CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 29 novembre 2007, n° 06/01368
CAEN
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Holman
Conseillers :
M. Hallard, Mme Vallansan
Avoués :
Me Tesniere, SCP Grammagnac-Ygouf Balavoine Levasseur
Avocats :
Me Othmani, SCP Peignard de Chanterac
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Coutances du 30 mars 2006 qui a rejeté l'exception d'incompétence et condamné solidairement Monsieur Jacques B. et Madame Françoise B. épouse B. à payer à Monsieur Jacques F. les sommes de 109.802,77 euros sauf imputation éventuelle du dépôt de garantie, avec les intérêts au taux légal à compter du 27 avril 2004, outre 1500 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et débouté Monsieur et Madame B. de leur demande reconventionnelle;
Vu l'appel des époux B. et leurs conclusions du 11 septembre 2007 par lesquelles ils demandent à la Cour de déclarer le tribunal incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris et subsidiairement infirmer le jugement excepté pour ce qui concerne les intérêts, débouter Monsieur F. de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer les sommes de 3000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 2000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions de Monsieur F. du 27 novembre 2006 par lesquelles il demande à la Cour de confirmer le jugement sauf pour ce qui concerne les intérêts sur la somme due, dire qu'ils courront à compter soit du 1er mai 1998, soit du 22 octobre 1998 et seront capitalisés, condamner les époux B. à lui payer les sommes de 4000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et 3000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que par acte du 17 octobre 1988, Les époux B. ont pris en location-gérance un fonds de poissonnerie appartenant aux époux F., (décédés respectivement le 6 août 1989 et le 3 novembre 2003 , aux droits desquels vient Monsieur Jacques F.) et en sous-location le local d'exploitation, Monsieur B. étant le seul exploitant; que les deux contrats ont pris fin le 1er mai 1998, les époux B. restant débiteurs des sommes de 84 176,25 euros au titre de la location-gérance et 25 626,52 euros au titre des loyers; que sur déclaration de cessation des paiements de Monsieur B., le tribunal de commerce de Paris, par décision du 22 octobre 1998 a ouvert contre lui une liquidation judiciaire; que les consorts F. ont régulièrement déclaré leur créance à la procédure collective, mais n'ont pu en recouvrer le montant, la procédure ayant été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 14 décembre 1999; qu'ayant appris que par acte du 9 mars 1998, c'est à dire quelques mois avant la déclaration de cessation des paiements, les époux B. avaient fait donation à leur fille Madame A. de leur maison d'habitation avec droit de retour et interdiction de disposer, les consorts F., après avoir échoué dans leur demande de réouverture de la procédure de liquidation, ont engagé par acte du 5 décembre 2001 une action paulienne à l'encontre des époux B. devant le tribunal de grande instance de COUTANCES; que le tribunal a par jugement du 27 mars 2003, confirmé par arrêt de cette Cour du 27 avril 2004, déclaré la donation inopposable aux consorts F., la Cour ayant par ailleurs fixé la créance à la somme de 109 802,77 euros; que par arrêt du 2 novembre 2005, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux B. et leur fille contre cette décision; que par acte du 10 novembre 2004, Monsieur Jacques F. a fait assigner les époux B. devant le tribunal de grande instance de COUTANCES afin d'obtenir un titre exécutoire pour pouvoir entamer une procédure de saisie immobilière de l'immeuble litigieux;
Concernant Monsieur B. :
Attendu que selon l'article L.622-32 II et III du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 applicable à la cause, les créanciers contre lesquels une fraude a été commise recouvrent leur droit de poursuite individuelle ; qu'ils peuvent, si leurs créances ont été admises, obtenir un titre exécutoire par ordonnance du président du tribunal; que selon l'article 154 du décret du 27 décembre 1985, le tribunal compétent est celui de la procédure collective;
Attendu que la compétence du président du tribunal de la procédure aux fins de délivrer un titre exécutoire est conditionnée par l'admission de la créance; que cette disposition ne saurait s'appliquer aux créanciers dont la créance déclarée n'a pas fait l'objet de vérification, aucune décision définitive n'ayant alors été prise par le juge-commissaire relativement à cette créance; qu'à défaut d'admission de la créance, la demande doit nécessairement être exercée devant le juge du droit commun afin qu'il en ordonne le paiement; qu'il n'est pas contesté que le tribunal de grande instance de COUTANCES est le tribunal compétent à ce titre; que le jugement sera donc confirmé de ce chef;
Attendu que la fraude de Monsieur B. étant établie et non contestée, Monsieur F. dont la créance avait régulièrement été déclarée et l'action en paiement arrêtée par le jugement d'ouverture de la procédure collective, a pu par exception recouvrer son droit de poursuite individuelle concernant le montant de sa créance fixée par la cour d'appel de Caen à la somme de 109 802,77 euros sauf l'imputation du dépôt de garantie non contestée; que le tribunal de grande instance de Coutances a donc justement condamné Monsieur B. et doit être confirmé de ce chef;
Attendu que s'agissant des intérêts, il résulte de l'article 1153 du Code civil qu'ils courent du jour de la sommation de payer; que par courrier recommandé du 22 octobre 1998, les époux F. avaient mis en demeure les époux B. de payer; que si les intérêts ont pu courir à compter de cette date, ils ont toutefois été arrêtés par le jugement d'ouverture du 22 octobre 1998; que l'article L.622-32 du Code de commerce en ce qu'il autorise par exception la reprise des poursuites individuelles n'a pas d'effet rétroactif et ne peut laisser courir les intérêts pendant toute la procédure collective; qu'en revanche, au jour de la clôture de la liquidation judiciaire, dès lors que les poursuites sont reprises, les intérêts doivent reprendre également leur cours; que c'est donc la date de la clôture de la liquidation judiciaire , première date utile , qui fait courir les intérêts légaux dus par le débiteur redevenu in bonis; que Monsieur B. sera donc tenu des intérêts à compter du 14 décembre 1999;
Attendu qu'en application de l'article 1154 du Code civil, la capitalisation ne peut prendre effet qu'à la date de sa demande ; qu'en l'espèce la première demande justifiée de capitalisation des intérêts se trouve dans l'assignation du 10 novembre 2004; que la capitalisation sera donc prononcée annuellement à compter de cette date;
Concernant Madame B.:
Attendu que les époux B. invoquent l'autorité de la chose jugée de la décision du tribunal de commerce de Paris du 4 février 2000 ; qu'il résulte de l'article 480 du Nouveau Code de procédure civile qu'un jugement n'a autorité de la chose jugée que relativement à la contestation qu'il tranche ; que le jugement du tribunal de Paris a déclaré irrecevable la demande de paiement à l'égard de Madame B. par application des règles afférentes au dessaisissement qui s'appliquaient sur la totalité du patrimoine de Monsieur B. y compris les biens communs; que dès lors que les biens communs des époux B. n'étaient plus sous l'emprise du dessaisissement, le tribunal a pu juger , par des motifs pertinents que la Cour adopte, que l'autorité de la chose jugée ne pouvait s'appliquer en l'espèce et que Madame B., qui n'a jamais fait l'objet de la procédure collective pouvait être assignée en paiement en vertu des règles du droit commun pour ses dettes personnelles;
Attendu qu'il résulte des termes des contrats de location-gérance et de sous-location que Madame B. en était partie et signataire ; qu'elle s'était donc engagée personnellement à l'exécution de ces contrats et ne s'était pas contentée de donner son accord à une dette d'exploitation conclue par son époux commerçant; que le fait que Monsieur B. fût seul inscrit au registre du commerce au titre de l'exploitation du fonds ne fait pas disparaître cette qualité; que Monsieur F. est donc recevable et bien fondé à agir en paiement contre Madame B. et que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée solidairement avec son époux à payer à Monsieur F. la somme de 109 902,77 euros sauf imputation du dépôt de garantie qui n'est pas contestée;
Attendu que Madame B. n'ayant jamais été soumise à la procédure de liquidation judiciaire, n'a donc subi l'arrêt des poursuites pendant la durée de la procédure collective ouverte contre son époux, que dans la mesure des biens communs saisis par la procédure ; que les intérêts de sa dette personnelle n'ont donc pas cessé de courir à compter de la mise en demeure justifiée du 22 octobre 1998 ; que la capitalisation sera ordonnée dans les mêmes conditions que pour Monsieur B. ;
Sur l' appel abusif;
Attendu que l'appel d'une personne condamnée en première instance est un droit et qu'aucune preuve n'est apportée par les intimés de la faute commise par les époux B., peu important la fraude commise par eux aux droits des créanciers ; que la demande d'indemnité sera rejetée de ce chef ;
Sur l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, succombant dans leur appel, les époux B. ont contraint Monsieur F. à exposer des frais irrépétibles qui seront fixés en équité à 3000 euros ;
PAR CES MOTIFS
La Cour
- Réforme le jugement dans ses dispositions relatives aux intérêts de la créance ;
- Fixe le point de départ des intérêts au taux légal au 14 décembre 1999 pour Monsieur Jacques B. et au 22 octobre 1998 pour Madame Françoise B. épouse B. , et ce avec capitalisation annuelle à compter du 10 novembre 2004;
- Confirme le jugement en ses autres dispositions ;
Y addictant,
- Déboute Monsieur Jacques F. de sa demande en dommages et intérêts ;
- Condamne les époux B. à payer à Monsieur Jacques F. la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ;
- Les condamne aux dépens qui seront recouvrés en application de l'article 699 du Code de procédure civile.