CE, 7e et 2e ch. réunies, 14 octobre 2022, n° 462518
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Annulation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Tonon
Rapporteur public :
M. Malverti
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Thiriez, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre
Vu la procédure suivante :
Par un arrêt du 3 mars 2022, enregistré le 21 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a sursis à statuer sur le litige opposant la société Green Go Aircraft à la société Air Tourisme Instruction Service et a saisi le Conseil d'Etat de la question de la légalité des dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile au regard des dispositions des articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, L. 721-7, 3° du code de commerce, L. 511-2 et L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution.
Par un mémoire, enregistré le 22 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Air Tourisme Instruction Service conclut, à titre principal, à ce que le Conseil d'Etat constate que l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile a été implicitement abrogé par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution en tant qu'il prévoit la compétence du juge d'instance pour autoriser la saisie conservatoire d'un aéronef de nationalité étrangère ou appartenant à une personne domiciliée à l'étranger et, à titre subsidiaire, à ce qu'il déclare que l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile est illégal dans cette mesure.
Par deux mémoires, enregistrés le 25 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Green Go Aircraft conclut à ce que le Conseil d'Etat constate que l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, en tant qu'il prévoit la compétence du juge d'instance pour autoriser la saisie conservatoire d'un aéronef de nationalité étrangère ou appartenant à une personne domiciliée à l'étranger, n'a pas été abrogé par l'effet de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution et qu'il est légal dans cette mesure.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code de commerce ;
- le code de l'organisation judiciaire ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Clément Tonon, auditeur,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Green Go Aircraft, et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Air Tourisme instruction service ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêt du 3 mars 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a sursis à statuer sur le litige opposant la société Green Go Aircraft à la société Air Tourisme Instruction Service jusqu'à ce que le Conseil d'Etat ait statué sur la légalité des dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile au regard des dispositions de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, du 3° de l'article L. 721-7 du code de commerce et des articles L. 511-2 et L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution.
2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, issus de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, et modifiés par l'ordonnance du 8 juin 2006 portant refonte du code de l'organisation judiciaire : " Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. / Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en oeuvre. " L'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que : " Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement. / La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire. " Aux termes de l'article L. 511-3 du même code : " L'autorisation est donnée par le juge de l'exécution. Toutefois, elle peut être accordée par le président du tribunal de commerce lorsque, demandée avant tout procès, elle tend à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale. " L'article L. 721-7 du code de commerce, issu de la loi du 22 décembre 2010 relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires, dispose quant à lui que : " Le président du tribunal de commerce peut connaître concurremment avec le juge de l'exécution, lorsqu'elles tendent à la conservation d'une créance relevant de la compétence de la juridiction commerciale et qu'elles sont demandées avant tout procès, des mesures conservatoires portant sur : (...) 3° Les aéronefs, dans les cas et conditions prévus par le code de l'aviation civile (...) ".
3. L'article L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que : " Une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire lorsque le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire. Il en est de même en cas de défaut de paiement d'une lettre de change acceptée, d'un billet à ordre, d'un chèque ou d'un loyer resté impayé dès lors qu'il résulte d'un contrat écrit de louage d'immeubles. "
4. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dont les dispositions sont issues de l'article 17 de la loi du 31 mai 1924 relative à la navigation aérienne, dans sa version applicable au litige : " Lorsque le propriétaire de l'aéronef n'est pas domicilié en France ou que l'aéronef est de nationalité étrangère, tout créancier a le droit de pratiquer une saisie conservatoire avec l'autorisation du juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri. "
5. Les dispositions particulières précitées de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, en tant qu'elles prévoient toujours une autorisation préalable du juge pour pratiquer une saisie conservatoire sur un aéronef étranger, ne sont pas incompatibles avec les dispositions citées au point 3 de l'article L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, aux termes desquelles une autorisation préalable du juge n'est pas nécessaire, dans certaines circonstances, pour pratiquer une saisie conservatoire. Elles ne sont pas, par suite, entachées d'illégalité.
6. En revanche, il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 2, ainsi que des travaux préparatoires des lois du 9 juillet 1991 et du 22 décembre 2010, que le législateur a conféré au juge de l'exécution une compétence exclusive en matière d'autorisation des saisies conservatoires, y compris en matière de saisie des aéronefs étrangers, sous réserve de la compétence concurrente du président du tribunal de commerce dans les conditions qu'elles énoncent. Par suite, les dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dans leur version applicable au litige, doivent être déclarées illégales en tant qu'elles désignent le juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri comme juge compétent pour autoriser la saisie conservatoire des aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il est déclaré que les dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile sont illégales en tant qu'elles désignent le juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri comme juge compétent pour autoriser la saisie conservatoire des aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Cour de cassation, à la société Green Go Aircraft, à la société Air Tourisme Instruction Service et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.