CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 30 juin 2011, n° 2010/17039
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Réseau de Transport d'Électricité (SA)
Défendeur :
Exploitation du Parc Eolien Le Nouvion (SAS), Parc Eolien de Saint-Riquier 1 (SAS), Parc Eolien de Saint-Riquier 2 (SAS), Commission de Régulation de l'Énergie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remenieras
Conseillers :
Mme Beaudonnet, Mme Van Ruymbeke
Avoués :
SCP Monin - d' Auriac de Brons, SCP Baufume-Galland-Vignes
Avocats :
Me Bricone, Me Barthelemy, Me Cambus
A partir de 2001, la société Intervent a développé sur le territoire des communes de Brailly-Cornehotte et de Gueschart, dans le département de la Somme, un projet de parc éoliens dénommé « Parc éolien de Saint-Riquier », constitué de 4 tranches de 12 MW. Le projet a été réparti sur cinq sites de production d'une puissance inférieure ou égale à 12 MW, étant précisé qu'à cette époque, pour les installations éoliennes, le mécanisme de I 'obligation d'achat était réservé aux sites de production d'une puissance inférieure ou égale à 12 MW, détenus par des sociétés indépendantes, dès lors que les sites étaient distants de moins de 1500 mètres.
Le projet de la société Parc Eolien de Saint-Riquier 1, ci-après SR l, est situé sur les lieux-dits « Le Mont à Bouteilles » et « l'Epinette » à Brailly-Cornehotte et le « Le Chemin Saint-Vast » à Gueschart alors que celui de la société Parc Eolien de Saint-Riquier 2, ci-après SR 2, est situé sur les lieux-dits Nouvion » et Buisson Renault » à Gueschart.
C'est dans un tel contexte que, le 18 août 2004, la société Fairtec, mandatée par la société Intervent, a demandé à la société Réseau de Transport d'Electricité (RTE), ci-après RTE, gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, ci-après RPT, une étude détaillée en vue du raccordement de son projet à ce réseau.
Le 14 avril 2005, Intervent a signé la proposition technique et financière, ci-après PTF, qui lui avait été transmise par RTE, étant observé que ce document comporte une clause de substitution au profit de la société SEPE Le Nouvion. Le raccordement proposé consistait à utiliser la ligne 225 KV existante pour raccorder le nouveau poste de livraison « Brailly » en piquage.
Le 28 août 2005, Intervent a demandé à RTE de lui confirmer que la capacité d’accueil de la ligne de 225 KV était suffisante pour accueillir un parc éolien d’une capacité de 48 MW dans le cadre de la création d'une zone de développement de l'éolien (ZDE).
EDF, à qui Intervent avait par ailleurs demandé un contrat d'achat pour un projet d'installation de 24 éoliennes d'une puissance maximale de 55,2 MW, l'a toutefois informée qu'aucun arrêté préfectoral n'ayant été pris pour la création d'une ZDE, elle ne pouvait, en conséquence, donner une suite favorable à cette demande, pour une puissance installée de 55,2 MW.
Le 2 janvier 2006, Intervent a alors demandé à RTE la possibilité de raccorder une puissance totale de 55,2 MW au lieu des 48 MW demandés initialement, puis lui a précisé, le 20 février 2006, que les données transmises pour l'augmentation de puissance concernaient un raccordement de 5 groupes d'éoliennes de puissance inférieure à 12 MW et indépendantes les unes des autres et qu'elle examinait la possibilité de créer une ZDE.
Le 31 mai 2006, Intervent a signé un avenant à la PTF pour l'augmentation de la puissance totale des parcs éoliens puis, le 11 janvier 2007, R T E a demandé à Intervent la communication des données techniques nécessaires à l'élaboration de la convention de raccordement.
Le 13 février 2007, Intervent a informé RTE que la PTF était cédée à la société SEPE Le Nouvion.
Le 14 mai 2007, des certificats ouvrant droit à l'obligation d'achat d'électricité ont été délivrés par la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE) de la Picardie et, le 10 juillet 2007, des permis de construire ont été délivrés par le préfet de la Somme pour deux des parcs éoliens.
Une convention de raccordement des parcs éoliens SEPE Le Nouvion de Brailly-Comehotte, Gueschart et Noyelles en chaussée au réseau public de transport d'électricité a ensuite été signée par SEPE Le Nouvion le 7 novembre 2008 et par RTE le 14 novembre 2008.
C'est dans ces conditions que, le 19 juin 2009, SEPE Le Nouvion a adressé à RTE un courrier ainsi libellé :
Pour résumer la situation : une convention de raccordement a été signée le 14 /11/2008 (…) Les permis de construire concernant les éoliennes ont été obtenus en juillet 2007. Concernant le raccordement, il est prévu que la société SEPE De Nouvion sera le seul interlocuteur pendant la durée d'exploitation des installations et signera donc la page convention d'exploitation avec RTE, Elle est seule responsable pour le respect du cahier des charges. Une convention sera également signée entre la SEPE Le Nouvion, SR I et SR 2 pour régler l'accès aux transformateurs. Le respect des obligations du cahier des charges fera l'objet de cette convention.
En tant que représentant de la société SEPE Le Nouvion, je certifie par le présent courrier qu’un transfert de la convention de raccordement aux sociétés SR I et SR 2 n 'est pas prévu et n’aura pas lieu, sauf dans le cas express d'un accord préalable de RTE et seulement s’il y avait nécessité dans une phase ultérieure.
Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez nous confirmer (…) rien ne s’oppose juridiquement et techniquement à la signature de la convention d'exploitation avec SEPE Le Nouvion qui donnera accès au poste de transformation aux deux entités indépendantes l'une de l'autre SR 1I et SR 2 ».
SEPE Le Nouvion demandait également à RTE si l'établissement d'un contrat de service de décompte tel que proposé ne soulevait pas de difficulté dans la configuration présentée, l'ensemble des installations, y compris le comptage, restant sous sa responsabilité.
Le 22 septembre 2009, RTE a alors indiqué à SEPE Le Nouvion :
« L'article 2 du décret du 23 avril 2008 sur le raccordement des installations de production aux réseaux publics de transport stipule que, dès lors qu'il y a scission d'une installation de production entre plusieurs sociétés, il est nécessaire de contractualiser entre le gestionnaire de réseau et chacune d'entre elles un raccordement qui lui est propre. Cette exigence n 'est pas respectée en l'état actuel de la situation. Néanmoins dans un cas similaire, l'administration a pu autoriser une dérogation à cette exigence, à la condition expresse que les sociétés propriétaires des parcs, et détentrices des autorisations d'exploiter, aient le statut d'établissement secondaire de la société signataire de la convention de raccordement, de la convention d'exploitation, et du contrat d'accès au réseau avec RTE. Il serait donc nécessaire que SR 1 et SR 2 aient le statut d'établissement secondaire de SEPE Le Nouvion pour que vous puissiez demander la même dérogation à l'administration. (...) ».
Par arrêté du 12 novembre 2009, le ministre d'Etat, ministre de l’Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer a autorisé la société SR 1 à exploiter une installation de production électrique à partir de l'énergie mécanique du vent, d'une puissance électrique de LI 1,5 MW. II a également autorisé, par un arrêté du même jour, la société SR 2 à exploiter une installation de production électrique à partir de l'énergie mécanique du Vent, d'une puissance électrique de 12 MW.
Le 12 novembre 2009 également, SEPE Le Nouvion a demandé aux services du ministre la confirmation que la solution préconisée par RTE était conforme à la réglementation relative au raccordement au réseau public de transport, spécialement en ce qui concerne les conditions administratives du raccordement, soit un producteur unique, en l'occurrence SEPE Le Nouvion, seul responsable de l'injection d'électricité produite par le parc éolien de Saint-Riquier sur le réseau public de transport d'électricité par l'intermédiaire d'un seul point de livraison.
Le 1er décembre 2009, RTE a rappelé à SEPE Le Nouvion qu'il était nécessaire de disposer d'un schéma juridique valide. Ceci exclut la possibilité de raccorder en un même point du RPT deux parcs détenus par deux sociétés juridiquement séparées. A ce sujet, nous vous avons suggéré la création de deux établissements secondaires rattachés à la société SEP E Le Nouvion, sous réserve que la DGEC valide le raccordement au RPT avec celle structure ». Par ailleurs, RTE a indiqué que « les travaux de raccordement seront terminés à la date du 7/12 (conformément à notre engagement pris dans la convention de raccordement) ».
Le 7 décembre 2009, un avenant à la convention de raccordement a été conclu entre SEPE Le Nouvion et RTE pour une baisse de puissance de production totale des parcs éoliens à 49,5 MW.
Cependant, SEPE Le Nouvion a indiqué le 24 février 2010 à RTE que sa position telle qu'exprimée dans son courrier du 1er décembre 2009 était en contradiction directe avec le schéma en 5 sites de production qui avait été présenté en 2004, puis validé dans la convention de raccordement, en l'absence de création de la ZDE à ce stade. Elle lui précisait qu'elle disposait pour l’ensemble des deux sites de production de l'ensemble des autorisations requises tant en ce qui concerne le fonctionnement- autorisation d'exploiter- qu'en ce qui concerne le bénéfice de l'obligation d'achat - certificat ouvrant droit à l'obligation d'achat et accusé de réception de la demande complète de contrat d'achat. Par ailleurs, elle lui demandait de procéder à l'achèvement du raccordement et à la mise sous tension des installations dans les meilleurs délais, afin de permettre la mise en service des machines construites.
Le 11 mars 2010, RTE a indiqué à SEPE Le Nouvion qu'il était possible de mettre sous tension votre poste à Brailly en se limitant, dans un premier temps, au raccordement d'un seul parc (Saint-Riquier 1 ou Saint-Riquier 2), sous réserve que l'autorisation d'exploiter ce parc soit directement détenue par SEPE Le Nouvion, signataire de la convention de raccordement, par dérogation, qu'elle soit détenue par un établissement secondaire de SEPE Le Nouvion ».
Alors que, le 23 mars 2010, S E P E Le Nouvion avait communiqué à la société RTE un contrat d'accès au réseau public de transport (CART) et une convention pour l'exploitation et la conduite en période d'essais pour l'installation de SEPE Le Nouvion, RTE lui a répondu le 1er avril 2010 que les projets de contrats ne pourraient être signés qu'après réception de la copie de l'autorisation d'exploiter.
Le 9 avril 2010, SEPE Le Nouvion a demandé à RTE de lui confirmer la possibilité d'un transfert de la convention de raccordement signée au bénéfice de la société S R 2 et la possibilité d'un raccordement indirect des autres sites de production.
Le 19 avril 2010, RTE a indiqué à SEPE Le Nouvion que la cession de la convention de raccordement à SR 2 n'était réalisable que si cette société avait la qualité de producteur et à la condition que la puissance mentionnée dans la convention corresponde à celle du parc exploité par celle-ci. Elle lui précisait, au surplus, que l'article 2 du décret du 23 avril 2008 n'autorisait pas le raccordement indirect des autres sites de production.
C'est dans ces conditions que, estimant que la solution de raccordement au réseau public de transport de leurs installations de production n'était pas satisfaisante, les sociétés SEPE Le Nouvion et SR 1 et SR 2 ont saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, ci-après le CoRDIS, d'une demande de règlement de différend les opposant à la société RTE sur les conditions de raccordement de leurs installations de production d'électricité au réseau public de transport,
Elles demandent au CoRDIS
- de constater qu'en refusant de conclure avec SEPE Le Nouvion une convention d'exploitation et un contrat d'accès au réseau public de transport, RTE leur oppose un refus d'accès au réseau public de transport en violation des dispositions légales et des obligations contractuelles résultant de la convention de raccordement signée le 14 novembre 2008 ;
- par conséquent, d'enjoindre à RTE de signer la convention d'exploitation et le contrat d'accès au réseau public de transport adressés le 23 mars 2010 ;
- en toute hypothèse, de constater que le gestionnaire a manqué à son obligation d'information et de conseil dans l'élaboration de l'offre de raccordement en négligeant de proposer une solution compatible avec leur projet ;
- de constater que ce manquement engage la responsabilité de RTE et est de nature à ouvrir droit, par principe, à réparation des préjudices dont elle pourrait justifier.
Par décision du 12 juillet 2011, le Cordis a décidé :
« Article 1er. - La société RTE adressera à la société SEPE Le Nouvion, dans le délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision, une convention d'exploitation et un contrat d'accès au réseau public de transport pour la mise en service du raccordement du réseau privé constitué avec les sociétés SR 1 et SR 2.
Article 2. - Le surplus des conclusions de la société SEPE Le Nouvion, de la société SR 1 et SR 2 et de la société SR 1 et SR 2 et de la société RTE est rejeté. (...) » ;
LA COUR,
Vu la déclaration de recours en annulation et en tout état de cause en réformation déposée le 19 août 2010 par la société R T E et accompagnée d'un exposé sommaire des moyens ;
Vu l'exposé complet des moyens de la société RTE, déposé le 17 septembre 2010 ;
Vu le mémoire en réponse de la société SEPE Le Nouvion et des sociétés SR 1 et SR 2, déposé le 17 novembre 2010 ;
Vu le mémoire en réplique et récapitulatif de la société RTE, déposé le 25 janvier 2011 ;
Vu les observations de la Commission de Régulation de l'Energie (CRE), déposées le 2 décembre 2010 ;
Vu les observations du ministère public, mises à la disposition des parties à l’audience ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 28 avril 2011, le conseil des requérantes et de la société RTE, qui ont été mis en mesure de répliquer, ainsi que le conseil de la Commission de régulation de l'énergie et le ministère public ;
SUR CE,
Considérant que RTE prétend, tout d'abord, que le CoRDIS a commis une erreur de droit en décidant, par une interprétation extensive des textes, que la société SEPE Le Nouvion devait être regardée comme un utilisateur du RPT alors que cette société ne peut revendiquer cette qualité ;
Que la requérante fait ainsi valoir :
- d'une part, que le Comité ajoute au texte de la directive du 26 juin 2003, dont les définitions de l'utilisateur sont limitatives et qui ne prévoit pas la possibilité d'alimenter indirectement le réseau de transport via un réseau privé, les personnes alimentant un réseau de transport désignant, dans la directive, soit les producteurs d'électricité, soit les réseaux publics de distribution ;
- d'autre part, que l'interprétation du CoRDIS n'est conforme ni à la loi du 10 février 2000 ni au décret du 27 juin 2003 ni encore au décret du 23 avril 2008, texte dans lequel cette catégorie d'utilisateur ne figure pas ;
Qu'en effet, les textes relatifs aux raccordements, exclusivement conçus pour des catégories d'utilisateurs déterminés du RPT, ne peuvent être interprétés que comme excluant tous les acteurs qui ne rentrent pas dans ces catégories, de sorte que, en créant une catégorie d'utilisateur distincte des catégories visées dans la loi et dans les directives, constituée des personnes morales non producteurs alimentant le réseau de transport dans le cadre d'un projet d'ensemble d'un réseau privé, le CoRDIS a commis une erreur de droit ;
Que, ce faisant, le Comité a privé d'effet utile les conditions posées par la loi du 10 février 2000 pour prétendre obtenir un accès au réseau, le gestionnaire de réseau étant tenu de refuser l'accès à un producteur qui ne peut justifier d'une autorisation ;
Que les seules sociétés pouvant recevoir la qualification d'utilisateurs du réseau sont les sociétés SR 1 et SR 2, producteurs identifiés, comme tels titulaires des autorisations d'exploiter et raccordées au réseau public de transport via un poste de transformation qui devrait relever, au regard de la tension en cause, du gestionnaire de réseau compétent, ERDF, alors que SEPE Le Nouvion, qui n'est pas un producteur et qui a obtenu une convention de raccordement en sa qualité affirmée de producteur, ne relève d'aucune catégorie d'utilisateurs et ne peut, en conséquence, bénéficier d'un accès au réseau.
Considérant que la requérante expose, ensuite, que le CoRDIS a commis une autre erreur de droit en relevant qu'aucune disposition de la loi n'oblige à un raccordement direct des installations de production au RPT alors, qu'à l'opposé, la réglementation en vigueur implique nécessairement un raccordement direct des installations de production au RPT ;
Que tel est le cas :
- du monopole confié à RTE en vertu de la loi du 1er septembre 2005, qui consacre dans le périmètre de chaque concession un droit exclusif faisant obstacle à la « duplication » par un tiers du réseau de distribution de transport, sous réserve de quelques exceptions limitativement énumérées ;
- des dispositions de l'article 2 du décret no 2003 588 du 27 juin 2003 qui, prévoyant que c'est le producteur qui bénéficie d'une convention de raccordement, supposent un raccordement direct, alors qu'un raccordement indirect impliquerait, qu'en violation de ces dispositions, un producteur puisse exploiter un site sans signer une convention de raccordement ;
- de la structure tarifaire telle que définie par le décret no 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d' électricité (TURPE) qui a été élaborée sur proposition de la CRE pour trois catégories d'utilisateurs déterminés du réseau : les producteurs, les consommateurs et les gestionnaires de réseaux publics et que la décision entreprise remet fondamentalement en cause ; qu'à cet égard, RTE observe que SEPE Le Nouvion n'étant pas un utilisateur identifié dans la loi et SR 1 et SR 2 n'étant, de leur côté, pas directement raccordées, ces sociétés pourraient en tirer prétexte pour échapper à l’assujettissement aux tarifs d'utilisation des réseaux publics, alors pourtant que la loi du 10 février 2000 dispose que les tarifs d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution applicables aux utilisateurs sont calculés de manière non-discriminatoire, afin de couvrir l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux, de sorte que la non-participation de ces utilisateurs du réseau à la couverture des coûts serait la source d'une situation discriminatoire et contraire à la loi ;
Considérant que RTE soutient, enfin, qu'en permettant la création, en dehors de tout cadre légal, de réseaux privés échappant aux prescriptions techniques de conception et de fonctionnement qui s'appliquent, par ailleurs, aux producteurs, aux consommateurs et aux GRD raccordés au RPT, la décision du Cordis implique de graves conséquences dans le domaine de la sécurité et de la sûreté du système électrique ;
Qu'en effet, la décision déférée risque de provoquer une multiplication de réseaux privés dispensés, comme les producteurs qui y sont raccordés, de toute contrainte technique et que cette absence de prescriptions techniques objectives, non discriminatoires et notifiées à la CRE constituerait par surcroît un manquement à l’article 5 de la directive 2003/54/CE, avec, comme conséquence, hormis la perte de recettes tarifaires :
- la création de différentes catégories de producteurs, l'une restant soumise à une réglementation stricte en matière de sécurité et de sûreté, alors que l'autre serait exemptée de toute obligation ;
- la mise en danger de la sûreté et la sécurité du réseau dont R T E est garante au titre de sa mission de service public, puisqu'elle ne sera plus mesure de prescrire aux producteurs indirectement raccordés les performances attendues dans cette optique ;
Mais considérant, en premier lieu, concernant le refus de délivrance d'une convention d'exploitation reposant sur le défaut autorisation d'exploiter qui est opposé par RTE à SEPE Le Nouvion, que l'article 23 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 dispose notamment : « Tout refus de conclure un contrat d'accès aux réseaux publics est motivé et notifié au demandeur et à la Commission de régulation de l'électricité. Les critères de refus sont objectifs, non discriminatoires et publiés et ne peuvent être fondés que sur des impératifs liés au bon accomplissement des missions de service public et sur des motifs techniques tenant à la sécurité et la sûreté des réseaux, et à la qualité de leur fonctionnement. Le gestionnaire du réseau est, par ailleurs, tenu de refuser l'accès au réseau à un producteur qui ne peut justifier d'une autorisation ou d'un récépissé de déclaration délivré en application du II de l'article 6 (...) ; » ;
Or considérant qu'il est constant que SEPE Le Nouvion n'est pas un producteur exploitant des installations de production définies par l'article 2 du décret n° 2003-588 du 27 juin 2003 applicable en l'espèce comme des « équipements destinés à la production d'énergie électrique qui comprennent un ou plusieurs groupes de production ainsi que les appareillages auxiliaires (...) regroupés sur un même sile et exploités par le même producteur, qui bénéficie à ce titre d'une convention de raccordement unique» ;
Que, dès lors, cette société n'est pas tenue d'être titulaire d'une autorisation d'exploiter pour bénéficier d'un raccordement au réseau public de transport et, qu'au surplus, comme le relève le CoRDIS, aucune disposition législative ou réglementaire ne conditionne le raccordement au réseau public de transport de la société SEPE Le Nouvion à l'obtention d'une autorisation d'exploiter ;
Qu'en revanche, dès lors que le réseau privé de la SEPE Le Nouvion a pour objet, dans le cadre d'un projet d'ensemble, d'alimenter le réseau de transport par l'injection de la production des parcs éoliens des sociétés SR 1 et SR 2, SEPE Le Nouvion doit, comme l'a décidé à bon droit le Comité, être regardée comme un utilisateur du réseau public de transport ;
Qu'il importe peu que, dans la convention de raccordement, la société SEPE Le Nouvion ait fait état de la qualité de producteur et non d'utilisateur dès lors que, comme l'explique la C R E, non contredite sur ce point, dans ses observations, cet intitulé résulte du libellé des conventions proposées par RTE aux utilisateurs qui sollicitent le raccordement d'installations de production, étant par surcroît 9bservé que, dans les circonstances de l'espèce, RTE ne pouvait ignorer que la demande de raccordement pour des installations d'une puissance de 56 MW concernait plusieurs producteurs pour des parcs.
Considérant que cette qualité d'utilisateur se déduit en effet des termes de l’article 2) 18 de la directive 2003/54/ CE du 26 juin 2003 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, qui définit les utilisateurs du réseau comme « (...) les personnes physiques ou morales alimentant un réseau de transport ou de distribution ou desservie par un de ces réseaux», ces dispositions devant par surcroît être rapprochées des considérants 6 et 7 de cette directive qui consacrent le principe fondamental au regard du processus de libéralisation de l'accès libre et non discriminatoire au réseau : « (6) Pour le bon fonctionnement de la concurrence, l'accès au réseau doit être non discriminatoire, transparent et disponible au juste prix. (7) Afin d'achever le marché intérieur de l'électricité, l'accès non discriminatoire au réseau du gestionnaire de transport ou de distribution revêt une importance primordiale. (…) » ;
Que s'il est vrai que l'article 2)1, 2)6 et 2)7 de la directive prévoit des catégories particulières d'utilisateurs constituées par les producteurs d'électricité, par les réseaux publics de distribution ou encore par les clients, la définition de l'utilisateur telle qu'elle résulte de l'article 2) 18 de cette directive n'a pas la portée limitée qui lui est attribuée par RTE, dès lors qu'elle ne renvoie pas aux catégories particulières d'utilisateurs précédemment définies, en les incluant ainsi dans une définition plus large visant les personnes alimentant un réseau de transport ou de distribution ou desservie par un de ces réseaux.
Qu'au surplus, l'article 2 du décret du 27 juin 2003 précité définit de manière non limitative l'utilisateur du réseau public de transport comme étant «la personne physique ou morale qui demande ou dispose d'un accès au réseau public de transport (producteur, consommateur, gestionnaire d'un réseau de distribution...) » ;
Considérant que la requérante reproche en vain au CoRDIS d'avoir institué une catégorie sui generis d'utilisateur qui ne figurerait pas dans les catégories visées dans la loi et dans la directive précitées, dès lors que le Comité, qui n' était pas tenu de rechercher une qualification plus précise, s'est seulement borné, dans le cadre du règlement de différend dont il était saisi, à constater que, du fait de sa qualité d'utilisateur du réseau de transport, SEPE Le Nouvion jouissait d'un droit d'accès au réseau en invitant RTE à en tirer les conséquences ;
Qu'il suffit seulement d'observer que la mission de gestion du poste de transformation 225 kV / 20 kV qui a été confiée à SEPE Le Nouvion par SR 1 et SR 2 est celle de gestionnaire d'un réseau privé de distribution, le gestionnaire de réseau de distribution étant défini par la directive 2003/54/ CE comme « toute personne physique ou morale responsable de l'exploitation, de l'entretien et, si nécessaire, du développement du réseau de distribution dans une zone donnée et le cas échéant, de ses interconnexions avec d'autres réseaux, ainsi que de garantir la capacité à long terme du réseau à satisfaire une demande raisonnable de distribution d'électricité » ;
Que, dès lors, seuls les motifs expressément et limitativement prévus à l’article 23 de la loi du 10 février 2000- impératifs liés au bon accomplissement des missions de service public, motifs techniques tenant à la sécurité et la sûreté des réseaux ou à la qualité de leur fonctionnement et pour les seuls producteurs, le défaut d' autorisation d'exploiter- étant de nature à justifier un refus d'accès au réseau public de transport, RTE n'était pas fondée à opposer à SEPE Le Nouvion un refus de délivrance d'une convention d'exploitation au motif qu'elle ne bénéficiait pas d'une autorisation d'exploiter, alors qu'elle n'avait pas la qualité de producteur mais celle d'utilisateur ;
Qu'il résulte de ce qui précède que le premier moyen tiré d'une erreur de droit n'est pas fondé ;
Considérant, en deuxième lieu, concernant le raccordement indirect des sites de production dont le principe est contesté par la requérante, que l'article14 de la loi du 10 février 2000 dispose que « Le gestionnaire du réseau public de transport exploite et entretient le réseau public de transport d'électricité. Il est responsable de son développement afin de permettre le raccordement des producteurs, des réseaux publics de distribution et des consommateurs, ainsi que l'interconnexion avec les autres réseaux » ;
Considérant, cependant, que si les réseaux publics de distribution doivent en effet être directement raccordés au réseau public de transport d'électricité, tel n'est cependant pas le cas des installations de production que, comme le relève à bon droit le CoRDIS, ni l'article 14 susvisé de la loi du 10 février 2000, ni aucune autre disposition de cette loi, n'oblige à un raccordement direct au réseau public de transport et, qu'au surplus, ni cette même loi, ni aucun texte pris pour son application, ne subordonne le rachat de l' électricité produite dans le cadre du régime légal de l'obligation d'achat à un tel raccordement ;
Considérant que la requérante invoque vainement l'atteinte qui serait ainsi apportée au monopole conféré à RTE en sa qualité de gestionnaire du réseau public de transport par la loi du 8 avril 1946 puis par la loi du 10 février 2000, dès lors que ce monopole, qui n'est pas exclusif de l'existence de réseaux de distribution privés, le cas échéant raccordés aux réseaux publics, demeure, comme cela résulte du II de l’article 2 la loi du 10 février 2000, limité aux réseaux publics de transport ;
Considérant que c'est également à tort que RTE prétend que le raccordement indirect consacré par la décision déférée impliquerait qu'un producteur puisse exploiter une installation de production sans signer une convention de raccordement, dès lors que l'article 23 de la loi du 10 février 2000, qui dispose qu'un droit d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution est garanti par les gestionnaires de ces réseaux, notamment pour assurer les missions de service public définies au III de l’article 2 et assurer l’exécution des contrats prévus à l'article 22, précise ensuite : cet effet des contrats sont conclus entre les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution concernés et les utilisateurs de ces réseaux » ;
Que, par surcroît, l'article 40 de cette loi permet d'infliger des sanctions pécuniaires et également des interdictions temporaires d'accès aux réseaux publics aux utilisateurs du réseau public de transport qui manquent à leurs obligations ;
Considérant que la requérante n'est pas non plus fondée à se prévaloir d'une remise en cause de la structure tarifaire résultant du décret n° 2001-365 du 26 avril 2001 relatif aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité (TURPE) qui impliquerait un raccordement direct des installations de production au réseau public de transport, dès lors que le II de l'article 4 de la loi du 10 février 2000 dispose que « les tarifs d 'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution applicables aux utilisateurs sont calculés de manière non discriminatoire, afin de couvrir l'ensembles des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux » ;
Que, dès lors, comme la Commission de régulation de l'énergie le fait observer, l'ensemble des coûts engendrés par le raccordement de réseaux privés à un réseau public est nécessairement répercuté dans le tarif imposé à l'utilisateur raccordé, comme l'ensemble des coûts nés du raccordement de chaque producteur est imputé à ce dernier lorsque la solution retenue est celle de raccordement direct ;
Qu'au surplus, dans une telle situation, il n'existe pas de risque qu'un utilisateur non producteur soit exonéré du paiement du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, dès lors que :
- le IV de l'article 15 de cette loi dispose que : « Le gestionnaire du réseau public de transport procède au comptage nécessaire à l'exercice de ses missions. Sous réserve des stipulations contractuelles, il peut, compte tenu des écarts constatés par rapport aux programmes visés au I du présent article et des coûts liés aux ajustements, demander ou attribuer une compensation financière aux utilisateurs concernés. (...) » ;
- le troisième alinéa du III du même article dispose que : « Le gestionnaire du réseau public de transport peut conclure des contrats de réservation de puissance avec les consommateurs raccordés au réseau public de transport, lorsque leurs capacités d'effacement de consommation sont de nature à renforcer la sûreté du système électrique, notamment dans les périodes de surconsommation. Les coûts associés sont répartis entre les utilisateurs du réseau et les responsables d'équilibre dans le cadre du règlement des écarts » ;
Qu'à l'opposé, la prestation de service de décompte prévue par le catalogue des prestations annexes de RTE résultant de l'article 4 de la loi du 10 février 2000 et dont les tarifs actuels pour les prestations sous monopole ont été approuvés le 7 août 2009 par le ministre sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie n'a de sens que si le raccordement indirect de producteurs indépendants les uns des autres est possible ;
Qu'en effet, le service de décompte est ainsi décrit :
« Comme il ne peut exister de contrat d'accès au réseau entre un gestionnaire de réseau public et un site qui ne lui est pas directement raccordé (délibération CRE du 22/05/03), RTE a conçu le service de décompte pour permettre aux clients concernés (communément désignés « clients décomptants ») de choisir librement leur(s) fournisseur(s) d'énergie ou leur responsable d'équilibre. Ce service permet d'individualiser les consommations et les productions d'électricité des sites en décompte et d'affecter les flux correspondants aux responsables d’équilibre désignés par ces derniers s'ils diffèrent du responsable d'équilibre déclaré par le client directement raccordé au réseau public (communément désigné « client de tête »). Le service de décompte nécessite obligatoirement l'installation de compteurs permettant d'individualiser le flux d 'énergie afférent au client décomptant. » ;
Qu'il résulte de ce qui précède, qu'au rebours de ce que soutient RTE, la réglementation en vigueur n'implique pas nécessairement un raccordement direct des installations de production au réseau public de transport ;
Que le deuxième moyen fondé sur une erreur de droit doit être rejeté ;
Considérant, en troisième lieu, concernant les conditions dans lesquelles le service public de l’électricité, dont RTE a la charge pour le réseau public de transport d'électricité doit être pourvu, notamment en ce qui concerne la sécurité, qu'en application des articles 1er et 2 de la loi du 10 février 2000, le service public de l'électricité doit être assuré « dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique » ;
Qu'au cas d'espèce, c'est à juste titre que le Comité relève ;
qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le raccordement du poste de transformation de la société SEPE Le Nouvion a été réalisé conformément à la convention de raccordement signée par la société RTE le 14 novembre 2008 et, d'autre part, qu'un tel raccordement est sans conséquence pour la conduite et la sûreté du réseau, sous réserve que la puissance injectée par l'ensemble du parc de production ne dépasse pas 49,5 MW comme le prévoit la convention de raccordement ;
qu'un tel raccordement permettra l'exercice effectif du droit de ces producteurs de bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat sous réserve de la signature avec la société R T E d'un contrat de service en décompte ;
Qu'au vu de ces éléments, le CoRDIS était en droit de décider qu'au regard des coûts et de son délai de réalisation, le raccordement direct des installations de production des sociétés SR I et SR 2 serait économiquement désavantageux pour les demandeurs au règlement de différends ;
Considérant, enfin, s 'agissant spécialement des «graves conséquences» en matière de sécurité et de sûreté du réseau résultant de la décision du CoRDIS qui sont alléguées par la requérante, que celle-ci, qui se contente d'affirmations ne démontre pas en quoi le raccordement indirect, accompagné d'une prestation de comptage en décompte, des installations des parcs éoliens de SR 1 et SR 2 présenterait, à la différence d'un raccordement direct de chaque parc éolien, un quelconque risque pour la sécurité et la sûreté du réseau;
Qu'au surplus, comme la CRE le précise dans ses observations, RTE n'établit pas en quoi les exigences techniques, de sécurité ou de sûreté non plus d'ailleurs que la qualité de l'alimentation d'autres utilisateurs, serait compromises du seul fait que l'opérateur économique directement raccordé au réseau public de transport, la société SEPE Le Nouvion, est l'unique responsable du respect, par l'ensemble des entités raccordées indirectement au réseau public par son intermédiaire, des conditions réglementaires et contractuelles régissant le raccordement et son utilisation, étant précisé que les contrats et conventions que SEPE Le Nouvion a signé ou devra signer avec RTE, ont précisément pour objet, dans le respect des textes réglementaires et de la documentation technique de référence, d'offrir de telles garanties ;
Considérant, dès lors, que c'est à bon droit que le CoRDIS a décidé que RTE n'était pas fondée à contester la possibilité pour les sociétés SR 1 et SR 2 d'être raccordées au réseau privé de la société SEPE Le Nouvion et qu'il a invité RTE à communiquer à SEPE Le Nouvion une convention d'exploitation et un contrat d'accès au réseau public de transport pour la mise en service du raccordement du réseau privé constitué avec les sociétés SR 1 et SR 2 ;
D'où il suit que le recours sera rejeté ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le recours de la société RTE
Condamne la société RTE aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.