Cass. soc., 17 mai 2023, n° 21-21.041
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mariette
Rapporteur :
M. Barincou
Avocat :
SCP Poupet & Kacenelenbogen
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 28 mai 2021), Mme [V] a été engagée, le 27 août 1990, en qualité d'agent administratif par la société Sonimétal, aux droits de laquelle se trouve la société Debbas France. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable administratif.
2. Par jugement du 8 novembre 2018, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Debbas France.
3. Le 20 décembre 2018, un projet de licenciement de seize salariés a été notifié à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Ces licenciements ont été autorisés par ordonnance du juge commissaire du 27 décembre 2018.
4. La salariée a été licenciée pour motif économique et son contrat de travail a été rompu à l'issue du délai de réflexion du contrat de sécurisation professionnelle qu'elle avait accepté, soit le 7 février 2019.
5. Par jugement du 20 décembre 2019, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société Debbas France.
6. Contestant la régularité de son licenciement et sollicitant la reconnaissance d'un statut cadre, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le second moyen
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. La société Debbas France fait grief à l'arrêt de juger irrégulière la procédure de licenciement pour motif économique et de la condamner en conséquence au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts, alors « que l'article L. 1233-59 du code du travail doit rendre inapplicable les délais de l'article L. 1233-39 du même code lorsque les licenciements pour motif économique de plus de dix personnes au cours d'une même période de trente jours interviennent en période de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ; qu'en effet, s'il apparaît que, textuellement, le redressement ou la liquidation judiciaire rendent seulement inapplicable le délai de l'article L. 1233-15 du code du travail – lui-même relatif au licenciement pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours – un tel traitement différencié des deux licenciements relève plus de la malfaçon législative que d'une réelle volonté de maintenir l'application du délai de l'article L. 1233-39 en cas de redressement ou de liquidation judiciaire ; qu'en s'en tenant à la lettre de l'article L. 1233-59 du code du travail, pour accéder aux demandes de la salariée licenciée, tandis qu'il ressort de la jurisprudence et de l'esprit de ce texte que celui-ci doit trouver à s'appliquer, non seulement aux délais de l'article L. 1233-15, mais également à ceux de l'article L. 1233-39, la cour d'appel, qui a fait une mauvaise interprétation conjuguée des articles L. 1233-39, L. 1233-58 et L. 1233-59 du code du travail ensemble l'article L. 631-17 du code de commerce, a violé lesdites dispositions. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1233-39 et L. 3253-8 2° du code du travail et l'article L. 631-17 du code de commerce :
9. Aux termes du premier de ces textes, applicable aux licenciements de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, l'employeur notifie au salarié le licenciement pour motif économique par lettre recommandée avec avis de réception. La lettre de notification ne peut être adressée avant l'expiration d'un délai courant à compter de la notification du projet de licenciement à l'autorité administrative. Ce délai ne peut être inférieur à trente jours.
10. Selon le troisième, lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé par le juge commissaire à procéder à ces licenciements.
11. Selon le deuxième, l'assurance des salariés contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, garantit les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant pendant la période d'observation, dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de redressement, dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation et pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire, en sorte que, pour que les droits des salariés à garantie de leurs créances nées de la rupture du contrat de travail soient préservés, le licenciement doit être notifié au cours de l'une des périodes fixées par ce texte.
12. Il en résulte que les délais prévus à l'article L. 1233-39 du code du travail pour l'envoi des lettres de licenciement prononcé pour un motif économique ne sont pas applicables en cas de redressement ou de liquidation judiciaire.
13. Pour condamner la société à payer une somme à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, l'arrêt retient qu'il n'est pas discuté que la salariée a été licenciée pendant la période d'observation, au cours de laquelle seuls peuvent être prononcés les licenciements présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable, que néanmoins, les dispositions de l'article L. 631-17 du code du commerce, qui prévoient cette hypothèse, ne dispensent pas le mandataire judiciaire et l'employeur de respecter les règles de notification des licenciements autorisés par le juge commissaire, étant précisé que l'article L. 1233-59 du code du travail invoqué par l'employeur ne saurait trouver à s'appliquer en l'espèce dans la mesure où il vise les délais de l'article L. 1233-15 du même code relatifs au licenciement de moins de dix salariés dans une même période de trente jours.
14. Il en conclut que la méconnaissance par le mandataire judiciaire et l'employeur du délai de notification du licenciement économique de la salariée est avérée et constitue une irrégularité de forme de nature à causer un préjudice à l'intéressée qui peut en demander réparation.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond dès lors qu'elle dispose des éléments lui permettant, en l'absence de toute irrégularité de la procédure, de rejeter la demande présentée à ce titre.
18. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Debbas France à payer à Mme [V] la somme de 3 538,27 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, l'arrêt rendu le 28 mai
2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉBOUTE Mme [V] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement.
Condamne Mme [V] aux dépens.