actionnaires empêchant par conséquent l'approbation des comptes , situation qui s'est poursuivie après le départ de M. [Z] tel que cela ressort de la note adressée par le conseil de surveillance de Finotel au juge- commissaire ainsi que les rapports du commissaire aux comptes sur l'absence de rapports de gestion, et enfin du refus de communiquer les informations à l'expert judiciaire désigné à la demande des membres du conseil de surveillance de Finotel 2.
Elles relèvent également que M. [N] a montré une absence de coopération avec les organes de la procédure':
- en saisissant le juge commissaire sur les seuls éléments avancés par Mme [H], sans procéder à sa propre analyse, pour faire payer les factures contestées par l'administrateur judiciaire';
- en ne répondant pas aux différentes demandes de l'administrateur judiciaire';
- en mettant fin à un contrat de prestation de paie sans en aviser l'administrateur,
- en ne régularisant pas la situation du compte courant débiteur de la société Finotel Gestion sur la SCA Finotel malgré la demande l'administrateur';
- en déposant des projets de plan à l'insu des organes de la procédure.
Les intimées précisent que le changement de mission de l'administrateur a permis d'assurer une gestion transparente des hôtels dont les résultats se sont améliorés, et d'apaiser les dissensions entre le commandité et les investisseurs commanditaires permettant d'élaborer des projet de plan de redressement des sociétés des pôles Finotel et Finotel 2.
En application des dispositions des articles L. 622-1 et L. 631-12 du code de commerce précitées, la mission de représentation se justifie à chaque fois que le comportement du dirigeant nuit au bon déroulement de la procédure collective ou met en péril le redressement de la société placée en redressement judiciaire.
Il ne peut être déduit de la simple forme sociale de la société mère, en l'espèce une société en commandite par actions, une complexité de la gouvernance de nature à justifier le recours à une mesure de représentation.
Cependant, cette forme sociale ne doit pas être utilisée comme un moyen de masquer la direction réelle de la société mère, qui est elle-même dirigeante de la société Financière Trianon. Or en l'espèce, si M. [Z] a officiellement quitté le 17 septembre 2021 ses fonctions de dirigeant de la société Finotel Gestion, associée commanditée et dirigeante de la SCA Finotel 1, il est cependant resté l'actionnaire unique de la société Finotel Gestion et y a placé à la direction une personne de son entourage, Mme [H], laquelle s'est vue confier, par le biais de la société Les hôtels confidentiels, la gestion des hôtels du groupe. Il est à souligner que M. [Z] est devenu, à compter de sa démission de la direction de la société Finotel Gestion, le directeur administratif et financier de la société Les hôtels confidentiels, en tant qu'unique salarié aux côtés de Mme [H].
Il en résulte que derrière une apparence de retrait de la direction de la société Finotel Gestion elle-même dirigeante de la SCA Finotel 1 elle-même dirigeante de la société Financière Trianon, M. [Z] a en réalité organisé un montage lui permettant de rester maître de la gestion du groupe, avec l'aide de Mme [H] et l'intervention de personnes morales tierces. Cette situation, révélatrice de conflits d'intérêts et d'une violation de la mesure de faillite personnelle prononcée à l'encontre de M. [Z], est de nature à nuire au bon fonctionnement de la société Financière Trianon et au bon déroulement de sa procédure collective.
Un courrier du 13 mai 2022 du conseil de surveillance de la SCA Finotel 1 adressé au juge- commissaire attire son attention sur l'existence de comptes courants débiteurs au bénéfice de Finotel Gestion et First Hôtel, sur les détournements des PGE, l'impossibilité de consulter les contrats et conventions réglementées, sur la succession des dirigeants à la tête de la société Finotel Gestion et sur les coûts que représente le mode de gestion choisi. Ces membres demandent en conséquence la transformation de la mission de Me [X] en mission de représentation et la simplification de la structure juridique du groupe.
Le rapport du cabinet SOMG du 12 octobre 2022 met à jour un passif intra-groupe non déclaré par les dirigeants successifs, parmi lequel figurent deux dettes de la société Financière Trianon à l'égard de sa mère la SCA Finotel 1 pour plus de 684 000 euros et à l'égard de sa filiale la société Hôtel Trianon pour plus de 175 000 euros, sans que les dirigeants successifs de la société Finotel Gestion elle-même dirigeante de la SCA Finotel 1 elle-même dirigeante la société concernée ne se soient expliquées sur l'origine et les raisons de ces dettes, pour une société qui n'a aucune activité commerciale.
La direction de la société Finotel Gestion a été modifiée en mai 2022 pour être confiée à l'EURL [N], à peine 6 mois après la nomination de Mme [H], sans que les modalités d'exercice de cette fonction, et notamment la question de sa rémunération, ne soit explicitée par M. [Z], alors associé unique, ne permettant pas à la cour d'apprécier l'indépendance de cette EURL par rapport à M. [Z]. Au contraire, les actes de l'EURL [N] depuis sa nomination démontre une volonté de ne pas coopérer avec les organes de la procédure et de poursuivre les actions engagées par M. [Z] puis Mme [H] (absence de remboursement du compte courant débiteur de Finotel Gestion d'un montant de 156 000 euros, tentative de paiement de factures à la société Les hôtels confidentiels contestées par l'administrateur judiciaire et présentation d'un plan de continuation à l'insu des organes de la procédure).
En outre, le commissaire aux comptes a souligné, dans son rapport du 13 juin 2022 refusant de certifier les comptes , que le rapport sur le gouvernement d'entreprise ne lui avait pas été communiqué en violation des dispositions de l'article L. 225-37 du code de commerce.
Cette attitude de l'EURL [N], dirigeante de la société Finotel Gestion, associée commanditée et dirigeante de la SAC Finotel 1, elle-même dirigeant de la société Financière Trianon, nuit également au bon fonctionnement et au déroulement de la procédure collective de la société Financière Trianon.
Enfin, la cour ne peut apprécier le montant exact des coûts que supporte la société Financière Trianon puisqu'aucun élément n'est produit la concernant à ce sujet.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement attaqué.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement attaqué,
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de procédure collective.