Livv
Décisions

TUE, 4e ch. élargie, 17 mai 2023, n° T-314/20

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Stadtwerke Hameln Weserbergland GmbH

Défendeur :

Commission européenne, République fédérale d’Allemagne, E.ON SE, RWE AG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

S. Gervasoni

Juges :

L. Madise, P. Nihoul, R. Frendo, J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur)

TUE n° T-314/20

16 mai 2023

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Stadtwerke Hameln Weserbergland GmbH, anciennement GWS Stadtwerke Hameln GmbH, demande l’annulation de la décision C(2019) 1711 final de la Commission, du 26 février 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (JO 2020, C 111, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

 Entreprises en cause

2 RWE AG est une société de droit allemand qui intervenait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, dans l’ensemble de la chaîne de fourniture d’énergie, y compris dans les domaines de la production, de la fourniture en gros, du transport, de la distribution, du commerce de détail d’énergie, ainsi que des services énergétiques aux consommateurs (tels que le relevé de compteur, la mobilité électrique, etc.). RWE et ses filiales, y compris innogy SE, opèrent dans plusieurs États européens, à savoir en Belgique, en République tchèque, en Allemagne, en France, en Italie, au Luxembourg, en Hongrie, aux Pays Bas, en Pologne, en Roumanie, en Slovaquie et au Royaume Uni.

3 E.ON SE est une société de droit allemand qui opérait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, sur l’ensemble de la chaîne de fourniture d’électricité, qu’il s’agisse de production, de vente en gros, de distribution ou de commerce de détail d’électricité. E.ON possède et exploite des actifs de production d’électricité dans plusieurs États européens dont l’Allemagne, la France, l’Italie, la Pologne et le Royaume-Uni.

4 La requérante est une entreprise municipale de droit allemand produisant de l’électricité tant à partir de sources d’énergie conventionnelles, grâce à ses participations dans une turbine à gaz et à vapeur et dans une centrale au charbon, qu’à partir de sources d’énergie renouvelables, par le biais de ses centrales hydroélectriques, photovoltaïques et de cogénération, ses usines de biogaz et sa participation dans l’exploitation de parcs éoliens. Ses actifs de production se situent en Allemagne.

 Contexte de la concentration

5 La concentration en cause en l’espèce s’inscrit dans le cadre d’un échange complexe d’éléments d’actifs entre RWE et E.ON, annoncé les 11 et 12 mars 2018 par les deux entreprises concernées. Ainsi, par le biais de la première opération, à savoir la concentration en cause en l’espèce, RWE souhaite acquérir le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON. La deuxième opération consiste en l’acquisition par E.ON du contrôle exclusif des activités de distribution et de commerce de détail ainsi que de certains actifs de production d’innogy contrôlée par RWE. Quant à la troisième opération, elle prévoit que RWE acquière 16,67 % des parts d’E.ON.

6 La deuxième opération de concentration a été notifiée à la Commission européenne le 31 janvier 2019. La Commission a, s’agissant de cette deuxième opération, adopté la décision C(2019) 6530 final, du 17 septembre 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (JO 2020, C 379, p. 16).

7 La troisième opération de concentration a été notifiée au Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne) qui l’a autorisée par décision du 26 février 2019 (affaire B8-28/19).

 Procédure administrative

8 Le 22 janvier 2019, la Commission a reçu notification d’une proposition de concentration en application de l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), par laquelle RWE souhaitait acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON.

9 Le 31 janvier 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la notification préalable de cette concentration (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (JO 2019, C 38, p. 22, ci-après la « concentration M.8871 »), conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.

10 Dans le cadre de son examen de la concentration M.8871, la Commission a réalisé une enquête de marché et a donc transmis à certaines entreprises un questionnaire.

 Décision attaquée

11 Le 26 février 2019, la Commission a adopté la décision attaquée. La concentration M.8871 a été déclarée compatible avec le marché intérieur lors de la phase d’examen prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004 et à l’article 57 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE).

 Conclusions des parties

12 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens, y compris les frais d’avocat et de déplacement, qu’elle a exposés dans le cadre de la procédure.

13 La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, E.ON et RWE, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

 En droit

14 À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, six moyens tirés, le premier, d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une violation de son droit d’être entendue, le quatrième, d’une violation de son droit à une protection juridictionnelle effective, le cinquième, d’erreurs manifestes d’appréciation et, le sixième, de la violation de l’obligation de diligence.

15 Il convient d’abord d’examiner l’exception d’irrecevabilité soulevée par RWE.

16 Dans son mémoire en intervention, RWE excipe de l’irrecevabilité du recours en raison de l’absence de qualité pour agir de la requérante. À cet égard, elle fait valoir, en substance, que la requérante n’a pas d’intérêt individuel à demander l’annulation de la décision attaquée.

17 D’une part, RWE soutient que, au-delà d’un intérêt général en tant qu’actrice du marché, la requérante ne met pas en évidence ce qui l’individualise spécifiquement et la caractérise par rapport aux autres opérateurs et concurrents. D’autre part, le marché allemand de l’électricité ne saurait être considéré comme comprenant un nombre restreint de producteurs.

18 La requérante rétorque que, d’un point de vue formel, RWE ne peut, en tant que partie intervenante, soulever une exception d’irrecevabilité, puisqu’elle doit se limiter aux moyens d’attaque et de défense de la Commission, au soutien de laquelle elle est intervenue. D’un point de vue matériel, elle considère l’exception d’irrecevabilité inopérante et fait valoir qu’elle est directement et individuellement concernée par la modification structurelle du marché résultant de la concentration, et ce au même titre qu’un destinataire de la décision attaquée.

19 À cet égard, il convient de rappeler que, dans ses conclusions, la Commission s’est limitée à demander que le recours soit rejeté sur le fond et n’a pas contesté la qualité pour agir de la requérante.

20 Or, selon l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53 du même statut, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties au litige. En outre, selon l’article 142, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, l’intervenant accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention. Il s’ensuit que RWE n’a pas qualité pour soulever une exception d’irrecevabilité et que le juge de l’Union européenne n’est donc pas tenu, en principe, d’examiner les moyens d’irrecevabilité invoqués par elle. Toutefois, selon une jurisprudence constante, le critère qui subordonne la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre une décision dont elle n’est pas le destinataire aux conditions de recevabilité fixées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE constitue une fin de non-recevoir d’ordre public qu’il appartient aux juridictions de l’Union d’examiner à tout moment, même d’office (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2014, Stichting Woonlinie e.a./Commission, C 133/12 P, EU:C:2014:105, point 32 et jurisprudence citée). Il appartient donc au Tribunal de vérifier d’office si la requérante a qualité pour agir contre la décision attaquée.

21 Conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

22 Ainsi, il convient d’examiner si la requérante est directement et individuellement concernée par la décision attaquée.

23 En premier lieu, en ce qui concerne l’affectation directe de la requérante, il y a lieu de relever que, dès lors qu’elle permettait la réalisation immédiate de la concentration M.8871, la décision attaquée était de nature à induire une modification immédiate de la situation des marchés concernés. Dans la mesure où la volonté des parties à la concentration M.8871 de réaliser cette dernière n’était pas sujette à caution, les opérateurs économiques intervenant sur le ou les marchés concernés pouvaient, à la date de la décision attaquée, tenir pour acquise une modification immédiate ou rapide de l’état du marché (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 32 et jurisprudence citée). Il en résulte que la requérante, active sur ce marché, est directement concernée par la décision attaquée.

24 En second lieu, s’agissant de l’affectation individuelle de la requérante, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de cette décision le serait (voir arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 34 et jurisprudence citée).

25 Dans le cas d’une décision constatant la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, et s’agissant d’une entreprise tierce, c’est en fonction, d’une part, de sa participation à la procédure administrative et, d’autre part, de l’affectation de sa position sur le marché qu’il y a lieu de déterminer si elle est individuellement concernée. Si une simple participation à la procédure ne suffit certes pas, à elle seule, à établir que la requérante est individuellement concernée par la décision, en particulier dans le domaine des concentrations dont l’examen minutieux exige un contact régulier avec de nombreuses entreprises, il n’en demeure pas moins que la participation active à la procédure administrative constitue un élément régulièrement pris en considération par la jurisprudence en matière de concurrence, y compris dans le domaine plus spécifique du contrôle des concentrations, pour établir, en conjonction avec d’autres circonstances spécifiques, la recevabilité de son recours (voir arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T 177/04, EU:T:2006:187, point 35 et jurisprudence citée).

26 C’est au regard de la jurisprudence rappelée au point 25 ci-dessus que le Tribunal a adopté une mesure d’organisation de la procédure visant à inviter les parties à soumettre, lors de l’audience, leurs observations sur la fin de non-recevoir qu’il envisageait de soulever d’office.

27 Il convient de relever que la requérante n’a pas soutenu, ni dans ses écritures ni lors de l’audience, qu’elle avait envoyé une lettre à la Commission afin de lui présenter des observations sur la concentration M.8871 ou pour lui signifier sa volonté de participer à la procédure afférente. De plus, il ressort de la requête que la Commission n’a pas invité la requérante à participer à l’enquête de marché mentionnée au point 10 ci-dessus.

28 À cet égard, il est vrai que, dans le cadre de sa réponse au troisième moyen, tiré de la violation du droit de la requérante d’être entendue, la Commission soutient, dans le mémoire en défense, que la requérante a été mise en mesure de participer pleinement à la procédure, notamment par le biais de l’enquête de marché à laquelle elle aurait répondu, et que la requérante a été entendue par elle. Toutefois, la Commission a précisé, lors de l’audience, qu’il s’agissait d’une erreur matérielle de rédaction et que la requérante n’avait ni participé à l’enquête de marché ni été entendue par la Commission à la suite d’une demande faite en ce sens par la requérante.

29 Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas participé à la procédure administrative.

30 De plus, lors de l’audience, la requérante n’a avancé aucun autre argument visant à démontrer qu’elle s’était manifestée auprès de la Commission aux fins de participer à la phase administrative.

31 La requérante n’ayant pas activement participé à la procédure relative à la concentration M.8871, il y a lieu de considérer, compte tenu, en outre, de l’absence de circonstance particulière relative à l’affectation de sa position sur le marché, qu’elle n’est pas individuellement affectée par la décision attaquée, au sens de la jurisprudence rappelée au point 25 ci-dessus.

32 La requérante n’étant pas individuellement affectée par la décision attaquée, elle n’a pas établi sa qualité pour agir, de sorte qu’il convient de rejeter son recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la demande de comparution personnelle ou, à titre subsidiaire, d’audition de témoins déposée par la requérante au greffe du Tribunal le 30 mai 2022.

 Sur les dépens

33 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, par E.ON et par RWE, conformément aux conclusions de ces dernières.

34 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2) Stadtwerke Hameln Weserbergland GmbH supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, par E.ON SE et par RWE AG.

3) La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.